août 2012

Les becs cueilleurs de maïs

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Il fait encore nuit lorsque je tire Oscar de son panier, il retrouve son enthousiasme au-dessus de la Mussily, court comme un dératé. Les becs cueilleurs de maïs ont fait leurs premiers passages sous la Moille-au-Blanc, il pleuvigne. Près du ruisseau les silhouettes des chevaux de Mylène et des veaux de Jean-Paul inquiètent.
Au Mont, les tractopelles comblent le fossé qui sépare les fondations du second ouvrage des palplanches, qui seront retirées au cours de la semaine prochaine. Des ouvriers ont fixé les panneaux de coffrage de quelques-uns des murs porteurs du rez-de-chaussée, ils y coulent du béton.
Je fixe de mon côté quelques principes avec les nouveaux élèves de la classe 11 qui ont démarré leur journal quotidien. Ils devraient y retrouver, lorsqu'on se quittera en 2015, 1665 des innombrables événements, choses, petites choses, grandes choses, avec lesquelles ils auront eu à faire. Ils ont aujourd'hui pour consigne d'aller en chercher trois dans leur mémoire, de la veille, les trois qu'ils souhaitent, mais en n'utilisant pour les fixer aucun des pronoms de conjugaison.
Je poursuis avec les élèves de la classe 6 la présentation des institutions fédérales suisses et la place de l'initiative populaire dans la vie politique de notre pays, son acceptation tant par la majorité du peuple que par la majorité des cantons. Ils comprennent, je crois, l'importance du système bicaméral dans un état comme le nôtre, fortement décentralisé, constitué lui-même d'états, petits et grands, aux pouvoirs étendus. Il s'agit de comprendre aussi que chacune des dispositions constitutionnelles se veut un compromis équilibré entre la nécessité de disposer d'exigences minimales au niveau fédéral et le respect des compétences et de l'indépendance cantonales. C'est ici seulement que le bicamérisme trouve son sens. A quoi bon deux chambres dans un état aussi centralisé que la France ?
C'est en lisant Fred Vargas – Un peu plus loin sur la route – avec les élèves de la 9 que je prends conscience que ma vie oscille entre deux conceptions : une partie de go que je serais en train de jouer en posant sur le damier des pions dont je ne connaîtrais pas les effets à long terme, une partie de go terminée depuis longtemps déjà dont j'essaierais de comprendre la genèse. Je lis la vie que j'écris, j'écris la vie que je lis.
Remonte au Riau, photographie les tessons trouvés hier entre Pully et Lausanne. Plus de café, pas de pain et gros mal de tête, je descends à la Migros d'Epalinges. En profite pour faire un saut au cimetière et photographier les arrosoirs. Cherche la tombe de ma grand-maman maternelle, Hortense Rossier née Troillet, morte en 1966. Elle n'existe plus, la concession n'a pas été renouvelée. Je retrouve par contre celle de son mari mort en 1975. Les voici donc séparés une seconde fois, jusqu'au non-renouvellement de la concession de Louis Rossier, ils se retrouveront alors nulle part, s'il y a de la place, ou au ciel s'il le concède. Je vérifie encore que les tombes de papa et de maman sont bien là et je crois reconnaître sur les stèles de granite, dans l'écriture industrielle de leur prénom et de leur nom, de leurs dates de naissance et de mort, leur propre écriture. J'ai l'impression alors que leur vie demeure tout entière dans ces épitaphes. Et les tombes des inconnus qui les séparent l'un de l'autre donnent la dimension secrète à la fois de leur vie individuelle et de leur amour.
Michel et Lucette mangent ce soir à la maison, on se couche tard.

Jean Prod’hom


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Pierre nous a lâchés

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Il n'y a de place dans nos discours que pour les absents. Les orateurs de cet après-midi le savent d'autant plus que Pierre est mort. Quand ? Nul ne le sait, car personne n'est là lorsqu'il le faut, le réel prend tôt ou tard l'allure d'une parabole, Pierre est mort seul.
Les deux premiers orateurs ont donc parlé de l'absent, mais à côté comme d'habitude On écoute Pink Floyd et ça rappelle de bons souvenirs. Le troisième, c'est le pasteur, pas un mot sur Pierre, il ne l'a pas connu, alors il saisit l'occasion pour faire un peu de théologie, une théologie agressive, personne ne s'y attendait. Il lit des extraits de l'évangile de Marc où il est question de Pierre, c'était cousu de fil blanc.
Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il les conduisit seuls à l'écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux; ses vêtements devinrent resplendissants, et d'une telle blancheur qu'il n'est pas de foulon sur la terre qui puisse blanchir ainsi. Élie et Moïse leur apparurent, s'entretenant avec Jésus. Pierre, prenant la parole, dit à Jésus: Rabbi, il est bon que nous soyons ici; dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. Car il ne savait que dire, l'effroi les ayant saisis. Une nuée vint les couvrir, et de la nuée sortit une voix: Celui-ci est mon Fils bien-aimé: écoutez-le! Aussitôt les disciples regardèrent tout autour, et ils ne virent que Jésus seul avec eux. (Marc 9, 2-8)
Par un tour de passe-passe dont je ne repère pas toutes les finesses, l'homme de couleur habillé de blanc transfigure notre Pierre en son Pierre. Personne n'y croit vraiment mais il s'obstine, avant de lâcher un peu de lest en citant un agnostique catholique, Umberto Eco. Trop tard.
On est invité à passer entre le cercueil et la famille. Difficile de rendre les honneurs aux vivants et de dire adieu au mort en même temps. Je jette un coup d'oeil à la photo de Pierre jouant de la guitare, hilare, posée sur le cercueil. Je ne parviens pas à imaginer la chose qui est dans la boîte noire, je regarde alors la photographie du gaillard qui n'en finit pas de rire depuis le début de la cérémonie et je ris moi aussi.
L'employé des pompes funèbres arrête la circulation sur l'avenue C. F. Ramuz et le corbillard s'en va, phares allumés, au crématoire de Montoie. On reste sur le pas de la porte de l'église de Chamblandes comme des cons, avec le sentiment que Pierre nous a un peu lâchés et qu'il a pris d'un coup une sérieuse avance. Pour certains d'entre nous la route est peut-être encore longue, on se retrouve donc, pour patienter et prendre un peu de force, au Restaurant du Port de Pully.
Le lac est proche mais les tessons sont rares. J'en trouve quelques-uns en mauvais état.
Dans le parc de la propriété Verte Rive où Guisan est mort en 1960, Vincent Desmeules expose une dizaine de sculptures, fers fins hagards, herbes de rouilles rongées, feux éteints figés, ruines ravalées, petits enfers perdus dans la verdure. A chaque fois la même question, comment faire tourner autour d'un objet un espace sans bord ? N'est-ce pas aussi inconcevable qu'écouter la radio au milieu de l'océan ?
M'arrête en remontant devant la forge de Ropraz où Vincent Desmeules réalise ses travaux, fais quelques photos avant de descendre au Mélèze. Arthur monte dans la voiture, la nuit tombe, les filles sont au lit.

Jean Prod’hom



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Il y a la fermeture du canal de Suez

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Il la fermeture du canal de Suez
le craquement des boiseries
l'école des cosaques
il y a les supérettes
les draps qu'on pliait tous les deux
les grosses cylindrées
il y a la chasse à la perdrix
les concertations de rentrée scolaire
l'odeur de la poudre

Jean Prod’hom

Pierre est mort

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Des nuages mélangés à de la colle de poisson s'échappent des doigts du ciel et se mêlent aux abats d'une bête sans nom. Et si le soleil ne revenait pas ? Je pars avant tout le monde, il pleuvigne.
Tandis que les hirondelles volent bas, se regroupent, s'agitent, des brouillards sournois finissent leur course, pour la première fois cette année, à Sainte-Catherine, dans les prés de Bressonne et à Mauvernay. On annonce des chutes de neige à moins de 2000 mètres en fin de semaine.
Durant les jours ouvrables, la route qui me conduit à la mine me nourrit, je me goinfre avant de m'activer pour autrui, sans lever la tête sur autre chose que ce qu'on ne cesse de placer sur ma route depuis que je suis né.
Sitôt arrivé au Riau, je me rends compte que j'ai oublié mon portable et ramassé par inadvertance les clés de Murielle. Ne me reste qu'à faire un aller et un retour que je prolonge jusqu'à Lucens pour déposer le vélo d'Arthur dont les freins à disque ne répondent pas comme il le voudrait. Je pense à Pierre, à Blaise, à tous ceux que je ne vois plus et avec lesquels j'ai fait les 400 coups.
Pierre est mort, l'avis qui tient lieu de faire-part a été publié dans le journal local par sa mère et son père, auxquels s'est joint le psychiatre qui l'a accompagné une bonne partie de sa vie. Pierre est mort à son domicile, il avait 58 ans. On se retrouvera demain à Pully.
Je lis au bas de l'avis de décès ceci, en italique : On ne combat jamais le Mal de manière directe ou indirecte, mais on fait des progrès dans le bien. Je crois comprendre le sens de ces mots. Mais qui parle ? Et à qui ? Pierre est-il mort pour moi ?

Jean Prod’hom


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Une douzaine d'hirondelles sont alignées

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Le petit matin a découpé les chaînes des Vanils et des Muverans au cutter, sans accroc, en suivant un modèle bien connu au Riau.
J'accompagne les enfants à mon tour, il est 7 heures 30 lorsqu'Arthur monte dans le TL pour Moudon, 7 heures 40 quand les petites prennent le bus scolaire vers chez les Burdet. Je remonte au Riau et emmène Oscar pour une grande boucle, par le refuge de Ropraz, le chemin aux copeaux, la Moille au Blanc où je rencontre au volant d'un tracteur un jeune homme. C'est B. qui est de retour après deux années d'apprentissage dans la campagne fribourgeoise puis bernoise, longues années loin d'ici, dit-il, content de retrouver ses amis. Ça fait désormais deux bras supplémentaires sur le domaine, qu'il dit lorsqu'on se quitte. L'esprit des lieux attendait son retour, ça se voit, pour se poser, sitôt rentré, sur ses épaules, dans ses yeux et le long de son sourire.
Une douzaine d'hirondelles alignées sur un fil font leur toilette, remuées par des mouvements dont elles sont avec leurs voisines à la fois les causes et les conséquences, ode à l'équilibre précaire. S'envolent toutes soudain avant de revenir à plus de vingt, elles reprennent leur pas de deux, étrange ballet sur la corde raide, bientôt quarante avant de disparaître comme un nuage d'étourneaux. Le voyage pour l'Afrique est pourtant encore loin.
J'entends les filles un peu avant midi, elles ont faim. La pause est courte puisqu'elles redescendent à pied jusqu'à l'arrêt de bus, c'est la première fois.
Autre rencontre cette après-midi, celle de François Bon et Jean-Christophe Bailly, ils évoquent avec la voix qui est la leur la persistance de ce qui n'aura jamais été tout à fait, qui non seulement ne disparaît pas de nos paysages mais nourrit encore par après, sans jamais finir, l'énigme qui fait tenir ensemble le tout avec le tout, et nous avec, où qu'on soit. C'est ainsi que se fabrique l'histoire, je crois, l'autre histoire.
L'éphémère laissé pour mort engendre sans compter des rejetons qu'il convient tout à la fois de ramasser et de déposer à l'avant du chemin pour attester d'une voie auprès de ceux qui viennent en second, comme des premiers de cordée, mais aussi pour leur signifier qu'il est encore temps de donner ses lettres à ce qui serait sans cela demeuré dans l'insignifiance.
Des étourneaux font un conciliabule sur l'épicéa de chez Maurice avant de disparaître eux aussi comme un nuage d'hirondelles. Lis avec peine le Plan d'études romand, mes yeux se ferment, je n'y puis rien, trop c'est trop. Rien de bien nouveau dans le fond, mais l'ambition démesurée de vouloir tout dire.
Les filles rentrent et mangent une glace avant de faire leurs devoirs. Elles descendent ensuite au bas du hameau rejoindre une amie. Vais chercher Arthur à l'arrêt TL, content de sa journée, mais avec un chagrin que Sandra devinera lorsqu'elle rentrera, il mange quelques biscuits, écrit un texte pour son blogue qu'il a laissé de côté tout l'été. Les entraînements de trial reprennent à 18 heures, il y va peu décidé mais y va. Je reste seul avec les filles qui ont renoncé à chercher un terrain d'entente et se chamaillent. On mange quand même, vais chercher Arthur à Ropraz, Sandra rentre de Vufflens où elle a participé ce soir au deuxième des quatre cours obligatoires de dressage à Vufflens.
C'était mon deuxième jour au fond de la mine, pas besoin d'imaginer la suite, je la connais, le soleil va se faire rare, il ne faudra pas rater ses rendez-vous.

