févr. 2016

Une mésange picore

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(Poèmes de Monsieur)

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Une mésange picore dans la mangeoire du tilleul, l’air est froid et les chicanes ne l’ont pas nourrie. Les cris des enfants, là-bas, font penser aux chants des oiseaux de la volière. Partout le lointain, le détaché, le séparé qui fédère ceux qui n’ont plus rien. Avec une gorgée d’eau froide et l’image de grands draps blancs pincés à l’étendage.

Je suis un animal désaltéré, fatigué, désarmé. Le vent d’ouest ramène des parfums âcres, c’est un feu de brindilles et de bois mort mis en tas à l’arrière de la maison. Je t’imagine assise sur une chaise ; il n’est plus temps, disais-tu, de savoir si on a été à la hauteur, nos peurs se sont évanouies.

A la fois plus et moins, bientôt rien, mais sans partage.

Jean Prod’hom

Le réel est bel et bien sur ses appuis

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(Poèmes de Monsieur)

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Le réel est bel et bien sur ses appuis, mais brise fait danser ce matin rideaux et branches du tilleul : il y a du jeu. Ni fable ni sous-titres, mais une bande passante faite d’un seul tenant.

L’air circule entre les murs porteurs, l’irréparable et les regrets reposent au fond du sablier. Je me tiens immobile, ne rien toucher, tout pourrait capoter. C'est seulement lorsque tout a été dit que le silence du dedans se mêle à celui du dehors.

Ne t’inquiète pas des largesses du tilleul qui bourgeonne.

Jean Prod’hom

Un croissant de lune

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(Poèmes de Monsieur)

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Un croissant de lune décolle des Vanils la fine paupière du ciel accrochée à l'autre bout de la nuit, le jour s’y engouffre ; personne ne songe à refermer la porte, j'entends les pas d'une infirmière, le soleil se lève.

Ce ne sont qu’images - ellipses, trompe-l’oeil, voyelles et consonnes - qui s’effaceront avec la nuit.

A moins que le soir ne tarde à venir.

Jean Prod’hom

Rhône (Lavey-les-Bains)

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Les cincles près de Lavey ressemblent aux hirondelles, volent à raz le torrent, se dressent sur les pierres comme des bergeronnettes. Quant au Rhône, il ne s’est pas encore détaché, froid et limoneux, du glacier des fonds de Conches qui l’a vu naître. Le Léman calmera bientôt ses ardeurs et fera de ce torrent un fleuve.

Jean Prod’hom


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Auberge du Vallon de Van (Salvan)

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Cher Pierre,
Pluie, pluie, pluie... Bain à Saillon pour la majorité des locataires de la Ruche, je suis de garde, sors Oscar avant de terminer la balade écourtée de la veille : Van d’en Bas par les gorges du Dailley.

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Personne dans l’auberge, sinon les tenanciers bientôt à la retraite qui cherchent à la remettre. Elle a été construite après-guerre pour loger les ouvriers du barrage de Salanfe. Ils sont propriétaires d’un chalet un peu plus haut qu’ils comptent occuper aussi longtemps que la santé le leur permettra, ils aiment ce vallon.
Mes gants et mon bonnet sèchent sur un radiateur, je suis trempé. A cause de la pluie qui n’a pas cessé et des efforts que l’escalade a exigés. Certaines sections enneigées m’ont obligé à avancer, par prudence, collé à la pente. J’ai dû enfin, du sommet des gorges jusqu’à l’auberge, brasser la neige qui recouvrait le chemin que personne n’a emprunté depuis quelques jours.
Je bois une verveine puis une bière en feuilletant les livres mis à ma disposition. Et cette plongée de deux heures dans l’histoire du coin donne un autre relief à une vallée qui n’en a évidemment pas besoin : criée à Salvan, chèvres à Granges, cabane des scouts à la Creuse, pâturage d’Emaney, barrage de Salanfe, arrivée des Anglais, construction des hôtels,...
Une page est tournée depuis la fin du siècle passé : les trois pensions des Granges, le restaurant, les deux bazars et la boulangerie n’existent plus. Ne reste qu’un hôtel fermé pendant les relâches ! Idem ou pire à Salvan : les cinq hôtels et pensions sont fermés. Plus de voiturier, de charcutier et de boucher, de cordonnier, de fabricant de piolets et de gendarme. Des trois boulangers il n’en reste qu’un ; plus de bazar, un seul tabac qui fait poste et bar. Je m’accoude au second : des Coquoz en pagaille et un invité surprise, le responsable des pompiers qui a officié le 5 octobre 1994 lorsqu’un incendie s’est déclaré sur les hauts des Granges, aux Roches de cristal.
Nous remontons tous à 19 heures à l’auberge, à la file indienne, y mangeons ; en redescendons à 22 heures, il fait nuit. Je pourrais marcher ainsi jusqu’à l’aube, je me couche à minuit.

Jean Prod’hom


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Gorges du Dailley (Salvan)

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Cher Pierre,
Le village est habité. J’entends en effet, tout proches, les gloussements d’une poule qui pond puis, m’approchant de son logis de fortune, distingue derrière le bois qui craque et l’oeuf qui brille, les bêlements d’une chèvre.

