Trapèze et chute libre

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Il en faut de la volonté pour pencher la tête et retrouver sous le badigeon immanquablement gris des jours ouvrables, ne serait-ce qu’un instant les couleurs d’origine, il en faut du courage pour suspendre les trajectoires que des disciples de Laplace semblent imposer à chacun d’entre nous et prendre la tangente. Je n’y parviens qu’à moitié, avance actif et docile jusqu’à midi en anticipant les désagréments des jours prochains. Nous avons, les élèves de la 11 et moi, étêté les piles qui menaçaient au sommet des étagères en mettant le surplus à la benne ou dans des cartons, en vue du déménagement qui va nous conduire dès le mois d’août prochain dans le nouveau bâtiment scolaire. J’en profite pour verser tout ce que j’avais cru bon garder des années durant dans la poche sans fond de l’inutile. On entrepose ce qui est à garder dans l’ancienne salle de sciences. La classe 11 reprend une existence indépendante à mesure qu’on la libère, les élèves rentrent chez eux avec des livres et des boîtes vides sous le menton. De six heures à midi sans discontinuer, une seule trajectoire, de porte à porte, comme suspendu à un trapèze tenu par une main invisible.
Chute libre ensuite au Riau où je me couche une bonne heure, ramolli, avant de corriger assis devant un café les vingt-deux dernières copies de l’année.
Je suis debout à cinq heures et on va, avec Sandra, sur le chemin qui conduit au refuge de Corcelles, on décide de prolonger notre escapade, une piéride bat des mains, on la suit une bonne centaine de mètres. Me reviennent en mémoire celle qui m’avait précédé tout un matin sur un chemin de l’Emmental entre Eggiwil et Trubschachen, cette autre qui m’avait ouvert tout l’après-midi un allée royale dans les bois au nord-est de Chinon. Prise en écharpe par Sandra et moi, la nôtre décide d’aller de son côté sans cesser d’applaudir. De l’autre côté du chemin les abeilles travaillent dur, on les entend entrer et sortir des huit ruches cachées par les lourdes branches des foyards. On parle de choses et d’autres, de cette fin d’année scolaire et de nos enfants, on passe par le chemin creux. On s’emballe en évoquant les mardis de la rentrée, c’est un peu tôt, il est préférable de se taire.

Jean Prod’hom