mai 2010

Dimanche 30 mai 2010



Il est un peu plus de midi et je traîne depuis ce matin dans l’un de ces culs du bout du monde dont on croit toujours que le destin va vous épargner la visite et auxquels on touche pourtant deux ou trois fois dans sa vie par une succession de hasards. Il faut donc s’estimer heureux, pour autant qu’on ait l’esprit libre et qu’aucune passion ne vienne allumer le regret d’avoir perdu son temps : ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance d’être l’hôte des locataires d’une impasse d’après la fin du monde.
Il a plu tout le matin et je n’ai vu personne encore dehors. Terres autrefois gagnées sur les bois noirs qui bordent la rivière, elles n’ont vu pendant des siècles qu’un ou deux fermiers aux commandes de fermes cossues. D’autres défricheurs sont venus depuis, ont épilé la vallée, bosquets, haies y ont passé. Ils ont déroulé le bitume et construit des villas par dizaines que les nouveaux riches des petites villes voisines ont dessiné à l’image de leurs constructions enfantines : laides et originales, murs épais et crépis talochés, projetés, écrasés, grattés, gros grains, pierres apparentes. Bleu, rose et vert pâle, toutes à bonne distance les unes des autres. On a sombré dans la laideur, impossible que la vallée s’en remette. Tout est déjà en ruines, ils pourriront là.
Deux grosses dames mangent une assiette de crudités. Elles sont du coin. Assises face à face, elles concassent comme des noix leurs amies d’hier à la table ronde de l’auberge du village, dans un dialecte qui désarticule leurs mâchoires. Leur front dégouline, je ne comprends rien. La méchanceté fait briller les verres de leurs lunettes aux montures noires et droites. elles ont écarté le quartier de melon qui a la couleur du saumon, trop mou à leur goût, rien à ronger. D’ailleurs on ne voit pas leurs petites dents acérées sous la menace desquelles les deux sorcières ouvrent la bouche pour faire gronder des sons gutturaux et des voyelles grimaçantes. Elles serrent dans leurs mains dodues un verre de bière. Elles en veulent beaucoup à leurs amies, mais la plus grosse plus que l’autre.
Elles étaient là quand je suis entré, je ne les verrai pas sortir, il vaut mieux. Dedans et dehors le spectacle est terrible. Et je ne vois pas d’issue

Jean Prod’hom

Conciliabule



Plus rien ne colle exactement et les choses qui ont entraîné dans leur sillage les restes d'une journée à peine commencée sont toutes déjà là-bas, adossées à l’horizon, grégaires sans l'être, pas un mot, nulle complot, nulle conspiration, aucun avertissement non plus. Elles se sont éloignées comme les nuages dans le ciel poussés par le vent, et c’est tout. Lorsqu’elles auront basculé derrière la ligne d’horizon, ce sera trop tard. Que faire en attendant? Il serait fou de ne pas réagir, de se laisser happer dans le vide qui se creuse sous nos pieds, impossible pourtant de rejoindre les nuages dans le ciel. Comment durer jusqu'au soir? Comment lier le soir au matin?

En faire trop les ferait fuir, courir derrière elles ne conduirait à rien. Plutôt maintenir coûte que coûte cette distance sans rien vouloir changer pour l’instant, ne rien corriger, maintenir la tension vivante. Il serait naïf de penser qu'elles pourraient répondre à notre appel, se retourner et nous attendre, mais ça on le savait déjà avant, on s’en rend compte aujourd'hui avec une espèce de frisson qui leur rend dignité et loyauté. Naïf aussi de leur prêter une voix qu’elles n’ont pas, au mieux leur prêter une voix qu'on ne connaît pas.

Ce n'est pas qu’elles se taisent, mais on n’est pas avec elles. Elles murmurent même, le vent, la lumière, les éclats, mais elles sont à leurs affaires – on n'y est pas –, dans un halo qui les maintient à l’écart et fait trembler notre raison. Il convient de tenir bon et de s’en satisfaire. Les choses sont retournées à l’ancêtre d’un récit sans queue ni tête, dévastation muette, et laissent debout celui qu'elles ont débarqué avant le lever du soleil, passager hébété qui a trop posé de questions, debout en voie de disparition, effaré de ne pas être de la partie, statue de ciel. On ne s'est pas retourné à temps et on a laissé filer le vaisseau, planté dans le pot au noir d'avoir trop marché avec les choses, mais à reculons, manquant de ce courage d'aller avec elles dans le sens qui est le leur. Mais qui nous a enseigné ce courage?

De nous être retourné continûment sur ce qu'on croyait nous avoir été donné, de ne pas être allé de l’avant dans le vide qui nous salue à l'aube, le silence qui accompagne le froissement de nos semelles sur le chemin de terre, nous a mis, lorsqu'on s'est enfin tourné vers ce qui s'en allait devant, l'enfer dans le creux de la main. C’est à prendre ou à laisser et on prend. Plus d’élégie ou de lyrisme mais un bateau qui s’éloigne et nous en rade, qu’il ne s’agit ni de rejoindre ni de retenir, parce que le silence qui s’enfuit, c’est aussi celui qui est là. On aura à prendre son parti et le parti des choses, et dire avec les mots qui nous restent ce qui manque, c'est-à-dire ce qui est, et le disant mieux dire ce qu’elles sont.