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La rue du village se prolonge dans les sylves, serpente entre les dés de granit recouverts de mousse jusqu’à l’entrée des gorges du Dailley, un bon kilomètre à flanc de coteau avant de plonger, rétréci, dans le lit de la Salanfe. Le chemin remonte ensuite d’une traite, raide, presque à la verticale, les 400 mètres d’escaliers qui le sépare du vallon de Van.
Aménagé une première fois en 1895 par une équipe de Salvanins pour permettre aux Anglais d’admirer la cascade et de rejoindre au plus court le vallon, ce tracé est mis à mal en 1945 lorsque on utilise des bulldozers et de la dynamite pour percer en amont les deux galeries qui donnent accès par le vallon de Van au barrage de Salanfe mis en service en 1950. Réaménagé dès 1991 par une équipe de volontaires, béni par le curé Guy Luisier en 2011, il est réouvert sur tout son parcours en juillet 2015.
Je n’irai pas jusqu’au bout, Oscar n’apprécie pas cette aventure, monte les escaliers ventre à terre et la queue entre les jambes. Il refuse d’aller plus loin à mi-parcours, l’acier galvanisé des marches en caillebotis y est pour quelque chose. Nous redescendons. Oscar n’en mène pas large, il retrouve vie sur le chemin qui nous ramène aux Granges lorsqu’un écureuil disparaît à la cime d’un mélèze, il me regarde alors comme s’il comprenait soudain l’intérêt que pouvait avoir une rampe d’escaliers.
Le soleil n’aura pas été au rendez-vous ; à 14 heures les premiers amateurs de ski sont sous la douche ; à 16 heures tout le monde est rentré, même les plus solides. Il neige de l’étoupe, oblique et légère.

Jean Prod’hom


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Salvan

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Cher Pierre,
Il est neuf heures, Sandra et les enfants quittent la Ruche par les hauts, avec leurs skis ; j’emboîte leurs pas mais par les bas, avec Oscar. Jusqu’à Salvan où le patron du café de l’Union me sert un expresso ; c’est un Français des Pyrénées qui a repris l’affaire il y a quelques mois.

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Nous traversons le village, puis les bois en direction du zoo des Marécottes avant de redescendre sur la gare, il pleuvine. Nous remontons jusqu’à l’église, retour ensuite à la Ruche où je laisse Oscar, il est midi. Sandra m’envoie un message, elle rentre avec Louise, Lili et May, on se croise à 14 heures à la station.
Il pleut à 1000 mètres au Granges, il neige lourd à la Creuse à 1700 mètres, idem à 1840 mètres à l’arrivée du téléski du Luisin. A 2300 mètres sous le col de la Golette où me dépose le télésiège du Vélard, il est difficile de se prononcer, on ne voit rien, ni le Luisin ni la Pointe du Djoua, ni le Tsarvo ni les Perrons qui ferment au sud le vallon de Van. Je skie à l’estime, croise Arthur, découvre en une heure ce modeste domaine skiable. La visibilité est mauvaise, je n’insiste pas, restitue les lunettes que j’ai empruntées à la télécabine, retrouve Arthur, Guillaume, Catherine et leurs enfants, il est 16 heures. Météo-suisse annonce le beau temps pour demain.

Jean Prod’hom

Vallon de Van (Salvan)

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Cher Pierre,
En hiver, les voitures ne montent pas ni à Van d’en Haut ni à Van d'en Bas ; et puis l’auberge fait relâche aujourd’hui. Si bien que je ne rencontre personne sur la route fermée à la circulation, étroite et enneigée. Si, une vieille dame que je dépasse et qui avance au pas pour ménager son cœur, puis un couple et leur jeune enfant que je croise et qui ne se consolent pas de la fermeture de l'auberge : adieu la tarte aux myrtilles !

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Des avalanches grondent sur les pentes du Luisin et le foehn tourne au vent. Il pleuvine lorsque je m'assieds dehors sur le banc de l'auberge, on entend en contrebas le ronflement de la Salanfe. Il y a plus d'un mètre de neige sur les toits de ces anciens mayens qui sommeillent en hiver comme autrefois, impossible de tracer des pistes sur des pentes bien trop raides. 
Les barbes des vieux mélèzes mettent un peu de vert-de-gris sur le gaufré du paysage, blanc traversé d’encre noire. Le bruit de crécelle d'un gros geai fait taire les conversations des mésanges, Oscar tremble, il a froid. Je reviens par le même chemin, en prenant garde de ne pas glisser, comme à l'aller, dans les deux galeries percées au milieu du siècle passé, plongées dans la nuit et recouvertes de glace vive. 
A la bifurcation qui monte au col de la Matze, je lis sur un panneau jaune un nom qui fait rêver : Planajeur. Je le répète comme un mantra, et ce sont d’autres vallons, lumineux, qui me reviennent en mémoire, répondant tous à l’appel de ce nom, sans pente et sans fin.

Jean Prod’hom



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Véranda (Corcelles-le-Jorat)

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La vie-propre est un livre que chacun respectivement lit toujours pour la première fois ! Vécu sur le moment et au fur et à mesure, le devenir en train de devenir garde cet aspect impair et aventureux, qui tient à l’heure incertaine. Avec sa mortalité inéluctable et sa mort indéfiniment ajournable, compris entre sa frontière natale, qui est définitive, et sa frontière létale, qui est élastique et flottante, le temps entr’ouvert de notre vie n’est-il pas une aventure ?

Vladimir Jankélévitch


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Ecrire en-deçà des sous-entendus, tenir en laisse l’implicite, se dégager de la polémique, en sachant que la poésie ne ressemble que très rarement à la poésie et que le rassemblement ou l’éclatement de ce qui se joue dans le temps sur la page congédie tout espoir : le futur se fait et se défait à chaque instant.

