(FP) Nos désirs s'étendent au-delà de nous



Être ici et en même temps ailleurs, c'est ce à quoi nous obligent nos vies habitées par le souci de l'avenir, cet état en a rendu plus d'un malheureux. Montaigne dit juste : Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes au-delà. Mais nous devons concéder pourtant que cet inconfort, auquel chacun de nous est tragiquement confronté et qui déroge au sacro-saint principe d'identité sans lequel notre raison ne serait pas, installe d'emblée la possibilité même du temps – l'inquiétude –, et la promesse indéfiniment reconduite d'une résolution, celle de l'irréconciliable – l'histoire. L'écriture, quelle qu'elle soit, n'est rien d'autre en définitive que le procès-verbal des avatars de cette contradiction, le compte-rendu des variations d'une promesse dont l'échéance est constamment différée, C'est pour cette raison qu'on entend sourdre de tout texte une plainte, comme le bruit de la mer du creux du coquillage.
Hormis dans un usage improbable de l'écriture qui, par un retournement dont je ne saisis encore ni la genèse ni la mesure, devient le lieu même où l'au-delà est rapatrié dans l'ici, et la plainte – l'ici rejeté dans l'au-delà – un chant ou le murmure de la mer, et ma vie une averse. (P)

Jean Prod’hom