Apr 2012

Dire et redire



Dire et redire
dire dire et redire encore
redire autant de fois qu’il le faut
dire encore et encore redire
encore et encore
jusqu’à la fin
sans avoir le choix
n’ignorant pas que ce qu’on veut dire
– ce qui est à dire –
le manquant
en dépend.

Jean Prod’hom

Cher Pierre



Cher Pierre,
Lève un oeil à 8 heures, un second à 8 heures 30, puis plus rien jusqu'à 10. J'en connais qui auraient vivement brandi un carton jaune, convaincus que ces heures perdues le matin sont des pertes sèches. Les poules, elles, sont déjà dehors, la porte du nichoir n'a pas été fermée, ce sont les petites qui ont joué hier et qui n'ont pas pensé au goupil. On se réjouit qu'il n'en ait pas été informé, on répète aux enfants les conséquences de tels oublis, sans y croire vraiment, persuadés que la meilleure leçon est donnée par les crocs du renard. Les crocus bleu pâle sont ouverts ; une fine pellicule transparente, veinée, colle au ciel. Cacao passera la journée dans son parc. (lire la suite)

Jean Prod’hom

A.21



La sagesse populaire a repéré les limites des bons sentiments, Nietzsche a dressé le tableau généalogique du ressentiment, voici l'ère du ressenti, vilain mot sorti de nos écuries. On y goûte la bile, l'aigre rumination, la mauvaise digestion.

Jean Prod’hom

Il y a tout bonnement



Il y a tout bonnement
le bout du monde avec dessus le ciel couleur de suie
il y a le ciel immense
avec dessous des saules et des chênes verts
il y a le Lez
un  bassin de grès
avec une roselière
il n'y a là rien qu'un chemin à double ornière
et moi dedans

Jean Prod’hom

Eloge des petites disparitions



BLANC SUR NOIR | NOIR SUR BLANC
Du 7 avril au 28 mai 2012
Grignan



KITTY SABATIER
DENISE LACH
CHRISTINE DEPUIDT
FANNY VIOLLET
CHRISTINE MACE
DANY JUNG
PAUL KALLOS
LAURENT REBENA
PASCAL CIRET



Fanny Viollet

La nuit tombe, il est temps de noter encore le temps qu'il fait, rappeler les circonstances, retirer du naufrage quelques-unes des choses dont on aperçoit la traîne, avant que la nuit ne les engloutisse. En faire une douzaine de motifs, les assembler bout à bout en usant des chevilles mises à notre disposition dans les ateliers du langage. Sauver ainsi quelque chose, dans une image, l'image de la déraison et les visages auxquels s'accrochent nos jours.

Je vous offre les pelotes du dérisoire.

Séquences coupées dans l'épaisseur de nos heures, elles s'enchaînent comme dans une odyssée, leurre encore. Petites morts serrées côte à côte dans un rituel de fer, je me rappelle ainsi jour après jour que l'énigme demeure et me traverse comme le furet.

Jean Prod’hom

Enigme, effacer aussi ce mot




Ce qu'il y avait eu là non pas devant moi ou autour de moi, mais dans l'amalgame de moi et de ce morceau du monde, avait été peut-être la plus grande densité d'incompréhensible contre laquelle j'eusse jamais buté – avec presque de la jubilation.

Ou faut-il imaginer que l'incompréhensible était comme un ciment qui nous aurait liés ensemble quelques instants ?

Chemins imprégnés de la vie de ceux qui les avaient lentement tracés, chemins écrits par le temps sans aucune violence dans la terre, ainsi que l'eau ailleurs en creuse avec patience et sans blessures.

Ici et maintenant, dans l'épaisseur de l'énigme, dans sa chaleur, dans son silence : un vieil homme parfaitement et irrévocablement ignare, et qu'on voit donner congé aux fées, congé aux anges, congé aux Vingt-quatre Vieillards de saint Jean. Lui-même partie prenante de l'énigme dans sa plus grande densité et qui sait s'il ne devrait pas effacer aussi ce mot – afin de mieux recevoir cette bonté venue de la terre couleur de terre, couleur de soleil bientôt couché, couleur de feu très ancien.

Philippe Jaccottet, Couleur de terre, Fata Morgana, 2009



Cher Pierre



Cher Pierre,
Les crapahutées de ces derniers jours dans le Val d'Entremont, alors que je n'en ai plus l'habitude, m'ont laissé une grosse fatigue. Sommeil ce matin. Quant aux enfants, ils ont retrouvé leurs jeux en-bas et s'occupent silencieusement. On ne fait pas de feu aujourd'hui, pour la première fois cette année et on déjeune sous le soleil à la véranda. C'est un crocus bleu qui a poussé près des rosiers, et une primevère dans l'angle de la maison. Sandra part en ville faire des courses avec les enfants. (lire la suite)

Jean Prod’hom

58



La loi morale au-dessus de notre tête ou la loi morale sous nos pieds ? Comme un papillon que deux mains bienveillantes auraient déposé sur un tapis volant ou dans une marmite à vapeur avec le poids du ciel en guise de couvercle ? Sur assiette ou sous couvert ?

Jean Prod’hom

Parquet, amitié et violences conjugales



Le vice-procureur de la République à Tarascon, ancien substitut du procureur de la République à Avignon, s'est suicidé par pendaison. Le parquet est malgré tout sous le choc.

