Avec Thierry Metz

Avec Thierry Metz

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Reprends depuis quelques jours, à petites doses, les septante-sept textes écrits cet été entre Colonzelle et le Riau. En me demandant si je fais bien.
Maintiens, mais en les déplaçant quelquefois, les septante-sept fragments que j’ai retenus des lettres de Thierry Metz. En les écourtant parfois. Avec la certitude que ce qui a soutenu cette entreprise ne tient plus que par un fil à ces quelques mots indiqués en italique. Car si ceux-ci l’ont soutenue, ils en ont aussi différé l’accès. Je m’efforce maintenant de préserver, et c’est l’essentiel, l’étendue de ce que je ne saurais dire autrement, c’est-à-dire le silence sans lequel on n’entend rien, d’élaguer ce qui encombre, avec le risque qu’il ne reste plus grand chose à la fin.
J’aimerais encore, lorsque chacun de ces septante-sept morceaux tiendra debout, les filer d’un trait en m’assurant que l’ouverture creusée en chacun d’eux ait la dimension qui convient pour laisser passer une ficelle de chanvre brut, qui aura à creuser encore, de l’intérieur, le ciel d’un bivouac.

Jean Prod’hom

Qu’une inépuisable, inexorable absence

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A la fin plus rien n’est jouable. La pente est si raide qu’on n’essaie plus de remonter ses peines, en cet endroit où elles se mêlent à celles des autres, se réchauffent et cueillent les fruits de leur courage, celui d'avoir su remonter leur fardeau. Il dégringole les jours, plus bas encore que tout camp de base. Lui est devenu impossible de penser pouvoir un jour encore faire un avec lui-même, avec les autres et les alentours. Champs de chaume, hôtes anonymes, interminable allée de gravier.

Qu’une inépuisable, inexorable absence.

A force de retirer chaque mot superflu, il ne lui était resté que le silence.

Jean Prod’hom

Visage qui s'endort

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Le bruissement d’une aile multicolore avertit que le ciel n’est plus à l’abri, ça entre et ça sort. Un homme couché sur un bûcher se réveille, sans question ni réponse, ne sait quoi faire de son désarroi, sinon marcher et pousser devant lui encore un peu de cette lumière qu’il a portée. Je me réveille de mon côté à la lisière d’une châtaigneraie, à deux pas des vignes d’Entagnes, des coques sur la tête et des brins d’herbe sous la main.

Visage qui s'endort.

A l’aube l’alouette lance son chant, quelque chose s’émeut plus qu’à l’ordinaire, tu pianotes du bout des doigts quelques mots illisibles. Un immense chagrin descend la vallée. On ne dansera pas ce soir sur la place du village.

Jean Prod’hom

On parle un peu de tout et de rien

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Il n'est parfois plus temps d'écrire, libre ou sous contrainte, ou de se justifier, de ressusciter le passé ou rêver l'avenir, d'ouvrir ou de claquer les portes. Mais plus simplement de résister aux côtés de ce qui résiste, le lierre qui s'accroche, la coque de noix qui fait le gros dos. Pagayer avec les idiots.

Quelquefois tu viens me voir, tu t'assois. On parle un peu de tout et de rien.

Pourquoi les livres sont-ils souvent si longs. Que coûte un filet d'eau et à quoi les reconnaît-on. Que disent les bêtes, et leurs plaintes sont-elles formellement recevables. Que pèse un hortensia, et où commence-t-il.

Jean Prod’hom

Je ramène une constellation

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S’il revenait au raisin de se gorger de soleil, aux baisers de mêler nos salives, s’il revenait aux sous-bois d'offrir un abri, aux bêtes d'y garder leurs secrets, au soleil de brûler nos plaies. S’il revenait aux lisières de se rire de la raison, aux lois d’enseigner la patience, aux chiens de se faire les dents, aux os de résister. S’il revenait au rire de faire douter la justice, à l'hiver de faire bon accueil à la bruyère, aux sorbiers la fête aux merles, aux heures d'être plus discrètes.

S’il revenait au mauvais temps de fournir mille alibis, aux erreurs d’introduire au pardon, s’il revenait au bon sens d'interrompre cette litanie, il reviendrait à cette ritournelle de faire de ces si un là.

Je ramène une constellation.

Jean Prod’hom

Mon seul présent

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Le seul mot dont l’enfant dispose pour apprivoiser l’absence ne suffit pas. S’en ajoutent d’autres, l’enfant grandit. La détresse disparaît alors sous des piles de récits et de boniments.
Survient un jour l’appel inverse, dédire le livre et toucher terre, brasser la terre maigre et les mots premiers, jusqu’au rocher. Se réjouir de la zone de rupture et suivre le filon, au fleuret et à la massette, bégayer la galerie.

On ignore tous la même chose, chacun le sait. Comment dès lors offrir à notre ignorance la place qui lui revient, comment lever les traces de sa présence en usant des mots qui la recouvrent et la manquent. Retourner la bougie, la mèche et sa flamme, éclairer un peu de ce noir qui bouge dans le fond, sans début ni fin, lisière dont on ne sort pas, qu’on entre ou qu’on sorte du bois.
J’écris une philosophie. Inachevée et inutile.

Mon seul présent.

Jean Prod’hom

Pour franchir une frontière

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Je suis à l'étage, tu es au salon. Pas d'alignement ici mais des décrochements ; la pente n’est jamais nulle, il y a des hauts et des bas. On roule côte à côte dans les vallées qui joignent le nord au sud ; on marche seul, ou main dans la main, d’ouest en est, le long de sentiers qui, je le crains, disparaîtront un jour. Qu’y pouvions-nous, il y avait matière à davantage.

Pour franchir une frontière.

Nos temps n'ont pas même origine. Ils se superposent et coulissent comme des plaque tectoniques. Lorsqu’elles se rejoignent, on boit un thé. J’ai trouvé un passage secret qui traverse l'épaisseur des pages d’un livre. Chacune d’elles en protège l'accès. Je glisse sur ses parois, bivouaque sur d’étroits replats, passe à la ligne, invente des rampes d’escaliers, saute de bloc en bloc comme au eu de l'échelle.
Je tourne aujourd’hui le dos à l’idée d'entretien infini, sans abandonner aucune des vertus cardinales. Je ne suis pas du coin, débouche au-delà du point à la ligne et prends l’ascenseur.

Jean Prod’hom

Comme un parfum

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Silence, tu as fait le pas. Assez payé ton dû, assez ravaudé les barreaux de ta prison. Au diable les soutraitances et les fidélités abstraites, au diable les récits qui maintiennent en état nos certitudes. Tu as remisé les filets. Je décroche moi aussi de ma propre langue, me dégage d’une lévitation qui m’abaisse, claudique. Pas d’oeuvre mais des passages ; la première est un poison inodore, les seconds sont des cols.

L’hydre s’agite, la menace s’étend, à quoi bon s’en défendre. Rejoins le labyrinthe, les mots ne se plient pas à la volonté de la phrase et à ses ronds de jambe. Dire et veiller comme dans un rêve. Je te suis sur ces équilibres subtils où la raison se rétracte, où le dehors remonte de dessous et le dedans le suit dehors. Je sors déchaussé dans le chaos des mots rugueux, souffle sur la langue et ses pouvoirs latents pour faire entendre une voix qui porte l’odeur de l’eau et du pain d’épices. Comme un souvenir.