Jean Prod’hom

Rue des Glaciers (Lausanne)

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Place du village. Bertrand sort de la laiterie, j’y entre. Il monte tout à l’heure aux Rasses avec sa famille, je monte après-demain aux Marécottes avec la mienne. Salutations chez toi, salutations chez moi. Salut, salut. Les cloches sonnent. Check ! On rit.


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Matinée à Riant-Mont, à la Colline d'abord : je commence par un examen attentif des murets, de la pelouse, de la piste cendrée, des treillis ; de la pente qui conduit de la cour de l'école au terrain de foot, je note la disparition des cages de but. Sur le fond rien n’a changé depuis les années 1960. Je guigne sur le parc de la belle propriété à l'ouest, le ballon y est allé mourir une ou deux fois : un arrosoir, des feuilles mortes, quelques années et l’abandon chevillé à la mauvaise saison.
Rue des Glaciers ensuite, Petit Valentin et Riant-Mont. On devine à la verticale l'avenue de la Borde, vertigineux, le réseau des chemins qui conduisent à l'ancien lit de la Louve demeure incompréhensible pour ceux qui, comme moi, sont nés au bas du quartier.
Le Petit Parc porte aujourd’hui le nom pompeux de Square de Riant-Mont ; la caisse à sable et la balançoire ont disparu, des jeux en kit les ont remplacées. Les trois tilleuls, le vinaigrier, la fontaine sont d’époque.
Midi à Vevey avec Françoise et Édouard. Après-midi à Cully avec Stéphane. Soirée en famille avec Joëlle et Yves.
On écrit, peut-être, parce qu’on a renoncé a vouloir tout dire.

Jean Prod’hom

Moille-aux-Blanc (Corcelles-le-Jorat)

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Hier, alors que le jour se levait dans le préau encore désert de l’école, merles, mésanges et moineaux se sont donné le mot pour lancer la saison.

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Mais la neige a fait ce matin encore une sortie, discrète, légère et aérienne ; les flocons se sont montrés si légers dans l’air sec qu’ils semblaient s’attarder, attendre que les rejoignent les flocons qui les suivaient, revenaient même sur leurs pas ; ils ont improvisé un ballet, duvet d’oie et fleurs d’aubépine, qui s’est prolongé toute la matinée, riant de la gravité qui attache l’homme à la terre en inversant la pente sur laquelle roulent leurs jours.
Lorsque je suis remonté de la patte d’oie, les moineaux et les mésanges chantaient, comme hier matin, dans les branches nues des cerisiers et des pommiers, comme si cette giboulée les réjouissait, bien décidés à ne pas revenir sur leur décision d’annoncer sans plus tarder leurs noces prochaines.
A 13 heures, le soleil a repris son travail autour des fruitiers du verger, repoussant un peu plus la neige loin de leur pied, définissant le cercle d’ombre de leur frondaison au zénith de l’été.

Jean Prod’hom

Le Popu (Vers-chez-les Blanc)

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A Riant-Mont d’où, gamins, nous ne sortions guère, lorsque les talus exhaussés par la Louve sur sa rive droite avaient usé nos petites volontés et que nous souhaitions retrouver un aplomb que nos courses à flanc de coteau avaient mis à mal, nous montions la rue du Valentin jusqu’au terrain de football de la Colline.

Numériser 1

Il s’étendait devant une jolie école, où nous avions fait chacun, quelques années auparavant, nos premiers pas loin de notre mère, petite marmite gagnée sur la pente, herbe rase limitée au sud par les locatifs bordant l’avenue Vinet.
C’était notre Santiago Bernabéu à nous, où l’on se retrouvait les beaux jours, après les quatre heures ou le mercredi après-midi, ceux d’en-haut et ceux d’en-bas, Fincat, Lomette, les frères Jaquier, Papilloud et les autres, pour des parties qui nous menaient si loin qu’il n’était pas rare que nous devions dégringoler à la hâte le Valentin, avec la nuit qui nous talonnait sans pouvoir s’arrêter.
On y était à la fois dans une arche et dans un ventre, les hauts treillis nous autorisaient à toutes les maladresses ; ils nous dispensaient de prendre les précautions habituelles, pour que nos ballons ne nous échappent pas une fois encore, comme partout ailleurs, et ne soient pas, roulant, roulant roulant, à l’origine d’une catastrophe à laquelle ne pouvaient s’empêcher d’incliner nos esprits inquiets.

Jean Prod’hom

Il est dix heures

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(Poèmes de Monsieur)

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Il est dix heures, la fenêtre est grand ouverte. J’ai sorti mon kit mains libres, somnole dans la chambre, m’aventure immobile jusqu’au jardin, jeux d’enfants et visages transparents.

Un coq chante. Me voici à nouveau sur le seuil, qui déborde, les murs et les détours n’auront compté pour rien. Me voilà de retour, après toute une vie, comme je me l’étais promis, un peu ivre sous le drap blanc.

Ne pas bouger, ne pas respirer, se noyer dans le vent de mai, plus léger que le grain de l'ivraie.

Jean Prod’hom

Plusieurs pensionnaires ont quitté l'établissement

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Ce dimanche matin, il y a peu de voitures au parking ; dans un angle de la cafétéria, une jeune employée, blouse blanche, anime un atelier de pâtisserie, deux résidentes y participent.

