Dimanche 5 avril 2009



L'enfant tire délicatement à gauche puis à droite les rideaux de l'une des fenêtre de sa chambre qui donne sur la place. Il est debout sur son lit et aperçoit l'arrivée des roulottes, ses parents dorment encore. Les curieux s'approchent et se glissent entre les caravanes multicolores, c'est jour de printemps, c'est aussi jour de fête. Pas de bruit dans la chambre sinon le bruissement sur les draps des rêves de l'enfant unique qui a collé son visage à l'un des carreaux de la fenêtre. Des images, les images d'un rêve, Starlight, Fellini, Knie et Jacques Tati. Plus haut le ciel bleu, plus loin le lac d'huile.
On treuille les armatures de fer, on décharge et transporte les praticables, on suspend les toiles, on pend les projecteurs. Ils sont venus de Mongolie, de France, de Suisse, d'Autriche, du Jura. Ils sont habillés de gris, bobs et marcels, ils ont le visage fermé de ceux qui n'ont pas une minute à perdre, la concentration des professionnels d'avant les coups de main, ils parlent toutes les langues.

Pour deux jours, deux heures de fête sous un chapiteau, des artifices en rafale, des rires, des exploits dans la nuit, des lumières, des tromperies, des mensonges. Des couleurs et du feu dans une cloche de toile.

Mais sitôt la dernière représentation terminée, quelques secondes à peine après les derniers applaudissements, le prestidigitateur tire la chevillette et la bobinette cherra. La lumière fait violemment irruption tout en faut de la tente, le voile littéralement se déchire. En quelques minutes la coque du songe s'est refermée, on démonte. Pas de temps à perdre, on roule les toiles en silence, on aligne les tubulures, on ramasse les ordures, tous, artistes, Chinois, Autrichiens, Jurassiens, Canadiens. Demain lundi c'est jour de congé. Moutier mardi et mercredi. Puis Laufon, et ainsi de suite.

Des mères et leurs enfants s'attardent bras ballants sur ce champ de ruines. Quelque chose s'est écroulé. Si vite. Les visages des jongleurs, des ouvriers qui s'affairent et des deux clowns tristes qui se sont moqués du monde tout à l'heure sont fermés comme les battants des fenêtres l'autre matin, dans la chambre de l'enfant.

Jean Prod’hom