Comme un parfum.

Jean Prod’hom

Le soir si je peux

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La vie dépend-elle de la liberté en ce sens que celle-ci permet de faire le choix de renoncer à celle-là ? Ou alors la vie est-elle une donnée primordiale, essentielle, qui préexiste à tout exercice de la liberté ? demande Tristan. Tu as choisi.

Je lis désormais tes poèmes, des poèmes vivants, délivrés, qui font entendre ce qui fut, en deçà et au-delà de ta mort.

Le soir si je peux.

Jean Prod’hom

Ce pourrait être un visage

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Quelques fruits oubliés dans un compotier, une ambiance de nature morte, personne sur la place. Tu longes le pot-au-noir, taille un poème à bout de bras dans lequel souffle la fraîcheur des cales. Tu croyais qu’un seul mot aurait pu suffire pour soulever la chape et faire danser la place. Sans y toucher. Et c’est une image du vent qui vient, celle de la manche d’une veste oubliée sur le rebord d’une fenêtre, celle de linges blancs flottant à l’étendage.

Ce pourrait être un visage.

Celui d’un inconnu, le mien peut-être, ou le tien, indiscernable, car les choses ne font qu’une malgré les apparences, plongé dans un milieu qui ne renvoie à aucun au-delà de lui-même, s’étend comme le jour lorsqu’il se lève, un jour mitoyen. On y voit danser de petites particules d’immortalité et on entend dans un transistor le tube de l’été.

Jean Prod’hom

Qu'y a-t-il derrière ce qui n'a plus de sens

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Effrayant, du pain sur la planche en pagaille, dont se saisissent chaque matin de solides gaillards bâtis pour écoper. Les ordres se chevauchent, les sous-chefs se bousculent, chambard de cris et de peines, évitements, amoncellement de détails, têtes présentées sur des plateaux. Une vague de justifications jusqu’au soir, l’extension diffuse de l’inarrêtable.

Qu'y a-t-il derrière ce qui n'a plus de sens?

Une plate de Bretagne le ventre pris dans la vase. Un ponton. Le passage d’une corneille. De la tourbe et de la bruyère. Guère plus et c'est bien.

Jean Prod’hom

Et croître

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Les orpailleurs sont étendus dans le pré où le vent chantonne. Sans partition. Tu me dis que la poésie justifiée est un avatar de la technique et me demande pourquoi on se dope de contraintes supplémentaires. Il suffirait de ne pas raidir les lignes de fuite avec des barres de fer, les laisser flotter comme des étendards. Echapper aux griffes, aux crocs. Respirer. Lever la tête et creuser.

Et croître.

Et aller comme un fruit sec, comme une fève ou un marron qui franchirait dans ta poche le détroit de Corinthe ou le canal de Panama.

Jean Prod’hom

Je reste où c’est le moins profond

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Il est plus difficile de concevoir le moins que rien que le rien lui-même, et y demeurer.

Se glisser par l’ouverture du portail disparu qui claquait à ciel ouvert. sur un pan incliné, Flotter à mi-pente, entre le durable et le passager, en maintenant du jeu pour aller assez loin et n’y être pas rejoint. Se garder de ne pas s’y retrouver enfermé ou d’y être arrêté, intrus ou brigand, non je n’ai rien à déclarer, oui c’est mon domicile. Tout se désencombre, c’est un panorama immense qui se présente, des limbes frémissantes où rien vraiment ne se termine ni ne commence.

Je reste où c’est le moins profond.

Jean Prod’hom

J'avais besoin de l'écrire

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Glissade ou déraison, le temps ça ne passe pas, j’en atteste. Il est tel que je l’ai laissé à Riant-Mont, avec ses hauts et ses bas, j’avais 10 ans, arbres et racines accrochées au talus. J’entends de nouvelles chansons sous les fenêtres ouvertes des studios modernes, on a bien changé quelques tuiles au pigeonnier et remplacé les escaliers par une place de parc.
Quelques chose résiste pourtant là où je reviens, passe et veille comme une racine. Bien sûr le décor s’est obscurci et la poussière recouvre les feuilles de houx, mais quelque chose expire et inspire en-dessous. J’ai pelé l’oignon, l’accessoire colore le ciel, ne me reste que le radeau immense et vide sur lequel je me dresse, le silence tendu sur lequel je marche. J’ai besoin de l’entendre.

Toujours ce mouvement de la bête qui tombe sur le dos avec le ciel au-dessus de la tête et qui se retourne avant qu’il ne soit trop tard. La porte s’entrouvre et le jour vient, ne pas s'engouffrer, ne pas avoir à tomber de trop haut. Rapprocher ce qui passe de ce qui dure jusqu’à les confondre. Personne sur le banc au pied duquel l’enfant se jouait de la mort en criant sur sa draisine accident mortel. Plus de draisine mais le jardin qui n’a pas bougé.

J'avais besoin de l'écrire.

Jean Prod’hom

Il y a quelque chose autour de nous qui ne sert à rien

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Il y a des pommiers dans le verger, de vieux pommiers. Eux et moi nous sommes très d’accord mais nous nous ignorons cordialement. Le lierre, les mousses et le gui nous paralysent année après année.

Il y a le lac. Il y a le soleil et ses ombres qui dansent sur les crépis bleutés de l’ancien lavoir. L’eau clarine à la verticale de l’anche de fonte, pierres chenillées et fers grépés, bouteilles d’eau en équilibre sur la pierre ronde et inclinée du rinçoir, je vis sous la dépendance de mots qui ne sont pas les miens, mots d’absents, de fonteniers et de lavandières. Assis sur le banc de grès, je me souviens des paroles du prêtre de Poliez : « Une vie ça se cherche, lorsqu’on l’a trouvée c’est fini. » Ce n’est pas assez.

Il y a quelque chose autour de nous qui ne sert à rien.

Jean Prod’hom

Sinon...

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La barque est pleine. De soutiens et d’encouragements, d’idées, de projets. Que d’aisance, de talent, de facilités. Mais pour quel océan ?

La haute mer, la mort les gens n’en veulent pas, églises et campagnes vides, messe sèche. Se ressaisir à temps.

Sinon...

Jean Prod’hom

Tu es celle qui veille

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Quelque chose de court, quelque chose de léger, quelque chose de facile à emporter. Il pleut sur Dizy, je te fais parvenir les légendes de notre voyage avec le mousse. Promis, je ne dépasserai pas les bords de la carte. On y voit les bois de Ferreyres et, au fond, la carrière jaune. A quoi bon nous encombrer.

Tu es celle qui veille.

Que d’amour il m’aura fallu pour que ma langue se délie, que de silences pour que je réduise ma voilure.

Jean Prod’hom

Juste ce qu'il faut

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La vieille ne cherche plus à mettre la main sur ce qui se suffit à lui-même, elle conçoit des motifs à l’emporte pièce et les brode sans tambour ni trompette, des napperons aux vides si lâches que le soleil ne s’en aperçoit pas. A l’angle de la véranda une araignée tisse sa toile.

