mars 2016

Largo dei Librari

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Il fait bon à 9 heures sur la terrasse de l’Ape Bar, dans l’ombre du Largo dei Librari, un cappuccino pour les plus grands, un thé pour Lili ; on fait quelques photos. Promenade ensuite le long du Tibre, jusqu’au pont Fabricius où j’abandonne Sandra et les enfants qui le cambent pour une partie de shopping dans le Trastevere. Je me hasarde du côté du théâtre de Marcello, prend deux tickets dans un bar de la place et monte dans le bus 63 qui traverse Rome du sud au nord.

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Il m’emmène bien au-delà de midi et du parc de la villa Borghese : par Buenos-Aires et Mongolia jusqu’à Ojetti et Rossellini ; des enfants en montent et en descendent, ciao ciao, c’est l’heure de manger. Il ne reste bientôt que le chauffeur et moi, je descends en bout de ligne, dans un poudingue de friches et de bitume, de mauvaises herbes et de coquelicots. Je ne m’attarde pas, l’endroit est d’autant plus inquiétant qu’il est sans danger et qu’il n’y a personne. Je marche une demi-heure dans un paysage soustrait de chez les vivants ; quelque chose pourtant remue, sans que je sache si ça pousse du côté des ruines, ou si celles-ci sont sur le point de se relever.
Au milieu de rien s’élèvent derrière un grillage un parc pour enfants, carrousels et auto-tamponneuses, balançoires et une gare routière avec un bar ; j’y bois un café.
Une demi-douzaine de contrôleurs montent dans le bus du retour, nous sommes cinq ; je tends mon billet à une dame qui fait son boulot sans trembler, mon voisin de devant montre le sien ; le pauvre vieux du fond du bus ne sait pas trop quoi répondre aux deux individus qui le cuisinent, une dame répond aux mêmes questions, du bout des lèvres, sans regarder ceux qui prennent des notes.
Je prends le métro à Conca D’oro, direction plein sud, avec l’intention d’en sortir pour jeter un coup d’oeil aux bâtiments que Mussolini fit construire pour l’Exposition Universelle de 1942, mais c’est finalement du côté de Saint-Paul que je reviens sur terre, pas le temps d’aller jusqu’à l’EUR, une autre fois. Le tombeau du vrai maître des chrétiens est d’une belle sobriété, la chaîne qui l’a contraint à rester à Rome est un beau et fin collier formé de neuf anneaux.
Le bus 23 qui me ramène au centre historique traverse Testaccio, passe sous la pyramide et la tombe de John Keats, longe le Tibre jusqu’à la place San Vicenzo Pallotti. Je fais une dernière halte sur la placette des Librari, il est un peu plus de 16 heures, le soleil plonge derrière les vieux palais décatis qui bordent la via Capo di Ferro, se glisse dans le lit de la Via dell’Arco del Monte qui se jette un peu plus bas dans le Tibre ; une brise se lève avec l’ombre, le frais revient, avec dans le dos la façade blanche de l’église dédiée à Santa Barbara, sur la pierre de laquelle le soleil s’attarde. En face le siège historique du PCI et de son allié le Parti démocratique, avec un exemplaire de l’Unità du jeudi 31 mars, Antonio Gramsci avait un peu plus de trente ans en 1924. En page une, la photographie de Gianmaria Testa, il cantautore dei dimenticati.
C’est l’heure, je retrouve Sandra et les filles, on ramasse nos valises, en route pour Fiumicino. Le chauffeur du taxi nous parle des manifestations du jour, des contrats de travail et du derby de dimanche prochain entre la Lazio et la Roma. J’obtiens confirmation, l’équipe de Rome s’entraînait avant guerre sur le terrain en friche aperçu hier à Testataccio. J’écris ces mots, il est bientôt 21 heures, l’avion a deux heures de retard.

Jean Prod’hom

Testaccio

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Aussi longtemps qu’on t’arrête sur la voie publique pour te refiler, contre 5 euros, un selfie-stick, une paire de lunettes ou, s’il se met à pleuvoir, un parapluie, c’est que tu n’es pas chez toi. File ! Va plus loin ! Il y a, au sud de l’Aventin, un quartier ouvrier, de vieilles friches industrielles et un cimetière pour ceux qui n’ont pas droit de cité ; tu y parviendras en longeant le Tibre, laisse-toi couler comme les goélands qui descendent à Ostie. Arrête-toi au Ponte Sublicio, tu es à Testaccio. Antonio Gramsci y est enterré, tout près d’un jeune poète anglais. Il a voulu, le malicieux, que soient gravés dans la pierre les mots suivants : Here lies One Whose Name was writer in Water.

Jean Prod’hom


2.

