Copier



Nous aurons à reprendre notre copie, ou plutôt à prendre la mesure de cette opération disqualifiée. La copie n'est pas un obstacle à l'originalité mais une de ses conditions. C'est plutôt son déni qui est à l'origine de certaines impasses qui ont conduit l'histoire et la critique à l'accabler de mille maux et de lui dénier quelques incomparables vertus, et principalement celle de lire lentement.

Comme Borges et Pierre Ménard l'ont démontré, la copie est peut-être en son point extrême le lieu de l'interprétation la plus osée. La métaphore la plus risquée, la plus originale, n'est-elle pas en définitive la pâle copie d'elle-même?

Je me souviens d'un chauffeur de bulldozer qui perçait les chemins dans le schiste et le granit de la région de Cros et de Saint-Hippolyte-du-Fort, le long du Vidourle et sous La Fage, en hurlant à tue-tête les fables de la Fontaine apprises à l'école. Les hôtes des Cévennes s'en souviennent encore, les chèvres, les arbres et les hommes, les Gardons, les moutons et les loups.

Il y a copier, copier et puis copier, prendre et reprendre, priser et repriser, écrire et récrire, le Jorat et le Cher, et puis il y a Alain-Fournier et Pierre Bergounioux.

Jean Prod’hom

Personne ne répondit. Nous étions debout tous les trois, le coeur battant, lorsque la porte des greniers qui donnait sur l'escalier de la cuisine s'ouvrit: quelqu'un descendit les marches, traversa la cuisine, et se présenta dans l'entrée obscure de la salle à manger. (...)
«Tiens, dit-il, j'ai trouvé ça dans ton grenier. Tu n'y avais donc jamais regardé.»
Il tenait à la main une petite roue en bois noirci; un cordon de fusées déchiquetées courait tout autour; ç'avait dû être le soleil ou la lune au feu d'artifice du Quatorze Juillet.

La cour était déserte encore lorsqu'il descendit. Il fit quelques pas et se trouva comme transporté dans une journée de printemps. Ce fut en effet le matin le plus doux de cet hiver−là. Il faisait du soleil comme aux premiers jours d'avril. Le givre fondait et l'herbe mouillée brillait comme humectée de rosée. Dans les arbres, plusieurs petits oiseaux chantaient et de temps à autre une brise tiédie coulait sur le visage du promeneur.

Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes


Les grands romanciers réalistes, quoiqu'ils soient d'abord préoccupés des rapports nouveaux qui s'instaurent entre les hommes, dans la société révolutionnée, à la ville, ne sauraient négliger la couleur du ciel. (...)
La magie de son unique petit roman tient au pouvoir du personnage central, qui est de faire tourner la roue des saisons. Son premier geste, lorsqu'il arrive, en cours d'année, dans l'école de campagne où sa mère l'a mis en pension, est d'explorer les greniers. Il en tire une pièce de feu d'artifice qui avait raté, lors de la Fête nationale, l'allume, dans la cour déserte, et c'est le soleil du 14 Juillet qui monte en tournoyant au ciel gris, crépusculaire, du premier dimanche d'hiver.

Lorsqu'il ouvre les yeux, au matin du deuxième jour, qui va le combler de bonheur et au-delà, il pourrait se croire transporté au printemps. Dans les arbres, les petits oiseaux chantent et, de temps à autre, une brise tiédie coule sur le visage du héros.

Pierre Bergounioux, Une chambre en Hollande