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Plusieurs pensionnaires ont quitté l'établissement un peu après 10 heures, avec un membre de leur famille, ou un vieil ami, ils reviendront en fin d’après-midi. Les plus fatigués somnolent dans leur chambre, ils n’ont plus personne, à quoi bon ? Ceux qui en ont encore la force s'en réjouissent, s’abandonnant aux rayons du soleil qui fait un grand arc de cercle devant leur fenêtre grand ouverte, les rideaux vont et viennent, s’entrouvrent et laissent monter jusqu’à eux la lente rumeur des eaux hautes de la Sorge.
Arthur et Edmond jouent au jardin d'hiver où ils se sont, la veille, donné rendez-vous. Malgré les efforts que chacun a dû déployer, ils sont à leur poste, comme tous les dimanches matin, accoudés à la table ronde ; ils font une partie de bâtonnets. lancent les dés à leur tour, mais seul le premier déplace les pièces. 
Le chat Calou cligne de l'œil, niché dans la paille miel et or placée dans une corbeille en osier que matelassent les restes d'un vieux sac de jute. Paille, pelage, jute et osier ne font qu'un sur le rebord de la fenêtre, à côté de la boîte aux lettres ; ils ont, avec les vieux dans leur drap blanc, une place à part dans le concert des nations, ils n’attendent ni ne demandent rien. 

Jean Prod’hom

Non pas que celui qui a goûté à ses fruits

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La liberté invite celui qui en rêve, à se rendre en des lieux où personne ne l'attend, ni ne cherche à le retenir ; elle ne s'obtient qu'à coups de contre-temps.

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Non pas que celui qui a goûté à ses fruits soit condamné à faire bande à part, bien au contraire ; il lui revient de se laisser glisser à l'arrière du cortège et de recueillir ce que celui-ci a abandonné. Car c’est de ce dont personne n’a voulu, de ses dépouilles que l’homme libre s'équipe et fait son lit, en compagnie de ceux qui ont préféré se faire oublier ; ils ravaudent ensemble ce qui aurait pu advenir, le possible, sans que personne ne les envie. En ce sens, mais à l’inverse, les avant-garde ne sont que les porte-drapeaux du régime de la plus extrême dépendance, obligées de souffler à ceux qui les suivent le refrain d’une triste rengaine bientôt cent fois répétée.
C'est le lendemainde la Saint-Valentin que l'amoureux offre des fleurs à son amoureuse, cet idiot est toujours un peu à la ramasse ; mais s’il prend du retard, ce n’est pas avec sa belle mais avec l’histoire.

Jean Prod’hom

Etang (Corcelles-le-Jorat)

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Je glisse toute la journée au plus près de la pente, à bonne distance de ce j'aurais, en d'autres circonstances, tenté de retenir ou d'anticiper, les choses, avant qu'elles ne disparaissent tout à fait ou afin qu'elles demeurent possibles.

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Un mot encore, clac, le drap tombe, le corps est nu, sans savoir comment cela aura été possible, bon à rien sur un sentier boueux, dans la débâcle d'un hiver qui n'aura pas eu lieu, avec une fenêtre dans le ciel qui nous appelle, ma belle et moi, vers le haut. Nous marchons en silence avec le cœur qui bat.
Je m'installe en rentrant, à la cuisine, devant des champignons de Paris, une tasse de riz, deux artichauts, deux oignons, un pot de moutarde, un œuf, de l'huile, une aubergine, deux courgettes et un poivron rouge. Et des merveilles.

Jean Prod’hom

Place du Nord (Lausanne)

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Cher Pierre,
Il a plu toute la nuit et la température a chuté, si bien que la route a retrouvé sa couleur noir bitume d’origine ; Sandra et Lili partent en fin de matinée pour un cross à Blonay ; Arthur fait sa vie à l’étage, avec presque rien, un téléphone, un ordinateur, son lit et un coca. Louise répète dans sa chambre Spleen Milonga, Les Temps modernes et Bailecito.

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L’iPad que j’ai oublié dans le TGV, il y a un mois, n’a pas été retrouvé ; je descends à la Place Centrale de Lausanne et ressors d’Art computer avec un iPad mini 4 WiFi 64GB Silver et un étui Macalli bleu. J’en profite pour faire un saut chez Payot et consulter un exemplaire de votre Carnet de notes 2011-2015. Les traces de notre correspondance sont bien réelles, ça me fait tout drôle.
Je remonte à 15 heures, Louise est prête. On rejoint sous la pluie Sandra et Lili à Palézieux. Louise et Mégane nous enchantent avec Spleen Milonga de Thierry Tisserand, Christine se joint à elles. Nous profitons, Javier et moi, de faire le point à la fin du concert. Il n’a pas cessé de pleuvoir.

Jean Prod’hom


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C’est donc de l’autre côté de la rivière

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Un vallon profond sépare la fermette de la maison aux volets verts. On aperçoit la seconde du belvédère qui surplombe le replat au milieu duquel la première a pris racine, il y a une centaine d’années, deux siècles après que les bonnes terres d’en-bas ont été colonisées et que les tard venus se sont installés là pour s’y établir. Puis, l’exode rural a eu son mot à dire, les forains qui ont relayé les paysans sur leurs terres sont aujourd’hui des retraités ou des familles sans tradition bien établie.

