Amadou

Amadou reprend du service

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Cher Pierre,
Sandra et les filles se rendent comme chaque dimanche chez Marinette, Arthur fait un puzzle. Je sors dans le jardin avec Amadou, cherche une solution pour le vertébrer ; un simple fil de fer fera l’affaire pour l’instant.

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Frédéric Rauss m’a fait un beau cadeau de Noël, je l’apprends un peu par hasard ce matin ; Il a consacré en effet sur son site, le dix-huit décembre passé, un long billet sur le journal que je tiens quotidiennement depuis le 14 janvier 2015. L’homme habite au pied du Jura, il conclut en racontant qu’il a croisé l’autre jour une équipe de bûcherons qui abattaient des ormes. Où vont donc se percher désormais les merles ? Et des ormes, en existent-ils encore en bonne santé dans nos régions ?
Le frêne est menacé lui aussi, par un champignon venu du Japon ; les premiers cas de chalarose ont été signalés en 2008 en Suisse, en 2010 dans le canton de Vaud, aux Cullayes aujourd’hui. C’est à la cafétéria de l’EMS que je l’ai appris, une série de frênes va en effet être abattue dans les prochaines semaines sur le domaine communal, pour éviter que les plus gros spécimens se renversent sur la voie publique et que les plus lourdes branches, affaiblies, tombent sur la tête des passants. Pour éviter ces désagréments, le frêne de la place de jeux de Montpreveyres a été abattu.
On ne connaît pas de mesure contre ce champignon, inutile donc d’aménager des coupe-feux pour enrayer sa propagation, la chalarose est portée par le vent ; le feuillage flétrit ensuite, les branches sèchent, le pied pourrit. Ne pas désespérer, concluent les spécialistes, certains des plus robustes développent une résistance spécifique : les morilleurs respirent.
Arthur me donne un coup de main en fin de matinée, à contre coeur d’abord, son dos, dit-il. On finit par déplacer plusieurs centaines de tuiles derrière le poulailler, celles que les couvreurs ont déposées près du lilas et que remplacent aujourd’hui sur le toit trente-deux panneaux photovoltaïques. J’en profite pour mener à la déchèterie les vieilles pierres ollaires du poêle, en miettes, que j’ai remplacées cet été, et les volets vert pomme entreposés derrière le garage auxquels on a renoncé.
Je poursuis au cours de l’après-midi la lecture du Chardonneret de Donna Tartt, dans la véranda au soleil, pendant qu’Arthur et Sandra font de la physique ; les filles mènent leur vie en croisant celle d’Oscar, les chats somnolent dans les combles.
Je fais cuire quelques pâtes et prépare une salade. On regarde en famille The Woman in Gold, film dans lequel Maria Altman récupère, avec l’aide du petit-fils d’Arnold Schönberg, cinq tableaux de Gustave Klimt volés à sa famille par les nazis, et notamment l’un des deux portraits d'Adèle Bloch-Bauer. Chacun retourne ensuite à ses affaires, les mouvements se font plus rares, on perçoit quelques bruits : le craquement d’un fauteuil, le frottement d’une brosse-à-dents, le froissement d’un drap, le claquement d’une porte ; chacun se glisse à son tour dans son lit, sans avertir ; les lumières s’éteignent une à une, comme dans la ville. Il ne reste bientôt que la nuit, le réverbère au carrefour et les respirations qui s’allongent.

Jean Prod’hom

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Au milieu l’étang

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Cher Pierre,
Valérie passe à dix heures, babille, boit un café et embarque deux livres. On déjeune à onze. Grand déballage, les enfants ont été généreux, entre eux et avec nous ; Sandra leur annonce que, malgré le manque de neige, nous monterons deux jours la semaine prochaine aux Marécottes. Chacun retourne à sa plate-bande, je compte les petits nains.

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Lili a perdu hier la laisse d’Oscar, je pars à sa recherche avec Amadou, à rebrousse-poil, mais avec la tête bien trop en l’air pour mettre la main dessus. Le ciel est bleu, les passereaux sont comme des étoiles, on s’y perd. Je peine à suivre l’envers du chemin d’hier. Je croyais tout savoir de ces bois, mais une mauvaise interprétation à un carrefour les replonge dans l’inconnu. Et me voilà égaré dans ce que je croyais connaître. Je ferme les yeux pour reprendre mon souffle et l’histoire à zéro.

Le chemin sur lequel je cours                    
Ne sera pas le même quand je ferai demi-tour
J’ai beau le suivre tout droit
Il me ramène à un autre endroit
Je tourne en rond mais le ciel change
Hier j’étais un enfant
Je suis un homme maintenant
Le monde est une drôle de chose
Et la rose parmi les roses
Ne ressemble pas à une autre rose.
 
Robert Desnos, La géométrie de Daniel, 1939

Je pose le nord, je pose le sud, m’aligne en faisant un quart de tour à droite, du côté d’hier ; redessine les deux tracés, hachure les zones interdites, recalcule les distances, règle la focale et l’ouverture, fixe un ou deux repères, colle des pastilles de couleur sur cet anneau de Moebius. Je parviens finalement à reconstruire de proche en proche les deux parcours, mais sur deux espaces qui ne se superposent pas ; l’aller et son envers ne se croisent qu’accidentellement. Non ! le temps ne se plie pas, l’espace non plus, il n’y a pas de sens inverse.
Aller aussi longtemps qu’il le faut dans cet égarement avant de reconnaître, enfin, ce qu’on croyait connaître, y repasser pour la première fois, la raison vacille, je sors de l’espace euclidien. L’aller et le retour se succèdent, le retour est toujours un aller, l’aller un retour, et au milieu l’étang.

Jean Prod’hom


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