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Le Vatican

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Salle des cartes, province par province, celle de Sicile : Catane, Milazzo et les îles éoliennes, le Vulcano crache des flammes.
Pinacothèque, siècle par siècle : dans la main du Christ une poire, ou rien, ou un pic-vert ; trois oeillets dans un vase en piteux état, peu de lumière.
Du bleu enfin, le bleu du Jugement de la Chapelle Sixtine, du bleu de haut en bas, la mer, et puis celui de l’habit de Marie et, par le grain, trois natures mortes de Morandi.
Pour finir, bâclés, deux chardonnerets surpris par l’averse, peints sur les battants de deux armoires qui se succèdent dans un interminable couloir. De l’air, de l’air. Dehors, le visage de Pasolini sur l’une des piles du Ponte Sant’Angelo et un pêcheur sur la rive droite du Tibre, il y passera la journée.
Rome n’est pas dans Rome, partout des coulées de lave et une voix qui demande le silence sans jamais l’obtenir.

Jean Prod’hom


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Giorgio Morandi, Nature morte italienne,1957

Forum

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Théâtre Marcello, Capitole, Colisée, Ghetto, partout des mains qui se tendent, des visages qui se tordent et des cloches qui sonnent.

Jean Prod’hom


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Campo dei Fiori

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Vingt ans après : Fiumicino, Vicolo del Bollo, Campo dei Fiori, Area Sacra Torre Argentina et Piazza Farnese. Le Tibre, Santa Maria in Trastevere, Piazza Navona, Eglise Saint-Louis des Français, Trevi, Piazza di Spagna.

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Jean Prod’hom

Je devine derrière les lourdes persiennes

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(Poèmes de Monsieur)

Je devine derrière les lourdes persiennes et le ciel transparent, plus loin encore, les jours capricieux qui roulent des piécettes d’argent, le ruisselet et les pâturages, les myrtilles de Planajeur, le beurre d'Emaney, tandis qu’un interminable cortège déroule dans la plaine ses saveurs monotones ; ligne droite réglée sur les digues du fleuve, que regardent passer depuis l’ancien chemin de halage une poignée d’hommes indisciplinés. Mais le jour bientôt se lève, sur la mer et ses îles, ondule et pousse sa vague bien au-delà du soir.

Jean Prod’hom


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Monika Langhans, Copeaux de bois, Riau Graubon

Génie helvétique (Chalet des Enfants)

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Coup double.
D’abord ceci : Madame la Municipale m'a remis le cahier des charges pour la rédaction de la brochure communale à l’attention des candidats à la naturalisation. Je m'étais montré intéressé lors de l'apéritif servi à l’occasion de l'inauguration des nouveaux bâtiments scolaires. Elle m’a relancé l’autre jour, j'ai accepté tout à l’heure : les élèves de 10P concevront et réaliseront la brochure qui sera donnée aux candidats à la naturalisation : institutions (démocratie, fédéralisme, Etat de droit, la Suisse dans son environnement international), histoire (fondation et extension, domination bernoise, grandes dates) géographie (Suisse, cantons, canton de Vaud, démographie, régions naturelles, bassins fluviaux, lacs, langues), commune (autorités, population, alentours, sociétés locales) et actualité.
Qu'une commune fasse confiance en ses propres enfants pour un tel travail me ravit. Ce sont eux en effet les plus aptes à faire entendre ce qu'ils sont en train de découvrir : le milieu dans lequel ils sont nés et vivent, objet complexe s’il en est, en usant d’outils que l'école sépare artificiellement. Avec pour objectif, celui de réduire le génie helvétique en une trentaine de pages.


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Second miracle ensuite : une dizaine d'élèves, après plusieurs semaines de palabres et d'errances, ont rédigé entre deux et trois la première version d'une initiative fédérale qu'ils vont déposer et défendre en novembre prochain à Berne.
Elle vise à donner une réponse à la peur qu’ils éprouvent devant l’étranger, et plus largement face celui qu’ils ne connaissent pas. Selon deux directions : la première, finalement abandonnée, visait à multiplier les contrôles aux carrefours et à surveiller les allées et venues de chacun pour mettre dans la foulée la main sur l’assassin ou le pédophile, et lui infliger la peine qu’il mérite. Avec la conviction que les sanctions encourues feraient hésiter puis renoncer ceux qui sont sur le point de désobéir.
La seconde direction, finalement retenue, remonte aux sources ; elle vise à combattre la peur en offrant à chacun l’occasion de s’approcher de celui qu’il ne connaît pas, en aménageant des lieux pour accueillir l’un et l’autre, en imaginant des activités qui favoriseraient les échanges. Mouvement d’intégration donc. Mais les élèves se sont rendu compte que si la mise à disposition de ces lieux, l'organisation de ces fêtes, l'encadrement de ces manifestations, entraînaient des coûts, ils pouvaient être en même temps à l’origine d’économies importantes dans le domaine social – qu’ils sont bien en peine de chiffrer. Ils ont compris également qu'il serait contrindiqué d'obliger quiconque à entreprendre de telles actions, qu’il serait au contraire préférable d'encourager et d'aider ceux qui voudraient s’y engager ; c’est le rôle de la Confédération. Aux cantons, aux communes, aux institutions le soin de prendre des initiatives et de mettre en oeuvre leurs projets.
Voici en primeur la première version du texte de cet article 42, que les élèves proposent d’ajouter à la Constitution fédérale de la Confédération suisse :