Jean Prod’hom


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N'aurai aujourd'hui eu à me mettre sous la dent

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N'aurai aujourd'hui eu à me mettre sous la dent qu'un peu de fierté, celle de m'être levé à 4 heures du mat', comme à 16 ans, sans que mes paupières ne me le reprochent à 10 heures ou que mon humeur ne me le fasse payer à midi.
Retiendrai au détour des Croisettes que les bâtiments scolaires ne sont pas les seuls exemplaires de l'architecture bunker. Me souviendrai en outre des trois vieilles jouant aux cartes sur la terrasse de l'Université à Dorigny, sous un parasol. Pour le reste aurai passé par-dessus cette journée comme sur un dos d'âne, sans jamais avoir eu la présence d'esprit de poser un pied sur la lune, ni mon regard sur rien. Tout cela fait bien peu, je le concède.
J'aurai aperçu pourtant quelques embruns, de loin : des sourires auxquels je ne m'attendais pas, des visages reposés, de l'énergie à revendre.
Et j'ai appris que le Ienisseï est un fleuve de Sibérie – que Khadija a traduit avec bonheur par l'expression  : Je ne sais pas.
Arthur, Louise et Lili sont revenus enchantés de l'école, c'était jour de rentrée, on sait nager une fois pour tout, n'est-ce pas ? Mais c'est une journée qui aura passé comme une parabole, sans moi.

Jean Prod’hom


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Dans un transat au soleil

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Dans un transat au soleil, lecture ce matin des dernières nouvelles du Harem en péril de Rafik Ben Salah, qui dit dans un entretien avec je ne sais plus qui, que sa rencontre avec les textes de Ramuz avait été importante, en ce sens que celui-ci lui avait donné le courage nécessaire pour inventer une langue, sa propre langue. Cette présence de Ramuz, on la perçoit dans ce recueil publié à L'Âge d'homme, dans l'avant-dernière nouvelle par exemple, intitulée Le taxi ou l'agneau :
Quant aux filles, elles disaient : ouah ! Tu verras, esquissant le geste par quoi on dit l'opulence, et qui consiste à brasser l'air du bras, allant du bas du corps vers le sommet de la tête, poussant le geste latéralement, aussi loin que possible, la main ouverte, les doigts écartés ; tu verras, ma soeur, tu verras !
Lis la quatrième de couverture de L'Invasion des criquets de terre avant de retourner auprès des miens. On part dans les bois, les enfants sur leur vélo par le refuge de Ropraz jusqu'au village. On entend de loin les vrombissements des motos de la course de côte. Lorsque nous arrivons la manifestation s'achève.
Lili, Oscar et Sandra remontent immédiatement par la Moille Cucuz, je reste avec Arthur et Louise pour assister à la parade finale. Je n'y trouve guère d'intérêt, les enfants non plus. On remonte donc, je ne me presse pas, le mousse et Louise ont pris les devants.
Les températures ont chuté, les pluies ont nettoyé les poussières laissées par l'incendie des jours passés, le soleil a fait son retour, quelques gros nuages jouent à saute-mouton avec les licornes qu'ils dessinent dans le ciel. La conjugaison de ces phénomènes conduit à un abaissement sérieux du niveau du ciel sans qu'on craigne toutefois qu'il nous tombe sur la tête et, tandis qu'il s'évase, on se demande bien pourquoi il nous faut retourner à la mine demain matin.

Jean Prod’hom


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Ramasse les sardines

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Ramasse les sardines que les enfants ont laissé traîner autour des deux tentes qui se dressent dans le jardin depuis quelques jours et qu'il est temps de remettre dans les soutes. Humides, je les étends au soleil qui revient.
Sandra et les enfants sont descendus au marché. Pars une grosse heure dans les bois avec dans la poche des nouvelles écrites par Rafik Ben Salah. Lis assis sur une souche Présomption, la sixième de ce recueil intitulé Le Harem en péril – j'en ai lu cinq hier. Des histoires dont la substance semble tirée d'une rubrique de faits divers d'un journal local d'Afrique du Nord, mais que le narrateur déplie, faisant voir les paralysies qui en sont l'origine et les traditions avec lesquelles le désir doit traiter pour rester un instant en vie, avant d'être précipité dans l'une ou l'autre des grandes tragédies.
C'est la langue de ces nouvelles qui emballe, à la fois la substance ténue et le lecteur. Une langue polymorphe, qui fait entendre des langues de toutes provenances qu'un flux incessant de trouvailles lient les unes aux autres, une langue en déséquilibre qui s'invente à chaque pas, euphorique ici, déceptive là, une langue qui se moque des genres et des styles – qui fait feu de tout bois et qui se reconnaît en cela –, une langue dans laquelle le réel n'a pas le dernier mot, une langue légère saturée d'échos, de couleurs, d'accents. Les accents de la Montage aux deux Cornes, ceux des banlieues, des mégapoles, la langue des baroudeurs, une syntaxe par moments vieille France, des petits bonheurs lexicaux, une rhétorique joyeuse, des cascades à la Cendrars, des leurres.
C'est de la littérature comme on dit, celle qui traduit dans la langue écrite les grands récits que les analphabètes racontent pour donner à entendre ce qu'on n'entendrait pas, les vies minuscules qui veulent elles aussi leur part de tragédie, la vie des pauvres qui préfèrent mourir plutôt que d'être humiliés.
Plie au retour les deux tentes, – un peu de l'été se glisse dans les plis –, je les réduis au garage, les hirondelles rôdent bas. Sandra va faire un tour avec Oscar et Louise sur son vélo, je réunis les listes des élèves que j'accueillerai lundi pour la première fois et ceux que j'ai quittés en juillet. Décide des premières activités de l'année sans y croire encore vraiment.
C'est curieux comme à la fin d'août le soir tombe bien avant la nuit, il faudra attendre encore un peu pour qu'elle nous enveloppe. Je regarde le film que Basile Sallustio à consacré en 1981 aux Mentawai sur lequel j'ai mis la main hier. Un film VHS SECAM, un format qui a mal vieilli. Qu'une bibliothèque universitaire n'ait pas obtenu une version numérique ou le droit de numériser ce type de film avant sa mise hors d'état étonne. Un film extraordinaire pourtant. On descend tous les cinq au village écouter Repris de justesse sous la cantine de Corcelles. A moi demain les dernières nouvelles du Harem en péril de Rafik Ben Salah !

Jean Prod’hom


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C'est cher payé

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Les principes sur lesquels reposent notre système scolaire engendrent aujourd'hui plus de problèmes qu'ils n'en résolvent, des complications idiotes qui l'affaiblissent chaque jour davantage. On s'en défend en invoquant la nécessité interne, les obligations externes. la tradition. Or il ne s'agit que d'une impuissance conjuguée à un manque de courage, j'en suis.
Les forces déployées sans compter par les enseignants trouvent leur foyer dans une fidélité aveugle au principe d'égalité sous toutes ses formes et dans une obéissance forcenée en l'impératif de justice. Plutôt que de prendre la chose par l'autre bout, on plâtre et replâtre une affaire qui se lézarde, les mailles du grillage se multiplient, on diminue le diamètre des fils qui lâchent à la moindre pression sans qu'on ne rêve jamais plus à l'école buissonnière, mais au contraire à la circonscription de nouveaux quartiers surveillés d'une prison équipotente à l'espace lui-même, dans lesquels on aurait le choix de se soumettre tout entier ou n'être rien.
J'ai vécu ce matin la première conférence des maîtres de l'année scolaire. J'aime ce moment où sont annoncées les formules qu'on entendra désormais, ainsi l'expression temps de répondance qui remplacera bientôt le mot de délais. Il y a toujours aussi quelques acronymes tout frais qui dissimulent dans le sourire qu'ils provoquent la visée des nouvelles institutions qu'ils désignent, celle de parasiter et d'étouffer, comptabiliser et contrôler l'aide dispensée autrefois librement.
Une révolution est annoncée ce matin, les élèves n'auront plus l'obligation de chausser des pantoufles dans l'établissement. Il était temps. Mais il eût fallu aller plus loin encore et leur imposer le port des bottes pour qu'ils n'hésitent pas à brasser la boue dans laquelle traînent les pépites de la connaissance.
Remonte à midi au Riau promener Oscar, mais ne trouve pas la clé que Louise et Lili auraient dû laisser sur une poutre lorsque Michel est venu les chercher après notre départ. Je crochète donc la porte de la véranda, avec succès, fier d'ajouter à ma carte de visite le titre de monte-en-l'air. Oscar lui n'en mène pas large, il vomit au détour du refuge de Ropraz les champignons auxquels il a imprudemment goûté. Il avance au pas avant de se remettre à trotter sans trop s'éloigner. L'automne n'est pas loin non plus, des feuilles isolées jaunissent, celles des trembles, rouges même quelques feuilles de merisier, les plantins et les orties colonisent les bords de chemin. Mais les pluies de ces deux derniers jours ont donné de la vigueur aux prairies dans lesquelles les vaches font un festin sonore.
Redescends au Mont pour une demi-heure, une rencontre était prévue avec quelques collègues qui enseignent le français, on prend la décision de se voir bientôt, c'est déjà quelque chose. Fanny m'aide à contacter Dorigny, c'en est une autre, le film sur les Mentawai est à ma disposition à la BCU.
Il me faudra une grosse heure pour arriver à la Cure où je fais une halte comme je me l'étais promis, fais quelques photos. Le douanier à qui je m'adresse regarde passer les véhicules, il a l'oeil triste, vous savez, c'était un village qui possédait trois bars, plusieurs hôtels, tout ça n'est qu'un souvenir, nous étions à l'ouvrage, les grosses prises ici c'est terminé, à tel point que l'hôtel à côté du poste-frontière est devenu un centre de détention pour les demandeurs d'asile, des Tamouls partout, après plus rien.
Arthur est très content de sa semaine, des moniteurs et des camarades. Ils se sont échangé leurs adresses et comptent bien se revoir l'année prochaine. Ils sont allés grimper au Pont, à la Dôle, à Saint-Cergue, Arthur est monté en tête, a appris mille et une choses auxquelles je ne comprends pas grand chose.
On s'arrête à Dorigny au retour, j'embarque la cassette VHS contenant le documentaire sur les hommes-fleurs d'Indonésie, les Mentawai. Je ne pourrai en disposer que quatre jours, huit si je fais une prolongation. Quoi qu'il en soit, je vais devoir le ramener sur place, c'est cher payé. A quand une mise à disposition de ces documents sur le Web ?
Jeremy apporte en fin d'après-midi l'ancien piano électrique dont il se servait avec Repris de justesse, on le place dans la chambre de Lili.
La nuit est tombée. Sandra prépare ses cours de physique, Arthur regarde un James Bond, les filles se sont endormies.