Ne rien avoir à sacrifier pour ne pas avoir à gonfler ce qu’on est, une table ronde pour poser la théière, une fin d’après-midi, des fruits et le chat qui dort, les enfants du parc qui s’envoient en l’air sur un tapecul, aucune vérité n’est apparente. Rien n’est caché de ce côté-ci, ni de ce côté-là. Mais quoi alors ?

Juste ce qu'il faut.

Jean Prod’hom

Tout s’est déplacé d’un coup

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Ne pas fermer l’oeil, reprendre, saluer encore ce à quoi j’ai attaché mes jours. Faire tourner une fois encore la clé qui a assuré l’équilibre de ce que j’ai, lisant, vécu, avant qu’il ne disparaisse dans son propre axe. Refaire le trajet qui y a conduit, étape par étape. C’est cela peut-être que traduire, dans sa propre langue ou dans une autre.
Accepter alors, parce que je tiendrai ma promesse, que ce qui fut à l’avant de moi s’estompe et que ce que j’ai écrit s’éloigne, tandis que se dresse un nouveau chantier que je ne soupçonnais pas et qu’il me faudra mener à terme.

Tout s’est déplacé d’un coup.

Les accès de l’amont et leurs abords se sont resserrés, je ne sais rien de l’aval, rien de ce nouveau paysage que je survole dans un avion de papier, pétales d’un autre ciel. Mon embarcation est retenue depuis soixante jours, j’ai parcouru les trois quarts de mon périple, je vois la fin. Je perçois le souvenir qui pâlit, le détachement qui s’installe, comme une brume, et le dehors qui perce, comme la pointe d’une aiguille. Reprendre bientôt chacune des apories, les réorienter vers ce qu’elles contiennent. Charger en attendant une vingtaine de sacs dans la nacelle avant de couper les fils et l’envoyer au ciel. Ne rien garder si je veux demain aller encore les mains nues.

Jean Prod’hom

Ce qui aura lieu ne sera qu’un récit de nomade

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L’enfant exilé au fond de lui-même rassemble, avant qu’il ne se disperse dans la rumeur des réfectoires, ce qu’il a entrevu dans le prolongement de septembre.

Choses que l’on ne voit pas

Le temps qui passe
Une partie de soi-même
La vie
L'air, qui est pourtant très important
Le passé et le futur sont bien plus grands que le présent, pourtant on ne voit que le présent
Le vent tout puissant
Un bébé qui n'est pas né
Et pourtant pas un vieillard qui vient de mourir
Les problèmes
Celui qui veut être vu

Difficile de faire taire les mots à l’intérieur du langage ou de les en éloigner. Je voudrais avancer à lents coups de rames en ne gardant que quelques verbes aux allures primitives, ceux qui nous font respirer lorsque notre chemin nous déroute. Je suis un amateur d’éphémère et de paperoles.

Ce qui aura lieu ne sera qu’un récit de nomade.

Jean Prod’hom

Pour aller où je veux

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Le réveille-matin les fait fuir chaque matin. Inutile toutefois de prendre rendez-vous avec eux, ils sont là lorsque je me fonds le soir dans leur pâte noire. Ils portent d’autres noms, endossent d’autres formes, s’animent et se confondent avec leurs masques. J’ai été cette nuit premier de cordée, me suis attardé auprès d’un gardien de quartier, j’ai laissé des empreintes dans un espace où les connexions se chevauchent et les perspectives s’incurvent, où les relations mises à plat se métamorphosent en emboîtements de nuages mous. Impossible de distinguer l’araignée de la toile. Le marionnettiste serré de près par les fils de sa poupée se retourne mollement dans ses bras, l’un et l’autre ignorent qui des deux rêve.

J’accueille chaque nuit les insomnies d’un rêveur, mais à la première vague les traces de ses aventures s’effacent, à perte de vue. Impossible de retenir quoi que ce soit lorsque le jour me tire par la manche, je suis nu. Ses aventures liquides ont rejoint au pied de la lune celles des enfants, des chats et des chiens. Nous avons chacun assuré la partie d’un même rêve, à l’image de l’entretien sans fin que les hommes mènent sur la terre. On se partage la déception de ne pas comprendre.
Je sors la tête de l’eau, fais une balade, quelques courses, de quoi assurer ma subsistance. Jusqu’au jour où je ne me réveillerai pas, sans savoir alors si c’est l’insomniaque que j’ai accueilli qui s’est éclipsé, ou si j’ai été capable de me hisser sur les berges de l’autre rive.

Pour aller où je veux.

Jean Prod’hom

Fond qui restera blanc

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Si nous acquérons des savoir-faire, rédigeons des mémoires, lisons des modes d'emploi, si nous assurons les mises à jour et les révisions de nos parcs techniques, c’est pour être suffisamment outillés lorsque viendra le moment de faire demi-tour pour remonter par les galeries du langage aux abords du bing bang, jusqu’à la chape de silence dans laquelle les fers de nos édifices et de nos institutions trouvent leur ancrage. Condamnés toutefois à reprendre la pelle et la pioche quand nos outils sophistiqués s’avèreront inutiles pour saisir l’état d’âme qui nous animait lorsque nous avons décroché il y a un million d’années. Comprendre un peu de ce qui s’est passé, de ce qu’on a laissé au carrefour sans nous retourner, la frondaison à laquelle nos chevelures se mêlaient, le ciel et la terre dont nous sommes faits, les êtres chétifs que nous sommes restés et que les bêtes fuyaient déjà. On n’a pas avancé d’un pas.

Fond qui restera blanc.

Le présent est sans aspérité, sans le moindre bord auquel s'arrimer. Mais les appendices du passé et de l’avenir, l’un plein à ras bord, l’autre aussi maigre qu’une peau de chagrin, ont permis de réduire notablement l’étendue du présent, avec en bruit de fond le tintamarre des orgues de la raison orchestré par le dieu des Horaces.

Jean Prod’hom

Ecrire n'est qu'un toucher

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La grue de l’entreprise de travaux publics montre le sud sans y croire vraiment, les nuages plus décidés filent vers le nord, lâchent soudain à la verticale le grain de la côte atlantique. J’ai repris aujourd’hui un à un les tessons placés dans de vieilles casses d’imprimerie. Brouettées ramenées du pied des brise-lames de Bretagne. Les ai déplacés dans le meuble Bisley bleu rapatrié en août, jeté la paperasserie qu’il contenait. Laisser venir, sans aller contre.

Ces pierres domestiques ont même origine que les mots nés des fosses, brassées dans la même eau. Les reprendre une à une pour faire entendre leur respiration, la leur et celle des doigts qui les pincent. Double respiration, double opacité, même chantier. Faire entendre la mer, retrouver les mains qui les ont laissé glisser. Quelques mots nus, limpides et fuyants. Rien à endiguer, rien à ajouter.

Ecrire n'est qu'un toucher.

Jean Prod’hom


Sans qu'on s'en aperçoive

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Rien ne s'ouvre du dedans, un bouchon de cire assure la fermeture du dehors, recouvert par les restes du chant d'un vieux grillon. Il pleut. S’appuyer contre le rebord de la fenêtre et prolonger les heures qui s'empilent tout autour, avec l'odeur de la pluie mêlée à son claquement sec sur les feuilles des feuillus. Les enfants lisent à l’étage des bandes dessinées dans leur sac de couchage. Le tonnerre a fait éclater nos destinations.

