Je suis moi et personne d’autre

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Cher Pierre,
Nous reprenons le même chemin pour la troisième fois, de la Vernie à la Vernie en passant par la Mèbre. Mais aucun moineau ne se baigne dans les flaques  ; le champ labouré semble l’avoir été à nouveau pendant la nuit ; les innombrables chemins d’accès, de la rue des Alpes aux propriétés privées, sont devenus autant de petites impasses pleines de malfaiteurs, les thuyas offrent de belles planques aux merles. F ne reconnaît pas tout non plus. Il faudrait naturellement refaire le même chemin un nombre incalculable de fois pour être en droit de se taire. On se quitte à midi, je fais une halte à Poliez-PIttet

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T me demande si je veux bien l’accompagner ; on fait quelques pas en direction du collège, soleil, quelques pas en direction des bois ; la présence des lichens sur les arbres indique, me dit-il, la bonne qualité de l’air. Deux oiseaux passent dans le ciel, ni corneilles ni corbeaux, des cormorans peut-être, puis plus rien. Je le prècède, T m’arrête, le grand air l’inquiète, un accident peut-être, on rentre.
Sa chambre ne connaît pas le soleil, et le soleil de Henning Mankell peine à y entrer ; T me demande à la fin du premier chapitre s’il doit entendre dans ces lignes l’annonce de sa mort. Pas de point final à apposer, répond Mankell, dans le sens d’une issue heureuse ou d’une issue fatale. Je suis entre les deux. Aucune certitude.
Il y a dans le second chapitre un tableau qui fait voir ensemble les morts et les vivants, les premiers regrettant de devoir quitter la partie si tôt, les seconds durant bien au-delà du temps qui leur a été imparti.
Dans le troisième, Mankell raconte comment, à neuf ans, il découvre qu’il ne peut échanger sa place avec personne : Je suis moi et personne d’autre. J’avais le même âge, ou à peu près, c’était un dimanche après-midi, seul, un ballon dans la main. Personne ne prendra désormais ma place.
Lucette et Michel ont mis les petits plats dans les grands, on mange et boit jusqu’à tard. On rentre à minuit passé.

Jean Prod’hom


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