Titre 2 Droits fondamentaux, citoyenneté
et buts sociaux

Chapitre 3 Buts sociaux

Art 42

La Confédération encourage et subventionne les projets des cantons et des communes favorisant l’intégration sociale de tous.

Des semaines de travail, de discussions, de tensions, d’engueulades, d’incompréhension. Au bout une seule phrase qui danse, aussi belle et profonde que le plus beau des poèmes. Je crois bien que ces chenapans ont touché cet après-midi, par je ne sais quelle grâce, au génie helvétique.

Jean Prod’hom

Ce qui me manquera à la fin

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(Poèmes de Monsieur)

Ce qui me manquera à la fin, ce n'est pas tant les rivières ou le ciel, les prés ou les bois que j'irai rejoindre – , mais la ville et ses inconnus, la ville qui s'éloigne là-bas, la promesse qu'elle représente.

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Jean Prod’hom

Artère de l'enfer (Dick Annegarn)

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Aujourd’hui à Bruxelles, quelques enfants qui ont trop vite grandi ont occupé pour le pire, sanglant, mortel, le haut du pavé. Ces enfants-là comme tous les enfants n’aimaient pas perdre, ils ont appris sur le grill quelques mots-éclairs qu’ils ont criés avant de mourir dans une langue dont ils ne savaient rien, une langue qui leur a offert, à eux les analphabètes, un peu de ce que leur propre langue ne leur avait pas donné, une main courante et des points d’exclamation, pour tout foutre en l’air, des femmes, des enfants et des hommes ; ils se refusaient au jeu des questions et des réponses, ça ne leur a jamais convenu ; ils se sont explosés, pas de dialogue, ils sont morts.

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On aimerait revenir en arrière, leur raconter des histoires, trop tard ; c’étaient des gamins sans personne, abandonnés sans le savoir. Alors le regret, le pardon, ils ne connaissent pas. Qui ? Ils ne comptent pour rien, ils sont morts. Personne ne les a pris au sérieux, croyant dur comme fer que ces gamins n’oseraient pas, que les digues étaient solides, et que le tu ne tueras pas serait indéfiniment reconduit, la digue a lâché ; scugnizzi devenus voyous, ils sont nombreux à ne plus rien avoir à perdre.
Certains de nos politiques annoncent que la guerre a commencé, méfions-nous ; car il y a les voyous d’en-bas et les voyous d’en-haut, ceux qui n’ont rien et ceux qui ont tout, les uns et les autres souhaitant avoir pour alliés ceux du milieu. Si la société civile accepte de rejoindre sans condition l’appel de ceux qui ont détourné le flux des richesses dans leurs escarcelles pour combattre l’inhumaine violence des voyous égarés d’en-bas, je crains le pire. La violence sans fond que nous n’imaginions pas, ou que nous croyions avoir détournée ou même vaincue pourrait bien avoir trouvé un nouveau terreau.
On demande la croissance, mais la croissance de quoi ; tout cela pourrait mal tourner. La tâche est immense : nous avons désormais à assister non seulement les proches des victimes, mais aussi les petits frères et les petites soeurs des assassins, ils pourraient venir grossir leurs rangs ; il convient également de détourner d’une manière ou d’une autre les richesses de ceux qui ont trop en direction de ceux qui manquent de tout sans quoi...
La guerre qui menace, ce n’est pas la guerre entre ceux du bien et ceux du mal, mais celle de tous contre tous. Et il y a des jours, des mots, des jugements, des empressements, des assurances, vous en conviendrez, qui la rendent dramatiquement plus familière.

Jean Prod’hom

Place de la Croix-Blanche (Epalinges)

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Donner en marchant
un rythme à sa lassitude
qui, bientôt, s’éloigne en trottinant.


