Mar 2010

Pâques



Nul ne sait pourquoi, mais on se mit à parler cette année-là d’un inconnu, l’inconnu de la concession 807 du cimetière de La Roche-sur-Yon. Un article à son sujet parut dans le journal local, puis un second, d’autres ensuite qui se multiplièrent. Rien dans sa vie minuscule ne prédisposait pourtant cet homme à une telle gloire posthume. Mais ce n’est pas tout, cette même année on évoqua la vie d’un autre inconnu, enseveli dans le cimetière de Cholet, concession 807 encore. Puis ce fut au tour de Niort, Nantes, La Rochelle... et ainsi de suite. Les plumes les plus avisées joignirent leurs voix à ce concert de louanges posthumes. De proche en proche une foule immense se leva, qui peupla les allées des pelouse grasses et satisfaites de la littérature.


Sous un parapluie, Margot et le croque-mort de Sète, enlacés sur un banc public.


Il avait tant neigé que tout le monde était resté à la maison, et dans le cimetière du village le souvenir des morts avait disparu sous une épaisse couche de neige. Je me trouvai décidément bien seul au milieu de toute cette éternité.

Jean Prod’hom
6 mars 2010

Déplacement de populations





Les mères accouchent
sur les plages
de l’extrême ouest
et du nord-ouest de l’île
le sang coule
et se mêle aux eaux de l’océan
on préfère durablement
tenir à distance l’innommable

avec les tortues

du temps il en faut
avant l’établissement des preuves
et lorsqu’on déclare indubitable
le lien qui noue
la naissance avec le désir
on prend peur
on accuse le vent
châtie la terre
en vain

les premiers grands aménagements du territoire
commencent alors
on rapatrie les parturientes
au centre de l’île
où l’on creuse des niches
dans les sous-sols volcaniques

à côté des morts
le théâtre des naissances

à l’inverse on interdit
les manifestations publiques du désir
on codifie on légifère
les réfractaires sont envoyés
dans une parcelle au sud de l’île
s’y rendent les garnisons
victorieuses ou défaites
s’y établiront plus tard
les commerce de la parure
le marché de l’ameublement
et la petite restauration

on appelle ce temps celui de la grande bascule

Jean Prod’hom

Le chemin des Meilleries



Il maintenait à bonne distance la Corbassière de la Possession, en déroulant ses naïvetés au pied d’une haie de noisetiers, de sureaux et de jeunes bouleaux, longeant un pâturage assiégé par les ronces et les lampées qui glissait en pente douce jusqu’au Rio de Nialin. On l’appelait le chemin des Meilleries. C’était un chemin de terre à double ornière, bordé par deux talus qui se faisaient face tout au long, pas mécontents en fin de compte de cette saignée. Et lorsque le soleil de mars avait chassé la neige, le chemin et les deux talus rasés de près se réveillaient, et ça c’était beau à en pleurer. 



De la boue dans le creux des ornières, trois flaques pour recueillir autant de fois le ciel et nourrir nos printemps, deux talus qui nous enseignaient la voie à suivre en offrant un refuge aux coquelicots, aux bleuets, aux fleurs qui refusent d'obéir. Guère plus.

Le chemin des Meilleries semblait ne jamais devoir vieillir, il ne craignait ni l’abandon ni le passage des épareuses. Quant aux talus ils faisaient l’école buissonnière jour et nuit, un peu d’herbe sur les épaules, ou de la neige, ou des graminées, un reste de colza, rien même parfois, et des enfants assis dessus qui tiraient des plans dont ils riaient avant même d’entreprendre quoi que ce soit. En mai, tandis qu'on chassait les papillons ou qu'on explorait la haie, les moineaux rejoignaient en grappe les rives du Nialin, Jean-Pierre, Elisabeth, Claude-Louis, Corentin, Edith, Dominique, tous on levait les yeux au ciel et on riait à tire-d’aile.

Au coeur même de cette ferveur le chemin restait discret et les talus souriaient à peine, ils nous enseignaient la bonne distance. Sans doute avions-nous tendance à choisir le plus court, mais il convenait de choisir parfois le plus caché pour être entre nous. Pas d’indicateur de direction, qui donc pouvait savoir où on était et où on allait?

Une seule et ancienne saignée, un chemin creux d’un seul tenant, sans raccords, dans lequel on entrait sans sésame, une végétation d'espèces modestes, le cri du geais pour rameuter ceux qui s’éloignaient et chasser ceux qui s’approchaient. Et les moineaux, encore, qui indiquaient la direction que nous suivrions un jour.

Sur le talus on construisait des châteaux, on tissait d’idée en idée d’improbables itinéraires faits de noms, de rêves traversés par des sentiers qui faufilaient de nouveaux domaines selon les lignes de nos désirs. Rien ne s’y insérait, rien ne s’y emboîtait, tout s’y déplaçait comme des plaques tectoniques vives. M’en restent un rythme, des souvenirs et quelques détails nichés dans des morceaux de langue, des mots de laine : l’arc des frênes, la rouille des ormeaux, les fleurs de l’acacia, les fruits noirs du merisier, les samares et la pluie de l'été.