Sans qu'on s'en aperçoive.

Ne rien troubler avant que la fatigue ne me jette de l’autre côté. Un café. C’est la fin de l'après-midi, rien à empaqueter, me coucher perpendiculairement à la pente pour ne pas être entraîné. Déferlement d'eau, pneus sur le bitume. Quelque chose de vivant pourtant fait la planche dans ce déluge.

Jean Prod’hom

Le grain moulu de trois mots

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Enseigner la ponctualité, la répartition des tâches, les lourdes charges, les conformations, les liens d’hospitalité. Ou les chemins de traverse, la désobéissance, la vie solitaire, la mauvaise herbe et l’impossible classification des champignons. Les deux.

C’est ainsi seulement que nos enfants nous tourneront le dos, sans tout comprendre, avec quelques images contradictoires, peu importe lesquelles, dont ils tireront des plans, un film ou une vie, et sur lesquelles ils reviendront un jour s’ils le veulent, pour infléchir le cours des choses et faire un peu de lumière sur ce que nous n’avions pas vu venir. Tenir haut la clé des champs.

Le grain moulu de trois mots.

Jean Prod’hom

Demain je n'aurai pas fini

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Lis aujourd’hui la cinquante-troisième lettre que tu as adressée à ta bien-aimée avant d’aller marcher dans les bois. J’aiguise l’arête qui donne à chacune d’elles l’équilibre de l’épi, suis les pentes jusqu’au bas de la page, remonte le dos blanc accompagné de ce que je ne comprends pas.
L’alléger encore, en replier les bords, la déposer plus loin, sur du papier ou sur un banc, et qu'un passant s'il le veut l’emporte pour redéployer d’hésitation en hésitation l'inachevé qui l’habite. Y retrouver tes pas, apercevoir les miens ou tracer une nouvelle voie.

Demain je n'aurai pas fini.

Seul au bord du lac un tesson dans la main. L'eau et le sable ont donné un visage à ces morceaux de la vaisselle du monde. Inutile désormais d’en appeler à l’archéologie ; oubliée la velléité de reconstituer le plat ou l’assiette dont ils proviennent. Je me satisfais de cet inachevé poli par l’eau et le vent, l’acte sans fin de la disparition. Je regarde ce soir quelques-uns de ces morceaux de paradis, apaisés.

Jean Prod’hom

Et loin dans la campagne


On arpente l’intérieur de volumes en creux,
on ne sait pas où est le bout de la nuit là-dedans.
(François Bon à Alain Veintstein, Du Jour au lendemain)

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Se réveiller à l’intérieur du sommeil, là où la nuit se retire et fait son lit. Y occuper tout l’espace, du choeur au berceau. Je m’affaire dans le ventre de cette cathédrale entourée d’une eau épaisse et noire dont je suis l’involontaire servant. J’entends alors deux ou trois mots en ronde-bosse oscillant sur un socle de pâte préverbale.

Un insomniaque orchestre mes rêves du dedans, tu y es peu présente. Je t’évite ainsi de me rappeler au réveil ce que j’y ai laissé. Je ne saurais te dire qui dort quand je dors, ni où tu es, nous ne logeons pas dans les mêmes quartiers. Mais lorsque je m’éveille dans le noir, j’entends ton coeur résonner tout à côté, derrière l’un des murs mitoyens des cellules de notre nuit.

Et loin dans la campagne, un hululement.

Jean Prod’hom

Pensée qui remonte à chaque pas

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Lever le couvercle. Découvrir sous la dalle de granite les innombrables galeries que la vermine a creusées et que l’air libre comble. L'homme s'active au-dessus, creuse les siennes à ciel ouvert, n’hésite guère, varie les vitesses, se décale, cherche à rejoindre celui qui le précède, prend de l’avance ou du retard, se perd, traîne boulets et projets. Certains relèvent une carte, d’autres font des listes. Panique chez les corneilles. Leur cri à la cime de l’hêtre est un cri de détresse.

Je leur tends une grappe de raisins sur une assiette. Elles retiennent leur souffle un instant, plongent et s’envolent la bouche pleine, il suffit que nous levions les yeux vers le ciel pour baisser les armes.

Pensée qui remonte à chaque pas.

Jean Prod’hom

Tu me fais comprendre

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Il vient du bout de l’allée, s’assoit en face de moi. Aucune indication sur son visage sinon les soucis de la veille et la fatigue du jour. Un visage sans prise, sans carte, un visage aussi nouveau que celui d’un nouveau-né.

Pourtant, quelques mots sur le temps suffisent, une voix, un grain. Une dérobade, un sourire, sa main et, d’un coup, tout se met en place, pour toujours. Ce que j’entendrai lorsque il ne sera plus là, ce dont il se souviendra lorsque j’aurai disparu. Ce que nous laisserons tous deux à ceux qui resteront, des simulacres, des petites perceptions qui flotteront autour d’eux comme l’ivraie dans le vent.

Tu me fais comprendre. Et je comprends.

Jean Prod’hom

Le reste n’est que l’histoire d’un petit village

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Songer à tous ceux qui ont aimé la terre donne le vertige. S’en est-elle une fois avisée ? Les hommes éconduits la mettent en pièce pour lever son secret.

Elle demeure entière.

Le reste n’est que l’histoire d’un petit village au bord d’une rivière.

Jean Prod’hom

Ta venue était la mienne

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Ta venue était la mienne.

On a gardé les pieds sur terre, construit notre vie comme une voie de chemin de fer, en déposant devant nous ce qu’on avait sur le dos. On a bâti des maisons, tracé des balades, fait des enfants. A l’estime, en bricolant des amarres passagères, avec le soin des démineurs et l’insolence des demi-dieux, l’oeil sur le doux et l’amer.
En honorant plus tard ce à quoi on tournait le dos, la jeunesse, les rêves, les plans foireux, les promesses en l’air, les contrées lointaines.

Le réel est hors d’atteinte. Inutile d’attendre.

Jean Prod’hom

Journée qui n’en finit pas

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Assez pris les devants, cherché des raccourcis, fait des miracles. Assez marché sur l’eau. La bouée est au garage, aucun billet sur le coeur, nulle parabole en mémoire cache.

Journée qui n’en finit pas.

J’avance sur les fers et le bitume, dessous la terre ne respire plus.

Jean Prod’hom

Tu entends : il n'y a qu'un oiseau.

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La vieille fait un mot fléché. Elle n'écoute pas, alors il ne dit rien, regarde la ligne d’horizon par dessus le verger, tend l’oreille sans cligner les yeux.

Ils n'ont pas d’enfants mais des amis viennent parfois leur rendre visite. Aujourd’hui ils sont seuls, deux infirmières fument une cigarette à l'angle de la terrasse de l'établissement. Le kiosque est fermé, le repas sera servi dans le réfectoire.

Tu entends : il n'y a qu'un oiseau.

Jean Prod’hom

Pourquoi si peu

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Un moment le matin lorsque la rosée et le vent jeune s'attardent sur le pré et la peau, et qu'on a la naïveté, le courage aussi de ne pas subordonner sur le champ notre vie à ce qu'elle devrait être. Entre midi et deux lorsqu’une venelle parallèle au boulevard nous conduit au feu qui couve ; deux ouvriers cassent la croûte sur le rebord d’une fontaine, à l’ombre, le visage sec.