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C’est donc de l’autre côté de la rivière qui traverse le district du sud au nord, en face, à la même altitude ou presque, que se dresse depuis 1880 la maison de maître aux volets verts qu’une grande famille d’industriels a fait construire pour loger le directeur de l’une de ses succursales. L’usine construite en contrebas, à une centaine de mètres, profitait des grosses eaux de la rivière dont un canal prélevait une partie un peu plus haut, retenue par un bassin, faisant tourner une grande roue à aubes qui fournissait l’énergie nécessaire à la fabrication de lait condensé et de farines lactées.
Lorsque les coûts de production sont devenus trop élevés, les riches industriels ont cédé la maison du directeur, l’usine et ses dépendances à de nouveaux propriétaires, que la guerre avait enrichis et qui, pour se dédouaner, l’ont transformée en colonie de vacances pour orphelins, installant dans les hautes chambres une série de dortoirs pouvant accueillir une quarantaine d’enfants.
C’est pendant cette période que les préposés à l’entretien des alentours ont conçu et mis en place, avec l’accord des maîtres de céans, en lieu et place de l’usine qui avait été démantelée, une dizaine de volières qui ont ravi les orphelins de passage et enchantent les résidents d’aujourd’hui. Ces volières existent en effet encore. Y vivent une bonne centaine d’oiseaux au chant intraitable : canaris, inséparables, perroquets, oiseaux indigènes.
Il reste encore, du passé industriel du site, le tracé du canal qui descend de la maison de maître jusqu’au lac de rétention, qu’entoure une roselière, un parterre d’ajoncs et de bruyère ; la grande roue aussi, couchée sur le flanc, fatiguée, à l’image des nouveaux hôtes de la maison, devenue en effet, depuis une trentaine d’années, maison de repos pour personnes âgées, orphelines, handicapées ou en fin de vie.
Un chemin conduit d’un versant à l’autre de la vallée, en pente douce d’abord jusqu’au hameau des Tailles, avant de plonger dans les bois de feuillus jusqu’à la Sorge que bordent sur un épais lit de tourbe des sapins blancs et des épicéas. Un petit ouvrage, étroit, qu’on appelle le pont à Eiffel, en raison de sa structure d’acier, la franchit. ; on n’a nul besoin de l’emprunter lorsque les eaux sont basses. Le sentier remonte d’un coup ensuite, en petits virolets qu’on n’oublie pas, mais dont les communaux ont facilité l’utilisation en fixant, dans la pente, des sections de traverses de chemin de fer retenues par des fers à béton. L’effort que nécessite l’ascension n’offre guère le loisir, la première fois, d’apercevoir la vieille fontaine évidée à la hache, posée là à mi parcours ; c’est le dernier signe de la présence de l’homme. Ce chemin était autrefois emprunté autant par les gens des villages des alentours que par les gens de passage, les journaliers ou les vagabonds aux mains vides. Il ne tient aujourd’hui qu’à un fil.

Jean Prod’hom


Que de fois il avait eu la sensation d’être appelé

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Que de fois il avait eu la sensation d’être appelé à s’écarter du lieu qui lui avait ouvert les bras, au moment même où l’évidence s’imposait qu’il était enfin possible qu’il y demeurât. Chaque fois, il avait eu le sentiment de devoir s’en arracher, empruntant la voie qui l’en éloignait, qu’il rejoignait au prétexte qu’il voulait vivre encore avec ceux de son espèce, et parce que, peut-être, on lui avait appris à vouloir plus et à espérer mieux, ne prenant garde qu’il risquait ainsi de se couper à tout jamais de ce pourquoi il faisait tant et tant de détours. Il en alla à la fin autrement et il put séjourner en un lieu modeste sans demander son reste. De cette vie muette, on ne sut rien, sinon ce qu’il laissait voir lorsqu’on le croisait au village ou sur le chemin qui longe la limite communale à la lisière des bois. Et puis plus rien, ou presque, lorsqu’il accepta l’invitation qui lui fut faite d’habiter au second étage de la maison aux volets verts.

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Il m’aura dans son silence indiqué le chemin qui rend le retour possible, au lieu même que nous avons quitté et que nous allons rejoindre, en sautant comme sur un gué sur les traces que nous avons laissées, là d’où l’on vient, jusqu’au seuil de cette époque qui fut à la fois celle de l’enfance et du consentement, et dont on a cru bon vouloir s’affranchir.
Il y a deux immédiats, celui qu’on embarque sur nos rafiots et qui fuit comme le tonneau des Danaïdes. Et celui qui se tient immobile, dont on se détourne au moment même où l’on s’avise qu’on ne peut rien en tirer. Mais qui demeure intact, qu’on parvienne à en faire à nouveau notre demeure, seconde, ou qu’on l’oublie à tout jamais.

Jean Prod’hom

Monsieur ne reviendrait pas

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Monsieur ne reviendrait pas ; il s’était donné d’un coup tout l'avenir qui s'étendait devant lui, un avenir équipotent au passé sur lequel il ne se retournerait pas, sans chicane ni resserrement, bien décidé à le considérer aussi longtemps que sa nuit ne serait pas tombée sur la succession des causes et des conséquences, sur le bal des aubes et des crépuscules. Ne le dérangez pas.