Jean Prod’hom


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Presque toujours à la fin de son dîner

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Le DVD ramené hier du Mont est désespérément vide, alors je descends au collège et glisse la galette dans tout ce que l'école compte de lecteurs, sans succès. Remonte au Riau, essaie à nouveaux frais sans vraiment y croire, à deux doigts même de prier. Cherche sur Internet si je ne trouve pas une version en ligne de ce documentaire. Envoie un mail à l'ancienne élève qui en avait fait une copie, il y a deux ans, pour sa soeur qui réalisait un travail sur les Mentawai. Téléphone à ses parents qui ne répondent pas, atteins enfin sa soeur qui dispose d'un natel. Elle en gardé une copie.
Je redescends donc au Mont, près de la Valeyres. Ils sont tous là, l'ancienne élève, sa soeur et ses parents qui m'offrent gentiment un café. S'ils ne m'ont pas répondu c'est parce qu'ils ont une panne d'électricité dans la maison. Ils reviennent de la Floride qui les a enchantés, mon anti-américanisme hoche à contre-coeur du bonnet. On essaye par précaution le DVD de sauvegarde, rien, le père et la fille fouillent dans leur disque dur, rien non plus, me voilà Gros-Jean comme devant. Entre temps l'électricien a réglé le problème du triphasé, ils sont soulagés, moi pas. Je rentre, résigné à mettre en route un plan B : L'Enfant sauvage de Truffaut. Me risque pourtant à envoyer un mail à la bibliothécaire de l'Institut d'ethnologie et Musée d'ethnographie de Neuchâtel. On ne sait jamais.
En attendant, c'est avec Lili que je revois L'Enfant sauvage, elle rit aux désobéissances de Victor, le sauvage de l'Aveyron, j'ai la gorge serrée en écoutant Truffaut lire les notes du Docteur Itard sur l'andante du Concerto pour Flautino en do majeur d'Antonio Vivaldi. Grand film, journal encore, journal des ombres à l'époque des Lumières, de la nuit que la raison n'éclaire pas toute, accompagné par l'amère conscience chez Itard comme chez Tuffaut, que le mieux est l'ami d'un mal que traîne l'homme depuis qu'il est homme, la vie est impossible.
Comment t'appelles-tu ? Aurélien, Hector, Oscar ? Victor se tait et pleure, c'est ce qu'il nous reste à force de nous éloigner des commencements. Et puis à nouveau l'éclaircie, la voix de Truffaut et le Flautino de Vivaldi, sans éclat, sans pathos, andante.

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Presque toujours à la fin de son dîner, alors même qu'il n'est plus pressé par la soif, on le voit avec l'air d'un gourmet qui apprête son verre pour une liqueur exquise, remplir le sien d'eau pure, la prendre par gorgée et l'avaler goutte à goutte. Mais ce qui ajoute beaucoup d'intérêt à cette scène, c'est le lieu où elle se passe. C'est près de la fenêtre, debout, les yeux tournés vers la campagne, que vient se placer notre buveur comme si dans ce moment de délectation cet enfant de la nature cherchait à réunir les deux uniques biens qui aient survécu à la perte de sa liberté, la boisson d'une eau limpide et la vue du soleil et de la campagne.
Image 7Image 7Mémoire et Rapport sur Victor de l’Aveyron, Jean Itard (1774-1838)

C'est à voir avec des enfants, un beau film sur le cinéma des années 70, une belle réflexion sur les Lumières, une méditation continue sur le malheur qui donne la main à l'histoire.
Je reçois un mail de Neuchâtel m'avertissant que la bibliothèque de Dorigny détient le film sur les Mentawai que je cherche depuis avant-hier, ma journée est sauvée. Regarde autour de moi si je ne trouve pas, pour faire bon poids, une image, une image avec des bouts de bleu, du vert qui attendrait, ou du blanc et du noir, l'orage qui menace.
Arthur grimpe à la Dôle, Sandra et les filles sont montées au meeting d'Athletissima à la Pontaise, il y a Usain Bolt. Je resterai à la maison seul, irai promener Oscar, penserai un peu, mais pas trop, à Victor, aux malheurs de l'histoire et aux ruses de la raison qui, je le crains, ne convainquent plus guère personne.

Jean Prod’hom


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L'orage de cette nuit a fait sauter le couvercle

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L'orage de cette nuit a fait sauter le couvercle, soufflé les vapeurs et les cendres de l'immense incendie de ces derniers jours, on a passé à côté d'une catastrophe météorologique. Les rayons du soleil se glissent à nouveau dans les sous-bois, discrètement, par-dessous, entourent les arbres de lumières et d'ombres. Les verts des mousses et des épicéas se distinguent à nouveau des gris, des ocres et des roux des écorces, le ciel étend les bras plus haut, on peut respirer. Personne ne rêve pourtant, un nouvel épisode se prépare et je crains que les orages des jours prochains n'auront pas les mêmes égards pour nos petites affaires que celui de cette nuit.
Je bâille à la vue de ma répartition horaire de l'année qui vient, je mets donc de l'ordre dans mes affaires et de côté ce qui pourrait m'être utile, liste les activités-cadre que je vais proposer aux élèves, voilà qui m'apaise un peu.
Cherche le film sur les Mentawai par lequel je voudrais commencer avec les nouveaux de la 11. Il doit être en classe.
Je descends à l'école pour mettre la main dessus pendant que Sandra se rend à Payerne avec les filles. Belle surprise, la première des trois nouvelles constructions scolaires est sous toit, les peintres, les vitriers, les électriciens butinent à l'intérieur, tout sera vraisemblablement prêt cet automne. On distingue sur les façades le profil des Trois Danseuses de Degas, c'est techniquement assez réussi, mais le bunker ne s'est pas de ce fait mis à danser sur les pointes. Quant au deuxième bâtiment dont j'ai suivi les travaux depuis la salle 6 ces derniers mois, les sous-sols sont terminés, la chape du premier étage est coulée. ll fait une chaleur terrible dans l'arène et les ouvriers travaillent au ralenti.
J'apprivoise les nouvelles serrures et les nouvelles clés, il n'y a presque personne dans le bâtiment. Le film sur les Mentawai est bien là où je le pensais, le glisse dans un sac avec tout ce dont j'ai besoin pour parer au plus pressé avant d'aller discuter le coup avec Fanny et Murielle à la bibliothèque, on jette ensemble un dernier coup d'oeil dans le rétroviseur sur nos vacances.
Balade du soir avec Sandra et Oscar, la haute pression a gagné la partie, on passera à côté de l'orage ce soir, mais on ne perd rien pour attendre.

Jean Prod’hom


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Il y a l'audace qui t'habite

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Il y a l'audace qui t'habite
les estuaires d'eau profonde
les blanchisseries
il y a l'exode rural
la criée
les amarres
il y a les gardiens des cabanes alpines
les quatuors
il y a les enfants qui vont pieds nus

Jean Prod’hom

Pas de taupe dans les pièges posés hier

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Pas de taupe dans les pièges posés hier, l'un d'eux pourtant s'est refermé, mais sur le vide. Je les retire après avoir vérifié les alentours, pas de nouvelles taupinières. Une heure dans les bois ensuite, Sandra, Oscar et moi, à la fraîche et d'un bon pas.

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Du monde sur l'autoroute, avec deux pistes à largeur réduite entre Montreux et Villeneuve à cause des travaux, je roule à quatre-vingt-dix en maintenant les distances avec les véhicules qui me précèdent, un oeil sur la consommation. Moins de cinq litres au cent, comme hier entre La Cure et Corcelles, je n'en suis pas mécontent.
Je laisse Sandra et Louise à l'entrée du Parc Aventure d'Aigle et continue avec Lili jusqu'à Bex, puis Lavey. La piscine est presque déserte. Je cherche, mais en vain, les chamois qui ont l'habitude, dit-on, de descendre dans la paroi sous Morcles. Regarde de l'autre côté, du côté du Luisin et des années de la Creusaz. Pour le reste je fais le poisson et plonge dix fois, vingt fois au fond de la piscine avec Lili sur le dos. Une vieille dame porte sur le sien le portrait tatoué de Che Guevara qui grimace à chacun de ses pas. Qui faut-il plaindre ?
On s'arrête au retour à Bex, on y trouve une boulangerie, des pains au sucre, des croissants aux amandes, un taillé aux greubons. Je cherche sans succès l'hôtel de Crochet dans lequel Nietzsche est descendu avec Paul Rée en 1876. Ils y ont séjourné pendant une quinzaine de jours, lune de miel de notre amitié, écrit Paul Rée, avant de se rendre à Gênes où les attend un bateau pour Naples. On fait un saut dans une pharmacie dans laquelle on achète des sparadraps, les nouvelles sandales ont salement entamé le gros orteil de Lili.
Il n'y a plus de couleurs au milieu de l'après-midi, le soleil les a passées au chalumeau, seuls les arrosoirs, les bossettes et les ruches résistent.
On reprend Sandra et Louise à la sortie du Parc Aventure. Je file à Servion ramasser Elsa et May qui viennent manger et passer la nuit au Riau, sous la seconde tente que Sandra a dressée en fin d'après-midi.
Silence dans les bois, un ou deux grillons alors que la nuit tombe, Oscar a la truffe en l'air mais il perd vite la boule, trop d'odeurs. On étouffe et on ne voit pas d'autres issue que l'orage. Sandra me montre en rentrant sur le ruban noir du bitume une boule encore plus noire, c'est l'un des deux petits hérissons qui vivent avec leur mère dans les hortensias.

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Une courte recherche sur Internet m'apprend qu'Amiel a séjourné à l'hôtel de Crochet en 1872, un hôtel à l'écart du centre de Bex, un hôtel qui n'existe plus. Les filles sont dans le jardin et n'en finissent pas de se raconter des histoires dans la nuit, des histoires pour dormir, dormir debout.
Le tonnerre avertit depuis très loin, il est 11 heures 30. Elles rentrent leur paillasse et leur couverture sur la pointe des pieds, avant les premières gouttes, elles s'organisent dans le salon, éteignent les lumières. C'est seulement alors que les éclairs font des Z dans la nuit et que le ciel se lâche, elles écoutent silencieuses le ramdam, heureuses d'avoir été aussi prudentes.

Jean Prod’hom


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Dépaysement à la Cure

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Comment ne pas songer au Dépaysement de Jean-Christophe Bailly en traversant La Cure, un petit village au-dessus de Saint-Cergue, un peu après le col de la Givrine en direction de Morez. Ce village-frontière a fait autrefois la fortune des passeurs et des hôteliers, mais il perd chaque jour davantage la vitalité que les douanes fixes lui avaient assurée. Depuis 2005, la majorité des Suisses (54,6 %) ont donné leur accord à l'adhésion de la Confédération helvétique à l’espace Schengen, devenue effective en 2008. La Cure ne s'en est pas remis, le village a commencé à se défaire, les volets se sont fermés, les hôteliers n'ont pas trouvé repreneurs, les rares habitants se cachent, les giratoires perdent la tête.

