Le jour du glyphe



Des quartiers
il y en avait des quartiers
et ces quartiers
sur l’île
avaient un nom
cinq quartiers
cinq noms
sans fond
et pourtant
exempts de secret

l’empreinte du cactus
au milieu du milieu
le bouclier à la flèche perdue

le repère des aigles
le nid du serpent à plumes

ces quartiers correspondaient
à des entailles
dans le temps
et on racontait les hauts faits
de leurs habitants

seule l’étendue d’eau
vers laquelle
coulaient
les ruisseaux de l’île
seule la lagune
qu’un long môle
de pierres cyclopéennes
tenait éloignée
de l’océan
demeurait à l’écart du grand partage

on a essayé disons-le
d’entailler cette étendue
mais rien n’y fit
aucun récit ni ciseau ni flèche
n’entama la lagune
on lui donna simplement
le nom de glyphe
ce sont les goélands et les cormorans
sur le môle immobiles jours et nuits
qui firent le reste

une fois par année
au jour du glyphe
ils ouvraient leurs ailes

s’ils s’envolaient
du côté de la lagune

les enfants juchés
sur les épaules des vieillards
poussaient des cris
précipitaient
les vieillards gueulants
au milieu des joncs
des roseaux
les corps mourants
dérivaient alors
sur la lagune jusqu’au môle

s’ils prenaient
la direction de l’île

on portait les vieillards en triomphe
jusqu’au pied du figuier
et les enfants leur tendaient des fruits

à la pleine lune qui suivait
quoi qu’en aient décidé les augures
on jetait les armes
dans la lagune
et c’en était fait d’une génération

je n’ai pas trouvé plus fidèle image
de la précipitation des premiers hommes

Jean Prod’hom