Un avocat, collectionneur d'armes, reçoit d'un ami une grenade par colis postal. Il la dégoupille en la croyant inoffensive. Erreur.

Les victimes de violences conjugales brisent la loi du silence dans le Vaucluse. En 2008, 470 plaintes ont été déposées ; 500 en 2009, 607 en en 2010, 668 en 2011. On est à l'évidence sur la bonne voie.

Jean Prod’hom

CIII



Louise et Lili sont méconnaissables, elles concluaitur le nez une paire de lunettes aux verres immenses, l'un rouge et l'autre vert, offertes hier soir à l'occasion d'une séance de cinéma à Oron. Elles écoutent en boucle une chanson sans grand relief qu'elles ont téléchargée sur leur Ipod et qu'elles lancent chacune leur tour, avec un léger décalage. Louise et Lili cherchent le juste retard pour entendre leur chanson en trois D.

Jean Prod’hom

Il y a la mise à jour de ses scrupules



Il y a la mise à jour de ses scrupules
les bonnes affaires
la chaleur qui monte du chemin
il y a Jules
il y a Jim
il y a la désarcellisation des logements sociaux
l'indubitable insignifiance
les avertissements de seconde main
il y a les timidités de classe

Jean Prod’hom

Cher Pierre



Cher Pierre,
Je quitte ce matin la Tzavannes tandis que Sandra, Valérie et les autres terminent les rangements. Me sens à nouveau un peu coupable. Chausse mes raquettes pour retrouver les traces de mon expédition de dimanche passé, passe le torrent de l'A disparu dans la neige. Puis tire au sud, peu avant le Roc de Cornet, sur un chemin qui rejoint par les bois le Tomeley, au bout de l'arête, l'entrée de la Combe, avec à l'ouest la Tour de Bavon. (lire la suite)

Jean Prod’hom

A.20



L'œuf ou la poule ? J'ai opté pour les œufs, mon voisin le renard pour les poules. Seules les gallinacées s'en plaignent, et deux fois plutôt qu'une.
Au poulailler on ne s'y rend que lorsque chacun de nous est assuré que l'autre n'y est pas. On est arrivé à cette solution sans avoir négocié. Et lorsqu'on se croise la nuit, loin de nos tanières où l'on va retourner sous peu, on feint de s'ignorer.
C'est clair, malgré nos options philosophiques opposées, on se respecte.

Jean Prod’hom

CII



Depuis une semaine j'enrage, plus aucun rouleau de papier essuie-tout dans les rayons de la section ménage de notre petite ville. Mais tout s'est éclairé hier soir au collège, Lili et ses camarades du cycle initial nous ont présenté un merveilleux spectacle de danses bigoudennes.

Jean Prod’hom

Il y a les poires pochées au vin rouge



Il y a les poires pochées au vin rouge
les cosses de petits pois
la grâce efficace
la grâce suffisante
les faiblesses naturelles
les grands jours de printemps
les assiettes à filet d'or
il y a les serments
il y a le lait des pissenlits

Jean Prod’hom

57



Si les phrases ne tiennent pas debout du premier coup, c'est parce qu'elles ont besoin d'aide,... jusqu'à un certain point. Constatant en effet que nous sommes incapables d'en être dignes, elles vont leur chemin. On voudrait alors les suivre, on se dresse pour voir où elles vont.
Sans elles on ne tiendrait pas debout.

Jean Prod’hom

Cher Pierre



Cher Pierre,
Ce matin, Sandra a accompagné Arthur à Ropraz et l'a remis aux mains de René et Jean-Daniel, ceux qui nous relaient chaque semaine pour faire grandir le mousse loin de nous. Ils emmènent ce matin les trialistes de Passepartout dans un petit bus pour un camp d’entraînement d’une semaine près de Marseille. Je ne l’aurai pas vu lorsqu'il part, affairé au fond du lit à éponger la fatigue accumulée la semaine passée à Berne. (lire la suite)

Jean Prod’hom

56



Voler comme un oiseau, d'accord, mais nullement avec l'intention de voir les choses d'en haut. Pour s'alléger plutôt, et ne garder que l'essentiel, c'est-à-dire rien. Et pour cela, pas besoin d'être un oiseau. Arrête-toi, vide tes poches et mets y les mains.

Jean Prod’hom

Il y a les chapeaux de paille à large bord



Il y a les chapeaux de paille à large bord
les oeufs à la coque
les monastères cisterciens
les ombellifères
il y a la lumière qui se fait derrière les paupières
les lingots d'or
les télescopes rétractables
il y a le mètre au cou du tailleur
nos vies de somnambule

Jean Prod’hom

A.19



Certaines mauvaises langues prétendent qu'après la reconnaissance du génocide arménien, la résolution du problème chypriote, il faudra encore, avant que l'Union européenne n'entre sérieusement en matière avec les héritiers de l'Empire ottoman, régler la délicate question des toilettes turques.

Jean Prod’hom

55



Les moineaux font des petits tas, les pies vont par deux, les villas sont des chambres froides. Petit cimetière par-ci petit crématoire par-là, on entend la chaufferie. Les prunelliers flambent, tout tient, les nuages dans le ciel, les tuiles sur les toits, le lierre au tronc du pin.

Jean Prod’hom