Le soir dans le jardinet, une anisette et quelques olives tandis que le jour brûle ses dernières forces sur la grille du barbecue. 

Pourquoi si peu.

Jean Prod’hom

Tu es celle qui verse l’eau

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Les avalanches bousculent les prévisions, jamais l’inverse ; tu répétais en souriant que l’orage n’était que par accident un mot de cinq lettres, tu nous racontais aussi qu’enfant tu entrouvrais les portes, celle du logis verrouillée par la peur, celle de la nuit aveuglée par les livres.

Sortir la tête de dessous le lit, reprendre son souffle, par paliers, c’est-à-dire en empruntant les marches sans contre-marches de l’escalier qui monte de la cave. A contre-sens. Jusqu’au bout. Là où le regard embrasse la mer, la terre et le ciel tout entiers. Ne pas plonger. Ils sont tous là en bas sur le rivage. Les rejoindre par le sentier qui zigzague dans la lavande. Ne toucher à rien.

Tu es celle qui verse l’eau.

Jean Prod’hom

Qui respire

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Le vif est sans limite, mais sur le seuil la rhétorique veille. Ajouts, remplacements ou omissions volontaires, raccourcis, sous-entendus, ruses par lesquelles on laisse supposer que ce qui manque pourrait être comblé, par lesquelles on se retranche en retranchant, par lesquelles on allonge le cercle de ses amis. Or le manque surgit en même temps que le monde dont nous sommes absents. Ce manque que relaie la poésie nous prépare à débouler sous le ciel.

Qui respire.

Il est 4 heures, l’enfant a la bouche pleine, pain et chocolat, la tête ailleurs. Une phrase encore, il lève les yeux, le voici dehors avec la liberté aux pieds. Sans assistance.

Jean Prod’hom

Il y avait de l’encre

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Accepter l’invitation et entrer. Sans se retrouver captif du tableau des regrets sur lequel s’ouvrent si souvent les fenêtres du dedans. Sortir donc, en boutant le feu aux brindilles laissées dans un coin du jardin.
Y poser d’emblée le repentir sur sa pointe, l’élaguer jusqu'au détachement. Ne rien ajouter, ni ponts ni chaussées, le silence n’est pas une ellipse, il maintient debout les êtres qu’il unit et sépare.

Rien ne peut être dit autrement que dans l’obscurité d’un puits de lumière, il n’y pas de coïncidences, pas d’autres issues, écrire noir sur blanc en frappant deux silex.

Il y avait de l’encre.

Jean Prod’hom

Dès l'aube

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Soulevé dans le creux d’une vague, mené à ceux qui le veulent bien et qui passent sans avertir. Tout le monde sait tout mais comment le dire, comment prendre acte du regard millénaire de chacun et garder la piété primitive. Reprendre le dialogue interrompu avec l’invisible.

Dès l'aube.

La nuit qui tombe n’est pas une défaite. Ne pas se débarrasser de ce qu’on ne sait pas, ne pas perdre la trace de ce qui n’est plus. Nos vies sont constituées du vivant des morts et du verbe. Déchiffrer ce monde premier et danser sans compassion autour de ce qu’on remettait à plus tard, se retrouver sur un front toujours plus large. Ecrire et lire sont des cérémonies qui nous mettent du bon côté, on n’y rencontre ni avance ni retard.

Jean Prod’hom

De quoi faire un nid

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C’est jour de rentrée, quelques enfants remontent pieds nus la Valleyre. Dans la cour, les hommes du sérail se dissimulent derrière une pile de cahiers des charges en jouant solidaires à un deux trois soleil. On va au mur, chacun pour soi. Ils sourient, n’ont rien fait, nous moins encore.

Ouvrir la porte, laisser entrer dans la maison les mots et les silences qui poussent derrière chacune de tes lettres. Ceux du dehors, immense et solaire dont tu es resté l’hôte prévenant, ceux qui doublent la peau de nos vies refroidies, ceux qui chantent. Le lyrisme des désespérés.

De quoi faire un nid.

Jean Prod’hom

Il y a le reste

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Il y a l’être en tant qu’être, bien sûr, le paon qui fait la roue, le paon qui tue, il y a la chambre des enfants, les squales, les réserves, les dépenses, le négociable, les aires de dépose. les quincailleries, les petits calculs.

Il y a le reste.

Mais il y a aussi ce qui vient après le tout, et après le reste du reste, lorsqu’il n’y a plus qu’un rien qui nous attache solidement à la vie : une rampe d’escaliers, un rebord de fenêtre, tes lettres, ton journal, ton absence, l’ombre d’un ancien canal, la roue d’un moulin.

Jean Prod’hom

Si tu le veux

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Le sorbier n’atteindra pas le ciel, c’est sa manière à lui de consentir sans trembler. On a beau dire et faire, quelque chose barre la route que l’homme suit, et ce quelque chose il l’y a mis, et ce quelque chose est tout autant la fin que la route qui y conduit. Qu’il soit infini ou sans issue, le chemin divise, rien ne recollera les talus.

Être de nulle part et aller nulle part, remiser les échelles, demeurer inconnu dans son aire, l’arbre plutôt que la bête, la candeur plutôt que la peur. Un verger, un enfant y cueillera un jour des fruits.

Si tu le veux.

Jean Prod’hom

Ecriture qui ne peut pas se contenter d’écrire

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L’indigent, les coudes sur la table, bataille derrière les brouillards qu’écarte le soleil de l’arrière-été, il est assis contre un arbre avec un papier et un crayon. Il ressemble à un déménageur, chemise à carreaux lie de vin, petites mains boudinées, doigts-hochets. Les enfants sont à l’école, leur mère à l’autre bout de la ville. Le chien a commencé de gros travaux qu’il ne terminera pas, il s’endort.
Nous sommes tous absents, aussi absents que ce dont on s’absente, voici ce qu’il se dit au retour, ni le vide ni le plein ne débordent de leur place, personne ne répond à nos demandes, nos vies sont des draps qu’on déplie.

Difficile de dire ce que c’est que dormir, ou voler, ou marcher, tout autant écrire où s’échangent ce que je fais de mes mains et ce que tu prends. Je cherche ce matin un peu de réconfort auprès des arbres qui m’épaulent. M’inquiète de ne pas m’être assez méfié des concessions, des pièges de la prétérition, de ne pas avoir pris assez de distance avec les propositions finales et leurs conséquences. Je quitte la cuisine.

Ecriture qui ne peut pas se contenter d’écrire.

Jean Prod’hom

Pendant une heure ou toute une vie.

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Pluie et boue et seul face contre mur porte fermée.
De l’autre mère terre et soeur lune, le cantique de frère soleil, les étoiles et frère vent, l’air, les nuages et le ciel serein, soeur eau, frère feu, fruits et fleurs diaprées, herbes et pardon, une fenêtre ouverte.

La rédemption tient à un fil.

Pendant une heure ou toute une vie.

Jean Prod’hom

Et seulement du bout des doigts

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Ne pas retoucher aux morceaux, nouer le proche au lointain, par le milieu, le fil d’acier à l’horizon, comme les hirondelles le font chaque année en suivant le tracé de l’ancien canal.