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J'y suis passé ce matin en conduisant Arthur au refuge Albert Bouveret, ancien chalet d'alpage appelé autrefois de la Pile-dessus. Arthur participe à un camp de grimpe dans la région de la Dôle. Il va passer une semaine dans ce gîte géré par la section du Club Alpin Français de Chalon-sur-Saône, une section fondée en 1875. Il retrouve deux participants de l'année passée auxquels il avait donné rendez-vous, et le courage qui lui manquait ce matin quand il a fallu partir. J'aurai toutes les peines du monde à lui dire au revoir. Chaleur de forge lorsque je redescends sur Nyon, du bleu a été ajouté à l'eau du Léman, qui déborde bien au-delà de ses rives, du pied au sommet des alpes de Savoie, jusqu'au ciel confondu.
Je décide au retour de poser deux pièges à l'extrémité de deux galeries qui aboutissent à une taupinière suspecte quand bien même elle n'est plus de la première fraîcheur.
Yves nous rejoint à 6 heures, on passe en revue, dehors, les changements qui ont eu lieu dans nos vies, l'état de nos forces, les années qui viennent, On raconte notre été : il a passé une partie du sien sur les glaciers – au-dessus de Meiringen, à Trient,... Une autre à Sainte-Maxime et Verbier. On s'inquiète de la manière dont nos enfants conjuguent l'insouciance des lendemains et l'attention au passé. On finit un peu tard et un peu ivres.

Jean Prod’hom


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L'homme est un omnivore bon à tout faire

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On m'aurait dit que je participerais un jour à l'organisation d'une course de motos, que je couperais cent cinquante ou deux cents tranches de pain qu'une autre, semblable à moi, tartinerait d'une pâte à sandwiche, qu'elle y ajouterait une tranche de jambon, que je reprendrais le tout pour le rouler dans une serviette en papier, je ne l'aurais cru alors qu'à moitié, je me croyais bon à tout autre chose.

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Et bien je le concède aujourd'hui, je suis non seulement capable de faire des sandwiches en série, en parlotant, mais j'y trouve du plaisir, un plaisir comparable peut-être à celui qu'éprouvaient jadis les paysannes de nos contrées écossant des petits pois ou cassant des noix à la veillée. L'homme est un omnivore bon à tout faire.
Je suis donc allé ce matin à Vulliens donner un coup de main au Trial des Vestiges. À midi les cloches se sont mises à sonner, je suis rentré. Pour ajouter un plaisir au plaisir, j'aurais aimé m'asseoir sur un banc d'église et me fondre avec tous ceux qui s'y refugient pour être au frais. Par ces temps de canicule, les églises redeviennent des édifices sacrés. Dites aux prêtres de laisser ouvertes les portes de leurs églises, été comme hiver, jour et nuit, et les fidèles reviendront !
C'est le branle-bas de combat au Riau. Je m'étais attaqué la semaine passée à la sous-pente qui abritait des livres que je n'ouvrais plus, Sandra s'est attaquée de front ce matin à deux autres sous-pentes dans lesquelles les enfants avaient déposé des peluches, les jouets de leurs premières années et Sandra plusieurs dizaines de classeurs contenant des cours d'uni et des cahiers d'école. Arthur enfile son habit de chevalier bleu et se bat contre Lili déguisée en sorcière. Ça ils ne peuvent pas s'en défaire, pour le reste en route pour la déchèterie !
Je reviens au cours de l'après-midi sur notre balade autour du Mont Gond, supprime des photos, en recadre d'autres, fais à manger. Sandra continue ses rangements.
J'aperçois en me rendant au compost les signes d'une activité souterraine près de la mare. Me demande si une taupe n'est pas en train de rétablir ses quartiers, les signes sont discrets. Est-ce une nouvelle taupe ? celle que j'ai estourbie l'autre jour et qui a retrouvé des forces ? Je serais taupe, il est évident que je squatterais les galeries creusées par l'une de mes consoeurs, il me faudra veiller au grain.
Les prunes mûrissent. On ira chercher Oscar demain matin, je crois bien qu'il nous manque un peu.

Jean Prod’hom

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L'oeil de la yourte

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Hier soir je me suis endormi dans le ciel, à la traîne des étoiles qui s'allumaient une à une dans l'oeil de la yourte. Ce matin le jour dessine à la même place un mandala, deux cercles concentriques, découpés en quartiers par deux croix couleur de plomb, une croix de Saint-André et une croix grecque, quartiers de gris puis quartiers de blancs, blanc de crème comme l'aile de la piéride. Des anges dorment, ils respirent à peine, voix basse pour ne pas réveiller leurs rêves. Dans les dortoirs d'en face, il en aura été tout autrement, le diable a été de la partie, ronflements, insomnies et fugues dans la nuit.

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Le soleil claire le terre-plein à un peu plus de 9 heures, on déjeune. Les gardiens du refuge, Alexandre et sa maman Félicie, sont déjà à la tâche depuis l'aube. Ils viennent de Lorraine. En hiver, Alexandre fait la saison sur les pistes de ski de Savoie, Félicie retrouve les rives de la Moselle.
En face, taillé dans le calcaire du Haut de Cry entre 1901 et 1905, le bisse d'Eindzon, surnommé le Bisse sec parce qu'il n'a jamais servi. Au-dessus du Chalet d'Eindzon les névés sont rares, on plie les couvertures.
On remonte par une longue cheminée sur les Fontanelles qui font communiquer, à près de 2200 mètres, le Sex Riond et le Mont Gond, avant de redescendre sur la Chaux d'Aïre et les pâturages de Flore. Deux gypaètes surgissent dans notre dos et filent en direction du sud, planent, s'élèvent haut dans le ciel avant de disparaître..
On est vingt-sept, dix adultes et dix-sept enfants. On en lâche quatre en route, j'emmène Elsa, May, Louise et Lili dans la 807. On se retrouve à vingt-trois sur la plage de Rivaz, il fait 34 degrés, on goge jusqu'au coucher du soleil.
J'aperçois D. sur la plage, coiffé d'un chapeau de paille, en costume de bain, quelque chose cloche. Je le connais de l'université, il se jette à l'eau, il nage comme une vilaine grenouille, va et vient selon un tracé qu'il semble répéter depuis toujours, il y a quelque chose de trop sérieux dans tout cela, prisonnier des sirènes, captif de son image, il pose, la peau blette, penché sur lui-même, satisfait. Ah ! Montaigne, jamais ridicule même avec un canotier ou une casquette.
Jeremy et Suzanne nous accueillent tous pour des grillades. On est en bras de chemise jusqu'à tard. C'est si rare ici qu'on prolonge jusqu'à minuit. On abuse un peu des fruits de la vigne, ça ne fait pas de mal. Sauf lorsque le diable revient, dissimulé dans les plis d'un mot : le ressenti.
C'en est trop, il est grand temps de s'en aller.

Jean Prod’hom

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Des fumées gris de cendre

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Des fumées gris de cendre patientent à l'arrière de la voûte du ciel, porte ouest, restes d'un feu qui a pris à l'arrière et qui attendent leur heure pour s'installer insidieusement de notre côté.
Je me suis réveillé à 6 heures 30, mais levé une heure plus tard. C'est en considérant le mince filet d'eau sortant de la pomme de la douche, à 8 heures 05, que je m'en rappelle, la commune a annoncé une coupure d'eau entre 8 heures et midi.

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Dehors les fumées ont disparu, la fin du monde différée, Jeremy passe me prendre à un peu plus de 9 heures. On dit bonjour à Jean-Jacques et Pierrot qui attendent l'appareilleur, ils sont au bord d'une fouille devant l'Ancien Collège, une conduite fuit, 30 ou 40 litres minute.
Pause un peu avant Martigny, je trouve la feuille Saint-Léonard qui me manquait et qui couvre la balade projetée. Saint-Séverin, Sensine, Erde, Daillon et les Mayens de Conthey mitent les flancs du Sex Riond. On laisse la voiture à 1600 mètres, un peu au-dessus d'Incron, il est bientôt midi. Les épicéas et les mélèzes nous offrent un peu d'ombre jusqu'à un peu plus de 1800 mètres. Je fais signe à une jeep qui monte à l'alpage de Flore, c'est un paysan de Palézieux qui loue l'alpage depuis vingt ans. Il nous laisse devant le chalet. On poursuit sur un sentier qui se faufile dans les pâturages jusqu'à l'Etang des Trente Pas.
Un troupeau de vaches d'Hérens paissent à la Chaux du Larzey, peu de mouvements, les reines de demain, parfois, font fuir les reines d'hier et les jeunettes qui pourraient leur faire de l'ombre. La retenue de l'étang, pierres sèches, ne sert pas, l'étang est à sec. Aurai croisé en montant un parterre d'orchis vanillés et dans la tourbe de l'étang un tapis de linaigrettes et de prêles.
On monte à travers les pâturages jusqu'à la croix de l'Achia qui met en communication le flanc droit de la vallée de la Morge et le bassin supérieur de la Lizerne. Nous sommes à plus de 2300 mètres, entre le Mont Gond et la Fava, avec en face de nous le glacier de Tsanfleuron et les roches nues et lisses sous Prarochet, barre infranchissable sur laquelle se dressent la proue du massif des Diablerets, la Quille du Diable, l'Oldenhorn et le Mont Brun. On devine au bout de la ligne le col du Sanetsch. Dessous la Lizerne qui cherche la meilleure pente et Derborence. Derborence, le mot chante doux ; il vous chante doux et un peu triste dans la tête. Il commence assez dur et marqué, puis hésite et retombe, pendant qu’on se le chante encore, Derborence, et finit à vide ; comme s’il voulait signifier par là la ruine, l’isolement, l’oubli.
Dans notre dos, de l'autre côté de la vallée du Rhône, la Dent Blanche, le Weisshorn, le Cervin, le Grand Combin. Plus loin le Mont Blanc qui s'impose chaque fois que la pente raidit. On marche, après le col, sur une pâte de débris d'ardoises à la couleur indécise, gris de fusion, presque noire, ou presque blanche, difficile à dire. Le Mont Gond, qu'on appelait autrefois Pointe de Flore, se livre en rose lorsqu'on l'a contourné, on retrouve bientôt le vert des prés, le gîte de Lodze, sa yourte et nos familles. Il est six heures mois un quart. Nous avions rendez-vous à six heures.

Jean Prod’hom


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Elle était annoncée

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Elle était annoncée, Arthur et Lil qui ont passé la nuit sous la tente en ont senti les effets, leur matelas est détrempé, ce qui ne les a pas empêchés de dormir jusqu'à tard ce matin. Nous n'avions plus eu de pluie depuis la nuit du 2 au 3 août à la Lécherette. Je conduis Oscar à Bussigny qui va passer 3 nuits au chenil du Lorelei, le ciel traîne derrière lui des lambeaux de brouille. La radio annonce le retour du beau temps dans l'après-midi.

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Sandra et les enfants ont rendez-vous à Mézières avec les mamans et les enfants que nous rejoindrons demain sous Derborence, au refuge de Lodze.
M'occupe des tessons ramassés hier entre Perroy et Morges avant de lire Petite Poucette, court texte de Michel Serres dans lequel il analyse les difficultés des institutions, notamment l'école, à prendre acte de la mutation et à passer à autre chose en instituant de nouveaux modes de fonctionner.