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Le printemps hésitait à s'installer, l'hiver n'avait pourtant pas été rude ; on soupirait sur le seuil des maisons lorsque la neige était tombée pendant la nuit ; certains affirmaient que le merle n'avait pas chanté, d’autres qu’ils l’avaient entendu ; le printemps laissait voir en effet de curieux ratés, faisait – un jour sur deux – un pas en avant, la nuit suivante deux pas en arrière. Chacun s'impatientait sans le montrer, on avait beau ne pas y croire, quelque chose s’était peut-être enrayé. Personne n’osait l’affirmer, on craignait de retarder la venue des beaux jours en se plaignant, tandis que les traînes de l’hiver demeuraient aux lisières. Et soudain, ce dont on avait impatiemment guetté la venue est arrivé sans qu’on l’ait vu venir. Il a suffi de se retourner et de regarder.
Ce matin il fait jour lorsque je pars à la mine, les agneaux gambadent à la Marjolatte, les hirondelles virevoltent au Cheylard, les repousses des saules jaunes hirsutes balaient le ciel, les tout petits ont sorti cet après-midi leur casque et leur trottinette, les plus grands jouent au foot dans la cour du collège, Lili est dans le jardin avec Oscar, les portes restent ouvertes.
Le printemps c'est peut-être cela, cette inquiétude qui remue, ces propos contradictoires, ce mélange de précipitation et de patience ; la crainte que la nouvelle saison ne vienne pas d’un coup, partout et au même instant, et puis cet étonnement qu’elle soit déjà là alors qu’on croyait encore l’attendre.
Les signes de la belle saison sont ses retards, le soleil les éclairera bientôt tous ensemble, semés de couleurs et soudés par le vert, nous forçant à nous réfugier sous l'ombre du tilleul. On se plaindra alors, comme l’année dernière, de la chaleur à laquelle nous n’étions pas habitués et de la poussière sèche sur les chemins de terre.
Le printemps efface dans ses manières d’apparaître tous les repères, il nous amène à oublier et à recommencer, avec la crainte qu’un jour il pourrait, comme le soleil, ne pas revenir.

Jean Prod’hom

Rolle

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Une poignée de moineaux déroulent
quelques mesures du chant du monde,
un papillon applaudit.

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Le ciel s’est couvert pendant la nuit et il pleuvine lorsque je quitte Le Cheylard. Le magasin bio de la rue de la République, plein de bonnes choses de la région, est fermé ; je rentrerai les mains vides.
Sur le plateau ardéchois les abricotiers sont en fleurs, quelques chèvres me regardent, plusieurs mas sont à l’abandon. Quelques dingues de la plaine ont fermé la route sous Lamastre pour faire des essais de formule 3 ; la saison va commencer, derniers réglages, ça fait un boucan de morveux.
Je pensais m’arrêter à Tournon, le brocanteur avec qui j’ai fait la causette avant-hier m’en a dit beaucoup de bien ; mais au fond, chiner ne m’a jamais intéressé. Je continue jusqu’à Romans, monte à Voiron par la nationale et prend l’autoroute. Je crains que cette journée soit à placer dans la colonne des pertes. Je fais une halte à Rolle, longe la plage en direction de Perroy, il convient que je reprenne un peu de couleur avant de retrouver Sandra et les enfants.
J’entends un moteur, un pêcheur se tient debout au milieu de sa barque, file au large avant de suivre la ligne d’horizon en direction de Genève, c’est bon signe. Il suffit de m’approcher de sa cabane, que je me penche... une deux trois merveilles dans la main, et quatre cinq six que je glisse dans la poche. Je change de couleur, ma journée est faite.

Jean Prod’hom

Château de la Chaize (Le Cheylard)

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Cher Pierre,
Grand soleil ce matin au chemin de la Riaille au Cheylard. Je fais une halte sur les bords de la Dorne avant de rejoindre la salle de la Chapelle où Alain Costes, Alain Chanéac, Jean-Gabriel Cosculluela ont organisé une rencontre autour et avec Gilles Jouanard.

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Les hirondelles s'organisent ; et si les génoises bourrées de mortier ne leur offrent plus guère d'asile, les chauffages centraux leur ont libéré quantité de cheminées. Gil Jouanard lit jusqu’à midi.
On se sépare à midi, je vais pour mon compte ; la place est silencieuse, la fleuriste ferme boutique et la caissière de la supérette boit un café sur la terrasse du Central ; j’en commande un, on babille. ll n'y a peut-être de commun au langage et au réel, derrière le bruit et les conventions, que le silence ; mais comment celui-ci pourrait-il venir jusqu’à nous sans ces deux vecteurs ? On bricole, je retourne sur les bords de la Dorne, les hirondelles continuent sans faiblir leur exploration du ciel.
Au retour, debout dans les allées de cette ancienne chapelle, les invités s’entretiennent, remontent les branches d’un improbable arbre spirituel. ils viennent de la vallée du Talaron, de plus haut et au-delà, de Monastier et de Marjevols, de Forcalquier et Saint-Jean-du Gard.
C'est en écoutant Pierre Présumey, lisant quelques-uns des admirables poèmes qu'il a consacrés au fayards, au rugby des villages et à son fils suicidé, que je prends conscience que nous passerions à côté de grandes choses si nous ne croisions pas ceux qui leur ont prêté leur voix.

