Midi au square du Temple

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Quelques vieux du quartier, assis sur les bancs décatis du square, habillés de vieilles hardes qu'ils portent jour et nuit somnolent ou lisent. De l'autre côté, trois ménagères à l’ombre d’une haie bavardent, les bras croisés sur des blouses et des tabliers tachés qu’elles ne quittent pas.

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Passe en trottinant un homme bien enveloppé, suivi d'une lourde dame, la quarantaine ; ils courent en boucle, tous d’eux revêtus d'un haut et d'un bas de training ; ils sont en sueur, grimacent, s’époumonent, souffrent comme on n’osait jadis le faire que chez soi ; le troisième a des allures de Buster Keaton ; il accompagne, en training également, le duo qui peine ; le solide gaillard serre dans chacune de ses mains deux bouteilles d'eau qu'il tient comme des chandeliers et qu’il tend à ses deux clients chaque fois qu’ils passent devant le buste de Bocquillon-Wilhem, fondateur en 1833 des Sociétés chorales.
C’est un de ces coachs que chacun se targue d'être pour ses contemporains et dont la société est envahie dans quelque domaine que ce soit : accompagnateur, consultant, conseiller financier, dans un monde qui vire à l’organisation semi-privée de toutes ses activités. Au nord du square une vieille chinoise en pyjama fait une réussite sur une borne interactive que la mairie du 3ème arrondissement a installée pour le bien-être de chacun. Un homme dans la fleur de l’âge, bien mis, traverse le parc d’un pas vif en répétant : «Je te l’avais bien dit, je te l’avais bien dit. » Je ne vois personne à ses côtés, il téléphone.
Si tous s'ignorent c'est parce qu'ils se connaissent bien, se croisent ici tous les jours et fréquentent sans se saluer les mêmes couloirs de l’administration communale. Les autorités ont soigné le décor : roses trémières dans la rocaille, terre retournée au pied d'arbres étiquetés, canes et canards pataugeant dan la mare ceinte de basses clôtures de fer.
L’espace public ressemble toujours davantage à un grand parc protégé – où les activités de nature privée sont venues rejoindre les activités communément admises  –, entouré de grilles protectrices en fer de lance relevant sans qu’on se l’avoue d’une instance psychiatrique généralisée.

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Il n'y a guère que les enfants qui nous rappellent que la psychiatrisation du monde n’est pas achevée. Circonscrits à l’intérieur du square du Temple par un second grillage au fines mailles, ils jouent au paradis ou aux gendarmes et aux voleurs, suivent les pigeons qui passent au-dessus de leur tête.
En sortant du square, je rattrape à la hauteur du numéro 102 de la rue du Temple deux adolescents. Ils fuient. En training et en baskets. Ils ont certainement fait le mur.

Jean Prod’hom