Il sonne deux coups à l’église de Liddes



Deux chaises récupérées à la déchèterie, bancales, marron et vis apparentes encadrent une table de fer au pied forgé, rongée par la rouille, couches successives d’antirouille et de vernis turquoise. Je m’assieds sur celle de droite, lui manquent deux traverses, dépose ma veste par-dessus un cendrier rempli de mégots détrempés. Derrière, la vitrine d’une épicerie fermée depuis midi. Tout autour le soleil qui fait fondre l’hiver dans un décor de village oublié. La terre apparaît par endroit, une odeur de renouveau sans jonquille ni primevère. Des confettis macèrent dans le bassin. L’eau de la fonte est partout, mousse sous les roues des véhicules en contrebas, glougloute dans les descentes de chenaux, cuivre percé, tôles acides, glisse sur les lauzes, conduits obstrués par les épines des mélèzes, on entend le travail en-dessous des regards de fonte, l'eau coule épaisse au goulot des fontaines.
Me trouve dans une boucle, personne, dedans un lac, l’eau fait le reste, verse vers l’aval dans le lit de la Dranse, Orsières, Sembrancher, Martigny et le Rhône. Ne cède pas à la pente naturelle, mais remonte à contre-courant, sans effort, repassant par d’autres stations jusqu’à ce lac d’altitude en quoi consiste l'enfance. Pas de retenue, un carnaval silencieux, il sonne deux coups à l’église de Liddes.

Jean Prod’hom