Jean Prod’hom


André Dhôtel : La Vie d'Arthur Rimbaud



On y va d'un bon pas et on en revient dépaysé, léger, raccommodé, à mille milles des sommes habiles, intelligentes, brillantes parfois, complètes naturellement, mais trop lourdes pour ne pas tomber des mains. C’est un livre écrit gros pour les derniers de classe, incapables de lire des livres qui ne ramènent pas le plus étrange sous la plante de leurs pieds. C’est un livre d’André Dhôtel qui a déroulé une première fois La Vie d'Arthur Rimbaud en 1964. Les Éditions de l’Œuvre rééditent aujourd’hui ce texte qui s’effeuille comme une marguerite et qui fait voir feuillet après feuillet le destin d’un égaré généreux, dans les Ardennes d’abord, n’importe où ensuite. Il fait voir ce destin deux fois, c’est-à-dire enfin, deux fois Charleville, deux fois Vouziers, deux fois Attigny, deux fois la Meuse, deux fois Roche où, lorsqu’Arthur Rimbaud y rejoint les siens pour trouver un refuge, une île, un trou pour écrire enfin un vrai livre, André Dhôtel le talonne et raconte.

Rimbaud avait dû faire une demi-douzaine de kilomètres à pied depuis Amagne, par la route qui longe la vallée à travers Attigny. Entre Attigny et Roche la route entre les cultures était absolument vide, sans un buisson, avec un arbre de loin en loin, et elle redescendait vers un bas-fond, où se cachait le hameau. De loin on apercevait seulement le pigeonnier de la ferme des Cuif. Toutes les autres habitations étaient cachées dans le verger. Un lieu sans vie apparente. Rimbaud alla frapper avec hésitation à la première porte. Il trouva sa mère avec Frédéric et ses deux soeurs (Vitalie avait quatorze ans, Isabelle douze).
La maison qui restait vide pendant l'hiver était encore imprégnée d'humidité. L'herbe envahissait la cour intérieure. Après Londres et ses banlieues peuplées et nettes, riches en beaux arbres, c'était le pays perdu, dépourvu de tout caractère. Un ruisselet au bout du hameau, après une prairie marécageuse. Rien que des terres fertiles mais désertes à perte de vue sur le plateau
.

Et c’est au bout de ce chemin qui descend au hameau de Roche – où l’attend une mère dont enfin quelqu’un nuance l’allure et le rôle –, dans la cour pavée des Cuif, vide, sans vie apparente, que le vieux sage relève quelques lignes d’un feuillet à l’allure évangélique au verso duquel le jeune fou commença d’écrire un brouillon de Mauvais sang.

Jésus dit : "Allez, votre fils se porte bien." L'officier s'en alla, comme on porte quelque pharmacie légère, et Jésus continua par les rues moins fréquentées. Des liserons, des bourraches montraient leur lueur magique entre les pavés. Enfin il vit au loin la prairie poussiéreuse, et les boutons d'or et les marguerites demandant grâce au jour.

Dhôtel je l’aime bien – les deux autres aussi –, j’aime le maigre feu sur lequel il souffle, sa bienveillance, sa patience qui l’a conduit à faire bande à part, les fleurs ses alliées, loin des excès, au voisinage de la désobéissance. En voilà un qui est allé de son côté sans demander son reste, comme l’autre qu’il a accompagné, en donnant à tort et à travers. Chacun de son côté, à la ville et à la campagne, place vide et place pleine, les pieds dans la peine, la gorge entre les pavés, à l’image des liserons et des bourraches, et une soif inextinguible en les déserts, en les chemins qui descendent comme des cathédrales, en ces cours vides, ces cours qu’on connaît bien, et qui nous obligent à chercher à la fois la liberté et le salut.

Jean Prod’hom

André Dhôtel, La Vie de Rimbaud, Éditions de l’Œuvre, Paris, février 2010
Arthur Rimbaud, « Proses évangéliques » in Oeuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1979

LXV



L’intelligence qui a présidé à la création de l’homme est admirable jusque dans ses moindres détails. Tenez, pensez par exemple à l’écartement des narines, à celui des yeux, à la distance entre l’oreille et la bouche!
Mais pourquoi diable, se demande Jean-Rémy, Dieu a-t-il fait patienter l’homme si longtemps, avant de mettre à sa disposition le pince-nez, les lunettes et le téléphone? N’était-ce pas couru d’avance?
Cette question nuit à la vie paisible de notre philosophe et le torture. C’est elle qui le retient d’adhérer sur le champ à l’un des mouvements créationnistes qui sévissent aujourd’hui dans notre région. Jean-Rémy est certain d’ailleurs que, si c’était à refaire, Dieu aurait lancé dans la bataille un homme muni dès le commencement de tous les attributs que l’histoire lui a délivrés au compte-goutte. Un homme avec pince-nez, lunettes et téléphone à la naissance, ça n’aurait-il pas fière allure?
Et pour notre bonheur à nous, des histoires, Jean-Rémy en aurait fait moins.