Tout était à notre disposition et on suivait sans raison l’inclinaison la plus ténue pour nous livrer sans retenue à des aventures qui duraient quelques jours. Après l’école on vivait sur les pentes d’un volcan.

Le chemin des Meilleries en valait un autre, et c’était tant mieux, la haie et la pente du pâturage nous préservaient des méchantes envies. On avait tout.  Mais on ne se souvenait pas de tout, pire, le soir on se souvenait de rien. C’est pour cela qu’on y retournait chaque jour. Et chaque jour on y fendait la mer, et la mer se refermait derrière nous, on se balançait d’un pied sur l’autre et on volait de talus en talus.

On regardait parfois en direction des villages immobiles de l’autre côté de la Broye, on voyait bien les chemins qui y conduisaient. Le nôtre on ne le voyait pas, pas même un trait entre rien et rien, mais un immense pétrin d'où levèrent nos plus belles histoires.

Le chemin des Meilleries a disparu, il a disparu lorsqu’on a rectifié le tracé de la grande route. Je baisse les yeux, un coup d’oeil par dedans pour me souvenir de quelques-uns des signes de nos printemps, à ce qui a été, aux feuilles mortes qui fusaient lorsque le soleil revenait, aux reflets du ciel dans les flaques qu’on barattait, à la lumière et aux ombres avec lesquelles on montait au paradis, au craquement de la glace, au pâturage désert, à la maison abandonnée, aux Gibloux enneigés, à Brenleire et à Folliéran.

Plus une trace, pas même le silence assourdissant qu’on entend le long des voies de chemin de fer à l’abandon, ou le silence de guillotine des sentiers qui s’arrêtent net, ou celui sans fond des carrefours. Rien, seulement un souvenir, le souvenir d’une invraisemblable épopée.

Une dernière ondulation fermait l’horizon, aux confins de notre territoire où se dressait un frêne sans âge. Là on se redressait un instant, on oubliait nos jeux et on levait la tête par-dessus les montagnes. On aurait aimer aller au-delà, c'était impossible, plus loin ce n’était plus chez nous. On s'en retournait, mais je crois que cette impossibilité on l'aimait bien.



Un jour on quitte tout pour s’assurer de la secrète cohésion du monde, repérer les motifs qui le constituent, écouter les gémissements de la terre, la rumeur qui porte le tout. Plus tard on revient sur nos pas et on devine enfin ce qui nous a porté la première fois.

J'ai choisi un caillou avant de prendre le chemin d’Emaney, je l'ai poussé du pied d’une ornière à l’autre en le faisant rebondir sur les talus. Je l'ai mené aussi loin que j'ai pu, jusqu’au pied du Luisin, avant de le glisser dans ma poche. 
C’est lui qui m’attend ce matin sur le perron, c’est lui que je serre lorsque le chemin s'enfonce dans les herbes hautes. 


Publié le 5 mars 2010 dans le cadre du projet de vases communicants chez Nathanaël Gobençaux (LES LIGNES DU MONDE)

Jean Prod’hom

Un jour sans fard



Le dimanche matin, sans que personne ne nous l’ait jamais demandé, on s’apprêtait dès le réveil à porter un masque. Mais on s’y préparait depuis la veille déjà, dès six heures du soir, lorsque les cloches de la cathédrale secouaient la ville et que celles de Notre-Dame suivaient. Disons qu'on était invité ce jour-là à quelque chose qui nous demeurait inaccessible les autres jours de la semaine, et qu'il allait falloir qu’on se comporte comme il se devait, pour qu’on puisse espérer être, peut-être, au rendez-vous. Ce masque, on n’en parlait pas, on n’en savait rien ou pas grand chose, sinon qu’il nous enjoignait en secret de nous faire petit, tout petit, discret, de nous taire autant que faire se peut. Et on s’y essayait dès le réveil, avec sincérité et bonne volonté. C’était ainsi qu’on se préparait au grand rendez-vous, en parlant le moins possible, juste le nécessaire : bonjour, s’il te plaît, pardon, ce n’est rien, merci, je t’en prie.

Et ce masque, préparé tout au long de la journée, transfigurait le monde, nous faisait voir les choses autrement. C’est comme s’il nous repoussait en arrière de nous-mêmes, en ce lieu où nous n'étions pas encore tout à fait, heureux simplement d'être bientôt. Quant aux choses, elles avaient une autre façon d’être ce jour-là, il faut bien le dire, car les choses aussi étaient averties que c’était dimanche, et je crois bien que tout le monde le savait, les commerçants avaient tiré les rideaux de fer, on ne claquait pas les portes, les cafés étaient fermés, on avait endossé nos habits de baptême. Restait la ville avec ses maisons bien espacées, les marronniers, les places, l’odeur du pain, l’affairement des moineaux dans les haies. C’est que les choses gardaient si bien leur distance qu’il y avait plus de place entre elles, jusqu'aux fers du portail du jardin à travers lesquels on pouvait glisser la main. Les voitures tenaient enfin leurs promesses, elles étaient toutes de couleur différente, bien garées, elles ne se serraient pas les unes contre les autres. Du silence entre les choses, un silence qui leur laissait les coudées franches.

