Presque toujours à la fin de son dîner

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Le DVD ramené hier du Mont est désespérément vide, alors je descends au collège et glisse la galette dans tout ce que l'école compte de lecteurs, sans succès. Remonte au Riau, essaie à nouveaux frais sans vraiment y croire, à deux doigts même de prier. Cherche sur Internet si je ne trouve pas une version en ligne de ce documentaire. Envoie un mail à l'ancienne élève qui en avait fait une copie, il y a deux ans, pour sa soeur qui réalisait un travail sur les Mentawai. Téléphone à ses parents qui ne répondent pas, atteins enfin sa soeur qui dispose d'un natel. Elle en gardé une copie.
Je redescends donc au Mont, près de la Valeyres. Ils sont tous là, l'ancienne élève, sa soeur et ses parents qui m'offrent gentiment un café. S'ils ne m'ont pas répondu c'est parce qu'ils ont une panne d'électricité dans la maison. Ils reviennent de la Floride qui les a enchantés, mon anti-américanisme hoche à contre-coeur du bonnet. On essaye par précaution le DVD de sauvegarde, rien, le père et la fille fouillent dans leur disque dur, rien non plus, me voilà Gros-Jean comme devant. Entre temps l'électricien a réglé le problème du triphasé, ils sont soulagés, moi pas. Je rentre, résigné à mettre en route un plan B : L'Enfant sauvage de Truffaut. Me risque pourtant à envoyer un mail à la bibliothécaire de l'Institut d'ethnologie et Musée d'ethnographie de Neuchâtel. On ne sait jamais.
En attendant, c'est avec Lili que je revois L'Enfant sauvage, elle rit aux désobéissances de Victor, le sauvage de l'Aveyron, j'ai la gorge serrée en écoutant Truffaut lire les notes du Docteur Itard sur l'andante du Concerto pour Flautino en do majeur d'Antonio Vivaldi. Grand film, journal encore, journal des ombres à l'époque des Lumières, de la nuit que la raison n'éclaire pas toute, accompagné par l'amère conscience chez Itard comme chez Tuffaut, que le mieux est l'ami d'un mal que traîne l'homme depuis qu'il est homme, la vie est impossible.
Comment t'appelles-tu ? Aurélien, Hector, Oscar ? Victor se tait et pleure, c'est ce qu'il nous reste à force de nous éloigner des commencements. Et puis à nouveau l'éclaircie, la voix de Truffaut et le Flautino de Vivaldi, sans éclat, sans pathos, andante.

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Presque toujours à la fin de son dîner, alors même qu'il n'est plus pressé par la soif, on le voit avec l'air d'un gourmet qui apprête son verre pour une liqueur exquise, remplir le sien d'eau pure, la prendre par gorgée et l'avaler goutte à goutte. Mais ce qui ajoute beaucoup d'intérêt à cette scène, c'est le lieu où elle se passe. C'est près de la fenêtre, debout, les yeux tournés vers la campagne, que vient se placer notre buveur comme si dans ce moment de délectation cet enfant de la nature cherchait à réunir les deux uniques biens qui aient survécu à la perte de sa liberté, la boisson d'une eau limpide et la vue du soleil et de la campagne.
Image 7Image 7Mémoire et Rapport sur Victor de l’Aveyron, Jean Itard (1774-1838)

C'est à voir avec des enfants, un beau film sur le cinéma des années 70, une belle réflexion sur les Lumières, une méditation continue sur le malheur qui donne la main à l'histoire.
Je reçois un mail de Neuchâtel m'avertissant que la bibliothèque de Dorigny détient le film sur les Mentawai que je cherche depuis avant-hier, ma journée est sauvée. Regarde autour de moi si je ne trouve pas, pour faire bon poids, une image, une image avec des bouts de bleu, du vert qui attendrait, ou du blanc et du noir, l'orage qui menace.
Arthur grimpe à la Dôle, Sandra et les filles sont montées au meeting d'Athletissima à la Pontaise, il y a Usain Bolt. Je resterai à la maison seul, irai promener Oscar, penserai un peu, mais pas trop, à Victor, aux malheurs de l'histoire et aux ruses de la raison qui, je le crains, ne convainquent plus guère personne.

Jean Prod’hom


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