Jour de rien du tout à l’alambic

Capture d’écran 2015-10-09 à 18.53.26

Cher Pierre,
Rien n'a fait mine de bouger ; je suis parti pour un jour lisse, égal à celui d’hier ; Peney, Thierrens, avec les inévitables travaux de consolidation des berges et la correction de quelques travaux d’élèves. Je n’ai pas vu le soleil et j’ai bien cru qu’il ne me resterait rien : pas de prière à bégayer, de poème à tracer, aucune pierre à glisser dans la poche ou à jeter sur l’autre rive.

IMG_2723 (1)

Personne n’en aurait rien su ; c’est normal, dit-on, et on continue ; je passe parfois de l’autre côté du jour sans avoir vu quoi que ce soit de la terre dont je suis l’hôte. Mais il aura suffi que je réponde à l’invitation d’Oscar pour qu’un vent cru, cousin de la bise noire qui tourmentera novembre, maltraitera décembre et salira les neiges de janvier, me fasse lever la tête : la herse a passé, des pinsons virevoltent au milieu des feuilles qui dansent, s’en séparent un peu avant qu’elles touchent terre ; les pinsons remontent en coup de vent se percher sur les branches des pommiers nus. Me voici dedans.
Dans le jour, on n’y entre pas de force ; les pentes, aussi ténues soit-elles, se prêtent aux remous ; à nous de nous retourner et de prendre la vague qui nous emportera ; ou de la provoquer en jetant un samare dans la flaque ; le bruit de fond a son grain, sa noise. J’apprends.
On n’imagine pas toujours la tempête qui a précédé l’ondulation d’une phrase, les noeuds qui l’ont alourdie et les carrefours qui auraient voulu que je tranche ; le jour se soulève tôt ou tard et, d’en avoir été le riverain, m’emmène sur son dos jusqu’au soir. J’aurai réussi à faire passer ce jour de rien du tout à l’alambic et, mine de rien, l’aurai déposé, pour mon bonheur, aux portes d’un refrain.

Jean Prod’hom



IMG_2720