Et si personne n’entend, en parler encore, plus bas. Eux. Sans toi.

Et seulement du bout des doigts.

Jean Prod’hom

Je sais que tu penses au petit, à sa mort

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Le tram arrive de la gare à la hauteur de l’hôtel du Nord, le néon clignote. L’inconnu dans l’allée a la tête dans le sac, va et vient sur un damier avec de la sciure dans la tête, s’assied sur un banc sans s’ébrouer. Il va somnoler comme hier et avant-hier jusqu’au soir dans cette embarcation de fortune, à l’ombre d’un platane qui le met à l’abri des restes de lui-même. Son nom est celui d’un étranger, il ne répond pas, ses mains ne lui appartiennent plus, elles demeurent à l’intérieur des manches de son veston rapiécé.
Tenir debout, personne n’y croit plus, car l’homme n’a pas la tête à calculer les forces en présence, il respire sans fil à plomb, se voile la face lorsqu’on allume les réverbères.

Cet homme est un saint, me disais-tu, il séjourne sur un monticule de vertus, les yeux secs, étranger au jeu des questions et des réponses. Il se rend d’une seule traite jusqu’à la tombée de la nuit, se couche sur le paillasson de l’école Cadichon. Le dernier tram revient à l’angle de la place du Centenaire, les réverbères s’éteignent.

Je sais que tu penses au petit, à sa mort.

Jean Prod’hom

Là : un oiseau pourrait se poser

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Les ouvriers ont tourné le dos aux pelles et aux pioches, cherchent l’ombre, les cloches de l'église lâchent alors leurs douze coups. Deux sonneries prennent le relais, les enfants se pressent hors du collège et quittent la cour, à la hâte, comme les aigrettes d’un pissenlit. T’as beau chercher, il n’y a bientôt plus personne, des ruines. On entend dans le lointain le bruit d'une fourchette contre une gamelle et on devine le vent dans le gréement des ombellifères. Partout une respiration, creuse et profonde, un souffle au large bord qui pousse le silence bien au-delà de ce qu'on peut entendre.
J'avais 10 ans et habitais Riant-Mont, j’étais seul comme seul un gamin peut l'être, la chaine des raisons avait lâché, mes héros s’étaient éclipsés, plus de oui mais, plus d’histoires, seul aux prises avec un dimanche vide, sur une place immense que je crois reconnaître aujourd’hui. Il est midi, ma tête finit de se vider. Le silence se met à grésiller comme un vieux 33 tours, le lointain s’élargit au-delà des limites du chantier. J’ignore bien comment la routine reprendra la main sur cette fondrière.

Là : un oiseau pourrait se poser, sans crainte.  

A 13 heures un innocent jette la première pierre, puis un deuxième et un troisième, d’autres terminent les travaux, la paix se rétracte, les camions ouvrent alors leur gueule.

Jean Prod’hom


Par ceux qui désignent la lune

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La table de formica est appuyée contre le vieux pétrin, recouverte par de la paperasse, des commandements de payer et un verre vide. Les sourires des visages qui trônent sur la commode ont fait des locataires de ce deux pièces des exilés dont j’aperçois dans le quartier la chevelure et l’inaltérable beauté. Aimés par ceux qui les croisent, les comètes, les oubliés, par ceux qui n’ont rien à perdre, ceux qu’un rayon de soleil fait vivre une fois pour tout, par les amateurs de rédemption, les anges.

Par ceux qui désignent la lune.

Ils tiennent le coup.

Jean Prod’hom

En faire un monde

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J’entends une sirène qui me rappelle l’urgence d’aimer les vivants, de repousser la mort sans me soumettre à sa menace. Mais elle me rappelle aussi ce à quoi elle m’oblige : inventer, chaque jour et de toutes pièces, c’est l’autre urgence.

La mort est le signifiant d’un manque. Quant au reste il n’a pas de nom ; de moindre puissance il vit les fenêtres ouvertes, se faufile et a la couleur de l’imprévu, chante comme un oiseau. Je l’habille avant de le remettre à l’eau et il file. J’ai fait mon travail.

En faire un monde.

Jean Prod’hom

Vie reste vie | Mort reste mort

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Tu te penches vers le visage de l’absent qui s’efface lorsque tu t’approches de son secret. C’est ainsi que tu mesures la distance qui te sépare d’eux. Et moi, lorsque je me retourne pour m'assurer que le poisson arc-en-ciel que je croyais avoir saisi est bien dans la nasse, vivant, il me glisse des mains et s’éloigne, comme ces taches de lumière que je ne lâche pas derrière mes yeux fermés et qui rejoignent à grandes enjambées le ciel et les étoiles. Le chant est la trace d’un silence qu’on ne retient pas, il ne fera pas fléchir la loi.

Vie reste vie
Mort reste mort

Sisyphe et les Danaïdes perçoivent l’écho du chant d’Orphée dont la voix s’est tue. L’effroi des bêtes sauvages et les durs rochers, les chants des oiseaux nous rappellent sa mort. Les arbres prennent le deuil en octobre, les ruisseaux grossissent de leurs propres larmes au printemps, le beurre du chèvrefeuille ne parvient pas à les consoler. Ne te retourne pas tant que tu le peux, c’est ce temps qui fait le poème, les fragrances du lilas reviendront plus tard.

Jean Prod’hom

D'un coq à l'autre nous marchons

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Trop souvent je vais et viens, sors de mes rêves pour me glisser sous les fourches de la raison, loin de la terre au coeur de laquelle je plonge les mains, dos tourné et remue. Pas le temps de descendre dans le puits, tout juste bon à maintenir intact le chemin qui me ramène le soir au rêve et à la nuit.

Dessous le ciel brûle et la terre tremble.

D'un coq à l'autre nous marchons vers ce qui aurait pu être une source.

Jean Prod’hom

Tu fais du café

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Le soleil guigne derrière la chaîne des Vanils, s’engage sans but sur la route qu’il a tracée il y a longtemps déjà, une route simple dont il ne se plaint pas, un arc. Je me lève, les ombres jouent un air d’accordéon, aucun autre signe dans le ciel. Va falloir faire l’âne, aller en tous sens, payer mon écot. Pas d’échafaudages pour décoller du mur. Pas de mur non plus. Faire tourner la noria et commander du bois.

Se garder des grandes surfaces, le vrai relève du même. Jusqu’à épuisement. S’y faire.

J’allume une cigarette. Tu fais du café.

Jean Prod’hom

Nous dormons près d'un rêve que l’arbre a refusé

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Suis-je seul à m’agiter ainsi, à passer à travers le jour, fait et défait par une inquiétude qui suit le calendrier des marées. L’écriture et la marche seules pour quitter le four et calmer le jeu.

Tu peines à te réveiller, goges dans un mélange indécis, à mi-distance de l’indifférence des plantes et l’inquiétude des bêtes.

Nous dormons près d'un rêve que l’arbre a refusé.

Jean Prod’hom

Qu'ainsi rien ne se referme

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Tourner, tourner par cercles concentriques. Larges, plus larges, prendre ainsi la tangente.

Chaque jour.

Qu'ainsi rien ne se referme.

