L’homme est une usine à pathétique

Capture d’écran 2015-05-31 à 22.35.09

L’homme est une usine à pathétique, c’est ainsi, difficile de faire autrement. Mais le rituel qui met un terme à la scolarité obligatoire, là où il demeure, inquiète, son prix est exorbitant. Pour maintenir la bastringue hors de l’eau, ses exécutants sont amenés à prendre des mesures toujours plus onéreuses et cocasses, on bricole ; tout le monde collabore, mais le bénéfice maigrit, à peine suffisant pour sauver la face, et refaire un tour. L’opération semble obéir à la loi des rendements décroissants, il serait temps de passer à autre chose. Certains s’y attellent depuis longtemps déjà, sans grand succès, ils se consolent à l’idée que la réponse viendra d’ailleurs, de là où on l’on ne s’attendait pas, comme toujours. Et c’est tant mieux. En attendant, ils font de leur mieux avec les moyens du bord : frontières, saisie des téléphones, murs, contrôle des sacs, séparatifs, logiciels anti-plagiats, encouragements à la concurrence, espionnage sur les réseaux sociaux. Bonne chance les enfants !

IMG_8953

Trop de zones grises, disent les plus hardis, il faut légiférer au plus vite, obtenir un soutien, de l’argent. Alors les hommes de loi légifèrent pour mettre sous contrôle ces zones, systématiquement, rationnellement. D’accord. Paradoxalement, leur nombre et leur étendue croissent lorsqu’une règle ou une loi est mise sous toit, avec pour corollaire la mise en miettes du champ de leur application.
On invoque les nuances tandis que le gris s’étend, grisaille, on multiplie les coutures sans couleur. Mais, et comment faire autrement, on faufile si lâche que les filous parviennent à glisser dans l’ouverture une pince-monseigneur, à se saisir de l'infime pour en faire un précédent. Les procéduriers font de rien une affaire d'état, c'est l'envers de la peau de chagrin.
L’espace et nos vies sont pavés de bonnes intentions, de poèmes abscons et de lois magnanimes ; alors le quelque chose qui résiste recule, se tient à l’abri des peurs et des profits qui accablent nos vies. Rien n’a pourtant changé, mais toute ouverture est devenue un danger que les gardiens de l’ordre s'empressent de colmater ou de contrôler.
On a réduit simultanément d’autres zones grises, les bonnes, celles qui nous permettent de respirer, les jachères et les granges vides, les bouzigues, les chantiers et les haies. Où donc nos gamins iront-ils demain s’embrasser ?
Je crains aujourd’hui le coup de grisou, le respect de la loi suppose une confiance aveugle, analogue à celle qui permet la circulation de l’argent, tout est si fragile. Et si je suis amené à l’écrire, c'est parce que ce quelque chose qui était consubstantiel à nos vies est devenu si miraculeux qu’il est nécessaire de renouveler son bail à chaque instant, sachant que sa rupture nous contraindrait à tout reprendre depuis le début, bellum omnium contra omnes.

Jean Prod’hom