Chemise jaune et cravate rouge

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Chemise jaune et cravate rouge, réveillé depuis longtemps, il s'appelle François, il l'annonce au micro en souhaitant la bienvenue aux membres du club qui fait sa sortie annuelle. Il ne dira plus rien de la journée.

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L'un des deux organisateurs prend la parole à son tour, les participants pourront en raison de leur petit nombre visiter à la fois le musée du fer et les grottes de l'Orbe, ou le fort Pré-Giroud. Et les amateurs de pêche assistée pourront sortir du bassin de la pêcherie la truite qu'ils mangeront à midi. Des nappes de nuages fins comme des suaires flottent sur le Jura. Le ciel est dégagé ailleurs, ça donne des ailes, la femme du président est assise à côté de la secrétaire, Michel et son amie passent auprès de chacun et prennent les inscriptions.
François chausse ses lunettes à soleil à la sortie du tunnel de Bruyère et tourne la tête à l'ouest, le lac s'allonge, il a beau se pencher, il ne le voit pas dans toute sa longueur. Il aurait voulu être pilote d'avion, ça ne s'est pas fait, ça ne pouvait pas se faire, alors il rêve. Le caissier est assis à côté de sa femme, ils vivent accrochés à un ancien malheur qui les soude, ils ne veulent surtout pas en rajouter. Les enfants au fond du car s'agitent à l'idée de manger ce qu'ils pêcheront, le car peine sur la semi-autoroute qui mène à Vallorbe. On devine l'Orbe dans le pli noir qui entaille les bois, c'est l'automne, les frondaisons bouronnent.
- Il y a toujours ces bus qui ont une allure dérisoire.
- Et ces pilotes si gentils et polis.
Le fer et la fonte, une fois les graisses et les huiles épongées, ont la douceur des chatons, moelleux, doux, presque chauds, personne ne l'aurait cru. Thomas est penché sur les mains blondes de la demoiselle de la forge qui manie le fer de ce qui lui portera bonheur, une miniature de cheval trempé, il relève ses lunettes qu'il cale sur le front, on entend des cloches, il n'y a plus grand monde dans le musée du fer et du chemin de fer de Vallorbe, un troupeau de vaches fleuries descendent de la vallée de Joux. La responsable de la caisse et sa voisine fument une cigarette en papotant à l'entrée du musée.
- J'aime pas les films qui finissent mal.
- C'est la désalpe.
- J'aime pas les films qui ne finissent pas.
- Plus d'herbe.
- J'aime pas les films où on cherche la fin.
- Moi c'est les moulins, j'aime les roues à aubes.
Ils mangent près du canal des truites en papillote, des tables ont été dressées tout au long. Pas le temps de faire cette sieste que le vin blanc et le soleil et le bon sens exigeraient pourtant, il faut continuer cette partie de plaisir, la moitié du groupe descend dans les grottes de l'Orbe, une vieille dame d'un certain âge invite les autres à emprunter les 150 marches qui les conduit au fond du Fort de Pré-Giroud, une taupinière construite entre 1937 et 1940 qui n'a jamais servi. La vieille dame chante les veillées d'armes, le courage des soldats, beaucoup parmi les participants tombent dans le panneau et compatissent, du coup la vieille rajeunit et en rajoute, le doute est interdit sous le portrait du général Guisan, on ne plaisante pas. Pas de photo s'il vous plaît, il y a peut-être des espions parmi vous, il faut le savoir, savoir se taire, on nous a volé une collection d'armes qui a une grande valeur, il faut respecter la hiérarchie et le passé, tout est sous clef ici et chacun a sa responsabilté personnelle. La vieille a des galons, huit ans qu'elle organise chaque jour des visites pour des petits groupes, toujours très disciplinés, dit-elle, elle y est pour quelque chose. Trois fois une heure et demie, et puis une heure pour ouvrir les lieux, une autre pour les verrouiller le soir. Elle porte le numéro 91 sur l'épaulette de sa veste militaire.

Jean Prod’hom

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