... voici des jeunes gens auxquels nous prétendons dispenser de l'enseignement, au sein de cadres datant d'un âge qu'ils ne reconnaissent plus : bâtiments, cours de récréation, salles de classe, amphithéâtres, campus, bibliothèques, laboratoires, savoirs même..., cadres datant, dis-je, d'un âge et adaptés à une ère où les hommes et le monde étaient ce qu'ils ne sont plus.

Ce format-page nous domine tant, et tant à notre insu, que les nouvelles technologies n'en sont pas encore sorties. L'écran de l'ordinateur – qui lui même s'ouvre comme un livre – le mime, et Petite Poucette écrit encore sur lui, de ses dix doigts ou, sur le portable, des deux pouces. Le travail achevé, elle s'empresse d'imprimer. Les innovateurs de toute farine cherchent le nouveau livre électronique, alors que l'électronique ne s'est pas encore délivrée du livre, bien qu'elle implique tout autre chose que le livre, tout autre chose que le format transhistorique de la page. Cette chose reste à découvrir.

Prépare la balade que nous ferons demain avant de rejoindre en fin d'après-midi nos femmes et enfants au refuge de Lodze. Je ne retrouve pas la carte couvrant la région de Saint-Léonard, fais donc des copies-écran des cartes topographiques suisses que l'administration fédérale met à disposition. J'emporterai mon IPad.
Jeremy vient me chercher à 7 heures et on descend manger à Cully. Sur la terrasse du Bistrot. On y rencontre un drôle de bonhomme, une trentaine d'années, il revient d'Ecosse à vélo, il rentre chez lui sans un sou, il aimerait un peu d'argent. Plus de 8000 kilomètres déjà depuis son départ, il lui en reste deux mille. C'était son rêve depuis tout petit, quitter la Roumanie et faire le tour de l'Europe occidentale. Il parle un français impeccable, connaît l'italien, mais c'est en anglais, dit-il, qu'il s'exprime le mieux. Il était hier au Mont-d'Orzeires au-dessus de Vallorbe, il sera demain à Martigny ou Sion, après il ne sait pas, le Simplon peut-être. Il a bien une tente sur la remorque qu'il traîne derrière son vélo, mais plus de sardines, on les lui a volées sur l'une des îles britanniques. Il dormira donc au plus simple, dans un sac de couchage au bord du lac. Je lui aurais volontiers offert une couronne de lauriers si cela avait un sens, alors voilà dix francs.
C'est l'heure de rentrer, Jeremy me laisse au Riau, la maison est vide.

Jean Prod’hom


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Reverdie

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En mai au douz tenz nouvel
Que raverdissent prael,
Oï soz un arbroisel
Chanter le rosignolet.
Sarderladon
Tant fet bon
Dormir lez le buissonet

Si com g'estoie pensis,
Lez le buissonet m'assis,
Un petit m'i endormi
Au douz chant de l'oiselet.
Sarderladon
Tant fet bon
Dormir lez le buissonet

Au resveillier que je fis,
A l'oisel criai merci,
Qu'il me doint joie de li :
S'en serai plus jolivet.
Sarderladon
Tant fet bon
Dormir lez le buissonet

Et quant je fui sus levez,
Ci commenz a citoler
Et fis l'oiselet chanter
Devant moi el praelet.
Sarderladon
Tant fet bon
Dormir lez le buissonet

Li rosignolez disoit
Par un pou qu'il n'enrajoit
Du grant duel que il avoit
Que vilains l'avoit oï.
Sarderladon
Tant fet bon
Dormir lez le buissonet
Anonyme, Poèmes d'amour des XIIe et XIIIe siècles, 10|18, 1983

Me sens c'matin vilain et rustaud, ben oui le cul dans les épines, que ce que j'fous là, mais p'tain qu'ça fait du bien d'rien foutre dans l'bois. Un geai se tire, pas d'place pour lui, moi j'lis Montaigne pardis, m'étonne plus trace du geai, m'vautre et baîlle, que ce que j'fous là, mais p'tain qu'ça fait du bien d'rien foutre dans l'bois. Trop dur d's'arracher, mais t'laisse le bois l'geai, moi m'vais lire Montaigne dans mon pré.

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Louise aimerait comprendre les règles de la circulation routière, et notamment les panneaux d'indication de direction. Je lui explique : dessous le panneau indiquant la sortie immédiate, dessus le panneau indiquant la sortie prochaine : Morges - Aubonne, Aubonne - Rolle, Rolle on sort, direction plage du camping où nous avons rendez-vous avec le parrain de Lili, sa femme et leur fille de 9 mois.
Premier rond-point, j'aperçois par la fenêtre ouverte une main tenant un cigare, un cigare qui ressemble à ceux que Godard fume au cinéma. On engage la poursuite, l'inconnu fait une large boucle, traverse sans se presser une zone pavillonnaire. Il prend une avenue à sens unique, sort de sa voiture, je sors de la mienne un peu plus loin, marche dans sa direction, il photographie des fleurs qui buissonnent à l'entrée d'une villa datant de la fin du siècle passé, il ressemble à un faucon crécerelle, il est cinq heures. Une femme sort, coquette, elle attend qu'il en ait terminé, ils montent dans le véhicule, une Hyundai Getz de couleur noire.

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- Une photo ?
- Si vous le voulez.
- J'aimerais vous voir.
- C'est fait.
- Vous revoir.
- C'est entendu.

- Bonne fin de journée.
- A vous aussi, à bientôt.

C'est non seulement à Socrate mais à Godard que Montaigne songeait lorsqu'il rédigea ces lignes :
Le jugement humain retire de la fréquentation du monde une lumière extraordinaire. Nous sommes tous resserrés et repliés sur nous et nous avons la vue raccourcie à la longueur de notre nez. On demandait à à Socrate d'où il était. Il ne répondit pas : "Athènes", mais "du monde". Lui qui avait l'esprit plus plein et plus étendu faisait de l'univers sa ville, adressait ses connaissances, sa société et ses sentiments à tout le genre humain, ne faisant pas comme nous qui ne regardons que sur nous.
Mais lorsqu'on demande aujourd'hui au cinéaste d'où il est, il ne répond pas : "Du monde", mais "de Rolle". Fallait bien que quelqu'un rétablisse un peu de vérité.

Jean Prod’hom



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Les enfants sont sortis de la tente

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Les enfants sont sortis de la tente, ils rient et crient, fiers certainement, Oscar participe à la fête. Je les retrouve dans la maison lorsque je descends : Louise joue de la guitare, Lili met de l'ordre dans sa collection de gommes en jetant un coup d'oeil envieux à celle de sa maman constituée autrefois, Arthur joue avec son yoyo.

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Ce matin, un peu d'ordre dans la bibliothèque, migrations et regroupements familiaux : Follain va rejoindre Thomas, mais en pile pour gagner de la place, serre entre deux lions de bois les auteurs romands, mets de côté les Chrétien de Troyes et les Poèmes d'amour des XIIème et XIIIème siècles présentés et traduits par Emmanuelle Baumgartner et Françoise Ferrand, fais une seule pile des Cendrars, une autre des Bergounioux, celle des Louis-René des Forêts est discrète, et de ce point de vue aussi il est un modèle à suivre.
Je regroupe les tessons qui traînaient sur mon bureau, dans des boîtes, sur les rayonnages, liquide sans faire de détail un tas de petits billets, papiers divers, notes illisibles – toujours plus illisibles – qui ont passé tout l'été sans que j'y touche. Je glisse dans un sac les CD qui contiennent la sauvegarde numérique des 35 numéros du Journal de l'école dont j'ai été l'animateur pendant une dizaine d'années, la cablerie des appareils de photos et des disques durs hors d'usage, de vieux lecteurs. J'amènerai tout ça à la déchèterie cette après-midi.
Je reçois un mail de Raymonde, une fidèle lectrice des marges.net qui me signale quelques coquilles que je m'empresse de corriger. Me demande bien ce qu'elle trouve dans la lecture de ces billets, mais ça fait du bien de savoir qu'elle s'y arrête, comme Brigitte, Francis, François, Murielle, Justine, Danielle, Estelle et les autres.
Petit tour au jardin, toujours aucune nouvelle des taupes, je commence à penser que j'ai un avenir dans le domaine, il est temps que je relise la Conversation avec un taupier de Jean-Loup Trassard, tombe sur L'ancolie que je place à côté des Poèmes d'amour des XIIème et XIIIème siècles.
Tandis que Sandra se rend à la piscine de Payerne avec les enfants et les Moinat, je visionne le film que Frédéric Rossif a consacré à l'histoire mondiale de 1935 à 1946, une chronique centrée sur la guerre qui commence et se termine à Nuremberg. Impression curieuse une fois encore, grâce au cinéma, que l'histoire n'est qu'un récit organisé après coup, qui donne un sens à des images faites un peu par hasard. Impression que l'histoire n'est qu'une bande-son, un récit qui fournit des légendes à des images qu'on regarde à peine, le fil déroulé dans un labyrinthe d'images stockées pêle-mêle, sans queue ni tête, donnant une orientation à quelque chose qui va dans tous les sens, une mise au pas de la folie des hommes. C'est pour ces raisons que le révisionnisme est un non-sens, parce qu'il s'oppose à ce qui n'est pas, feint de pouvoir y revenir et le modifier, parce qu'il confond le réel et les légendes.
C'est à mon tour de passer à la benne, remettre au papier quelques centaines de bouquins que je n'ai pas rouverts depuis plusieurs années. J'ose à peine le dire, mais Michel Serres, René Girard et Claude Levi-Strauss sont du voyage. Je ne garde, orphelins, que la Pensée sauvage, Petite Poucette – les Hermès ne trouvent pas grâce. Je sauve in extremis Tristes Tropiques.
Lis pendant deux bonnes heures le nouveau Plan d'études romand, qui finira à la benne lui aussi, et plus tôt que prévu. C'est illisible, les rédacteurs donnent l'impression de vivre dans le désert de Gobi. Dire qu'une poignée de main aurait suffi.
On mange pour la seconde fois des lentilles depuis la réconciiiation des filles avec ce cadeau des dieux, mais avec elles cette fois. Ça tient, juste... Mais oui ! Lili, la prochaine fois il y aura deux fois plus de lardons !

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Voyage autour du jardin avec Louise, à la pétanque : les pruneaux mûrissent, rien n'est plat, c'est triché, Fleur et Edelweiss sont aux mulots, les nuages font les cabotins, flambent en tous sens. Mais lorsque le soleil aura fait un pas de plus de l'autre côté de l'horizon, ils vont cesser de faire les malins.
Les enfants hésitent à passer une seconde nuit dehors. Palabres, le groupe se disloque, Louise ira dormir dans son lit, Arthur et Lili sous tente.
Les rideaux sont tirés, les nuages gris et penauds. Plus un bruit. Je n'aurais jamais dû mettre à la benne Rome, le livre des fondations. Trop tard !

Jean Prod’hom


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Il faudra bientôt remettre en route le chauffage

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Il faudra bientôt remettre en route le chauffage, me dit Sandra au réveil. Nous sommes déjà à la mi-août, c'est vrai, mais pour le coup elle exagère, on a encore de beaux jours.

