déc. 2014

Mon coeur bat avec l'intensité d’un vieux réverbère

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Mon coeur bat avec l'intensité d’un vieux réverbère
je termine à l'instant les travaux d’étanchéité
pas sûr que l’année qui se clôt ne s’écoule dans celle qui suit

Jean Prod’hom

A la lumière froide

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A la lumière froide et mortelle
qui rôde parfois en plein jour
la tiédeur de la nuit

Jean Prod’hom

Flaques et ciel vides

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Flaques et ciel vides et pics
os et coques et ceps nains
les saules y ont laissé leur peau

Jean Prod’hom

N’emporte avec toi

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N’emporte avec toi le jour de ton départ
que ce que tu ne voudrais pas
avoir à retrouver à ton retour

Jean Prod’hom

Tu roules en famille

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Tu roules en famille depuis deux fois soixante minutes et tu ne crains pas les heures qui vont suivre. C’est les vacances. Bien sûr, au commencement les enfants râlent, puis ils hurlent ; c’est toujours comme ça avant d’avoir l’autorisation de se connecter. Tu gardes le cap au sud.

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C’est tout blanc, on a giclé les bas-côtés de l’A7 à l’eau de Javel ; on tient un bon 120, les hommes ont appris à conduire, ils respectent les règles et tu t’en félicites. Toute la famille est contente de faire une halte au restoroute des Portes de la Drôme. Tu y entres sûr de ton fait, sans éprouver le besoin de trouver à redire, c’est une belle journée. Vous y mangez un sandwich au jambon avec de la mayonnaise ; les enfants font la meule, tu finiras par céder et tu leur offriras des oursons de gélatine. Dans la file devant la caisse, tu écoutes tes voisines qui disent du mal des leurs, tu en souris avec la caissière. Toi et ta femme, vous boirez un café, un peu trop sucré à ton goût, dans un verre en carton : vous vous ferez un clin d’oeil.
Comme une foule fait la queue aux toilettes, tu iras pisser contre le mistral, si violent qu’une pie est incapable de rejoindre son nid – tu aurais aimé lui expliquer.
Tu n’as pas grogné contre les embouteillages à l’entrée de Valence, vous avez écouté France Inter et tu as compté les cadavres sur l’un des deux côtés de l’autoroute, tu as doublé le résultat. Le bouchon n’a pas cédé, alors vous avez pris par Crest ; vous vous êtes égarés un plus loin, à cause du GPS, dans un village dont personne ne saura dire le nom. Il s’est mis à pleuvoir, la nuit est tombée avec le brouillard, vous avez annoncé que vous arriveriez plus tard.
Le gyrophare d’une ambulance vous a fait voir un bref instant la vie en bleu. Ça a roulé ensuite, tu t’es dit alors que la vie était bien faite, que c’était du gâteau, que du gâteau ; d’autant plus qu’on vous attendait. Bientôt, tu aperçois dans la nuit le château meringué de Grignan où vécut, raconte un drôle, Madame de Massepain, avec ses bougies et ses angelots. Tu pourrais allonger la liste et mentionner les mille autres choses extraordinaires qui ont eu lieu ce jour-là et que personne ne dira.
Ça y est, vous êtes arrivés, ta journée est faite. Alors tu te réjouis une dernière fois en te disant que tu serais prêt à tout recommencer pour te retrouver là.

Jean Prod’hom

Rêveries sous son bonnet de neige

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Rêveries sous son bonnet de neige
couleurs mais aussi résistance
tout la rapprochait de la bruyère

Jean Prod’hom

Il y a deux éternités

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Il y a deux éternités
celle au goulot de laquelle on s’abreuve une vie durant
celle qui nous a laissé filer entre ses doigts

Jean Prod’hom

Café littéraire de Vevey

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Si on s’est tous crus dimanche, ce matin, c’est parce que Sandra et les filles sont allées chez Marinette nettoyer le parc de Ziggy et de Sahita ; et faire une balade. Arthur ouvre la fenêtre de sa chambre lorsque je pousse le portail ; son visage est encore froissé, pris dans les filets de la nuit : il retourne se coucher. En route donc pour Vevey, bien décidé à jeter un coup d'œil au Café littéraire qui a ouvert ses portes la semaine passée. Par Mézières et le lac de Bret, la corniche.