Jean Prod’hom

Le Cheylard

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Cher Pierre,
Les hirondelles sont dans la ville, grands signes dans le ciel. Elles considèrent avec curiosité la vie d'en-bas et les lambeaux de neige qui fondent sur les rives de la Dorne. Un merle transporte du matériel de construction ; une corneille, un peu lourde, s’éloigne discrètement, à l’insu des oiseaux qui festoient.

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L’ébéniste-restaurateur de la rue des Sabotiers fait entrer un peu de lumière dans son atelier, avec de la térébenthine et de l'alcool à brûler. C’est un tableautin qu'on emporterait volontiers : une femme et un homme debout dans une barque plate tiennent une canne à pêche, à l'ombre d'un sous-bois éclairci par le bleu tourmenté du ciel et celui, plus clair, d'une rivière.
Les portes de l'église sont ouvertes, la terrasse du Central donne plein sud ; je prends quelques notes, suçote des bonbons à la réglisse, le mal de cou ne m'a pas lâché. Les commerces sont fermés, la fleuriste a laissé dans une jardinière un peu de jaune, et d'orange, du rouge et du rose, et quelques-uns de ces verts qui ont lancé au sud, depuis quelques jours, l’offensive générale.

Jean Prod’hom

Tournon

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Tirer du jour
quelque chose,
quelques chose à quoi l’accrocher.

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« Je t'apporte l'enfant d'une nuit d'Idumée ! », écrit Stéphane Mallarmé perché sur les épaules de Ronsard.
« Comprends pas ! », répond l’enfant aux deux poètes de Tournon.

Jean Prod’hom

Au fond du potager

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Ne pas demander au ruisseau de faire déborder la mer,
ne rien demander à la poésie ;
lui faire son lit.

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(Poèmes de Monsieur)

Au fond du potager les douves d’un vieux tonneau ; dans une coupelle sur le radiateur une rave, chaire rose attendrie, vin cuit de sucre candi.

Le langage est mal taillé, ce qui reste le déborde de partout ; j’aboute quelques mots, ni mie ni galets ; cintre les phrases larges d’une barque creuse, sans quille ni lest.

Entre fleurs et ruines.

Jean Prod’hom

Faire quelque chose

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Laisse libre la porte dérobée
du théâtre intérieur,
elle peut un jour servir.

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(Poèmes de Monsieur)

Faire quelque chose, faire quelque chose pour autre chose, s'arracher à l'une pour accéder à l'autre. Jouer, crier, courir, obéir, écouter, lire, dire, séduire.

Les promesses sont des chants et mes égarements des souvenirs. Fini, la parenthèse ne se refermera pas, je sors, lento, du dedans.

Avec quelques mots et beaucoup de blanc.

Jean Prod’hom

Le soleil a décroché

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Retrouve enfin ce que j'avais égaré ;
avec la soudaine conviction
que j'aurais pu m'en passer.

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(Poèmes de Monsieur)

Le soleil a décroché ce matin, comme le cheval aux échecs ; on l'a aperçu un bref instant entre les deux Vanils. Nous sommes plusieurs, dans la maison, à nous tourner avant l'aube du côté de l'orient. C’est moins qu’attendre.

Je suis allé à la fenêtre, puis au parc ; les deux bouvreuils n'y étaient plus, le jardinier taillait les marronniers. On n'a rien dit, nous comptons pour si peu.

C'est mieux ainsi.

Jean Prod’hom


Je suis descendu cet après-midi

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Quelque part à l’intérieur du jour,
une porte.
Elle y conduit.

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(Poèmes de Monsieur)

Je suis descendu cet après-midi à la cafétéria, le soleil lançait ses rayons ; ma voisine de chambre était assise à la table du fond, penchée sur un carnet, un crayon à la main, Samuel un plus loin. Je suis remonté, ils cherchent des mots cachés.

La bise s’est levée, Calou a établi ses quartiers. Il ne s’est pas aventuré très loin, s’enroule dans les plis de la couverture au pied de mon lit. Une paire d’heures, puis s’en va, sans un mot.

Chacun pour soi, dans la lumière, la porte entrouverte.

Jean Prod’hom

Ratvel

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Allégeance,
joli mot
chargé de plomb.