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Toujours aucune trace des taupes, c'est dire qu'une de mes hypothèses se confirme : il n'y en a eu qu'une seule, elle s'est blessée dans l'un des pièges posés près du hangar et s'est vidée de son sang dans l'une ou l'autre des nombreuses galeries qu'elle a creusées pendant l'été, un réseau de galeries qui doit s'étendre sur plusieurs dizaines de mètres carrés.
On part faire une balade en tee-shirt, un peu par bravade, une petite laine n'aurait pas été de trop - on vit ici à près de 800 mètres, n'est-ce pas ? On marche une bonne heure en suivant l'itinéraire que j'ai emprunté ces trois derniers jours, jusqu'à l'endroit où il fait bon respirer. Je le présente à Sandra, on s'y assied, on évoque la rentrée en nous promettant de parler le moins possible d'école tout au long de l'année. Mais il faut au préalable régler la question des horaires, des repas, organiser les échanges de services, le convoyage des enfants jusqu'au bus. On fait le point.
Tandis que Sandra descend en ville avec les enfants, je comble une partie de mon retard dans la mise au net de ces notes avant de m'attaquer à une révision du poêle, elle s'impose. Les joints de la porte du foyer avaient été remplacés il y a une année par le directeur en personne d'une entreprise familiale de la Côte, celui-là même qui m'avait vendu le poêle. Les joints n'ont pas fait long feu si bien que je lui ai envoyé un mail pour lui expliquer le problème, il m'a répondu qu'il ne saisissait pas, j'ai donc reformulé l'affaire de telle façon qu'il comprenne, je n'ai plus reçu de réponse. Plutôt que de me mettre en colère contre les PME qui ne sont plus ce qu'elles étaient, je démonte le cadre et le verre de la fenêtre du foyer, arrache les ancien joints, ponce et dégraisse avant d'en coller de nouveaux. Arthur me donne un coup de main à son retour pour remettre en place le tout. Nous sommes parés pour septembre.
Cette après-midi Sandra fait de la couture, elle initie Louise. Arthur, qui regarde en différé la cérémonie de clôture des jeux olympiques, m'apprend que la gagnante du concours du lancer du poids était dopée, Lili descend à pied chez une copine avec son costume de bain.
Nous sommes partis tous les cinq marcher alors que le jour tombait. Il m'a semblé, chemin faisant, que la cellule familiale n'avait pas été pour tous une institution si mauvaise que cela, qu'on allait même un jour la regretter et que sa disparition ferait apparaître, à côté de ses étroites lourdeurs, des vertus que l'on n'imaginait même pas. La chouette de Minerve ne prend son envol qu'au crépuscule.
Les enfants décident d'aller dormir dans la tente malgré les événements de la veille et leur engagement sacré de ne jamais plus recommencer une telle folie. Cette fois on ne les reverra plus jusqu'au matin.

Jean Prod’hom


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Réouverture prochaine des bâtiments de l'instruction

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La perspective de la réouverture prochaine des bâtiments de l'instruction publique et la certitude qu'il faudra bientôt me remettre au travail changent la donne. Je laisse filer les heures tout le matin, suis du regard le soleil et m'en remets à la brise qui a un peu fraîchi.

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Les enfants ont dressé une tente dans le jardin, ils ont rangé avec l'aide de Sandra leurs deux cabanes, les vacances ne sont donc pas terminées.
Je vérifie l'état des pièges à taupes placés hier matin près de la mare et à l'est du hangar. Lorsque j'ai vérifié ce matin, il m'avait semblé que l'une d'elles avait laissé des plumes. Toujours est-il qu'aucune queue ne pend ce soir à mon tableau de chasse et je n'ai constaté aucune nouvelle taupinière.
Je ne vois que deux explications : il n'y avait qu'une taupe dans les sous-sols du jardin, celle qui a laissé un bout d'oreille ou de museau la nuit passée, et elle n'a pas survécu à sa blessure. Ou ces bestioles sont bien plus rusées que je ne le crois et rient sous cape des observations délirantes d'un taupier de fortune avant de se remettre à l'ouvrage. On verra demain.
Nous croyions nous être débarrassés de nos enfants pour la nuit, mais Louise rentre en pleurs avant minuit, suivie de Lili. Vivre entre frère et soeurs dans la promiscuité d'une tente de camping n'est pas chose facile. Et y vivre seul fait peur à Arthur si bien qu'il abandonne lui aussi la partie. Ils se promettent tous les trois de ne jamais recommencer. Prenons garde si on ne veut pas les avoir sur le dos à 30 ans.

Jean Prod’hom


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Ne trouve rien sinon une idée saugrenue

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Je quitte ce matin le Riau avec l'intention de refaire le même chemin que la veille, les mêmes gestes, en espérant rencontrer le même bonheur au même endroit. M'assieds au pied du même arbre, avec le ciel bleu que j'aperçois en-haut piqué par les cimes des épicéas, même sensation que hier, mais bien décidé aujourd'hui à trouver de l'intérieur une explication, au risque de me brûler les ailes et d'être chassé de ce fragile paradis.

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Ne trouve rien sinon l'idée saugrenue qu'à force de nous éloigner des choses auxquelles on est mêlé pour y voir enfin un peu clair, fixer quelques-uns de leurs caractères, objectiver ce à quoi il nous a fallu aveuglément obéir, on devrait, reculant ou avançant, nous retrouver tôt ou tard dans le lieu précis qu'on a quitté, avec la lucidité qui nous manquait dans l'immédiate perception, nous retrouver dedans en connaissance de cause, c'est-à-dire à la fois dedans et dehors. Me voici venu de nulle part dedans un monde mobile, j'y consens, j'y retourne, m'y arrête librement, en soi et pour soi, pas mieux.
Abandonne l'idée de trouver une meilleure explication, me couche sur un tapis de mousse et lis trois poèmes de Jean Follain qui me font penser à des origamis sous les plis desquels seraient écrits les chiffres naïfs et denses de l'universel. Fais quatre photos d'Oscar, des espèces de portraits, les premières et peut-être les dernières, il a neuf mois et il ne changera pas.
Termine au retour la tonte du jardin et fais deux voyages à la déchèterie, c'est le moment de nous débarrasser de ce dont on s'était servi jusque-là pour garder derrière des barreaux les animaux semi-domestiques qui ont aidé à faire sortir nos enfants du premier âge. Reste Cacao qui vit désormais seul dans sa cage et auquel les enfants ne s'intéressent plus. Et Oscar à qui nous devons apprendre à vivre sans laisse, c'est le second âge auquel, on l'espère, nos enfants parviendront eux aussi.
Je croise Jean-Paul en remontant, il a reçu le permis de construire, près de deux ans auront été nécessaires.
Je prépare un pique-nique avant de descendre à la rivière. Je comptais retrouver sous la déchèterie d'Hermenches le chemin qui menait autrefois à travers les côtes du Moulin aux rives de la Bressonne. Je n'y suis pas retourné depuis une dizaine d'années et on n'en trouve plus trace si bien qu'on décide de couper au plus court à même le bois. On avance à l'estime avec pour seule précaution celle ne pas se retrouver en haut des falaises de molasse qui plongent à pic dans le lit de la rivière, Arthur a le nez, Oscar le suit, je fais le lien avec Sandra et les filles qui restent à l'arrière. Notre présence ne passe pas inaperçue, un chevreuil à la peau de daim, une biche peut-être, quitte la rivière et remonte la pente à tire-d'aile, extraordinaire apparition, extraordinaire disparition, Sandra et Lili étaient aux premières loges.
L'eau est fraîche, les rayons du soleil caressent le fond de la saignée, tremblent, les chairs de la molasse mollissent. Les enfants se baignent dans un go, ils frissonnent. Un sandwiche et un sirop à la framboise en guise de festin, c'est un paradis sans être un rêve.
L'eau est froide, la saignée se referme, le soleil s'en va, l'eau est noire. Il faut ressortir de ce qui pourrait devenir un enfer, on saute de pierre en pierre comme sur une marelle géante, une petite heure et des orties, des ronces et de la boue, des pleurs même. J'espérais retrouver en aval le pont de Syens, mais une cascade dont je n'avais pas le souvenir nous barre l'accès. Hors la ville le monde retourne à la friche. On remonte à quatre pattes jusqu'à Lamarin, la voiture est toute proche.
Les filles font un bouquet de prêles qu'elles mettent en pot dans le jardin. Le soleil est revenu.

Jean Prod’hom


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L'accès à l'étang est devenu impossible

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L'accès à l'étang est devenu impossible, les herbes et les ronces barrent le passage, je remonte par le chemin des copeaux avant de m'asseoir une demi-heure au pied d'un épicéa. Oscar fouine dans tous les coins, je ne fais rien et m'en satisfais. Cela fait quelques mois que je parviens – quelquefois – à ne rien désirer de plus que de rester là où je suis, sans lire, sans regarder vraiment, sans penser même, mais dans une espèce de stupéfaction molle. Ces endroits sont quelconques, ni bords ni centre susceptibles de les identifier clairement, des lieux sans nom où personne ne s'agite et dont le rien est le seul hôte fidèle. C'est ici ou ailleurs, et chaque fois un petit regret me pince de devoir me lever et rentrer.

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Je continue l'éducation d'Oscar sur le chemin du retour, lui demande de rester assis tandis que je m'éloigne, de ne me rattraper que lorsque je lui en intime l'ordre et d'accepter sa récompense. Ça marche.
Sandra fait du ménage, passe l'aspirateur dans toute la maison, Arthur ramasse les dépouilles de la haie que j'ai taillée hier. J'en fais un grand feu dans lequel je jette les branches sèches des chênes qui se dressent devant le poulailler, charge dans la Yaris des morceaux d'érable que j'entrepose dans l'aire de pique-nique de la Moille-au-Blanc, ça pourrait servir. Tonds le haut du jardin, vide l'aile droite du hangar et brûle le bois qui y traînait. Je termine ces travaux au milieu de l'après-midi avec mon coude qui grince, Arthur fait du yoyo devant la véranda – un yoyo de nouvelle génération – et Sandra rédige à son bureau l'article qu'on lui a demandé sur les Jeux internationaux de Poitiers.
On part pour Curtilles en fin d'après-midi, Louise et Lili sont satisfaites de leur camp, heureuses de nous voir, elles se sont ennuyées chaque jour, un peu. Elles ont monté leur poney préféré dans le lit de la Broye, ont fait de la voltige.
En ouvrant le sac de Lili, Sandra découvre les trois livres qu'elle y a glissés avant de partir : Clara et les poneys, Le Fils de l'étalon noir et Lili a la passion du cheval. Voilà une fille qui a de la suite dans les idées. Elle nous dira aussi plus tard qu'elle n'a presque rien lu, il y avait tant de choses à faire. Voilà une fille qui a des priorités.
Un hérisson qui vit dans les hortensias à côté de l'entrée montre ce soir le bout de son nez.

Jean Prod’hom


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Plus d'excuses

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Plus d'excuses, c'est le moment ou jamais, Arthur termine contre rémunération le désherbage de la grande plate-bande, Sandra s'attaque à la petite, pleine de roses autrefois, mais dont le gel et la maladie ont entamé la vivacité. Pour assister à leur possible sortie du tombeau confortablement installés dans les fauteuils de la véranda, elle redouble de courage et astique la verrière.

