Epuisement



C’est le soir, il a payé son écot mais il ne perd rien pour attendre, le monde est injuste. C’est en effet l’instant qu’a choisi une kyrielle de petits fantômes pour visiter ce qui lui tient lieu de tête. Ils y déposent sans ordre l’ombre empoisonnée des tâches quotidiennes dont il ne se souvient déjà plus mais auxquelles nos vies sont suspendues.
Les fantômes ne se retirent pas pour autant après la livraison de leur poison, ils s’acharnent. Pire, chacun d’eux feint la retraite avant de revenir à la charge. Ils virevoltent en tous sens avant de mêler leurs membres et leurs voix pour faire de la tête qu’ils on colonisée une boule solide et spongieuse, mélange de paille de fer et de chiffons de verre auquel s’accrochent des tiques qui lui sucent le sang. C’est en vain qu’il tente de les écarter et d’organiser leur campagne en un cortège organisé. Il se résout donc à les accepter. Et il les nomme, et les nommant leur retire un peu de leur virulence, jusqu’à ce qu’ils soient là, tous là, nommés et affaiblis. Il monte alors à l’étage où il les plonge dans les eaux de la nuit. Ils se noient et lâchent sa tignasse. Libéré il s’endort.
Son sommeil n’eût pas été aussi paisible s’il avait su que cette victoire n’était que la première d’une interminable bataille qui finirait mal. Et qu’il avait laissé en arrière, sur le fauteuil du salon dont il venait de s’arracher, une foule de fantômes qui, après avoir repris leur souffle, se gavaient du venin de ce qu’il avait cru avoir fait bouger tout au long du jour, puis avancer comme un enfant qui file sur sa trottinette.

Jean Prod’hom