Jean Prod’hom

Après le solstice



Lorsqu’on eut terminé
les grands aménagements
on attribua
à chacune des saisons
ce qui restait
le partage de la double équinoxe
l’éclosion des quartiers de la lune
les éphémères
les jours surnuméraires

on remplaça encore
le ruban
rouge sang
qui séparait le jour et la nuit
par une bande de dentelle
aux multiples valeurs de gris
que les passementiers
exécutèrent l’hiver qui suivit

on répondit
aux dernières questions
quand célébrer
les héros de l’île
où dresser la statue du héron
quand faire pivoter l’an

à l’évidence
l’administration d’un tel réseau
de difficultés superposées
à la multiplicité des noeuds
que leurs prédécesseurs
n’avaient pas tranchés
donna une valeur
toute particulière
centrale et militaire
au volontariat

on boucla enfin les comptes
aucun recensement
cette année-là
une estimation seulement
cent vingt foyers
autour du grand palais
pas même une maison des jeunes
aucun autre atout

Jean Prod’hom

Dimanche 23 mai 2010



Le frelon s’agite en tous sens, mais il suffit de lever une paupière pour se rendre compte qu’il ne réfléchit pas beaucoup. Visiblement il attend un coup de main, on ouvre tout grand la fenêtre, trop difficile encore, il faudra patienter une bonne demi-heure avant qu’il ne trouve enfin la sortie, il vrombit alors une dernière fois et disparaît en creusant un boyau ouaté dans lequel les pépiements des moineaux profitent de s’engouffrer, en sens inverse, jusqu’à nous. A l’arrière se détachent, lointains, déteints, les neufs coups du battant de la cloche de l’église qui teinte dans le désert. Et puis, venu de plus loin encore, le silence qui rejoint le soleil sous le toit, il adoucit et rafraîchit le drap dans lequel on se vautre comme des rois.

Elle l’observait sûrement depuis un moment; il y a dans les yeux de quelqu’un qui a eu le temps de vous examiner toute une image de vous, retirée, hors de portée, et pourtant bien présente.

Henri Thomas, John Perkins, Gallimard, 1960


Derrière la maison la bise fait onduler la prairie, lourde et grasse, nourrie au grain. Les années du marais de la Montagne du Château sont comptées, la terre a gagné la partie. Demeure pourtant tout à l’est une large étendue d’eau secrète où vivent et dorment trois colverts. Les petites habitudes auraient-elles laissé la place à l’habitude tout court?

Jean Prod’hom

La menace



Rester en rade alors que le monde appareille, sans que rien pourtant ne s’éloigne vraiment – sinon le souvenir d’images qui s’entassent en arrière de la tête – , sans que l’on recule non plus. Ne rien avoir à dire à ce propos, ou un mot, à peine un mot qui resterait au travers de la gorge, et qui dirait tout, d’un coup. Mais ne le dire que plus tard, peut-être, lorsque la menace se sera éloignée ou qu'elle aura trouvé en nous la place qui lui revient, avec ce mot qu’on cherche et qu’on ne trouve pas, parce que ce mot est un mot de notre langue. On est là, et on ne sait pas par quel bout commencer, parce qu’il n’y en a pas de bout, que tout est demeuré en l’état. Tout ça bien sûr devait arriver, on le sait, et on se retrouve enfin dans l’impossibilité de différer plus avant cette menace, grosse d’avoir été écartée. Et de la différer encore un peu pour qu’elle puisse continuer sa tâche, nous accompagner lorsqu’on s’attellera à la nôtre, qu’on sait au-dessus de nos forces, tout reprendre, comme un livre dont aurait commencé la lecture il y a des années, et qu’on reprendrait en raison d’une ou deux phrases sur lesquelles on aurait buté et qui nous aurait obligés à aller de ce pas.

Ce qui semble nous maintenir à l’écart, mais qui nous accueille aujourd’hui encore quand bien même on se trouve dans l’impossibilité d’y entrer, sur le seuil de quoi on se dresse comme un pantin, un étranger, un malotru, n’a pas changé, c’est bien le monde dont on vient et dans lequel on a cru pouvoir demeurer, un monde reconnaissable à la traîne qu’il laisse, à quelques souvenirs qui courent devant, à la mélodie qui s’est tue et qui accompagnait notre réveil. Méconnaissable pourtant, non pas qu’il soit défiguré, ou en lambeaux, mais à cause des couleurs passées, qui maintiennent à distance les noms dont l’affublaient les récits qu’on se racontait pour lui assurer par des couleurs vives sa consistance. Les choses ont repris ce qui leur revenait, inquiètes. Le doigt sur les lèvres, elles demandent un peu de silence. Désormais restent dans ma gorge des mots orphelins, durs, sourds, décollés de ce qui les animait et de ce qu’ils faisaient vivre, pierres dans un tonneau, squelette dans un habit trop large. Les mots ce matin font bande à part.

