Entre Saint-Hippolyte et Saint-Roman-de-Codières

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Cher Pierre,
Le brouillard nous a avalés durant la nuit, mais c'est seulement à 8 heures que Louise, Lili et moi nous en rendons compte, sur les traverses de chemin de fer glissantes de l'entrée, les autres dorment. On se lance et on y pénètre de plain-pied, sans fermer le portail derrière nous.

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Les filles babillent au ralenti à l’arrière de la Nissan, je tâtonne, roule sans faire de bruit, avec quelque chose au bout de la langue qui m’enveloppe, monté de je ne sais, quelque chose qui se rassemble et me soulève.
C’était un art de vivre, nous nous étions établis depuis le début de l’été au-dessus de Cros, entre Saint-Hippolyte-du-Fort et Saint-Roman-de-Codières, marchions le jour, lisions la nuit des doctrines savantes et des poèmes ardus ; nous avions, en septembre, vendangé le raisin de la plaine avant de nous réchauffer en brûlant au feu de bois la brouille d’octobre. Nous disposions, sur la colline, de quelques ressources, la pluie et du gros rouge pour nous désaltérer, des châtaignes et des tommes de chèvre pour apaiser notre appétit ; le jaune des genêts et l’éclat des fausses oronges suffisaient à colorer nos rêves.
Hier et aujourd'hui se confondent, les feuilles mortes se tortillent comme des poissons d’argent, les mousserons et les chanterelles brillent dans les sous-bois, j’avance toujours avec la vie devant moi.
À Thierrens, les filles descendent l'allée comme des habituées des lieux, sans se retourner, elles rient et se taquinent. Le café de Saint-Cierges est ouvert, j'y fais une halte, lis le journal et bois un thé tandis que le patron vend au responsable des pompiers locaux un menu de chasse qui clôturera le prochain exercice.
Je m'arrête à Chapelle, passe deux belles heures avec Charles et Valérie qui préparent leur séjour en Amérique latine. Celle-ci me parle de F, sans bien savoir par où et par quoi commencer, elle peine à caractériser son état d'esprit, sérénité ou résignation, sans savoir en définitive ce qui sépare sereine et résignée hormis la lettre g.
Tout ça nous dépasse un peu, on y revient, on s'en éloigne, on se sépare avec la conviction qu'il est plus nécessaire que jamais de conjuguer nos aspirations avec nos occupations, car si la chute est collective, la rédemption est individuelle.
Françoise, qui est allée manger avec Arthur, passe la fin de l’après-midi avec nous. On va se balader jusqu'à la Goille, je prépare au retour le repas, bouts de ficelle aux chandelles. Séance cinéma le soir, dans les combles, on regarde, Sandra, les filles et moi, le film d'Ursula Meier, Les Epaules solides.  

Jean Prod’hom


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