Houle d’après la bataille



Ça sent la fumée, c’est agréable (la fumée de feuilles). Il y a de beaux noyers dans les champs. La terre a été remuée. Il y a des saules aussi, mais pas des saules pleureurs, des saules impulsifs qui partent en l’air. C’est une espèce. Un homme passe avec une bicyclette postale – jaune. Ce doit être le frère d’un facteur. (Charles-Albert Cingria)

Il faudrait saisir le monde avant qu’il ne devienne une figure de pierres, des grimaces sur ton visage, un pavage de bonnes intentions, avant que les choses qui le traversent ne s’embourbent dans une terre dont on dira qu’elle leur était due. Juxtaposition encore hésitante, bouts d’innocence, cortège de modesties mises bout à bout, sans mot de liaison. Parataxe, aucune subordination, ni relation ni ordre, nappe ou vague continue, présences, pluies et glissements.

Les phrases se mettent à pencher, regarde le lierre, il monte en spirale autour du nouvel arrivant, deux mots font saillie, le miel coule, j'aperçois un tunnel qui creuse sa galerie, les nuages font des bascules – politesses de voisinage. Le monde tangue, un seau percé, une araignée tisse tes cheveux, l’éclair d’un sabre illumine les bois.

Il faudrait saisir le monde d'avant la bataille à laquelle se livreront les éléments à l’étroit dans les couloirs du langage, lorsque les choses ne sont encore que prépositions, lorsque le monde balance les bras en tous sens. Peu de choses, deux ou trois qui dansent un pas de deux.

Faut-il croire à cette lâcheté de la première heure, l’espérer parce qu’on n’y tolère ni arrière-pensées ni sous-entendus? Il y a là comme une mélodie qui chasse l’implicite, courbe l'espace et nous dispense des coups d’éclat, sans que rien ne soit mis à l’index ou érigé à la tête de l’état. L'abondance nue débarrassée des chevilles et des mortèzes, des boucles de barbelés qui sacralisent le langage, des effets, des figures qui jalonnent et enchaînent.

Restent la flamme de l’ostensoir dans l’église vide et les innombrables voyages sans noise ou d’après la noise. Il ne sert à rien d’anticiper, la rupture continue tient haut les coeurs. Les mots libérés du corset des mots montrent du doigt la douce conspiration des choses qui sourient lorsque le témoin de la bataille se réveille désorienté.

Jean Prod’hom