XXVII



Jean-Rémy le fait savoir en boucle, même à ceux qui ne s'en préoccupent pas: ce qui est sur sa propriété lui appartient... sauf la mauvaise herbe évidemment qui s'acharne à pousser entre les pavés de sa cour.
Elle lui donne du fil à retordre sa cour, mais il arrache la mauvaise herbe quotidiennement, avec la détermination qui habitait les régents d'autrefois lorsqu'ils tiraient les oreilles des élèves récalcitrants. Il regarde à gauche, à droite puis dépose la pincée de mauvaise herbe en bordure de la route communale, sur un espace qui appartient à tout le monde, c'est-à-dire à personne. Il revient ensuite sur sa pelouse et se frotte énergiquement les mains. Car la terre sur laquelle croît la mauvaise herbe, elle est bel et bien à lui.
Tout lui appartient, comme l'eau qui ruisselle de son toit. il a voulu la récupérer avant qu'elle ne file dans le drainage de la maison de son voisin. Il a donc inversé la pente d'une de ses cheneaux si bien que, pour des raisons qu'il n'est pas dans mon propos de clarifier ici, trois moineaux ont trouvé refuge dans la cheneau désormais à sec qui borde l'avant-toit de son salon.
Les trois piafs y avaient pris leurs aises, encaquent ses pavés et l'incessant frottement de leurs ailes sur le zing entame sa concentration - fragile au demeurant - lorsqu'il regarde Eurosport sa passion.
Et bien hier à la brune, il est descendu dans sa cour avec une brosse et une ramassoire, une vieille boîte de thon et un flobert. Ni une ni deux: pan! pan! pan! A qui sont ces trois moineaux?
L'homme a tenté de glisser délicatement ses trois trophées dans la boîte de fer blanc. En vain! Alors les trois piafs, l'homme a bien dû les serrer les uns contre les autres, les tordre un petit peu pour n'avoir pas à ouvrir une seconde boîte de thon. Un peu d'huile dégoulinait, il a refermé le couvercle de fer blanc et a jeté le tout dans le regard des eaux claires. Avec la brosse et la ramassoire il a nettoyé ses pavés et Il est allé se laver les mains avec l'eau du toit qui coule dans sa fontaine.
L'homme ne laisse rien au hasard.

Jean Prod’hom