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Les 2000 exemplaires du nouveau Persil consacré à la poésie sont arrivés, soixante-huit pages venues des quatre coins de la Suisse romande. Je les tourne et retourne, découvre à chaque pas les signes du passage d'un poète. Des signes qui ne trompent pas: les blancs, le jeu des majuscules et des minuscules, les bouts de ligne, les enjambements, quelques aménagements personnels, la cuisine.
Pour me faire une image de son état de santé, je suis allé au chevet de sa ponctuation. Première impression : son absence presque complète, ou des points et des virgules en pagaille; la bonne forme des points d’exclamation et d’interrogation; la poussée inquiétante des deux points. Et comme toujours, l’absence symptomatique des points-virgules.

Jean Prod’hom

Deux coups au clocher du collège

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S'il était clé d’évasion,
un seul livre suffirait.
Non non ! les livres ramènent à la maison.

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(Poèmes de Monsieur)

Deux coups au clocher du collège, une rumeur gronde, monte, bifurque ; les cris deviennent clameur, se déplacent comme une nuée d’étourneaux avant de disparaître.

Le parolier a fait sa visite hebdomadaire. Il m’a raconté une histoire dont il ne restait que la charpente. Il ignorait tout du poitrail de la grive.

Un livre est ouvert sur ma table de nuit, ouvert comme une parenthèse. Pas la force de lire, pas la force de le fermer. Pas un mot non plus, me voici bientôt invisible à moi-même.

Jean Prod’hom

Vucherens

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Ni aigre
ni dupe,
un peu moineau.

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Non pas que je sois sorti de la partie, bien au contraire, ou que je m'en sois détourné ou éloigné. Non, les figurants qui occupaient la salle l'ont quittée ; je me retrouve seul, sans histoire et sans décor, coulisses et avant-scène confondues, carrousel immobile délesté du fil des heures, de l’ordre des années et des mondes. Les rideaux restent ouverts sur ce qui ne se représentera pas mais qui se prolonge comme un point d'orgue qui ne faiblirait pas, avec des couleurs et des frémissements qui durent aussi longtemps que la faim et la soif ne me rappellent à ma première nature et à mes obligations.

Jean Prod’hom


Villars-Burquin

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Parti sur le dos d'une libellule,
revenu
dans le ventre d'un Boeing.

Parti dans le ventre d'un Boeing,
revenu
sur le dos d'une libellule.

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Deux écrivains très amis ont eu l’honneur de publier cette année deux beaux livres agrémentés d’aquarelles. Chez le même éditeur. Le premier a rédigé une série de petits textes aussi denses que les trous noirs qui peuplent l'univers, le second trois longues proses aussi lisses qu'une page sans recto ni verso. Tous deux ont placé en tête de leur recueil quelques lignes d’un poète mort il y a une cinquantaine d’années. Le sage – qui n’aura eu l'occasion ni de les lire ni d’en sourire – avait mis toutes ses forces, sa vie durant, à croiser au large du double écueil qui menace la poésie : la transparence et l'opacité.

Jean Prod’hom

Café de la Gare (Chatillens)

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Nouveau coup d’état,
le jour écarlate la nuit.
Besoin de comme si.

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Tiens fermement en laisse ton imagination lorsqu'elle prend les devants, tu pourrais en avoir besoin. L'imaginaire seul est susceptible de jeter ses lumières sur ce qui est de n'en avoir pas.

Tu disposes du reste de ta vie pour restituer le monde que tu fais tourner autour de ton aveuglement. Réjouis-toi, la pilule sera moins amère le moment venu.

Jean Prod’hom


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Bois de Ban (Montpreveyres)

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Anxiété
dans le petit monde de la poésie,
le vide se réduirait.

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Empresse-toi de suivre ce qui te file entre les doigts. Tu l’apercevras bientôt derrière toi. Continue les mains libres.

Le moment s'étire tant et si bien qu’il finit par embrasser la cueillette des cerises, les feuilles qui tombent, ton absence et la supplique des saisons.

Jean Prod’hom

La Croix blanche (La Sarraz)

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On a ouvert le parasol,
le vent soulève ta jupe,
à l’étage un enfant lit.

