Dimanche 15 février 2009



Je termine à l'instant la rédaction des notes que je destine à chacun des vingt-six élèves dont j'ai la charge. A les considérer avec un peu de hauteur, elles peuvent se réduire à la reconnaissance de quelques attitudes.

- Prendre de la hauteur, précisément, c’est-à-dire être en mesure de s'interrompre dans son travail à n'importe quel moment, où qu'on soit et quoi qu’on fasse, lever la tête comme le saint Augustin de Carpaccio et jeter par la fenêtre un long coup d'oeil au monde avant de s'interroger sur la nature et le bien-fondé de la tâche à laquelle on s'est attelé. Pour recadrer nos actions, redimensionner notre effort, redresser les dérives, rappeler le but à atteindre, se réapproprier le sens de l’entreprise, se désinquiéter aussi.
- Cartographier ensuite la problématique, repérer les difficultés et attribuer chaque fois que cela est possible - et ça l'est toujours - un nom à chacune des difficultés rencontrées, les résoudre alors l’une après l’autre. C’est une technique infaillible pour se débarrasser de nos ennemis. (Les trois Horaces et les trois Curiaces l'ont démontré à l'occasion de la guerre entre Rome et Albe-la-Longue. Les Curiaces furent tous les trois blessés rapidement et deux des Horaces tués. La bataille devenait inégale. Le dernier Horace s'enfuit. Les Curiaces blessés se mirent à ses trousses. Mais ceux-ci ne le rattrapèrent pas au même moment si bien que le dernier Horace les tua l'un après l'autre.)
- Honorer la sacro-sainte loi du moindre effort. Il ne sert à rien en effet de naviguer contre le vent, il y a des efforts qui parfois sont sans effet et sans raison. L’homme se fourvoie trop souvent dans l’action.
- Aller de son côté et écouter le bruissement du monde lorsque le groupe obéit aveuglément au principe d'inertie, s'en éloigner mais laisser traîner comme si de rien n'était une oreille pour ne pas être piétiné lorsque le groupe est sur vos talons.
- Enfin, écrit René Char dans les Feuillets d'Hypnos, autant que se peut, ... devenir efficace, pour le but à atteindre mais pas au delà. Au delà est fumée. Où il y a fumée il y a changement.

En prenant encore un peu de hauteur, je me rends compte que ces mots que je destine aux élèves - les attitudes dont je chante les vertus - s'adressent d'abord à moi. Je lève la tête et jette un coup d'oeil par la fenêtre, il fait encore nuit et j'imagine le ciel très haut, le ciel qu'il s'agirait de rejoindre pour demeurer à bonne distance du monde, et le considérer lui et ses hôtes avec un peu de justice.

Jean Prod’hom