Jean Prod’hom

LXIV



Depuis qu’il est à la retraite Jean-Rémy tue le temps. Il a fait installer une caméra sur la façade nord de sa maison pour surveiller les allées et venues des hôtes d’un monde qu’il a toujours voulu à sa main.
Chaque matin il sort discrètement de chez lui, se rend à la boulangerie acheter un morceau de pain. Au retour il passe devant chez lui en jetant un regard furtif en direction de la maison vide, admiratif, ému. Il passe une seconde fois, puis une troisième avant de rentrer incognito par la porte de derrière.
Et le soir, lorsqu’il visionne les images du jour, Jean-Rémy se réjouit de l’efficacité de son dispositif. Il se ronge pourtant les ongles chaque soir davantage lorsqu’il voit passer un homme au regard envieux et vitreux, une fois, deux fois, trois fois, un homme qu’il reconnaît à peine, un homme louche qui lui paraît de soir en soir toujours plus suspect.
Depuis ce matin Jean-Rémy est armé.

Jean Prod’hom

A Bertrand Russell



« Les 807 » est le brin que tu as choisi pour réunir les 807 brins de ton entreprise. C'est dire qu'elle va échouer. Fais tes comptes Garot. Tu ne t'es pas arrêté à temps, tu as péché par arrogance, tu ne connais pas le monde, tu auras beau reprendre le décompte. Mais où en étais-tu Nemrod ? Impossible de te le rappeler. Tu vas donc repartir du premier. Parvenu à 808, désespéré, tu t'arrêteras. La pelouse est vaste encore : 809, 810, 811...

Jean Prod’hom
14 novembre 2009

Exogamie



On précipitait
dans les gouffres
du sud de l'île
la femme turbulente
la soeur pleine de dédain
comprenez
on supportait mal
la promiscuité

on précipitait
les mères affligées
qui faisaient tousser
le commerce prospère
de la guerre

on précipitait
les hommes mûrs
ceux des groupes alliés
lorsqu'ils refusaient
pour le prix d’une flèche
de céder
l’une ou l’autre de leurs soeurs

dans la vallée des alliances
malgré des vagues d’aigreur
on avait sacrifié
mis en pièces
l'unique communauté

on tient pour certain
ce sujet obscur

on organisait
au printemps
sur le rivage
une combinaison d'échanges
à cycles longs
à cycles courts
bilatéraux et croisés

les mésanges sur les joncs
les roseaux dans la prairie
l'eau blanchâtre sur les flanc de la colline
les joncs et les roseaux
la prairie sillonnée par l'eau blanchâtre
l'autre côté de la colline avec les mésanges

c'était l'occasion
de prolonger
les belles journées
d'améliorer
le réseau des canaux
dans lesquels s’écoulait la sueur

les femmes étaient éconduites
dans des barques
silencieuses

tout autour
les eaux libres
et des terre-pleins secondaires

le crépuscule
avait la forme
du labeur

Jean Prod’hom

Dimanche 16 mai 2010



Ce matin le soleil a jeté un paquet de lumière par l’étroit châssis à tabatière des combles dont il a fait fuir, le temps d’un éclair, l’obscurité crue. Puis plus rien. Je veux pourtant, idiot que je suis, me souvenir un peu de cet éclair pour le maintenir brûlant, faire flamber la vieille charpente et éclairer notre dimanche.
Nous sommes à la mi-mai, dehors le jaune du colza et celui orangé des pissenlits étoilent le vert des prés lourds. Le printemps n’a pas tenu ses promesses et ne laisse filer entre ses doigts que des couleurs passées, un peu de rose. celui du liseron au bord du chemin et les fleurs détrempées des Boscop dans le verger du Chauderonnet, les hautes herbes pâles près des haies, les nuages sans forme qui ne désemplissent pas le ciel. A quoi bon s’apitoyer, on patiente en haut de la Mussily main dans la main.
Plus tard dans l’après-midi une flambée de soleil réveillera les abeilles sur le qui vive depuis le début de la semaine, quelques promeneurs souriants et les cris des enfants auront raison de notre humeur. Mais dans le poêle le feu veillera jusqu’au soir.

