C’est un bout de paysage tapissé de givre

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Cher Pierre,
Sale matinée ! Je vais en tous sens sans être nulle part, tirant les fils imaginaires de ce qui n'a pas été fait la veille et de ce qui serait à faire. Je ne suis pas là, dehors sans y être, à la traîne de raisons qui m’enchaînent comme dans un rêve, forclos. Difficile d’en sortir, difficile d’entrer dans la partie.

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Sentiment de passer à côté, de m’accrocher à une idée. Avant que quelque chose me tende la main. En y prenant garde j’aurais pu y rester ; on a tôt fait d'être pris dans cette nasse dont on est trop souvent le prolongement, dans laquelle on s'emmêle. Plus tard, plus tard : ne restera rien le soir venu et on n’aura rien vu venir.
C’est entre Ferlens et Auboranges que je me suis réveillé, alors que j’allais faire des courses à la COOP d’Oron. C’est un bout de paysage tapissé de givre qui me sépare de moi-même ; une image traversée par une allée de feuillus désarmés, une grange attendrie au sud par un soleil pâle, une prairie étroite déroulant sa pente jusqu’à la route. Je m’arrête et fais une photographie.
Retenir, cueillir, noter quelque chose, le matin déjà, c’est accepter que cette chose, quelle qu’elle soit, infléchisse notre parcours, oriente notre regard, anime nos pensées jusqu’au soir ; elle nous oblige à cesser d’être à la traîne, à nous extraire de nous-mêmes et du monde, à prendre les devants, à donner une couleur à ce qui nous entoure et que nous découvrons pour la première fois. Marcher, regarder, penser deviennent des aventures.
Marinette m’a confié l’autre jour qu’elle n’en avait pas vu dans ses friches ; c’est pourtant un temps à chardonnerets ; je cherche, demande à gauche, à droite sans en savoir plus. Je regarde quelques-unes de ses représentations, celle du Maître du Haut-Rhin, dans laquelle un couple de chardonnerets, perchés sur un rosier au pied duquel poussent des fraises, regardent par la fenêtre.

Jean Prod’hom