La Carrouge se jette dans la mer Baltique

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Cher Pierre,
Il est 7 heures, Arthur se prépare : pique-nique, bottes, habits chauds et K-way ; Sandra le conduit à Peney, ils ne trouveront pas immédiatement le dépôt de Marc-André ; normal, il y a plus de dix ans qu’il l’a déplacé de devant le café à tout près de chez lui.  

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Je conduis à mon tour Louise et Lili à Thierrens, c’est leur premier jour de stage ; elles se demandent ce que leur ont préparé Delphine et Gwenaëlle, de quels chevaux elle auront à s’occuper ; l'ignorance dans laquelle elles flottent, et rêvent, font d'elles des sœurs unies ; j’espère qu'elles le resteront lorsque leurs vies emprunteront des chemins différents.
Je continue la lecture de l’Atlas d’un homme inquiet avant de m’attaquer, au café de Saint-Cierges, à la première partie du tapuscrit que Monika Langhans m’a fait parvenir.
Gustave Vuagniaux décide de quitter la Suisse et Vucherens au printemps 1898, il a 18 ans et veut échapper au service militaire ; les mauvaises langues assureront que cette trahison est à l’origine des mille maux qu'il a endurés, les autres se réjouiront de ce coup de tête et de ce qui s'en est suivi ; sa petite fille s'est chargée d'en faire la chronique. Et à la lecture de ces pages, on se félicite de toutes ces petites désobéissances qui sont a l'origine des mélanges et des échanges sans lesquels l’homme et son histoire s'enliseraient. Non pas qu’il faille se réjouir des conditions dans lesquelles une partie de l’humanité plonge l’autre en l’obligeant à fuir la misère dont elle est responsable, mais plutôt de la faculté de chacun d’accepter les contrariétés à la faveur desquelles les eaux dormantes, qui les ont vu naître où les voient accoster, se réveillent.
Il aura fallu ce destin singulier pour que la Carrouge, qui prend naissance à Moille-Margot, se jette dans la mer Baltique tout près de Kaliningrad ; et que la remontent au péril de leur vie, 50 ans après, à contre sens, ce même Gustave, sa femme, sa fille, Monika et tous les autres. Jusqu’à Vucherens.
Je quitte le Riau un peu après midi, bois un café dans la Grand-Rue de Morges, avant de monter au 4ème étage de l’hôpital. Jean-Paul s'est fait refaire une hanche toute neuve, la semaine passée, il souffrait depuis quelques années. On partage une mangue qu’il a soigneusement préparée. Nous ne nous étions pas vus depuis quelques années, on commente nos itinéraires et ceux de nos enfants, pas mécontents que les choses aient pris cette tournure. Il est à la retraite depuis une année, travaille un peu, son directeur lui a proposé de bonnes conditions. Pour qu’on en sache plus, il va falloir nous revoir, pas avant cependant qu’il retrouve l’usage de ses deux jambes. Bientôt.
Je rentre par Oron, m’arrête chez le boucher à qui je passe une commande : Michel mange avec nous demain soir. J’achète une baguette que je coupe en tranches et beurre en rentrant ; j’ajoute des carottes, des tomates et des pommes, c’est une affaire d’équilibre, m’a rappelé Jean-Paul. Je jette quatre oeufs dans la poêle, et puis roue libre.

Jean Prod’hom


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