Jean Prod’hom

Hors jeu





Il ouvre les yeux sur un jour sans attrait. Alors il baisse les paupières qu’il glisse sous l’oreiller et il se terre. Forclos, rideaux tirés, chassé dès le réveil, c’est clair il n’en sortira pas. L’éprouver et le dire n’y change rien, la lumière insiste, il remue à peine, incapable d’en appeler au courage. Ce matin le jour est fané.
On devra se rendre à l’évidence, aucune transaction n’écartera le soleil de sa course, il faudra faire avec ce qu’il traîne derrière lui, les besognes auxquelles la vie parmi nos semblables nous oblige pour être des leurs. Ça durera ce que ça durera, jusqu’au soir peut-être. On hésite même à plier bagages, à solder l’entreprise, pour se débarrasser enfin des tâches fastidieuses qui nous incombent, au risque de finir sa vie plus tôt que prévu, avant le crépuscule. Pourquoi ne pas fuir sur le champ les humiliations promises ? Mais un peu de raison nous rattrape : il en faudrait du courage pour s’engager sur cette voie et s’y tenir, sans que les regrets et la mauvaise conscience ne nous rejoignent avant midi.
On se lève donc parce qu’on sait que ce soir, pour autant qu’on y parvienne, on pourra retourner dans le tambour de la nuit qu’on aurait voulu ne pas quitter, pour y être à nouveau enfermé, tourné, retourné, préservé, lavé. On se lève donc en sachant qu’on n’ira nulle part. On fera pourtant comme si on en était et personne n’en saura rien. On se fera petit, tout petit, invité surnuméraire : ne toucher à rien, n’entrer en matière sur rien avec qui que ce soit, demeurer muet calé dans l’ombre, mais y demeurer avec tous les égards que le rien doit à ce qui est et à ceux qui s’y sont embarqués. A bonne distance, ne pas en être, refuser toute invitation et survivre jusqu’au soir. Un sourire ici, un autre là, une politesse en guise de viatique, pas plus, pour ne pas casser.
On s’y essaie, on sème nos petites lâchetés pour donner le change et passer inaperçu, cacher sa misère. Mais qu’on ne nous accable pas, on essaie simplement de garder la tête hors de l’eau, un ou deux sourires à ceux qu’on croise, sans y toucher, fonds de poche que celui qui n’a rien à perdre dépose dans la main de celui qui veut tout, ni victime ni coupable, innocent de n’être rien, au diable les plaintes. Tout à l’autre par calcul, tout aux autres pour sauver sa peau. On se rend compte alors que ceux-ci sont comme nous, mais ils sont dedans et on est dehors, on ne bronche pas et ils sont ballottés. Et voici qu’ils répondent à nos sourires, sourient à leur tour, nous remercient de notre sollicitude et de notre bienveillance alors qu’on n’a pas quitté le rivage, ancré à l’inavouable. Mais ça ils ne le savent pas et on ne le leur dira pas. On les voit batailler pour rester debout dans la tourmente du jour et notre misère souriante est à leurs yeux comme un réconfort. On est resté dans la nuit, ils sont dans le jour. On ne voulait rien, défait, vidé, et nous voilà élevé au rang de contrefort.
Et soudain, de don modeste en modeste don, de sourire en sourire monte la sensation d’être présent comme jamais, dedans le monde sans qu’on le veuille, avec en face ceux qui bataillent pour ne pas succomber ou être chassés. On se prend à en faire plus qu’on n’en a jamais fait, sur un mode qu’on ignorait, simplement pour que ces inconnus courageux ne s’effondrent pas. On leur cache un peu de la vérité, on ferme les yeux, on souhaite qu’ils atteignent vivants la fin de la journée.
Ce soir je suis comme une plaie vivante que la brise et l’ombre viennent caresser, je me retourne, heureux d’avoir passé debout ce qui aurait pu être un enfer, l’air glisse sur la peau, avec la lumière, ma raison est au point mort. Ce que j’ai laissé en arrière, la nuit, le fond du jardin, les racines auxquelles je m’agrippais pour remonter le talus n’ont pas changé. Le temps s’est arrêté là-bas, par delà les jours, les images, les souvenirs qui ne retiennent que ce qui se défait. Les chemins durent bien après qu’on les a quittés.



Je me retrouve sur le chemin de la Mussily, indemne, étonné d’être là. Tous les jours pourraient être ainsi, n’est-ce pas ? On demeurerait sur le seuil, on ne toucherait à rien, parce qu’au fond on n’y croit guère. On n’en serait pas, on aiderait d’un sourire ceux qui sont embarqués et on cueillerait quelques rameaux pour en être un peu.
On n’y voit bientôt plus rien, je rentre, dépose mon ombre au pied du lit, me glisse dans le grand tambour de la nuit avec le sentiment crépusculaire d’avoir encore une fois sauvé ma peau et la fierté de ne jamais avoir été aussi généreux, solide et transparent que ce jour où je ne fus pas.