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J'enfile la coudière que j'ai achetée hier et vais remiser à la déchèterie le chenit qui traînait derrière le garage, taille ensuite à l'autre bout du jardin ce qui reste de la haie qui entourait la propriété lorsque nous sommes arrivés il y a plus de dix ans, tronçonne quelques charpentières du saule que j'ai planté sans vraiment le vouloir près du chemin de servitude. Il a pris des proportions auxquelles je ne m'attendais pas. Ces travaux usent mes forces bien plus aujourd'hui qu'autrefois, ils ne contribuent pas à la guérison de mon épicondylite. Sans compter que, à la fin, je vois ce qui me reste à faire.
Il est 14 heures, on rejoint comme promis la Pudze (1266 mètres) au pied de Teysachaux (1909 mètres). Mon courage fond lorsque je prends conscience de l'affaire et que je constate que je suis incapable de suivre le rythme qu'impriment Arthur, Sandra et Oscar, d'autant plus qu'ils décident de couper au plus court à travers les pâturages. Je fais une longue boucle par Incrotta en désespérant de les retrouver avant Belle-Chaux. Je les vois pourtant bientôt en contrebas, ils peinent eux aussi et vont croiser sous peu le chemin que j'emprunte. Je reprends mon souffle en les attendant et retrouve un peu du courage qui m'avait lâché.
On continue ensemble jusqu'à Belle-Chaux (1510 mètres), un chalet d'alpage sur le flanc nord de Teysachaux, on se rend compte alors qu'on a raté le chemin de crête. Sandra et Arthur se couchent sur une pierre plate et me laissent continuer. J'aimerais rejoindre hors sentier l'épaule où l'on devrait retrouver le sentier qui mène au sommet de Teysachaux. Ils ne sont bientôt que deux petits points bleu et rouge en bas la pente. Continue à quatre pattes parmi les oeillets et les digitales, escalade le calcaire blanc, multiplie les arrêts. M'y voici.
J'aperçois alors dans la pente Arthur, Sandra le suit avec Oscar à ses basques. Ils parviennent enfin au sentier qui conduit au sommet. On s'y retrouve tous une demi-heure plus tard.
Le lac occupe tout le fond, le Jura qui prend appui sur ses rives s'élève jusqu'au ciel qu'il longe, à la fin on ne fait que le deviner parce qu'on n'y voit presque rien, à peine une ligne qui brille au-dessus du lac de Neuchâtel.
En continuant ce chemin de crête on parviendrait au Moléson dont on aperçoit en contrebas les reins, le garrot, la tête ensuite, on pourrait alors descendre sur les Sciernes d'Albeuve et la vallée de la Sarine.
En nous tournant vers l'est, c'est comme si on retournait à la Lécherette, tout y est, la chaîne des Vanils sur Château-d'Oex, le cirque de la Pierreuse au-dessus de l'Etivaz, plus au sud la Cape aux Moines, la Tornette, le Tarent, Châtillon et le Pic Chaussy qui se suivent comme une quinte floche. Tout y est mais les relations entre les choses ont changé.
On reprend le sentier dans l'autre sens jusqu'au Vuipay, une grosse demi-heure qui nous coupe les jambes. Les derniers rayons du soleil nous accompagnent jusque sur la terrasse. On y mange tandis que le soleil s'enfonce derrière le Jura et nous dans une couverture que les tenanciers de cette auberge de montagne ont bien voulu nous prêter.
Longue marche au crépuscule puis dans dans l'obscurité, Arthur parle tant et plus, il n'aime pas trop la nuit, s'interroge sur les prédateurs de l'homme, on a beau lui parler des vrais dangers, rien n'y fait, les meilleures raisons du monde ne servent à rien.

Jean Prod’hom


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La bise s'est levée pendant la nuit

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La bise s'est levée pendant la nuit, a défait les nuages de la veille et laisse ce matin le ciel aux avions qui gribouillent des promesses qu'ils ne tiendront pas. Nous descendons, Sandra et moi, récupérer la voiture laissée hier au village.

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Au retour d'Arthur de Froideville, nous descendons à Lausanne. Je vais pour mon compte, discute le coup avec deux employés de chez Cablex, une entreprise qui réalise des réseaux câblés et qui se partage avec deux ou trois autres entreprises le marché lausannois. Ils épissent les câbles à fibre optique du quartier de la Madeleine, trois fibres pour chacun des 120 clients susceptibles de s'y intéresser. Les deux électriciens sont français, l'un vient de Saint-Julien. Tous deux vantent leur savoir-faire et ne manquent pas de me signaler que les Suisses ont pris du retard dans ce domaine alors que le réseau espagnol est en place et que le français est bien avancé. En ce qui concerne le Riau, nous devons déchanter, la fibre optique n'y parviendra jamais.
Fais un tour chez Payot, parcours les nouveautés et les lectures que les enseignants du gymnase proposeront en début d'année scolaire prochaine. Puis commets un ou deux de ces larcins dont je ne me lasse pas, les fauteuils des bonnes librairies y invitent : le Journal particulier 1933 de Léautaud, le numéro que la NRF a consacré en juin aux relations de la littérature et de la chanson, lis notamment les réponses que Louis Aragon a donné à Francis Crémieux qui l'interrogeait en 1963 sur la mise en chanson de ses poèmes. Puis un texte du premier numéro 2012 de la Revue de Belles-lettres dans lequel François Debluë s'emploie à préciser ses rapport au roman.
Je sors de la librairie les mains vides après avoir abandonné, à leur place, les livres que j'ai siphonnés. File acheter une coudière à la pharmacie de la Palud avant de rejoindre Arthur et Sandra assis sur un banc à Pépinet.
Sandra m'offre aujourd'hui un bouquet de dahlias.

Jean Prod’hom


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Il y a les officiers de réserve

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Il y a les officiers de réserve
les existences antérieures
il y a la foudre
les bourgeons des marronniers
les champignons crus à la crème
il y a l'art pariétal
la montée des eaux
les gagnants du loto
la nuit sombre des tempêtes

Jean Prod’hom

Me voilà seul sur le pont

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Les filles montent à Curtilles, Sandra et Arthur grimpent dans les arbres à Aigle, me voilà seul sur le pont au Riau. Mets à jour les notes du début de la semaine passée à la Lécherette, trie des photos avant de descendre en voiture au village avec Oscar. Passe par le chemin de l'Ancienne Laiterie. Plus haut la ferme du Pré du Grelot tombe en ruines, les mousses colonisent les tuiles du toit de la mécanique, l'eau de la fontaine coule pourtant en abondance.
M'assieds dans l'herbe, devant la haie qui surplombe les deux virages ombragés de la route des Chênes au-dessus de Chez-les-Porchet. C'est l'évidence, le monde a été occupé bien avant d'être achevé et l'homme l'a colonisé sans que personne ne lui octroie le permis d'habiter si bien que le chantier s'est étendu à l'ensemble du réel. Certaines régions ont été depuis un peu oubliées, mais aucune grande friche n'apparaît plus sinon celle du ciel, je suis dans un immense atelier, j'entends derrière moi des mélodies internationales qui sourdent d'un poste de radio.
Il faut resserrer drastiquement le cadre de son regard pour apercevoir des choses abouties, la courbe d'un chemin, l'ombre qui rapproche le pré du champ de chaume, une allée de peupliers, une lisière, un vallon. Le chant du coq me rappelle une énigme.
J'emprunte le chemin des Tailles assombri par les faînes et les coques des foyards qui macèrent, il traverse un creux dans l'été, après les foins et les moissons, avant le maïs et les betteraves.
Je poursuis l'éducation d'Oscar en lui lançant des pives. Deux propriétaires de petits chiens de race, croisés peu avant l'ancien réservoir de la Mussilly, me donnent quelques précieux conseils et me confirment la justesse de certaines de nos orientations. Mais que la route est longue et difficile ! Je me réchauffe au retour des restes d'un plat de lentilles.
Arthur et Sandra rentrent d'Aigle satisfaits de leurs parcours dans les arbres. Le mousse part en vélo pour Froideville où il passera la nuit. On va de notre côté au bord du lac, à Lutry.
Le verrou de Saint-Maurice a été forcé au cours de la journée et l'air du sud circule à nouveau. On mange sur une terrasse, avec le plaisir de mettre les pieds sous la table sans se salir les mains. Sandra reçoit au dessert une ampoule avec laquelle elle peut, dit la sommeillière, injecter une dose de rhum supplémentaire à son carpaccio d'ananas. Il est temps de quitter ces lieux de perdition pour longer la grève, les rochers des Mémises montrent leurs dents d'or, la Savoie est comme une île. Les pontons fendent l'eau, le lac et le ciel jouent chacun de leur côté la ligne d'une partition que l'on ne comprendra qu'à la fin.
Sur le chemin du retour, un chevreuil s'immobilise dans un cône de lumière, juste après la Moille Baudin. Pas une étoile, le ciel s'est couvert. Je coupe le moteur, il se retourne, ne bouge pas, nous regarde par-dessus l'épaule. Il se croit invisible à l'abri derrière sa croupe, on éteint les phares, la nuit tombe, la bête dedans.
Je photographie encore le tesson que Sandra a trouvé à Lutry.

Jean Prod’hom


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Les chats ont dormi dans les combles

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Les chats ont dormi dans les combles, on ne les avait guère vus si près de nous depuis l'adoption d'Oscar. Il a plu une bonne partie de la nuit, Lili et Louise partent ce matin pour leur camp de poney.

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Il cesse de pleuvoir dans la matinée mais le soleil peine à s'imposer.
Je lis le règlement communal sur la gestion des déchets de Château-d'Oex adopté lors de sa séance du 03 février 2011, c'est passionnant. En bref : une taxe forfaitaire par logement couvre les frais de la gestion des infrastructures et des déchets recyclables. Une seconde taxe est instaurée pour financer l'élimination des déchets ménagers, elle est basée sur le principe de la taxe au sac. On peut acheter ces sacs de contenance variée – 17, 35, 60 et 110 litres – dans les bureaux de l'administration communale et les commerces locaux. Mais pour éviter que des personnes étrangères à la commune de Château-d'Oex ne déposent leurs ordures ménagères, chaque résident dispose d'une carte magnétique lui permettant d'ouvrir le hublot par lequel il glissera ses sacs dans la benne. Il est essentiel de noter qu'aucun mot de passe ou code d'accès n'est nécessaire et que ces cartes ne comportent aucune donnée personnelle, elles sont simplement offertes aux résidents contre dépôt. Conséquences ? L'économie d'abord du passage d'un camion sur tout le territoire de la commune. L'incitation ensuite à un tri sévère, il serait en effet inconséquent de la part des résidents de Château-d'Oex de remplir des sacs taxés de déchets lourds qui trouvent, sans bourse délier, leur place dans les centres de ramassage. Le système mis en place dans le Pays-d'en-haut a provoqué une baisse notable des quantités d'ordures ménagères, mais a conduit à une légère augmentation du tourisme des déchets. Les peines sont salées, les gens en effet qui déposent un sac de déchets ménagers non taxé dans la benne, ou un sac taxé hors la benne se voient condamnés à 1 jour de peine privative de liberté s'ils ne paient pas l'amende de 100 francs.
On avait décidé d'aller à pied jusqu'à Froideville, mais la pluie qui a repris de plus belle nous oblige à renoncer. Pas longtemps, une accalmie s'installe et nous partons, Sandra, Arthur, Oscar et moi. L'absence des filles depuis ce matin donne un sourire tout particulier à Arthur, lui l'aîné, redevenu fils unique une semaine durant. Et la laideur de la veille se métamorphose.
On boit un thé sous le couvert de Froideville, personne sur les chemins, la pluie revient, on rentre.
Bonheur ce soir d'un plat de lentilles, avec un ciel qui bout par endroit, on monte jusqu'à la Moille-au-Blanc, une pensée pour nos filles seules à Curtilles, ou plutôt sans nous et avec d'autres, difficile de s'y faire, c'est leur chance, c'est la nôtre.
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Jean Prod’hom



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Grande boucle au réveil

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Grande boucle au réveil, sous la pluie. Sandra dans une veste bleue, moi avec un parapluie, le chien mouillé. Le vert des épicéas est assourdissant, les sorbiers saignent orange. Aucun oiseau dedans ce monde, à l'image de mon humeur, sans échappée, pris dans la boue et le froid, des idées lourdes et sombres.