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A la suite du billet que j’ai écrit hier à propos de Jean-Philippe, Claude me rappelle que la victime ne doit pas être oubliée non plus, ni ses proches. Il se demande si lui-même pourra pardonner un jour à ceux qui ont assassiné une de ses proches parentes et à ceux qui ont fait exploser un de ses amis dans une voiture. Steve note que l’homme que Jean-Philippe a tué ne pourra plus jamais prendre l’apéritif avec celui qu’il croyait être son ami et qui l’a abattu de deux balles dans la tête. Quant à Jean-Marie, il ne nie pas les faits mais écrit qu’un homme doit pouvoir racheter ses peines, que la société doit donner au condamné l’espoir de devenir meilleur.
Claude évoque également Philippe Maurice, aujourd'hui historien médiéviste réputé : Philippe Maurice a passé 20 ans dans les QHS de France, après avoir été gracié par le président Mitterand en 1981 (il avait été condamné à mort). Dans une interview il a déclaré qu'il ne passait pas un jour sans penser à l'homme qu'il a tué au cours d'un casse. C’est dire que ni les années de prison de Jean-Philippe, ni la grâce présidentielle dont le médiéviste a bénéficié ne leur permettront d’oublier leur victime, de la rayer de leur propre histoire, de l’assassiner une seconde fois.
Jean-Philippe le dit à sa manière ; son désir de reprendre sa vie là où il l’a laissée, d’enfiler le polo blanc, la chemise à carreaux verts et rouges, les pantalons qu’il portait le 12 mai 2005 au moment de son arrestation atteste qu’il lui est impossible d’oublier sa victime, qu’il devra vivre avec l’irréparable jusqu’à la fin. Car enfin, il aurait pu vouloir enfiler les habits qu’il portait avant de tuer et ainsi reprendre sa vie comme si sa victime n’avait jamais existé et que rien ne s’était passé.

Jean Prod’hom

L'Union chez Guedes (Poliez-Pittet)

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Il pleut sur la tôle et les fougères ploient,
myrtilles et framboises attendront.
Cueillette sous l’édredon.

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Il s’appelle Jean-Philippe, Jean Philippe Goy, il a été condamné à 18 ans de prison pour assassinat. J’ai fait sa connaissance hier en soirée, sur la RTS. Jean-Philippe a passé dix ans et cinq mois dans le secteur fermé des Etablissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe, il bénéficie aujourd’hui d’un régime plus ouvert, travaille dans la boutique des objets fabriqués par les détenus, située à l’extérieur des murs de la prison.
Il aurait dû, depuis plus d’une année, bénéficier de congés – comme l’article 95 du code pénal le prévoit –, des congés qui auraient dû lui permettre d’apprivoiser la liberté conditionnelle à laquelle il aura droit bientôt et d’éviter les conséquences désastreuses d’une libération sèche. Mais le plan d’exécution de la sanction n’a pas été suivi par les autorités cantonales et, malgré son comportement exemplaire, les sorties lui ont été refusées.

- C’est pas juste, il faut savoir qu’on vit de voir un jour la sortie. On vit d’espoir, il ne faut pas rêver.

Jean-Philippe et ses avocats ont saisi le Tribunal fédéral pour rétablir son droit, lequel a désavoué le département de la sécurité de Genève. Jean-Philippe a pu sortir il y a quelques mois, pour la première fois depuis plus de dix ans. Il a voulu reprendre sa vie là où il l’a laissée. Il a enfilé le polo blanc, la chemise à carreaux verts et rouges, les pantalons qu’il portait le 12 mais 2005 au moment de son arrestation.

- Mon idée, c’était de revenir là où j’ai été arrêté, devant mon restaurant, alors que je prenais l’apéritif avec des amis, de reprendre la conversation là où on l’avait laissée. Pas été possible... tant pis.

Mais tout s’est bien passé, Jean-Philippe est rentré à l’heure, saoulé par le bruit, par ses propres mots, ceux des autres. Son comportement a été irréprochable, il va pouvoir compter les jours qui le séparent de sa prochaine sortie et songer à une libération, conditionnelle puis définitive. L’une des poyas qu’il a peintes a pris les devants, elle est au Vatican entre les mains du pape François.
Jean-Philippe peut rêver, il y a de l’espoir.

Jean Prod’hom

Route de la Moille-aux-Blanc (Corcelles-le-Jorat)

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Va si tu le veux,
j'aurai du retard,
j’ai fait le choix de l'oiseau qui picore.

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Ce n'est pas tellement ce vers quoi tend le chemin - Carrouge ou Ropraz - qui importe, ce n'est pas tant ce que nous allons y faire, puisque tout cela nous le connaissons trop bien et sera bien vite derrière nous.
Non, c’est l'imprévisible qui nous en sépare, ce quelque chose que nous longeons sans y toucher, que le regard caresse à peine, énigme et promesse ; ce sont à gauche et à droite les talus, plus loin les esserts, les friches, les clairières, les bois, plus loin encore un demi-horizon.
Par une curieuse propriété de l’espace, ces tranchées qui ont défiguré la terre, qu'il nous a fallu tracer et creuser pour survivre, que nous empruntons quotidiennement et qui auraient pu faire de nous des taupes, nous ont donné accès de l'intérieur, pour autant que nous tournions la tête à gauche et à droite, à des fourrés secrets et à des échappées belles.
C’est aussi en raison de cette propriété de l’espace que la beauté ne cicatrise pas.