Publié le 7 mai 2010 dans le cadre du projet de vases communicants chez Arnaud Maïsetti (Journal | contretemps)

Jean Prod’hom

LXIII



J’ai rencontré hier au marché une amie, physicienne de formation. Je ne l’avais pas revue depuis longtemps déjà. Elle est en colère contre son mari, ébéniste, et ses deux filles, cinq et sept ans, qui décidément ne la comprennent pas. Je l’invite à boire un verre sur une terrasse. Elle me raconte le visage défait comment la veille, alors qu'elle était attelée à des problèmes qui dépassent mon esprit étroit - le mien comme celui de la plupart des mortels -, elle en est arrivée à devoir chercher sans succès sa machine à calculer.
Elle soupçonne naturellement ses enfants. Précisons que ce cerveau a formé ses filles aux dures lois des nombres dès leur sortie du berceau, mais prévenante elle les a initiées aussi toutes deux à l'utilisation de la machine à calculer qui préserve la fraîcheur de leur intelligence en leur permettant d’éviter les effets dévastateurs des tâches fastidieuses.
Elle est donc sur le point de piquer une grosse colère, mais se ravise. Cette disparition n'est-elle pas le signe tangible de la réussite de ses principes éducatifs? Elle prend une feuille, un crayon et se résigne à exécuter avec le sourire d'interminables calculs.
Neuf heures bientôt et la nuit tombe. Etonnée du silence qui règne dans la maison, la mère monte à l'étage et retrouve ses trois filles vautrées, les yeux fermés devant la télévision insérée dans l'armoire vaudoise que son mari a promis de réparer depuis plusieurs années. C'est chose faite, l'équilibre précaire dû à l'absence du pied antérieur gauche a été enfin rétabli! Mais la mère a beau regarder sur l'écran de la machine à calculer qui étaie le meuble, aucun nombre n'indique la charge supportée ou la résistance du pied de fortune. Pas même l'heure à laquelle les trois petites qui se sont assoupies souhaitent être réveillées. Rien. C'est naturellement et logiquement la faute de son mari qui n'est pas encore rentré de l'atelier, mais c'est surtout la défaite de l'esprit de conquête.
Je la console en vain. Pourvu que l'incomprise retrouve au plus vite le goût de vivre.

Jean Prod’hom

Trop c'était trop



Si Gérard Genette admire « le nombre d'ensembles où l'on dénombre trois-cent soixante-cinq items dès qu'on a un peu de mal à les compter, en trichant toujours un peu : les fromages français, les îles de l'archipel de Chausey à marée basse, les châteaux du Bordelais, les pièces et les horloges de l'Elysée, les romans de Simenon, les députés de la droite élus en 2002, les voitures brûlées en banlieue par semaine... » et conclut que « ce nombre symbolique, clairement calqué sur celui, plus sûr, des jours de l'année non bissextile, signifie simplement, et avec tout le flou figural qui convient : beaucoup », j'ose aujourd'hui espérer que huit cent sept précédera bientôt les items de tout ensemble incomplet – y compris l'ensemble inachevé des huit cent sept – et signifiera in fine, avec le même flou figural qui convient : trop c'était trop.

L'entreprise engagée par Franck Garot et ses amis sur ce site se doit donc de ne pas aboutir pour réussir, c'est le prix. Elle doit s'interrompre impérativement avant le huit cent septième huit cent sept, j'y veillerai.

Et pour donner l'exemple : pas de huit cent sept aujourd'hui.

Jean Prod’hom
22 septembre 2009

Travaux de titans



Derrière le monticule
en arrière d'une large baie
que souligne
un arc d'argent
jalonné de zones d'ombres
les restes
d'une tentative plus récente

ultime défi
si l'on en croit les légendes
des premiers habitants de l'île
qui entreprirent
l'impossible tâche
de séparer
le liquide du solide

ils creusèrent
des canaux
dans la vase
endiguèrent
les bras de mer
conçurent des levées
des quais

des complexes de galets
des ponts et des chaussées
des lacs
qu'ils parquèrent
avec les eaux dormantes de l'intérieur
à la terre ils arrachèrent
la terre

l'eau à l'eau
la boue profonde aux bancs de sable
sans succès
les larmes ne coulaient plus
sur les visages
mais demeuraient avec les glaires
au fond de leur gorge

ô solitude
mêlée de grandeur
ô peuple malheureux
dévoré par de folles ambitions
ô peuple insatisfait
dévasté par l'échec
et le ressentiment

aucun chemin
ne resplendit aujourd'hui
le miracle de l’opiniâtreté
n'a pas pas eu lieu
le souvenir dans les mémoires
seulement
d'un insatiable orgueil

on le voit
on ne réforme facilement
ni les choses
ni les usages
si bien qu'on accepta sur l'île
mais à contre coeur
mélanges et marécages

et les hommes se remirent à pleurer

Jean Prod’hom

Dimanche 9 mai 2010



Je ne suis pas loin de penser avec Pierre Guyotat qu’il faudrait, pour refaire le temps mais en bien, rendre le couteau à la meurtrière qui a osé « commettre ce dont brillent nos tragédies, nos poésies, et nos romans, et nos tableaux et nos opéras, et que leurs artistes façonnent avec tant de soin, et de plaisir, et que nous devons étudier avec application ».
Pour des raisons assez analogues il faudrait ouvrir tout grand les portes de nos écoles afin d’obliger nos enfants à faire l’école buissonnière, sur les traces du Grand Meaulnes et de tous les héros désobéissants qui nous ont fait rêver. Pour replacer le mystère dans la vraie vie et pas dans l’autre.