Jean Prod’hom

Veiller à ce qu’il ne manque rien

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Distinguer les voix du dedans des voix du dehors, sans s’interdire de prolonger celles du dedans dehors et celles du dehors dedans. En veillant cependant à laisser ici et là les traces de notre passage, comme Poucet, pour dire que nous ne sommes pas seuls dans cette autre langue, que d’autres ont passé avant nous et ne se sont pas perdus, mais aussi pour à la fin rebrousser chemin et maintenir ainsi, aussi intacte que possible, l’étendue où l’énigme aime à se retirer.

Veiller à ce qu’il ne manque rien.

Ni la fatigue de l’homme ni la candeur du monde.

Jean Prod’hom

Je ne suis qu’un abord, sans appui

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Trier, écarter, déplacer. Repousser les limites de l’incompréhension aussi longtemps que je le peux. Un rais de lumière, une oscillation, un bruit de clé, voici que le poème se met en branle, s’organise à mes dépens, danse les yeux fermés, dans le lointain d’abord avant de se glisser sous mes pieds.
Un poème n’est pas un poème, il est ce qui te livre au hasard et à toi-même, t’oblige à puiser ailleurs, à te transporter là où tu ne songeais pas aller, au milieu de ces blancs et de ce vide qui donnent vie aux choses, libérées soudain. Rien à quoi se tenir, au milieu de rien, tout se tient. Tu le disais :

Je ne suis qu’un abord, sans appui.

Mais ça je ne l’ai su que plus tard, au passage des cigognes. Confiance et fidélité.

Jean Prod’hom

T'en confier l'écriture

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Le quartier est bouclé, la raison sans faille. Pas une brique d’air à Taulignan, difficile de soulever un coin du voile, il pleut.

L’eau coule en bas les génoises, pas de chenaux mais des dentelles, d’où ruissellent en torsades une ribambelle d’éclats de verre.

T'en confier l'écriture.

Jean Prod’hom

Écrire c'est te différer

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Écrire c'est te différer. En restant où tu es.

Démêler, affranchir, déprendre. En redonnant à chaque chose la place qui lui revient, à chacun son visage et son tourment. De l'avoir fait occuper la place où écrivant je n'étais pas, avec dehors ce qui s'impatientait dedans.

C'est le printemps du monde que traverse le canal d'Aulières, les têtes sont vides.

Jean Prod’hom

Par quoi se fait le jour

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La mer traverse le milieu du tableau, fine lamelle de zinc retenant le bleu du ciel. Dessous du gris à perte de vue, quelques taches de couleurs vives au premier plan. Les bateaux sur leurs béquilles ne bronchent pas, leur ventre grince. Les goélands ont mis en pièces la bande son, du silence à perte de vue.

Mais sitôt que la lune aura tourné le dos, le vent ramènera la vague et la mer se redéroulera.

Par quoi se fait le jour.

Jean Prod’hom

Petite cuisine

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Envolé le mistral, sur la place on réapprend à parler, un maraîcher décharge une camionnette. Lui parviennent d'en haut, fenêtre ouverte, les voix d'un enfant et de sa mère mêlées aux nouvelles du monde que distille un antique transistor.

Petite cuisine où règnent le pain et les pâtes.

La veilleuse du tourment vacille, mais sous la peau de cuir un cœur bat.

Jean Prod’hom

Et puis : quoi

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Le bonhomme sortait de son chapeau, le soir, deux ou trois choses dont il avait maintenu la tête hors de l’eau et qu'il avait roulées tout le jour à l'arrière de ses paupières. Elles s'affichaient animées derrière les miennes. Mais incapable de saisir dans mes mains, du premier coup, ces larges ensembles, je répétais à voix haute le nom de leurs parties à la lueur d'une lampe de poche, juste avant qu'une coulée d'encre ne les emporte, noire, une coulée sur lesquelles on soufflait, parce que c'est ainsi que les enfants inventent leurs vies, que les choses se précipitent les unes vers les autres, à tout hasard.

Et puis : quoi ?

Le banc est sous le couvert, les imprimés s'empilent sur la table, l'eau est coupée, l'atelier désert, l'épreuve passée. La lune est seule dans le ciel.

Jean Prod’hom

Où filtre un rayon de lune

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C'est au fil à beurre qu’il fendait la nuit. Il y avait creusé des niches et dressé des autels portatifs, qu’il a fleuris aussi longtemps qu’il a pu, pour désengorger le trafic des humeurs.

Poèmes à larges anses.

Où filtre un rayon de lune.

Jean Prod’hom

Construire une cathédrale

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Construire une cathédrale ?

Plus le temps.
Plus envie.

Les enfants s'étaient baignés dans la rivière, le soleil jetait par poignées ses paillettes parmi les pierres du gué, tu croquais une pomme et nous avions convaincu la nuit de retarder sa venue.

Jean Prod’hom

Tu me demandes si ça va

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Tu me demandes si ça va.

Je suis allé ce matin jusqu'au fond de l'impasse de l’Abreuvoir, personne n'y va plus, les derniers locataires ont mené l'aventure jusqu'au bout, les déchets s'amoncèlent, les voisins ignorent même qu'il y eut là autrefois une impasse, et bien avant encore une passe.

Le canal n’a plus de nom. La girouette du clocher indique la direction du vent à contre cœur. Plusieurs concessions perpétuelles réputées en état d'abandon font l'objet d'une procédure de reprise dans le cimetière du village, la caserne est fermée. Comment dès lors pourrait-il en aller autrement. Ne t'inquiète-pas.

Jean Prod’hom

Car tout peut encore s'esquisser

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Aucun mot pour désigner le vide autour duquel s'articulent nos fables et la succession de nos jours. Pas de mot non plus pour décrire la stupeur de la raison lorsque l'inattendu la paralyse. Le mistral penche ce matin en tous sens, la plaine cherche son assiette et des morceaux de récits passent en coups de vent. Fallait bien pourtant que je me fixe quelque part, placer un pont en garde à vue, y attacher une boucle, puis deux, trois, qui feraient tenir ensemble la miniature, et auxquelles viendraient s'agréger indéfiniment ce que nous avons sous les yeux et nos ignorances.

Car tout peut encore s'esquisser dans les marges, dans les blancs.

Je marche avec un ruban à la boutonnière, un papillon et une libellule blasonnent le talus, je reconnais les lacets d'une majuscule d'un vieil incunable. Le déferlement s'ouvre comme une fleur.

Jean Prod’hom

Ne laisser dans la main que le noyau du jour

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Tu me conseilles de tourner la page, c'est ce que je fais. Quelques mots chaque jour, paire ou brelan, phrases réduites, allégées de ce qui va sans dire, deux fois trois mots. À la longue, ça ne fait pas un pli, ni un livre ni une vie, mais quelque chose qui leur ressemble.
Ce matin j'ai nourri les moineaux, me suis assis sur le banc pour donner forme à ce qui n'en avait pas, m'y suis pris comme une araignée. L'imprévisible s'en est mêlé. J'ai pris les devants, talonné par l'envie de bien faire, ai tourné les mots dans tous les sens avant de mettre debout la page. Manière à moi de nourrir les dieux, écran ou rempart à ce qui menace.
Une heure ou deux en fin de journée à goûter l'air d'après l'averse, avant que je ne m'avise que tout est à reprendre, l'incompréhensible ne se satisfait pas de mes mots.

Ne laisser dans la main que le noyau du jour.