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Il y avait donc une autre manière d’être dans la partie, dans sa grande largeur. Monsieur s’est tu, il n’y aura pas de dernier mot.
Je m’en rappelle, j’étais venu à bout le l’étroit sentier qui menait au col, considérant d’un coup le nouveau monde qui s’ouvrait sous mes yeux. Je me suis assis dans l’herbe rase, le dos appuyé à la pente, devant le ciel et l’étendue qui se prolongeaient bien au-delà de l’horizon auquel ils semblaient suspendus. Le temps a passé, j’ai hésité, j’aurais pu rester, me suis levé enfin. Avec l’étrange sentiment de trahir quelque chose que j’abrégeais, de renoncer à ce qu’il me faudrait, quoi qu’il en soit, recommencer un jour, en me consolant à l’idée que d’autres chances me seraient octroyées, aussi longtemps que j’aurais la force de reprendre une nouvelle ascension, de l’autre côté de la vallée, d’emprunter le chemin qui rejoint le col où la pointe de l'aiguille acérée touche l'horizon.

Jean Prod’hom


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Mottier C (Mont-sur-Lausanne)

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Décor de film muet pour personne seule ; des filets d’eau perlent en deltas sur les carreaux des deux fenêtres du petit salon ; seuls chants, ceux de la gouttière de zinc percée et des vieux radiateurs. La corbeille à bois est vide, sur le rebord de la cheminée traînent un morceau de hêtre cironné et une écorce de frêne tuilée, sur le manteau une aquarelle. Dehors les couleurs n’ont pas résisté, elles se sont assombries à force de mélanges, les crépis de l’ancienne remise gorgés d’eau font une pâte épaisse, le rimmel coule le long du chemin à double ornière. C’est un temps à salamandre, petites algues dans ses yeux d’airelles.

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Jean Prod’hom

Saint-Prex

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Elle ne m’en a jamais autant dit ; fallait-il encore que je l’entende. C’était en réalité impossible pour la simple et bonne raison que nous ne faisions qu’un.

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Il aura fallu qu’elle meure et que le temps passe pour que nous fassions deux, et que j’apprenne à lire par-delà son absence, sur les lèvres et dans les yeux de celle qui aura été bien plus qu’une mère, ce quelque chose qui n’a jamais été dit, qui ne pouvait être dit, j’entends le secret de tout un chacun, celui qu’elle a laissé filer entre ses doigts pour aller plus loin, parce qu’il faut bien un jour renoncer à l’impossible qui nous fait vivre et qui ira nourrir la vie de nos enfants, les enfants de nos enfants, ceux du passé et ceux de l’avenir.

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G. Gloor de l’entreprise W. A. Schnegg, photographe à Chauderon, avertit celle qui deviendra ma mère, dans un mot du 18 juin 1951, qu’elle passera à Saint-Prex le jeudi 21 pour lui montrer les photos qui sont toutes bonnes. Elle sera là vers 13 heures, à moins qu’il ne pleuve. Que les élèves qui souhaitent des copies soient prévenus et apportent de l’argent, c’est 25 à 30 centimes la copie. En cas de pluie elle les enverra par la poste.

Jean Prod’hom

Vuarrengel

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S’il y a motif à à s’interroger sur les Rectifications de l’orthographe parues dans le Journal officiel de la République française, le 6 décembre 1990, ce n’est pas tant à cause du toilettage frileux d’une langue encombrée, dont les scandalisés n’ont, pour beaucoup, pas pris connaissance de la teneur, mais à cause du lobby des médecins qui ont voulu, j’imagine, que le nom de leur profession fasse bande à part, ne s’aligne pas sur la règle du è devant une syllabe contenant un e à valeur zéro.

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Une demi-heure pour aller de Corcelles-le-Jorat à Valeyres-sous-Montagny en passant par Villars-Mendraz, Peyres-Possens, les fonds de la Menthue, Fey, Vuarrens, Vuarrengel, Essertines et Yverdon. Une autre pour en revenir à 10 heures, sous la pluie. Une troisième pour y retourner à 15 heures, sous la neige. Une quatrième pour en revenir avec Louise et Lili.

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Celle que j’appelais tante Lucie, qui était en réalité une grande tante, soeur du père de ma mère, envoie de Villarzel un mot à celle-ci le 2 mars 1975, lui signalant que la platebande est toute fleurie et qu’elle prépare une salade de dents-de-lion qui ont bien poussé. Elle l’informe en outre qu’elle lui enverra sous peu un napperon qu’elle a réalisé avec les serviettes d’Hortense, morte en 1966, mère de ma mère. Elle joint à son mot une lettre que celle-ci a écrite alors qu’elle devait avoir cinq ou six ans et vivait avec ses parents et ses soeurs à Marcelin où Louis son père avait été engagé comme chef de culture à l’Ecole d’agriculture.

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Dernières négociations dans la Grande salle de Mézières autour des quelques chardonnerets qui n’ont pas été vendus, en portugais, italien, français, espagnol, arabe. Il est peut-être question du marché d’El Arrache à Alger, des concours de chants à Agadir, de Naples, de Tunis. Entre 2005 et 2015, la France a perdu la moitié de ses chardonnerets, capturés dans la glu ou des filets tendus à côté d'un mâle qui chante emprisonné dans une cage. On raconte que les chardonnerets ont disparu d’Algérie.

Jean Prod’hom


Quai Perdonnet (Vevey)

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Il y a dans la nuit quelque chose qui nous unit.

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J'espère que ta santé est bonne, cher Fritz, et que ta jambe ne te fait pas trop souffrir. Et pour vous Heidrun et Jérôme, une belle et douce saison dans votre maison et jardin d'Eden.

Dénia, Guatemala, Rio Dulce,1990

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Couper court. Et instiller dans l'écriture la voix dont le poète s’est délibérément privé pour aller au-delà de lui-même et de ses fantômes. En rapatriant dans la langue ce que la voix ne cesse de recouvrir de son bruit : vent, rumeur, échos, fontaine. C'est alors que la voix, dans l'écriture, devient chant.

