Notre identité la plus chère



Il définissait notre équilibre, notre identité la plus chère, par ce lieu qu'on ne cesse de quitter et vers lequel on revient toutes les fois qu'on ce croit ailleurs. Il appelait passion ce mouvement incessant qui nous mène vers ce qui nous rapproche de ce dont on est séparé en nous éloignant de ce dont on se croit proche. Sans qu'on y parvienne jamais. Comment cela se pourrait-il ? La succession de ces départs et de ces retours, avortés, écourtés, incomplets, nourrissent, prétendait-il, notre présence au monde en creusant toujours plus loin notre absence et celle des choses.

Si bien qu'il avançait parfois que nous sommes à la fois celui qu'on est devenu de n'avoir pas été et celui vers lequel ceux que nous avons cru pouvoir devenir nous ont ramené.

Je suis la cohorte de ceux vers lesquels mon absence me conduit, disait-il. Je suis en retour cette absence qui ne déborde pas. Et il souriait.

Le vase est vide, les fleurs fanées, le vent empêche les rideaux de baisser les bras, on entend des voix, celles d'un transistor. Près du poêle dans l'ombre noire, un vieil homme, personne ne le voit, silencieux, claquemuré dans sa cuisine, pour enfin ne pas y être sans être dérangé, pour être ailleurs sans avoir à aller trop loin.

Jean Prod’hom