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Écoute à la radio quelques-unes des lettres que Chappaz et Roud se sont échangées ; n’entends à la fin, lorsque je laisse la Yaris avenue Nestlé, qu’une seule solitude, immense, que chacun d’eux charge l’autre d’atténuer en sublimant.
Les magasins sont ouverts, on est donc vendredi. Constate que ce sont 24 roses et 30 lettres d'amour qui entourent mes 50 tessons dans la vitrine de la librairie La Fontaine ; ça pourrait être pire. Hésite à acheter ce recueil de poèmes que Rilke rédigea en français, accompagnés dans la présente édition par des photographies qui évoquent un peu trop les fleurs offertes à la famille d’un défunt ; que la poésie ait maille à partir avec la mort, soit, mais pas ainsi. Laisse finalement dans la vitrine à la fois les lettres d’amour de Moravia à Lélo Fiaux et les poèmes de Rilke.
Beaucoup de lumière au Café littéraire, tout le monde s’affaire : on reprend, fignole, corrige, ajuste sans que jamais le sourire ne lâche les animateurs de ce nouvel espace. Et puis il y a du monde, pas besoin de publicité, tout séduit, la sobriété surtout. Au mur l'actualité culturelle de Vevey, quelques vieilles images, du blanc et du bleu, deux fois le logo – solide comme celui d’une compagnie d’assurances.
Et trois ou quatre rayons sur lesquels sont alignés des livres qui donnent envie de lire. Et ce qui devait arriver arrive, je tombe sur les 24 roses de Rilke que je lis en mangeant : fromage blanc, galette et saumon : délicieux. Pas les poèmes, j’ose le dire, un peu lourds à mon goût, et même recouverts d’une fine poussière et entourés de bouts de ficelle qui n’attachent pas mon attention ; la même phrase chantée par le même ange. Des extraits se mêlent pourtant à la risée qui fait frémir le lac, abandon entouré d'abandon, je lève les yeux sur le flottant séjour, avec des nuages autour du Catogne, là-bas tout au fond.
Sur la terrasse, d’autres poètes, des jeunes gens, des vieux messieurs et des vieilles dames étendent leurs jambes.  Même sans couverture, ils font penser à ces malades d'un autre siècle, convalescents alignés sur les balcons des sanatoriums en face des montagnes magiques. Aujourd’hui, ils sirotent un verre de vin blanc ou suçotent un gros cigare de Cuba.
Il est temps de laisser tout ce petit monde ; me réjouis de savoir comment la littérature s'assoira demain autour de ces tables, comment les mots rouleront sur leur vieux plateau cintré : c’est bien parti.

Jean Prod’hom


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Serrer en trois lignes

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Serrer en trois lignes
ce qui en appelle au langage
et libérer son parfum

Jean Prod’hom

CXL | Conte de Noël

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Pour Sylvie Durbec
Chemin faisant avec Robert Walser, « Le portrait du père » in Seeland

Benoîte pensait
que ses pairs se féliciteraient
de ses succès

elle n’avait jamais douté
de l’amour universel
mais il n’y a pas de couvert pour elle

ils affectent
de se réjouir
au cas où

creusent un fossé
autour de sa naïveté
rongés par l'envie

qu’à cela ne tienne
elle rentre pour faire du feu
leur ouvre sa maison

ils s'installent
dents blanches
idées reçues  

il y a trop de bruit
de rumeur
trop de jalousie

Benoîte monte à l’étage
les roitelets peuvent rester
elle fait sa valise

le soleil l’attend sur le pas de la porte
un chien aussi et l’eau de la fontaine
et l’allée des noisetiers

elle sourit
sourit à la communauté des orties
des vieux hortensias

à la communauté des haies vives
Benoîte qui croit à l’amour universel
va recommencer ailleurs

Jean Prod’hom

Ne rien ajouter

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Ne rien ajouter
sinon
un peu de retenue

