En définitive ce qui m'attache à la poésie

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Cher Pierre,

Signes pour voyageurs

Voyageurs des grands espaces
lorsque vous verrez une fille
tordant dans ses mains de splendeur
une chevelure immense et noire
et que par surcroît
vous verrez
près d'une boulangerie sombre
un cheval couché dans la mort
à ces signes vous reconnaîtrez
que vous êtres parmi les hommes.

Capture d’écran 2015-04-02 à 22.22.17(Jean Follain, Usage du temps, 1943)

En définitive, ce qui m'attache à la poésie, ce sont des poèmes que tout oppose. Les premiers renvoient à la possibilité de donner à voir et â entendre, hors de nous, la coexistence mystérieuse des choses ; les seconds, â celle de faire exister une phrase si simple et si légère qu'elle chemine, en nous, sans toucher à rien, en donnant un écrin intérieur â ce qui nous manque.

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Les Signes pour voyageurs de Jean Follain sont de la première espèce. Le Si peu de Jean Grosjean est de la seconde.

Le Silence

Il y a la luminosité fugace des choses, cailloux, bains de paille, pans de murs, pans de ciel entre les branches. Les passages de l'air, les frissons du feuillage, l'herbe qui bouge, les flaques qui se rident, tout se montre et se dérobe...
...
Le grand silence que j'ai toujours entendu derrière les charivaris, je m'écartais d'eux pour mieux l'entendre. Lui seul veut dire quelque chose. Tout ce qu'on voit, tout ce qui bruit, tout se tait, mais derrière le mutisme, il y a ce silence de quelqu'un qui est sur le point de parler.
Capture d’écran 2015-04-02 à 22.22.17(Jean Grosjean, Si peu, 2001)

On se dit au revoir, Sandra et les filles partent à pied pour Froideville. Je boucle mon sac, charge la voiture, oublie le câble d'alimentation du portable, me trompe à Bardonnex, sors de l'A40 à Bellegarde, repique sur l'A41 à Annecy, en sors aux Abrets, m'égare près de Voiron, décide de faire confiance à l'Isère et de lui donner la main, jusqu'à Romans. Les noyers n'ont pas vieilli, l'herbe reverdit : Moirans, Albenc, il faudrait s'arrêter quelques jours, la vitesse enlaidit.
Je quitte l'Isère pour bifurquer vers le sud. Le soleil plonge derrière les nuages qui couvrent les montagnes de l'Ardèche, il allume les contreforts de celles de la Drôme, les peupliers, les saules, les premiers cerisiers, les fleurs jaune pâle, timides encore, des colzas.
Fais halte à Crest pour la nuit.

Jean Prod’hom