Sortir. Je croque dans le verger deux cerises noires.

Jean Prod’hom

Que montrer d'un silence?

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Le silence des vivants est doublement articulé, pas celui des morts. C'est pourtant lorsqu'ils réapparaissent au détour d'une pensée, sur un dressoir ou dans un coin du ciel que les visages de ceux que l'on ne reverra pas font entendre dans un silence énigmatique ce qu'ils ne parvenaient pas à dire de leur vivant.

Que montrer d'un silence?
Ses peuplades dans le réel?


Elles sont légion les réalités qui vont leur bonhomme de chemin, silencieuses, à l'écart du réel : le canal que je longe, le tilleul de la place, le vendeur d'abricots, un poème. Je vais moins seul de savoir les mondes qui nous séparent et me tourne vers vous comme un revenant.

Jean Prod’hom

Ce n'est que cela une maison

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D'un côté l'étendue où coexistent les bêtes, les vivants et les morts, sans toi ni moi, des bois, des palais, des ruines et d'innombrables feux immatériels. De l'autre des notaires peu scrupuleux qui s'affairent, falsifient l'ordre des successions, bataillent pour un bout de pré, une section ou un quartier.

Le ciel s'obscurcit, les nuages passent sans s'arrêter. Un homme assis sur un banc peine à réconcilier l'écume de ses jours avec l'étendue de l'océan. Chacun se réjouit pourtant de son ombre et cherche dans le regard de celui qu'il croise la confirmation de son existence.

Ce n'est que cela une maison.

Jean Prod’hom

Nous traversons chaque jour le regard de l'ange

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Nous traversons chaque jour le regard de l'ange...

Aucune requête mais un point fixe, une croix autour de laquelle nous risquons notre vie et qui nous oblige à prendre le large.

L'ange passe comme cet inconnu que j'aperçois en novembre dans l'encadrement de la fenêtre de derrière et qui jette un coup d'oeil de mon côté. De qui sommes-nous les hôtes?

Jean Prod’hom

Le reste est de chaque jour

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La mort n'a aucune place hors de nos vies, bourdon elle accompagne nos réponses collectives, socle sur lequel on bâtit nos maisons, invente des théorèmes, usine des verroteries. Inutile de vouloir trop la forclore, inutile de vitupérer les impies.

Les précautions les plus sophistiquées ne suffisent pas. Gare alors, la mort remonte la chaîne des raisons comme un inarrêtable mascaret, ronge les conventions et inonde nos ruisseaux.

Le reste est de chaque jour, presque nu.

Jean Prod’hom

Entrer et sortir à chaque mot

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La raison retient dans ses mailles les contours des océans mais laisse filer l'interminable vague et l'application des marins, ils ont laissé à quai leur visage, leur famille, le grain de leur voix, les vieux portulans. N’ont emporté que la peur dont aucun suaire ne conservera l'empreinte.

Le poète a ravaudé large, au risque de laisser passer les fantômes qui vont et viennent à leur guise sur la scène en montrant du doigt les absents.

Entrer et sortir à chaque mot, comme d'une maison.

Jean Prod’hom

S'en faire un lit

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Le matin, il ne chassait pas la pensée qui obsède, ne la nourrissait pas non plus, la laissait dans sa mandorle lorsque cela se pouvait. Je ne connais pas d'autres voies pour disposer d'une cour et d'un jardin.

Prendre ta main, rentrer à la maison, tout faire pour sortir de nos quelques pensées, s'en faire un lit.

Et rejoindre avant la nuit le delta dans lequel le passé dégorge ses remèdes et ses poisons. C'est le moindre mal, ce qu'on peut espérer : une allée, les saisons, ce qui ne nous appartient pas. Et puis, et puis il y a demain.

Jean Prod’hom

Parmi les objets derrière son visage

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Le vrais morts ne se démontent pas, les vrais morts veillent derrière le visage des vivants qui, s'éloignant, prennent un coup de vieux.

Un mort, ça vit avec un sourire d'ange.

Nous, nous sommes où il s'efface parmi les objets derrière son visage.

Jean Prod’hom

Quelque chose ne vient pas

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Une double couche de laine dans le haut du crâne interdit tout échange thermique. Les mots font demi-tour un peu après la luette et redescendent jusqu’à la vésicule biliaire.

Quelque chose ne vient pas.

Le ciel ne s’en formalise pas.

Jean Prod’hom

Où aller s'il suffisait d'aller

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Tu attends le retour du chalut, rongée par le sel, avec ta vie ailleurs.

Au Pérou, en Amérique et tout recommencer, tu as beau dire, ce n’est que le dehors d’une même prison.

Où aller s'il suffisait d'aller ?

Jean Prod’hom

Jusqu'au sommeil ? Jusqu'aux tournesols ?

dominique andreae chesalles

Un prix exorbitant, tu ne l’imaginais pas, hors toute mesure, pour que ta vie se défaisant découpe sur les ruines des digues, à deux pas des vieux chromos, dans les rondeurs des voyelles et des consonnes, une maison sans tire-fonds. Je bégaie, c’est ma langue, celle qui accueille le tout venant, le canal de la mécanique et l’église ovale, les virgules, le jeu subtil des prépositions, le manque et ce qui ne reviendra pas.

Jusqu'au sommeil ? Jusqu'aux tournesols ?

Miné aux abords de l'aphasie, première étape lorsqu'on remonte du bing bang, mais si loin, et la sensation d'être plus loin encore. Tout au fond de la nuit que tu creuses à la lueur d’une fenêtre entrouverte, ou dedans avec une chandelle, une vallée qui déborde soudain le dormant de la fenêtre. Je suis bien vivant, un répit dans lequel je m’aventure, de l’autre côté et avec toi.

Jean Prod’hom

On attend quelque chose

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On attend quelque chose.

Je pensais qu’un événement oublié – quelconque, négligé – viendrait du dehors et remettrait tout en place, comme avant, en mieux peut-être on ne sait jamais. Toi tu me disais que les travaux du dedans restaureraient les anciennes voies d’accès ou en aménageraient de nouvelles.

On a fait les à-fonds chaque jour, les dimensions du rêve se sont réduites, on va et vient à l’air libre, chacun pour soi, sans rien gauchir parce que notre confiance grandit. On n’est pas de trop, n’est-ce pas ?

Jean Prod’hom

On n'a qu'un peu de terre dans la voix

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Les récits que tu lisais tenaient à distance les leurres qui les hantaient, les digues ont lâché. Il te faut désormais considérer les histoires côté cour, personne n’en sait rien.

Plus besoin de clé, les fenêtres et les portes sont grandes ouvertes. Les serre-livres ne retiennent que le souvenir du bras du père sur l’épaule du fils, grâce scellée au milieu des bris.

On n'a qu'un peu de terre dans la voix. Pour s’y coucher. Avec eux.

Jean Prod’hom

Seul contre son âme un homme ne pèse pas lourd

moudon molasse

Seul contre son âme un homme ne pèse pas lourd.

Chaque jour j’écoute et parle, même geste. Et ce que je dis n’est rien d’autre que ce que je vous dois. J’ouvre au vent la maison du dehors pour nous mettre un instant à l’abri des cris du dedans.

Et je dure quand bien même il est trop tard.

Jean Prod’hom