Jean Prod’hom

C’était un lieu

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C’était un lieu
qui ne s’émancipait pas
de la nuit

quelque chose l’y retenait
au voisinage de l’abandon
jusqu’au soir

on devinait l’absent derrière les volets
les yeux grand ouverts
à l’image des arbres dans les bois

grains de blé dur et vieux bouquets de lavande
empreintes de moineaux dans la poussière
et mies sèches

aucune promesse
hormis celle de rester fidèle
à celui qui reviendrait

Jean Prod’hom

(FP) Chacun est dépositaire

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Chacun est dépositaire
de deux ou trois lieux
qui veillent sur lui

intacts
quoi qu’on leur retranche
quoi qu’on leur ajoute

sous la pluie
ou en janvier
au soleil ou sous la neige

un tas de pierre ou l’arrière d’une mécanique
la courbe d’un chemin ou un fond de jardin
une maison vide

ils perpétuent
le secret
de ce qui passe

le rais de lumière
qui fait pâlir la suie
dans les hottes des cheminées (P)

Jean Prod’hom

Jean Prod'hom

Jean Prod'hom

Jean Prod’hom,
né à Lausanne en 1955,
marié et père de trois enfants,
vit dans le Jorat depuis 1990.


LA PART DES HOMMES, in
Études de Lettres, revue de la Faculté des Lettres de l'Université de Lausanne, Lausanne, avril-juin 1985

D
ÉCRIRE ET DÉFINIR : UNE ANALYSE EMPIRIQUE, in Le discours descriptif I, Travaux du centre de recherches sémiologiques 51, Neuchâtel 1986

DU PRONOM PERSONNEL AU SUJET DE L'
ÉNONCIATION EN PASSANT PAR LA PERSONNE : A propos des Dialogiques de Francis Jacques, in Cahiers du Département des langues et des sciences du langage 4, Université de Lausanne 1987

OBJETS DE DESCRIPTIONS ET
ÉNONCÉS DESCRIPTIFS, in La schématisation descriptive, Travaux du centre de recherches sémiologiques 55, Neuchâtel 1988

M
ÉTALOGUE, in Archimade 57, septembre 1997

PIERRES POUR LE GU
É, in À fleur de peau, Yves Zbinden, Lausanne 1998

DU R
ÉGIME DE LA MENACE À L'EXERCICE DE LA PEINE, in Éducateur 2, 3 et 4, Genève 1999

CARTE BLANCHE À GEOFFREY COTTENCEAU ET ROMAIN ROUSSET, in Museums.ch, Numéro 4, 2009

COLLECTIF, Les 807, Collection bleue, Les éditions du transat 2010

COLLECTIF les 807 saison 2, Hors collection, Publie.net 2012

LESMARGES.NET, www.lesmarges.net, ISSN: 2267-4373 2008-2014

L’AUTRE NUIT, in L’Autre Nuit, Fey 2014

À TOI L’OEIL À TOI LE MONDE À MOI CETTE CARTE BLANCHE, Anne-Hélène Darbellay & Yves Zbinden, @LAC, Vevey 2014

TESSONS, Éditions d’autre part, Genève 2014

(
À paraître) LES MARGES, Éditions Antipodes, Lausanne ?

Bilan

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Bilan de fin d’année sur un chemin à double ornière
des jachères et des labours
avec du rouge et du bleu qu’on ne voit pas

Jean Prod’hom

L’été retient

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Edouard Monot

L’été retient
l'ombre du tilleul 
au pied du tilleul

l’hiver trace dans la neige un liseré
que nos craintes repoussées à l’intérieur des bois
ne franchissent pas

l’alternance du jour et de la nuit l’atteste
le corail flambe derrière le pare-brise
dans le gris souris de nos vies

Jean Prod’hom

On n’est jamais autant avec soi-même que sans

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Edouard Monot

On n’est jamais autant avec soi-même que sans
interdiction donc à l’étang 
de mêler nos visages au ballet des lumières

les dessous du ciel se mêlaient à ceux du marais
réunissant en un seul lieu ce qui se fait de mieux
on allait ainsi jusqu’au soir

c’est aujourd’hui comme un pansement sur un manque
l’assurance que les visages et nos vies
s’abreuvent à une même brise

Jean Prod’hom

Le ciel

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Le ciel !
Ferdinand,
et le Moléson vu du Château des Jaunins