Jean Prod’hom

Arrêt de bus du Riau (Corcelles-le-Jorat)

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Ils sont plusieurs à penser que le ciel ne tient plus ses engagements et que les saisons trahissent leurs attentes. Les modèles sont devenus des caricatures. Beaucoup exigent même un caporal pour surveiller leur succession. Je crois, à la réflexion, qu'elles nous rappellent qu'elles ne renonceront pour rien au monde à la part de liberté qui leur a été octroyée et à laquelle nous pourrions être tentés de renoncer.

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Il a quinze ans, pas de place pour lui ici. Il songe à sa tante d'Alcochete et à ses copains de quartier. Il s'appelle, je crois, João Fernando Pinto Ferreira ; il rêve du soleil, de Porto et de Braga, d'une virée à mobylette entre Sombrado et Cabanelas.

Le collège est fermé, la nuit s’installe. Un merle chante à l’extrémité de la branche d'un érable. A côté d'un lampion qu’on n’allumera pas.

Jean Prod’hom

Corcellettes (Grandson)

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Cher Pierre,
Mars hésite: Bullet est dans la neige, Vugelles-La-Mothe dans le gris, Champagne dans la boue. J’ai déposé les filles à Valeyres-sous-Montagny et longe le lac jusqu’à Corcellettes. Les poules d’eau n’ont pas desserré leur manteau et le camping de Belle-Rive est à l’abandon. Un chasseur de Mauborget campe au café, plaisante avec la sommelière et un bûcheron d’Onnens.

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Je jette, en les écoutant d’une oreille, la matière de la seconde partie d’un texte que je dois rendre à la fin du mois, rapproche des morceaux, en éloigne d’autres. Le chasseur parle du lynx qu’il a aperçu à deux reprises au Soliat, des sangliers qui ont labouré les pâturages, ajoute que leurs ravages ne seront pas sans conséquences : des huitante génisses qu’il a l’habitude de garder l’été à la montagne, il en laissera vingt en plaine, pas assez d’herbe. Trop de signes de mon côté, il va me falloir élaguer, resserrer, abréger, réduire: passer de six à trois milles signes. Je diffère cette opération à des jours meilleurs. J’ouvre un message dans lequel Claude me parle d'un collectif – Le Cran Littéraire – dont les Editions Antipodes font partie, association pour la promotion de la littérature en Suisse. Une artiste-plasticienne, qui a lu Marges, serait intéressée par une performance autour de ce bouquin. Claude me propose qu’on se rencontre un de ces prochains jeudis. Je vais illico faire un tour sur les sites de cette artiste et de cette association – liée à La Nouvelle Librairie La Proue et Le Courrier.
Pour autant que cette artiste assure l’aspect performatif de la performance, je ne vois aucun inconvénient. Mieux, tout cela est imprévu, forcément amusant ; sans compter que, s'il se réalise, cet événement n’aura lieu qu’en automne prochain. Lorsque je quitte Ma p’tite folie – c’est le nom du café – le poêle à bois est chargé jusqu’à la gueule, il fait bon et les conversations sont animées. Dehors il fait toujours aussi cru mais la neige a reculé, on voit même un coin de ciel bleu sur Neuchâtel. Et si le blanc, le gris et le noir se superposent sur les pentes du Jura, c’est désormais plus haut qu’ils déroulent leur ruban. www.lesmarges.net

Jean Prod’hom

Avant qu'on m'accueille ici

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(Poèmes de Monsieur)

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Avant qu'on m'accueille ici, à bonne distance du ghetto urbain où se négocient nos sursis, je suis retourné dans les endroits qui ont nourri les peurs que j'ai voulu fuir et qui m'en rendaient captif. Il fallait bien qu'un jour mourir réintègre vivre au voisinage des bois et des clairières ; c’est là sur le seuil, dans la passe que l'horizon soudain s’est élargi.

Froissements de semelles sur la neige, claquement de portière, le bus démarre. Calou sommeille sur un coussin au pied du lit, les tulipes rouges ont perdu leurs pétales. La nuit tombe, l'écran de la télévision donne à sa manière des nouvelles du monde.

Je me souviens de la Haute Engadine, les montagnes se dressaient sous le ciel flambant neuf et nous, couchés dans la mousse et le trèfle, entourés de linaigrettes, nous regardions la paix descendre des sommets, en chute libre, et nous la sentions respirer dans le ventre de la terre.

Jean Prod’hom