On l’ignore avant de le savoir



On y est depuis toujours mais on l’ignore avant de le savoir, et on ne le sait que si on se laisse prendre et qu’on s’y enfonce encore. Alors le dehors vient dedans et le dedans va dehors. La rumeur prend la main sur la raison qui la rejoint en se mêlant à l’inarticulé, s’y défait au ralenti, se mêle aux poussières, à la terre, aux nappes de lumière en suspension et aux prés fauchés. Rien n’a changé pourtant. Ou tout du tout au tout. La tête ne dépasse plus, c’est dire qu’on ne l’a pas sur les épaules, ou plutôt, ce qu’on attend d’elle ne répond plus : on est dehors avec les oiseaux. Nul besoin de retenir son souffle, il suffit de respirer, sans mélange, quelques visages muets qu’on n’imagine à peine. Ça dure, une durée égale à celle de ces rêves qui restent en arrière et qu’on tente de retenir au réveil, inutile de vouloir colmater les brèches, il n’y en a pas. Impensable de prendre peur, rien à craindre, rien à perdre non plus sinon un peu du peu de raison qui reste, guettant le leurre auquel on veut mordre pour remonter un morceau de tout ça.
Tu es suspendu au hameçon de celui qui t’a ferré et qui t’attend plume à la main. C’est délicat, ce qu’il retire c’est bien toi mais tu n’as pas de bord et ses mots sont bien trop rodés. Il faudra que tu leur donnes d’autres noms et du vent pour dire la route qui va d’ici à là-bas et retour, les visages inconnus aperçus au volant de leur voiture, lointains, tournant sans fin sur les giratoires. Pas trace de danse, ce n’est pas un ballet, réveille-toi sans précipitation, parce que le monde accroché au leurre que tu retires n’est pas indifférent à celui que tu habites.
Mais là-bas tu étais dedans avec le dehors et tout débordait sans toucher à rien. Ce n’était pas loin de ce qui ne se peut pas, aussi léger qu’un souvenir. Il n’y avait pas de vent et je n’étais ni Pierre, Jacques ou Jean. On ne voulait rien bâtir, il avait suffi qu’on nage avec les autres, ça valait le coup. Plus que jamais hors jeu dans le jeu, dedans dehors sans jamais que ça s’effiloche. On avait tous un oeil sur le miracle.

Jean Prod’hom