Jean Prod’hom

Folie ce matin

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Folie ce matin, le responsable s’était absenté; les nuages n’en ont fait qu’à leur tête. Chacun, pour autant qu’il était, s’est livré tout entier à la poursuite ou sur le dos de son voisin. Les plus agités ont trempé leurs mains dans d’invisibles bassines de lumière, en ont gardé un peu de jaune sur les doigts. D’autres, même père même mère, ont remué leur jupon sur les épaules de Brenleire et de Folliéran.
il y avait une hâte qu’on ne pouvait comprendre que par le retour imminent du patron. Tous pourtant ne se se sont pas livrés à cette bacchanale, vous auriez pu en effet apercevoir un nuage solitaire égaré dans le bois à l’avant du Gibloux. Plus à l’est une vingtaine de petits soldats, au coude à coude, alignés sur trois rangs, surveillaient le verrou de Saint-Maurice. Au milieu du ciel deux solitaires attardés semblaient absorbés dans des rêves très sérieux.
Les anciens se désintéressaient du spectacle de leurs cadets, le regard tourné vers le Jura, avec autre chose dans la tête, une méditation lente dans laquelle les hommes avaient les yeux fermés.
Les fumées des cheminées de la Broye avaient bien tenté sur terre de se mêler à la fête, avaient agité sans discontinuer un ruban; et des ronds de fumée sont montés en spirale, personne ne leur a fait signe, ils se sont évanouis.
On n’a pas vu l’arrivée du patron qui a soufflé un bon coup dans la partie et déroulé dans le ciel, depuis le centre, un bleu couleur de ciel. Restent de cette heure qu’on oubliera vite, là-haut, les lignes d’acier tracées dans le vide par d’anciennes caravelles.

Jean Prod’hom

Ne pas s’opposer

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Ne pas s’opposer aux modifications
ou à la disparition d’un texte qui tient debout –
pour autant qu’il ait dépassé toute attente

Jean Prod’hom

Une voix répète inlassablement

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Une voix répète inlassablement
qu’à la fin
tout malgré tout ira mieux

une seconde
affirme du fond de l’avenir
qu’au pire il faut s’y faire

crains aujourd’hui que la seconde
n’ait recouvert la première
en étendant son empire comme une marée noire

Jean Prod’hom

En s’en remettant à l’idée de vocation

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En s’en remettant à l’idée de vocation
les hommes donnent un air de noblesse
au maton qui patrouille leur visage et verrouille l’avenir

Jean Prod’hom

Une vie pour quitter la partie

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Une vie pour quitter la partie
nu
sans arrière-pensée

Jean Prod’hom

Penser après

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Julian Charrière | accrochage Vaud 2014 | détail

Penser après
après après
après après après

Jean Prod’hom

La vieille dame au masque d’inuk

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Nous chérissons tous quelque part
une vieille dame au masque d’inuk
son silence nous rappelle la sagesse qui nous manque

Jean Prod’hom

Deux coups de godets

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Deux coups de godets n’auront jamais raison
de la maison de la gaieté
et de son jardin respectueux

Jean Prod’hom

La poésie

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Ne pas demander au ruisseau de faire déborder la mer
ne rien demander à la poésie
lui faire son lit

Jean Prod’hom

Gringalets

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Gringalets sous le cagnard d’août
eau froide sous la peau
os sur pilotis

Jean Prod’hom

L’oublieux se souvient avoir tout laissé

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L’oublieux se souvient avoir tout laissé
en vrac dans un sac
à Belle Chaux

se souvient du souffle court des linaigrettes
du parfum noir des nigritelles
de la sente de Bonne Fontaine

se souvient de l’arête dans la brouille
de la main ouverte des martinets
mais rien du sac laissé au pied de Teysachaux

Jean Prod’hom

Première neige

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D’avoir suivi les traces laissées par celui qui aurait dû me rester un inconnu
m’aura appris à me méfier de ce que je laisse derrière moi
averti que souvent l’inespéré nous précède et nous ramène sur nos pas

Jean Prod’hom

Bartasses pagaille

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Bartasses pagaille
ronces rame rame
viendront risée et sourire

Jean Prod’hom

Aller en avant

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Aller en avant – ou en arrière – dessous
ou mieux à côté tandis qu’un enfant souffle
sur les flammes d’un coquelicot

Jean Prod’hom

Au grand jour

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Au grand jour
le coeur sur la main
dans l’élan que leur offre ce sursis

