Pour la première et la dernière fois

Aujourd’hui, comme je le fais régulièrement, je prends le vol 77 à destination de Los Angeles. Comme tout homme d’affaire, je n’ai qu’une petite mallette où je mets tous mes documents importants. Je pensais à Claire, mon ex-copine avec qui je venais de rompre. Ça m’embêtait d’aller à ce congrès mais ça me permettrait peut-être de faire de nouvelles connaissances.
J’embarquais maintenant dans l’avion et une fois ma place trouvée, je notais l’emplacement des issues de secours. On ne sait jamais... Soudain, mon regard fut détourné par une magnifique jeune fille. Elle avait l’air perdue alors je lui demandais :
-Mademoiselle, avez-vous besoin d’aide ?
-Je ne trouve pas ma place.
-Laissez-moi voir votre billet. Ah elle est juste là, à côté de la mienne !
-Ah... D’accord... Et elle s’assit.
Les hôtesses de l’air commençaient à expliquer les gestes à faire en cas d’accident mais comme la plupart des gens dans cet avion, je n’écoutais pas. Pourtant elle, contrairement à moi, elle avait l’air vraiment captivée. Soudain, je me décidais à lancer la conversation.
-Je m’appelle John et vous ?
-Je vous en pose des questions ?!
Après un long silence, comme cette femme m’intriguait, je décidais de lui raconter quelques anecdotes sur moi. Dix minutes de monologue plus tard, elle se décida à parler :
-Je m’appelle Emily. C’est bon maintenant ?! Vous allez me lâcher ?!
-J’apprécie votre franchise donc je vais être franc avec vous : vous avez l’air d’être quelqu’un de bien, je ne lâcherai pas l’affaire.
-J’ai tué un homme... J’étais horrifié.
Mais son rire me ramena à la réalité :
-Oh calmez-vous ! Je rigolais Monsieur « je-suis-franc » !
-Ha...Ha...Ha...comme vous êtes drôle ! C’était hilarant. Elle éclata de rire. Elle était vraiment magnifique. Tout était beau chez elle ; sa voix mélodieuse, sa chevelure soyeuse jusqu'à son petit nez en trompette. Elle plongea alors ses beaux yeux vers dans les miens. Soudain je compris ce qu’était un coup de foudre. Je l’aimais. Tout d’un coup, Emily sursauta, le signal « attachez vos ceintures » s’alluma. Nous décollions.

Nous étions en train de parler quand j’eus envie de me dégourdir les jambes. Je me levais quand Emily me demanda :
-Où allez-vous ?
-Je reviens tout de suite, je vais aux toilettes.
Je vis deux hommes en noir se lever, mais je continuais mon chemin.
Une fois mon besoin assouvi, je retournais à ma place, mais un bruit m’interpella. Il venait de la cabine de commande. Une dispute sans doute... Passons, ce n’est qu’un détail, j’allais retrouver ma belle. Quand je fus enfin là, je vis des larmes couler sur les belles joues d’Emily...
-Qu’est-ce qui se passe ? lui dis-je très gentiment. Elle resta muette et pleura d’avantage. Devant tant de tristesse, je la pris dans mes bras. Elle s’y blottit et nous restions comme ça un long moment. Quelques instants après, elle se rassit, se recoiffa, me regarda dans les yeux et me dit :
-Merci.
L’avion se mit à trembler. Un bruit sourd retentit puis un long silence. Emily me regardait avec un air terrifié que je n’avais jamais vu auparavant.
Il nous restait maintenant plus que vingt minutes de vol, je vis une ville apparaître au loin. C’était sûrement Los Angeles. Emily me sortit de mes pensées en me tirant par le bras et en me disant :
-J’ai peur.
J’aurais bien voulu la rassurer mais je ne pouvais pas, car moi aussi, j’avais peur. Ma seule réaction fut de la regarder dans les yeux, lui prendre sa main et la serrer très fort. Plus on se rapprochait de cette ville, plus je doutais que ce soit Los Angeles. Alors je demandai à Emily :
-Où allons-nous ?
-A Los Angeles.
Emily regarda par le hublot, s’affola, se retourna et dit :
-Pourquoi on est à New York ?
Je restais bouche-bée quand nous entrâmes dans le cœur de New York. Tout devint clair dans ma tête : les deux hommes en noir, la dispute, le bruit sourd qui n’était autre qu’un coup de feu et ses deux tours dont nous nous rapprochions dangereusement. A partir de ce moment, tout se passa très vite. Je regardai Emily et je lui dis :
-N’aies pas peur, je te protégerai jusqu’à ton dernier souffle. Je t’aime.
Alors je l’embrassais pour la première et la dernière fois, en ce jour du 11 septembre 2001.

Post scriptum
Aujourd’hui, onze ans après, personne n’a oublié ce drame qui a touché des millions de personnes, beaucoup se rappellent de ce qu’ils faisaient lorsqu’on leur a annoncé la tragédie. C’est pour cette raison que nous avons décidé d’ajouter des souvenirs personnels à notre travail.
«Je jouais chez des amis, lorsque leur mère est arrivée en pleurs. Elle nous a dit de rentrer chez nous parce qu’il s’était passé quelque chose.»
Pauline
«J’étais chez moi. Nous avons passé toute la journée à regarder ce drame au télé-journal.»
Elisa C.
«Nous étions en ville avec mes parents et mes deux sœurs. Nous sortions d’un magasin de chaussures et nous avons eu très peur de ne voir plus personne dans la rue. Tout le monde était rentré chez soi ou
regardait la télévision dans un restaurant. Nous comprîmes quelques minutes après car ma grand-mère nous a appelés pour nous expliquer la situation.»
Roxane