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Les filles partent demain matin à Curtilles pour leur camp d'équitation, elles n'ont pour l'heure qu'une idée en tête, suivre à la télévision les épreuves de dressage et de saut de cheval qui se déroulent à Londres dans le cadre des Jeux olympiques. Reviens de mon côté tant bien que mal sur les notes rédigées à Casteljau, plutôt mal. Plie du linge, donne un coup de main à Sandra qui remet la maison d'aplomb, elle ne semble pas touchée par la déroute du climat, un peu plus par la mienne. On élague dedans et dehors, le pommier en espalier et ce qui tient lieu de salon, un vieux canapé, un coffre... Me réjouis d'arriver au bout de cette journée dont je n'aurais rien fait sinon extraire ces mots des essais de Montaigne lus pendant une accalmie :
... de même que ceux qui éteignent la lumière du jour par une lumière artificielle, nous avons éteint nos propres moyens par des moyens empruntés. Et il est aisé de voir que c'est la coutume qui rend impossible pour nous ce qui ne l'est pas...

Et puis, en guise de consolation, j'ai retrouvé dans un vieil album de papa quatre photographies du fond de l'Etivaz, datées de janvier 1946.

Jean Prod’hom


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Dans les forêts de Sibérie

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Je referme aujourd'hui le journal que Sylvain Tesson a rédigé pendant son bref séjour en Sibérie, dans des conditions difficiles mais en connaissance de cause. On sait donc dès les premières pages qu'il en reviendra vivant et les mains pleines, avec un livre, mais un livre qui annonce à chaque pas que le printemps est un leurre. Longue litanie sur l'hiver qui piétine, aux variations infimes que traque l'expression heureuse. Ici et là quelques pépites, des bris, des aphorismes, des souvenirs qui font apparaître nos vanités. Que reste-t-il à la fin ? Des bouteilles de vodka vides, l'amie chère qui s'en va, deux chiens qu'on abandonne. Mais aussi, toujours ou presque, cette volonté de continuer, indéfectible et fragile qui nous attend au saut du lit, des ombres et des taches de lumière, le sentiment tenace que tout est joué bien avant qu'on ne s'en rende compte, l'assurance que certains journaux de bord sont écrits avant même que le jour ne se lève. Comment se relève-t-on d'un telle expérience née d'un engagement qui aura été une prison ? Je voudrais lire le journal du retour.

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Le retour, c'est ce à quoi nous sommes invités aujourd'hui après les nettoyages et le chargement des voitures. Arrêt aux Mosses devant chez Madame Bellorini, j'y apprends par la nouvelle propriétaire que ses parents ont acheté le chalet en 1961 et qu'il est à son nom depuis 2006. Elle et son mari, qui habitent Saint-Légier, rentrent du bois pour l'hiver.
Un peu plus loin nos pieds froissent les herbes hautes et font trembler la tourbe, Louise prend dans ses mains une grenouille, moi un têtard, tout près d'un étang caché par des épilobes en rangs serrés, des reines des prés et des seigles noirs. Rhône ou Rhin, les eaux hésitent dans la roselière avant de se partager. On entend une kyrielle d'oiseaux, on en aperçoit certains derrière les persiennes, une mésange sautille – ou vole – de branche en branche.
On se sépare au col des Mosses, lieu ingrat s'il en est, quelques chalets qui vieillissent mal, une route surdimensionnée, des places de parc vides. Françoise, Lucie et Edouard s'en vont de leur côté, glissent dans la vallée de l'Eau froide puis dans celle du Rhône. Nous du nôtre, dans la vallée de la Torneresse puis dans celle de la Sarine.
Et pendant que Sandra et les enfants font des achats à la laiterie de l'Etivaz, je remonte la vallée jusqu'au fond, fais quelques photos du grand chalet des Henchoz, en me promettant d'en retrouver, photos du temps de papa, d'un temps que je ne peux m'empêcher de penser plus heureux. Au Pissot, la roche est rouge, je ne serai pas allé du côté des Voëttes, du Sernanty et de la Murée. Une autre fois peut-être.

Jean Prod’hom


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Il a plu

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Il a plu une bonne partie de la nuit, la route du col que j'aperçois de la fenêtre est détrempée, il est 6 heures, des nuages s'attardent sur le Pic Chaussy. J'hésite à réveiller Arthur, Lili et Lucie qui s'étaient annnoncés partants pour m'accompagner à la Pierreuse. Mais c'était hier soir. On ira voir les bouquetins et les chamois un autre jour. Je me rendors.

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On déjeune dehors, mais sans parasol. Diaspora ensuite : via ferrata du Rübli pour les uns, balade aux Chevreuils pour d'autres, piscine de Gstaad pour Lili, Louise et moi, on emprunte la route terminée en 2010 qui passe sous le cimetière de Saanen, plus de repos pour les morts.
Deux bonnes heures à goger dans l'eau tiède, les filles plongent du bord, des plots et de la planche ; elles se risquent même aux sauts périlleux, j'aime leur courage.
Le soleil s'est installé, Gstaad déroule sa grande rue à de vieilles rombières et de petits chiens qui nous snobent, on imagine les visages dévastés de Roger Moore ou de Johnny Halliday, on mange un carac sur un banc, le soleil est revenu, un soda, une glace et on repart récupérer les amateurs de grimpe à l'arrivée du téléphérique de la Videmanette.
Oscar a passé une partie de la journée seul au chalet, tout s'est bien passé et c'est de bonne augure pour les 15 ans qui viennent.
Je conduis Sandra, Oscar et Louise aux Mosses d'où elles souhaitent rentrer à pied, j'en profite pour boire un café. Federer affronte Del Potro à Londres, une vieille institutrice, visiblement amoureuse du tennisman helvétique se met dans un sale état devant la télévision, les yeux hagards, les cheveux en pétard. Je l'avertis des dangers qu'elle court. On reste fidèle, dit-elle, même quand ça va mal. Je m'en vais avant que ça ne se termine mal, je suis non seulement un peu lâche, mais l'idée de devoir pratiquer un massage cardiaque sur une telle personne m'indispose. D'autant plus que j'en suis incapable.

Jean Prod’hom


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Les orages de cette nuit

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Les orages de cette nuit ont malmené les moteurs du téléphérique de Pra Perron, cette panne nous oblige à monter en voiture. Télésiège ensuite jusqu'à la Braye où Edouard et Françoise nous quittent avec le projet de descendre à pied sur l'Etivaz. Tyrolienne pour Sandra et Arthur, Lili n'est pas mécontente de ne pas faire le poids, ce n'est pas le cas de Louise qui rage de ne pas avoir le coeur qui se soulève en se jetant dans le vide. Trente kilos sur les chevilles sont nécessaires pour ne pas se retrouver suspendu dans le vide au milieu du ciel.

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Joie ensuite, mitigée, le long d'un de ces sentiers didactiques qui ne font sourire que ceux qui les conçoivent, c'est le sentier des fourmis, un sentier pour occuper les familles, mais on n'en croise aucune. Les panneaux sont délavés, on devine pourtant des illustrations sorties tout droit de manuels scolaires des années 1960.
On accueille Lucie à la gare de Château-d'Oex, ses parents, Sandra, les enfants et moi, avant une de ces petites diasporas qui font tant de bien : les uns se baladent tandis que Francoise et Edouard font des courses, je cherche une terrasse agréable pour écrire ces notes. M'arrête finalement devant un bâtiment mis sous vide, ce n'est pas l'installation d'un épigone de Christo, mais l'hôtel Beau-Séjour, vide depuis des années. Il est démonté morceau par morceau : parmi les composants du crépi extérieur et de la colle des catelles qui revêtent les salles d'eau et les cuisines, on a trouvé de l'amiante.
Madame Paltenghi prépare le vernissage de demain, Piero Mosti, un peintre de Massa di Carrara expose ses huiles. Les tableaux sont en place : des cabanons abandonnés, des saignées de colzas, l'éclosion de coquelicots, des friches entre terre et mer, des lignes qui s'arrêtent, des sillons oubliés dans lesquels quelque chose pourtant se maintient. Germination. Que penser de cela ? Je ne pense pas, je passe, comme la collectionneuse et le peintre, vies minuscules, galeries vides, bonne volonté, et puis c'est tout. Mais pourquoi diable s'est-on rencontrés ?
Petite dépression sur le chemin du café de la Lécherette, la modeste chapelle du village affiche le numéro 7 sur la façade qui s'ouvre sur Jérusalem. J'espérais, naïf, qu'il restait des refuges de par le monde.

Jean Prod’hom


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On est tous les dix sur la placette

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On est tous les dix sur la placette du village de Rougemont, Elisabeth et Didier nous ont rejoints pour la journée, on attend.
Je crois utile de me renseigner auprès d'un vieil homme qui semble connaître le coin, il attend lui aussi. C'est un ancien journaliste de Paris Match, responsable des chroniques touristiques, il a fondé une petite entreprise, un journal dont j'ai oublié le nom et dont il s'est occupé jusqu'au moment de sa retraite. Il s'est créé un réseau dont il peut aujourd'hui profiter. Mais c'est à Rougemont qu'il revient toujours et où il passe chaque année quelques semaines. Il aime cet endroit à l'abri de l'agitation, dans un pays qui va son bonhomme de chemin, avec habileté. Il m'avertit pourtant qu'en rachetant massivement des euros pour maintenir son franc compétitif, la Suisse pourrait se mordre les doigts, la facture devenir toujours plus salée, il s'enflamme. Je ne sais pas trop bien ce que je peux faire dans l'immédiat pour régler les affaires du monde et le réconforter. Pour l'heure il me conseille de laisser tomber ces affaires et d'emprunter le chemin du bas, celui qui longe la Sarine, à l'ombre des érables, des foyards, des épicéas qui la bordent. Quoi qu'il en soit, conclut le Parisien avant qu'on ne se quitte, ce sont les femmes qui décident, je garde le sourire.
Je suis avec des gens qui aiment le grand air, on décide de prendre par le haut. La route qui traverse le village, un village cossu qui s'étend au nord-est, devient un chemin puis un sentier qui, après le goulet du Vanel et le lieu-dit des Allamans, s'élève trois cents mètres au-dessus de la Sarine, jusqu'au sommet du Mangelsquet. Inutile de se demander quelle langue on y parle, il n'y a personne. Pique-nique et parlote avant de plonger sur Saanen. On fait les morts dans la pelouse qui entoure l'église. J'en profite pour faire un petit saut dans le cimetière et faire mes emplettes, des arrosoirs dans tous les coins, j'en reviens les mains pleines.
Didier nous quittent à la fin de la soirée.

Jean Prod’hom



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LXV

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Lire et écrire ne sont pas des opérations de même rang, l'une est contenue dans l'autre et ce n'est pas celle que l'on croit.
On apprend certes à lire avant d'écrire, mais on ne se met véritablement à écrire que lorsqu'on s'avise qu'on ne sait pas lire, ou un peu, ou trop peu. Je voudrais, écrivant, apprendre à lire, mieux lire, enfin lire.

Jean Prod’hom