Jean Prod’hom


Ridentes in vestibulo

Musée Romain de Lausanne-Vidy
Vernissage de « Taupe niveau »
4 décembre 2014

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Merci à vous tous qui avez accueilli ces petits morceaux de terre cuite, ils n’en demandaient pas tant, s’en seraient même volontiers passé. Même s’ils laissent quelquefois apparaître, lorsque le jour se lève, un certain plaisir à prolonger leur modeste existence, sans raison, parmi les hommes. Ces brimborions ne sont pas à une contradiction près.
Prendre garde de n’égarer quiconque dans une aventure déjà suffisamment égarante, ces petites pierres auraient tôt fait de vous dérouter et de vous conduire dans une de ces franges, une de ces friches où les mots manquent.
Un texte donc, bref, pour dire une fois encore la nature indécise et miraculeuse de ces presque riens, dessiner à grands traits le commerce que j’entretiens avec eux, depuis 25 ans déjà, jusqu’à leur arrivée ici. Sur les marches de ces escaliers, dans ce vestibule, en latin comme il se doit.
Enfin... le titre :
Ridentes in vestibulo

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Suite pour violoncelle No.1 in sol majeur, BWV 1007: Prélude
Johann Sebastian Bach
Paul Tortelier



Jean Suite Sol majeur BWV 1007

Le monde se répartit en deux grands domaines : celui des objets auxquels on ne demande rien d’autre que de se maintenir en leur être : les artistes en sont les animateurs.
Celui, plus étendu, des objets dont l’individualité se réduit à un chiffre né de la combinaison de leurs traits distinctifs, obéissant serviles aux modèles élaborés dans les laboratoires : les savants en contrôlent l’accès.
asrerisque.justine
Qu’il le veuille ou non, chaque enfant est invité à choisir auquel des deux saints il vouera sa vie, hésitant parfois longuement avant de s’en remettre aux héritages familiaux, au hasard ou aux circonstances, sans jamais savoir exactement ce qu’il aura manqué en laissant derrière lui l’un ou l’autre des deux chemins dessinés par la tradition.
asrerisque.justine
Je suis resté quelque part sur le seuil, assis sur un escalier. Sans décider. En équilibre précaire sur le rebord d’une fenêtre, – je me souviens, c’était celle d’une cabane de montagne au pied des Dents-du-Midi –, incapable de me soumettre aux excès de la raison collective ou d’épouser les miroitements de l’aventure solitaire, préférant passer au large de cette mise en demeure, évitant ainsi de rejoindre l’un ou l’autre des deux camps sur le point de livrer bataille.
asrerisque.justine
C’est dire que ma rencontre avec ces morceaux de terre cuite, brisés, rejetés, oubliés dans les laisses de l’océan et de l’histoire, m’aura permis d’aller et venir à l’écart des grandes affaires, de ramasser sans concurrence ces minuscules paradis portatifs qui m’auront ouvert une voie sans histoire, à égale distance des pâmoisons et de l’esprit de sérieux.
asrerisque.justine
Car il reste un tiers continent qui échappe au grand partage, aux rêves des artistes et aux formules des savants, et dont la traversée offre à nos vies un joli chemin de prose que les héros d’André Dhôtel ont balisé en leur temps : l’échappée belle.
asrerisque.justine
Fierté donc, fierté que ces délaissés soient arrivés jusque-là et que j’aie pu contribuer à leur reconnaissance. Mais amusement surtout, amusement qu’ils se retrouvent à deux pas des vieux briscards de cette illustre maison, tessons et fibules, tuiles et verres soufflés, identifiés, étiquetés, classés sous clé.
asrerisque.justine
Regardez-les dans ce vestibule et aimez-les pour ce qu’ils sont, je n’y suis pour rien, visages de clown, masques de carnaval, broderies, brimborions égarés devenus boussoles. Eclatés hier, éclatants aujourd’hui.
asrerisque.justine
Trop jeunes pour nous apprendre quelque chose, ces tessons ne parlent ni latin ni grec. Ils sont toutefois assez naïfs pour avoir un avenir, rient sous cape en parlant la langue des cuisines. Mais ne leur en demandez pas trop, ils ne répondent que d’eux-mêmes. Petits moments de rédemption serrés entre déchirure et disparition. Ni bijoux ni témoins, à l’autre bout du sacré comme du passé, dans un vestibule.
asrerisque.justine
Le livre qui les accompagne a pour titre TESSONS, il en est le catalogue déraisonnable et incomplet. Ce n’est pas un traité même s’il en a parfois l’allure ; il a en effet renoncé à vouloir faire le tour de ce qui le déborde, les hypothèses y pullulent mais sont allées fleurir ailleurs. L’idée de classement ne le rebute pas, mais il ne s’y attarde pas et semble dire : « Va, il y a mieux à faire. »
asrerisque.justine
Ce catalogue doit beaucoup au hasard, mais il n’aurait pas vu le jour sans la bienveillance d’inconnus qui sont devenus mes amis, saisis par l’étrange beauté de ces éclats, si bien que l’itinéraire qu’ont suivi ces morceaux de terre cuite pour établir leur campement ici, à Vidy, mériterait qu’on s’y attarde. Une autre fois.
Ces tessons, il aura fallu un peu de violence pour les arracher à leur condition, sur les berges de l’océan, des cours d’eau qui les ont façonnés, des lacs et de la mer. Car ce sont des êtres de lisière et de plein air, nés aux limites de la terre et de la mer, en-deçà des partitions dont ils assurent pourtant l’intelligibilité.
S’ils tiennent debout aujourd’hui dans cette vitrine, hier dans un bol ébréché, sur une armoire à chaussures, au fond d’une poche ou dans le creux de la main, chacun d’entre nous doit savoir qu’ils sont prêts à prendre la poudre d’escampette, là, tout près, dans le sable et sous le vent, sur les rives du Léman. Ecoutez-les murmurer : « Laissez-nous être oubliés! »