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Jean Prod’hom

Grande salle de Mézières

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Brume au Mont tout l’après-midi, le soleil tombe à pic. Je parque devant l’église de Mézières, les places y sont rares. La Grande salle accueille la Grande Bourse organisée par le club Oiseaux des îles. Elle se prolongera jusqu’à dimanche.

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Les portes viennent de s’ouvrir, il est 17 heures, je m’y glisse. Il y a à vendre une quantité d’oiseaux exotiques, mais aussi des linottes mélodieuses, des mésanges à moustaches, des tarins des aulnes. Il y a aussi des bouvreuils pivoines et des chardonnerets élégants ; les premiers – plus petits que les vrais –  semblent en bonne santé, à l’inverse des chardonnerets qui ont petite mine, ils donnent l’impression d’avoir mal supporté le transport, sortis d’une de ces armoires vitrées et poussiéreuses dans lesquelles on a relégué pour toujours, à l’arrière des salles de préparation des cours de sciences, les animaux empaillés. C’est triste.
Tristes, les amateurs le sont moins. Je fais la causette avec un Portugais établi à Neuchâtel, qui les élève depuis plusieurs années ; avec un Tunisien qui revient d’une bourse à Reggio Emilia où il a laissé plus de 2000 francs pour un couple de mésanges, des chardonnerets jaunes, des chardonnerets élégants, des métis ; pas de bouvreuils, trop chers : ils se négociaient en effet à près de 800 francs.

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Un homme nous rejoint, il connaît le Tunisien ; ils se montrent ensemble très critiques à l’égard des chardonnerets mis en vente. Le nouveau venu vante alors ceux que les Napolitains élèvent ; c’est en Campanie, dit-il, qu’on trouve les plus beaux. Le Tunisien hoche la tête en souriant, normal, le nouveau-venu est de là-bas. Né au pied du Vésuve où il a passé son enfance, il a toujours vécu avec ces oiseaux, ils font partie de sa vie, aujourd’hui encore à Lausanne. Le Portugais nous raconte alors la passion de ses compatriotes, presque aussi dévorante que celle des Algériens dont on dit que coule dans leurs veines le sang des chardonnerets.
Le Napolitain n’en achètera aucun à Mézières, ni à Bruno qui les vend 50 francs pièce, ni à Fernando qui en demande le double. Lorsque je m’en vais, le Tunisien est en train de négocier l’achat d’un métis, né du croisement d’un chardonneret et d’un canari. Je ramasse quelques plumes et m’en vais, il fait nuit.

Jean Prod’hom

Mottier D (Mont-sur-Lausanne)

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On ne répétera jamais assez, les architectes qui ont réalisé nos bâtiments scolaires ont fait du beau travail. Leurs constructions résistent aux intempéries, fournissent à nos gamins un abri sûr qui aura permis aux officiers de l’instruction publique d’agir par n’importe quel temps, au diable les saisons. C’est la première de leurs vertus.

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Pas que ! Les gamins ainsi mis en quarantaine ont tiré d’autres bénéfices de cette opération, immenses, notamment celui de leur permettre de s’écarter du flux qui les emportait, de décoller leurs yeux de l’immédiat, de faire quelques observations, guidés par les maîtres qui les avaient circonscrites puis neutralisées, de refaire les analyses en vogue, d’objectiver les caractéristiques qui ont fait leurs preuves, de toucher enfin, du bout des doigts, l’universalité.
Cette mise en quarantaine – personne ne compte plus les heures – n’aura pourtant pas été sans danger. Certains de nos gamins se sont en effet mis à penser que le réel – que l’on croyait leur donner à voir – n’était en réalité qu’une extension approximative du laboratoire dans lequel ils avaient été formés, une extension aux bord flous, un fantôme qui n’avait pas su se plier à l’étanchéité et à la docilité de la pièce chauffée dans laquelle ils avaient grandi et pensé.
Certains parmi nous se sont inquiétés : en isolant le savoir de son bourbier, en déconnectant la connaissance de son énonciation et de la communication qui président à son élaboration, on risquait de séparer pour toujours la fleur du terreau qui la nourrit, d’ignorer les greffes et les mauvaises récoltes, les sécheresses et les années d’abondance.
Nous nous sommes alors avisés qu’il devenait toujours plus difficile de maintenir le pont qui tient ensemble l’ordre de la connaissance et celui du réel, que les savoirs aseptisés dans lesquels nous baignions nos gamins constituaient toujours davantage un piège qui les amenait à faire toujours moins de crédit à l’ordre premier qui les avait vu naître et dans lequel ils étaient appelés à retourner. Si bien que le laboratoire dans lequel nous les avons nourris pour qu’ils ne restent pas dépendants de leur immédiate ignorance, pour qu’ils s’en affranchissent même et goûtent à cette double vue sans laquelle on ne voit rien, s’est refermé sur eux comme une nasse, les menaçant d’une double nuit : celle d’une connaissance détachée des objets de l’expérience, celle d’un réel livré à la passion.

Jean Prod’hom

Valeyres-sous-Montagny

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Sortir des sentiers battus n’est pas aussi difficile qu’on le dit ; il suffit de faire passer ses occupations au second plan, rendre service à l’autre, lui obéir même, ou lui laisser l’initiative. J’en fais l’expérience aujourd’hui encore, en conduisant Louise et Lili à Valeyres-sous Montagny où se sont établis Gwenaëlle et ses chevaux ; je connais si mal ce coin du canton que je me réjouis des mois qui viennent, des quatre heures hebdomadaires mises à ma disposition suite à ce déménagement, riche de me retrouver chaque semaine là où je n’aurais jamais dû être.