Jean Prod’hom

Des marges | Arnaud Maïsetti





Du centre, je ne saurai rien dire ; rien que le silence dans lequel vautré le matin au réveil qui me prend — rien que. Et du centre, au cœur, le terrain des batailles politiques rangées des idées qu’on se lance ; non, rien : le centre, ils savent bien qu’il est à eux, alors moi, à contretemps qui pèse la lumière du jour, qu’est ce que je pourrais : et quand je les regarde, dans les repas le soir où parfois je suis, que je les entends dire la pensée du monde figée depuis ce centre qu’ils occupent, je pense à ce qui s’en va, loin du centre où — du centre centré au milieu des villes, c’est le vide, c’est là que les flux se rejoignent, s’arrêtent, cessent, enfin. Moi, c’est ailleurs, où les flux vont, et d’où ils partent, que je vais.

Du centre, je sais bien, oui : que c’est là qu’est la moyenne, que les discours se font — mais pas la parole, que les discours — c’est là. Où Dieu habite, la pensée de Dieu telle que le formulent ceux qui au centre, sont au centre et décident, planifient, rédigent pour nous les pactes du siècle, concluent pour nous les poignées de mains et les tarifs, et les peines, les planchers, la hauteur de la lame qui viendra tomber sur celui qui ; du centre, non, quand on me demanderait mon avis, je me tairai bien pour les années qui viennent.

De la morale éteinte en moi, de la religion éteinte en moi, du souci de la politique : des centres d’intérêts qui fondent le centre autour duquel : je ne sais dire que cela m’échappe. Je ne saurai prétendre lui échapper. Et surtout, je ne voudrait pas m’en plaindre. Mais. Les choses mortes comme de la peau, on ne les regrette pas : on gratte, et si ça saigne, on aspire un peu pour ne pas laisser de trace — et on frotte, on essuie. On met son doigt dans la plaie, et comme Thomas, on fouille pour vérifier le corps ; et le corps est bien là. Loin du centre, on marche, on est déjà loin, ça peut s’appeler Arar, ou Breschwiller, ou plus loin encore, état des lieux du réel, chaque pas nous en éloigne, du centre : et on va.

On se trouve de l’autre côté où les choses prennent la vitesse du temps ; on n’est plus dans le silence : on le parle, depuis le centre, arraché vraiment. On tombe sur une place vide, derrière le palais royal, les jardins de boue, il y a une église où on entre parce qu’il pleut. Il y a des chants au-dedans, qui viennent se heurter à la croyance de mon adolescence comme une paroi effondrée, et l’écho pénètre dans le vide qui l’absorbe. C’est Bach, c’est au-delà de moi, c’est en plein de centre du monde, pile où je ne suis pas.

Dans les marges sans contours que j’arpente jusqu’à mourir (je le sais bien, je l’accepte), à force de les écrire parce qu’en moi tout l’exige, noter les bruits du monde qui m’entoure — et puisque ces bruits ne peuvent s’entendre qu’aux marges, marges fracassées dans le crâne (et de plus en plus, ces maux de tête qui me cernent : marges là encore : prix à payer, je m’en acquitte, sans ciller) — des chants de Bach, des voix qui percent, n’en saisir que la morale possible : la morale d’une beauté sans Dieu ; arracher Dieu à cette beauté qui seule me maintient là, pulsation du temps que je bats sous les doigts, un mot après l’autre, dire un peu dans sa propre bouche le monde tel que dans les marges il afflue hors.

Au centre rien ne bouge, dans les marges, il y aurait la force de ne pas habiter, nulle part, et d’aller au pas qui l’emporte, les mondes possibles que les voix défrichent : musique sans mélodie, nappes de voix qui parlent allemand une langue impossible et qu’on ne comprend pas — mais combien chaque mot avance l’impossibilité même d’y prendre part : et comme on avance en eux, le monde qui recule, et au bout du premier pas, c’est dans les marges qu’on est : on ne se retourne plus.

Arnaud Maïsetti




écrit par Arnaud Maïsetti qui m’accueille chez lui dans le cadre du projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.