Jean Prod’hom

Ce matin j’ai ouvert les fenêtres

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Ce matin j’ai ouvert les fenêtres
sur le jardin
sur les promesses des portes closes

Jean Prod’hom

"Que signifie ce nuage ?" | Justine Neubach

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Il n’y a rien, dans ma mémoire, qui précède le français. Le français est à ma racine. Il est l’emporte-pièce qui a tranché ma pâte à monde. Il a fondé mon décor. « Je » m’est devenu une seconde peau, « tu » s’est modelé à l’Autre, et entre ces pôles, progressivement, des mots de plus en plus nombreux ont mis le réel en morceaux.

Le français a été, pour longtemps, ma lucarne – la seule. Soit j'acceptais de regarder français, soit il fallait fermer les yeux. Aucune alternative, sinon une façon enfantine de chantonner sans mots, en enchaînant au hasard des sons que les adultes taxaient de « charabia » tout en me mettant à l'écart. Tenter de s'échapper de la reine langue française, c'était aussi cela : tomber en charabia, risquer de n'être plus prise au sérieux, à peine entendue.

Très tôt, ainsi, je me suis résolue à classer le non-français au rayon des bruissements du monde. Le russe y côtoyait le frisson des herbes sous la brise, l’anglais était tout proche d’un gloussement de ruisseau, d’autres langues sifflaient, chuintaient, couinaient, chantaient ; certaines auraient pu être des langues de prairies ; d’autres, des voix pour l’explosion ; il y avait des langues qui s’écoutaient comme la mer dans un coquillage et d’autres, proches, rêches, gutturales, langues remontées des mines, les visages noircis, le regard luisant.

Toute langue étrangère participait d'un univers crypté, aux prises avec l'émotion – univers qu'il convenait de ne pas trop interroger. Il ne fallait pas demander « que veut dire jak ten czas leci ? » ; ce m’eût été l’équivalent d’un « que signifie ce nuage ? »

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Plus âgée, par la force des choses, j’ai appris l’anglais. J’y ai travaillé à regret, comme on se jette à la rue par grand froid. Les cours d’anglais m’étaient dépourvus d’abris. Parcourus d’ombres. J’apprenais brutalement qu’il y a dans l’anglais quelque chose de plus qu’un ruisseau qui rit. Des phrases gonflées d’un sens qu’elles refusaient de me livrer dansaient devant mes yeux. La Langue Etrangère s’était détachée du continent des bruits. Elle devenait énigme, clef des regards complices qui s’échangeaient autour de moi sans que je ne sache à quel sujet. Elle me barrait la route avec une sévérité de porte celée.

