Mais cette fois c'est nous qui sommes dedans



En installant ses quartiers à l'arrière, à l'arrière de son for intérieur, en y déambulant durablement et raisonnablement, l'homme laisse s'installer toujours davantage l'idée suivant laquelle le dehors n'est qu'une des humbles annexes du dedans, abandonnant la bride à la raison qui se lance alors à l'assaut de ses marches, sans discontinuer, étendant son chiffre à de nouvelles provinces, dessinant la courbe de sa croissance, affinant sa découpe, dressant la carte de son empire, pointant les connexions et soulignant les subordinations.



On peut certes vivre dedans avec des images du dehors au fond de soi sans jamais en sortir. Jusqu'au jour où les circonstances vous arrachent, sans vous avertir, vous obligent à douter un instant, vous maintiennent incrédule, le temps de passer le seuil, le temps d'un rêve ou d'un réveil, en équilibre, avant de vous déposer dehors, il faut faire vite, le temps d'une bascule. Car ce ne sont pas des images, il faut y croire, cette fois c'est vous qui êtes dedans, nu et neuf. Le temps presse, et si vous voulez vivre encore, vous devez réduire sur le champ la voilure de l'incrédulité qui vous habite, ne pas tenter de fuir, donner votre assentiment à ce dans quoi vous avez été précipités, ce à quoi vous ne songiez même pas parce que vous le mainteniez forclos dans l'imaginaire. Il faut alors vous déposséder de ce que vous étiez autrefois en l'affublant d'une image à laquelle d'autres images viendront s'agréger, batailler ferme depuis un dedans insensé, réinventer le dehors et ses annexes, recommencer.
Mais le réel reste toujours derrière la porte, il neige, sortir si l'on peut, résolument, pour rêver une fois encore qu'il est possible d'éclairer du dehors l'exiguïté du dedans.

Jean Prod’hom