Et d’autres vases communicants ce mois :

France Burghelle Rey et Morgan Riet 
Anna de Sandre  et Francesco Pittau
Anthony Poiraudeau et Loran Bart
Mathilde Roux  et Anne-Charlotte Chéron
Michèle Dujardin  et Daniel Bourrion
Christophe Sanchez  et Le coucou
Antonio A. Casili  et Gaby David
Michel Brosseau  et Christine Jeanney
Matthieu Duperrex et Pierre Ménard
Joachim Séné  et Franck Garot
Tiers livre et Kill me Sarah
Juliette Mezenc et Ruelles
Marianne Jaeglé et Brigetoun
Florence Noël et Juliette Zara
Soupirail et Jeanne
Cécile Portier et Luc Lamy
Chez Jeanne et MatRo7i
Landry Jutie et Notes&parses
Piero Cohen-Hadria et Pendant le week-end

Jean Prod’hom

C'est ici



Il n'essaie pas plus de rejoindre le pays d'où il vient que l'autre pays, celui dont il a rêvé, car il est désormais d'ici, davantage chaque matin, dans le pré ou là-bas à la lisière du bois. Il démêle jour après jour les images issues de ses rêves, les épuise, la brise légère se charge du reste et dissipe les innombrables fantômes qui sommeillent dans le tracé glorieux des chemins. Il attend d'y voir clair ne s'appuyant sur rien, sinon ce presque rien, muet, qui apparie les choses élémentaires. Et soudain le pays se dresse tout entier, la terre ondule, les secrets fleurissent, des traînées dans le ciel, l'ombre sous les frênes, la rivière.

Certes, il y a ce vers quoi on va lorsqu'on revient sur ses pas et ce vers quoi on va lorsqu'on y va de ce pas. Mais de ce lieu, qui sait s'il en vient ou s'il y va? L’enfance est l'autre nom de l'avenir, c'est ici, on y va et on en vient.

L'engourdissement auquel l'a conduit son éducation a épuisé son poison. Il prend conscience alors qu’attendre est consubstantiel à son heure. Que veulent-ils savoir? Il l’ignore, alors il se tait pour laisser la place à ceux qui savent, pour que ceux-ci puissent parler et se taire, et entendre à leur tour l’immense rumeur sur laquelle les puissantes conventions ont étendu leur empire. Chacun n'occupe qu'un instant la place de celui qui la lui a cédée. Il la laissera à son tour à celui qui ne perd rien pour attendre.

L’aurore sommeille. S’il s’agite trop, il ne sera pas à même d'aller à sa rencontre derrière les Vanils, il la guette, à peine une lueur poussant par dessous le voile qui ne résiste pas, elle ouvre alors sa paume et étend ses doigts de rose. Lui il ne bronche pas. A côté, devant, derrière, en lui la terre frémit. Et le soleil se dresse, et l’ombre se glisse discrètement aux côtés de l'homme seul.

Jean Prod’hom

LXII



C'est la fête à l’auberge, l'apéro est offert par Lionel, le charpentier, il nous annonce que son fils est né la veille au soir.
– Nous l'appellerons Nathan! annonce l'heureux père. Nous l'avons attendu depuis tant d'années! Santé!
– Des Nathan, tempère le contremaître de chez Progel, j'en avais trois dans mes équipes l'année passée, plus aucun aujourd'hui, on a dû débaucher.
Lionel s'assombrit, l'assemblée aussi, Lionel se tait, il boit un verre, c'est son talon d'Achille, un second, un troisième... Mais Lionel ivre finit par se ressaisir et déclare d'un ton décidé.
– Nous l'appellerons Vin... Vincent! Oui, Vincent!
Je crains que cette décision ne suffise pas à faire bifurquer le destin du nouveau-né?

Jean Prod’hom

Concentrations



Un bouquet de fleurs
en lieu et place
d’un tas de pierres
un tas de bois
des formules rituelles
pour remplacer les cris
le souvenir de l’ibis
une île autrefois sacrée
une terre fertile
un marais au milieu

le portrait
à demi renversé
des aigrettes
en colère
parlant la langue
des canards
et tout autour
l'infranchissable
le ronflement des rancunes
les collets montés

une seule fois
ils se sont baignés
tous plongèrent
après une interminable cérémonie
au lieu où se concentrent
l’être et la concordance des règnes

rien n’y fit
les prairies gorgées d’eau
ne surent rivaliser jamais
avec l’indigence des hommes
battant le pavé
ni les plaintes du vent
ni les aulnes ni les charmes
ni les nuages
ni les parades et les ornements aquatiques
pas même les princes et leur chasse-mouches

les insulaires ne parvinrent
à dégager
aucun des grands axes
qu’il eût fallu
pour que le ciel daignât
leur délivrer
une ou deux éclaircies

Jean Prod’hom

Dimanche 2 mai 2010



Il n'a pas de vie intérieure. Où en a-t-Il pris conscience? Il ne s'en souvient plus. Il sait seulement qu'il était debout et au vent.
Jusqu’à ce jour elle le tenait en respect, immobile et pathétique, dans un silence contrit, il périclitait. Le courage lui est venu de je ne sais où, de la lassitude peut-être ou d'un peu de sagesse. Il a suspendu courageusement les égards qu'il croyait lui devoir, elle s’est évanouie en quelques heures. Un peu seul d’abord, fébrile aussi, et puis vite embarqué.
Il avance aujourd’hui à tâtons, pauvre, allégé d’innombrables arrière-pensées, dans une profusion renouvelée et un monde habité par les dieux, un peu ivre, dans un dédale imprévisible balayé par le vent.

Jean Prod’hom