Et puis il y a ces craintes qui nous viennent, enfant, quand on n'a pas encore touché à d'autres langues et que soudain, l’anglais passe nos lèvres. « Peut-on oublier le français ? » – « Qui je suis quand I am ? »
J’eus d’abord peur de cette langue. Peur de ne pas la savoir et peur de la savoir. Peur de ce qu’elle m’avait toujours caché – intonations, expressions, perspectives – et peur de me perdre en la découvrant.

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Lentement, la peur a cédé. Ce sont des gens que l’on rencontre. Ce sont d’autres langues que l’anglais qui entrent en jeu, consolatrices. L’allemand par exemple. Le besoin de savoir l’allemand pour lire de la philosophie. Puis l’envie de connaître une autre poésie, allemande. L’apprentissage émerveillé. Les insuffisances du je suis révélées par l’ich bin.

Alors j’ai ouvert la lucarne. J’ai posé un pied hors de France.

Dehors, le monde est fou. Il fait mine de se plier docilement aux exigences de chaque langue. Il se comporte comme une eau fuyante à laquelle on tenterait d’assigner une forme en la faisant passer de récipient en récipient. Mais sa forme, la vraie, qui la connaît ? Pourquoi devrait-il en avoir ?

Celui qui aime les langues le sait : passer de l’une à l’autre, c’est tout à coup se renverser pour marcher sur les mains. Du français à l’anglais, ma voix change, ma posture subjective aussi, mon rapport à l’action.

Juger qu’il faut savoir une autre langue que la maternelle pour avoir doublement prise sur le monde est une erreur, je crois. La langue agit à un niveau tout autre. On se sent travaillé intimement par elle. Au départ, la langue doit être une nécessité. Ensuite, elle devient ce qu’on veut : outil d’analyse, poésie, cri salvateur, vraiment n’importe quoi. Mais pas la vérité. Car la langue est d’une insouciance… Elle passe en sifflotant à côté des « vérités vraies ».



Justine Neubach


Justine Neubach fait entendre sur l’internet une voix singulière et exigeante. Je suis heureux qu’elle ait accepté de rejoindre lesmarges.net et de m’accueillir chez elle, sur son site Silencieuse.net, : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Et les autres vases communicants de ce mois de décembre, c’est
ici.

Merci à Angèle Casanova et à Brigitte Célérier pour la gestion de cette belle entreprise.

A l’abri des regards

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A l’abri des regards
et du poids des corps
l’hiver est ici chez lui

lac nu et astres pâles
nul récit
où s’égarer

île sans sommeil
le jour et la nuit
ont la couleur du sable

Jean Prod’hom

La Librairie de Morges

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Retour du Musée Romain où nous avons placé, les collaborateurs de Flutsch et moi, une cinquantaine de tessons derrière une vitrine. Rentre par Rolle et Morges, eau froide, deux cormorans et un cygne au large du port. M’arrête au restaurant du Mont-Blanc pour recharger mon natel. Prolonge ma balade rue des Fossés. Coup d'oeil dans la vitrine de La Librairie, une librairie dans laquelle je n’étais jamais entré.
Petit bonheur. Sylviane a été touchée par Tessons, alors elle l’a mis là. Elle n’a pas remarqué, je crois, que j’étais très ému. Vais me cacher au fond de son antre pleine de beaux livres. On parle un peu, elle et son collègue ont le sourire, moi aussi. En ressors avec Pizarnik et Bergounioux, on se quitte.
Second coup d'oeil à la vitrine, clic-clac, va! fais ton chemin!
Rejoins Sandra devant la piscine de Bellerive. Il fait nuit, Sandra va travailler au gymnase, je remonte avec les filles au Riau où le mousse nous attend, avec deux macarons et deux cupcakes.

Jean Prod’hom

De toutes les noces

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De toutes les noces
se sont celles – je crois –
de la sobriété et du lyrisme que je préfère

Jean Prod’hom

Tourner le dos

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Tourner le dos – se raidir – mourir
sans avoir à entendre
« Il méritait mieux »

Jean Prod’hom

Le poète

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Le poète était retourné à son troupeau
préférant la rivalité des bêtes
à celle de ceux qui l’avaient consciencieusement ignoré

Jean Prod’hom