La Combette

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Cher Pierre,
Dernière mission cette année, faire voir aux petits de 9ème l’existence, même lointaine, d’une possibilité, celle de vivre à 1200 mètres d’altitude, dans un chalet d’alpage, sans réseau et sans électricité, presque nus, avec des lapins, un chien, des veaux, des génisses et des bergers.

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Les ornières du chemin que l’on suit de Trois-Villes à l’alpage des Naz n’ont pas eu le loisir de se faire un lit très profond, peu de circulation ; mais des fraises sur le talus, chaudes et douces comme un baiser, pas assez nombreuses cependant pour remplir le creux de la main et combler nos gourmandises.
Il nous faudra deux grosses heures de marche et un pique-nique, chacun cherche un peu d’ombre, pour croiser le premier troupeau de vaches.
Micheline et Bernard, qui font la saison à l’alpage de la Combette, nous accueillent avec un grand sourire ; du monde ils n’en voient guère depuis un mois. Leur fils a repris le domaine de Bioley-Magnoux, à lui maintenant de faire ses expériences à l’abri du regard des aïeux. Et puis ça fait des lustres que Micheline et Bernard souhaitent vivre au rythme des bergers et des bergères. La bergère a placardé un mot de bienvenue et placé, à son pied, une gerbera dans une bouteille, souvenir du mariage de son fils.
La pauvreté des moyens, l’étendue des pâturages et du ciel, la gentillesse de nos hôtes, les heures qui zigzaguent en tous sens, les portes qu’on ne ferme pas, la rareté des règles, le désir des hommes et des bêtes de persévérer, tout concourt à plonger les gamins dans une espèce d’euphorie qui les conduit à concevoir des jeux sans queue ni tête, des courses sans vainqueurs ni vaincus, et on se plaît à imaginer l’un d’eux lisant Alice au pays des merveilles, tandis qu’un ballon roulerait en bas la montagne, que des voix traverseraient la combette et que des friandises tomberaient du ciel.
Sandra nous livre les provisions et les sacs de couchage au milieu de l’après-midi, Joël vient aux nouvelles. Un chamois broute au-dessus du chemin qui mène à la Côtelette, on boit un verre. Le soleil finit par descendre derrière l’Aiguillon mais traîne de l’autre côté, et claire les sapins tout en-haut de l’arête qui conduit au Suchet, d’où, lorsque la nuit se sera établie, la lune se lèvera.
Les enfants auront cessé, je l’espère, de s’accrocher au jour et le tintinebulement des cloches, tantôt ici tantôt là, rappelleront la présence invisible de ce qui ne se dit pas, auquel nous faisons tous une énigmatique et mystérieuse confiance.

Jean Prod’hom