Transversale



Je me réjouissais hier de filer à pied plein ouest, comme Thomas Platter il y a 500 ans plein nord par le Grimsel en direction de Munich, je me réjouissais de traverser cet après-midi le Bois de Vernand, la Mèbre, la Petite Chamberonne, la Grande et rejoindre la Venoge, insouciant comme lui - de la belle insouciance s'entend - , attentif aux dangers, autant les dangers qui jouent le jeu que ceux qui baissent les yeux, les dangers retords, plus souterrains aujourd'hui peut-être qu'autrefois; attentifs aux brigands prêts à perdre leur vie et la nôtre pour obtenir ce qui n'existe pas ou qui ne vaut rien; attentif à la peste, celle qui ronge et affaiblit nos représentations; à nos guerres de religion, guerres des haies et des haines ordinaires.

J'y suis bientôt ravi dans une durée qui s'étire d'aise dans tous les sens, avec des bacchants et des béjaunes stupéfaits qui n'imaginaient pas que le monde puisse être monde. Ils comprennent mieux ce que marcher veut dire et sauront désormais qu'il est simple d'aller de l'avant, vent arrière ou vent debout.
Resté en arrière, l'un des béjaunes lève la tête et s'étonne: un gros porteur raye le bleu du ciel qui mène aux Maldives.

Après avoir passé huit à neuf semaines à attendre nos compagnons, nous partîmes pour la Misnie. Quel grand voyage pour moi! C’était la première fois que j’allais si loin et qu’il me fallait pourvoir en route à ma subsistance. Nous étions huit ou neuf en tout, à savoir trois béjaunes et les autres de grands bacchants: ce sont les noms qu’on donne aux jeunes et aux vieux écoliers; j’étais le moins âgé et plus petit des béjaunes. Quand je ne pouvais plus me traîner, mon cousin Paulus se plaçait derrière moi, armé d’un bâton ou d’une pique, et m’en donnait des coups sur mes jambes nues, car je n’avais point de chausses et seulement de mauvais souliers. Bien que je ne puisse me rappeler toutes nos aventures de grands chemins, quelques-unes cependant me sont restées dans la mémoire. Une fois, comme nous cheminions devisant de choses et d’autres,...

Thomas Platter, Ma Vie, L’Âge d’Homme, Poche Suisse, Poche, Paris, 1982

Jean Prod’hom