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Je les dépose Sur le Côteau où Delphine les accueille, souriante, puis fais une halte – il faut bien commencer par un bout – dans le seul café de la commune : le Centre sportif. La tenancière m’informe qu’un second établissement devrait bientôt voir le jour, plus bas en direction d’Yverdon.
C’est mercredi, personne dehors, un rouge-gorge disparait dans une haie de thuyas au moment où, si près, j’aurais pu m’en saisir ; mais pour en faire quoi ?
Dans l’immense halle, les courts de tennis sont réservés aux enfants, des novices aux motivations diverses. Mais beaucoup donnent l’impression, grassouillets ou maigrelets, de se livrer à des exercices de rééducation, envoyés par des pédiatres ou des parents soucieux de leur santé. On a d’ailleurs retiré du groupe les graines de champion. Je continue ma lecture de l’ouvrage de Jankélévitch sur la mort, avec un certain plaisir ; il donne en effet une couleur singulière aux événements que j’ai sous les yeux.
J’en ai assez vu au milieu de l’après-midi, assez lu aussi, je vais me rincer la tête dans les eaux thermales d’Yverdon-les-Bains. Je ramasse les filles à un peu plus de 18 heures, enchantées, les dépose au Riau avant de rejoindre Anne-Hélène et Yves à Paudex pour un débriefing autour d’une fondue.

Jean Prod’hom

Valleyre (Mont-sur-Lausanne)

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Silence ineffable sur les bords de la Valleyre, à laquelle me conduit l'allée de l'église et que je remonte, entre 10 heures et midi, jusqu'au Pont Saint-Michel. Je souffle comme un loqueteux, ramasse quelques tessons qui ont aussi peu d'attrait que mes jours, à l'image de ces bois défaits et détrempés. Je tousse, ranquemèle.

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Silence indicible à la librairie de la Proue, silence de cathédrale, la molasse part en miettes. Beaux crépis dedans, les livres sont fermés à double tour, comme des parpaings.
L'armurier Forney me donne envie d'en savoir plus sur le fusil à lunette, noir Soulage, que j'aperçois derrière les couteaux à cran d'arrêt exposés dans la vitrine, œuvre d'art sur son socle, le patron déballe des cartons à l’avant d’une annexe creusée par un jeu de miroirs et des lumières franches. Il n’y a rien à dire, Forney armurier c’est , depuis cinquante ans que j’y passe, le top des boutiques des Escaliers du Marché, la seule qui fait rêver.
Le Barbare est ouvert, pas si barbare que ça, des couples grenouillent. ; je bois un café glacé puis achète une tondeuse de coupe BabylissPRO FX660SE dans une boutique de la rue du Maupas réservée aux professionnels de la coiffure.
Je m’arrête encore chez Antipodes, raconte mes âneries et misères à Suzanne et Claude qui m’écoutent avec bienveillance. Il est 18 heures passées lorsque je les quitte.
Parking devant la salle de gymnastique de Saint-Martin, je tapote le nom de Forney sur mon iPhone en attendant Lili, Google me dirige vers le site de Benoît Violier qui a fait un portrait attachant de l’armurier lausannois de sixième génération. Le billet s’intitule : un métier d'art, de précision... et d'émotions.
Curieuse journée, petite vendange.

Jean Prod’hom

En Marin (Epalinges)

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Il m’arrive de lire comme d’autres naviguent par gros temps sur des mers tumultueuses, inconnues, piquées d’innombrables îles, à la recherche d’une anse qui leur offrirait un abri. Mais la plupart des îles, coupantes comme du verre, tiennent éloignée leur lourde embarcation ; les autres, désertes, sont bien trop hostiles pour qu’ils songent un instant y faire halte et s’y reposer.

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Et pourtant ils cherchent et croisent encore dans les parages, espérant toucher enfin une rive hospitalière, qui leur rappellerait d’anciens séjours et leur promettrait un asile pour établir la carte de ce mystérieux archipel.

Voici d’abord pour la rétrogradation : la création va soudainement du non-être à l’être, le non-être étant son point de départ, et la mort, thaumaturgie inversée, va en une fois de l’être au non-être, le non-être étant son point d’arrivée : c’est donc la direction, c’est le sens de la flèche qui est, dans la mort, interverti ; le processus vital, peu à peu ralenti par le vieillissement, finit par tourner court et rebrousse instantanément chemin vers son origine.

La mort, disions-nous, n’est pas de même signe ni de même sens que la plénitude positive des expériences vécues, mais est de signe et de sens inverses. Aussi ne sert-elle pas à faire comprendre cette plénitude, mais bientôt à la faire mécomprendre.


Je me fais à cette lecture de La Mort de Vladimir Jankélévitch, passe une grosse heure et demie sur le parking de l’école, crayon en main, griffé, pincé, secoué par les chicanes du philosophe ; je fais miens quelques passages que je souligne en marge, et qui deviennent comme des comptoirs où je reconnais quelques intuitions qui ne me sont pas étrangères, avec le sentiment que le sage n’aurait pas repoussé ma coque de noix et ne se serait pas moqué de mon ignorance qui tient bon.

Jean Prod’hom