On était un peu seul le dimanche, livré à nous-mêmes, perdu parmi les choses, inconnu parmi les inconnus. Il faut dire qu’à Riant-Mont les choses se réveillaient plus tôt le dimanche, et elles nous attendaient tandis qu'on se frottait encore les yeux. D’emblée on était surpris de la façon dont elles nous regardaient, sans rien cacher pourtant de leur grandeur. Elles nous dévisageaient, et on savait que c’était nous qu’elles dévisageaient, puisqu’on était seul avec elles. Elles ne faisaient pas grand cas de notre présence, ne devaient-elles pas déjà répondre d'elles-mêmes? Elles allaient leur bonhomme de chemin, elles étaient là et nous avec elles, on les traversait, elles nous traversaient, belles et massives, rien d’autre qu’elles et nous, elles et nous comme des bêtes apaisées.

C’était un joli masque qu’il fallait mériter et qu’on voulait mériter, mais il n’était pas si simple à porter, à tel point qu’il vaudrait mieux dire qu'on s'y essayait, parce que, en vérité, on avait besoin de tout le dimanche pour y parvenir, et même qu’à la fin on n’y arrivait pas, et on le savait dès le début qu'on n'y arriverait pas, qu'il nous aurait fallu des semaines et des semaines. Et on les a eues ces semaines, mais on n'y est pas parvenu. Si bien que, le soir, c’était facile de le déposer, parce que le masque, on ne l’avait pas vraiment porté. Il était resté bien en avant de visage. On le mettait alors de côté, là tout près, on le gardait sous la main, parce que le dimanche suivant, on avait à nouveau rendez-vous.

Tout le dimanche on se préparait à porter un masque, de l'aube au crépuscule, le masque qui aurait dû nous ouvrir les portes du grand rendez-vous, sans qu'on n'y parvienne jamais. Et c'est de cette impossibilité répétée qu'on est entré dans la partie, le monde s'est glissé là où on ne l'attendait pas, il nous est apparu neuf, tout neuf, vrai et entier, les choses avec l'espace tout autour, leur liberté, leur bienveillance, et nous qui ne comptions pour rien. C'est par la grâce des dimanches que notre corps et notre visage réconforté par un masque dont nous différions constamment le port, ont compris que le monde ne voulait pas nous tromper, c'est par la grâce des dimanches que nous avons renoncé enfin à porter un masque sans pour autant renoncer à l'élémentaire précaution de le garder sous la main, comme pour ne pas perdre de vue une vieille promesse qui se réalisait à nos dépens.
J'aime les dimanches déserts qui avancent au pas, le samedi à six heures du soir lorsque la campagne tonne, et tous les jours qui y affluent, là où le temps se fait source et delta.

Jean Prod’hom

Dimanche 21 mars 2010



Il y a du grabuge dans l’existence de cet ami. Il se débat, s’enlise, peine à passer. Alors il parle sans compter à ceux dont il est l’hôte, il parle de ce dont il n’arrive pas à se défaire, d’images, d’une image, d’une image qui lui colle à la peau, de l’image d’une femme et des circonstances de son règne. Il essaie, en filant d’innombrables métaphores qui l’enchantent, se croisent et se mêlent, de faire barrage à la douleur qui a colonisé son existence et à laquelle la raison prête son concours.
Il sourit de pouvoir prendre ce soir un peu de hauteur, heureux que des mots puissent l’élever au-dessus du champ sans ailleurs des opérations qui le rongent depuis des mois, dans lequel il a tourné et s’est retourné. S’il s’offre une vacance en inventant l’interminable récit de ce qui l’a rendu aveugle, celui-ci lui offre en même temps la plus belle et raisonnable des justifications, la raison poétique est devenue sa pire ennemie. La nuit avance.
Mais voilà qu’un petit garçon, dix ans peut-être, interrompt le compte-rendu de ce désastre. L’ingénu court-circuite ce qui aurait pu ne jamais finir. Mais de quoi parlez-vous, je ne comprends pas. L’ami marqué par des nuits sans sommeil lui répond que c’est de la vie qu’il parle. Le garçon fronce les sourcils, la vie? la vie? L’ami se baisse et lui tend la main, et pour toi pour toi, c’est quoi la vie? Un rond? un carré? Le visage du garçon s’éclaircit, il prononce voix douce un seul mot : nénuphar.
Et la vie recomposée acquiesce.

Jean Prod’hom

En haut la côte



Tu t’en approches à vive allure et tout s’enchaîne, c’est un rêve, s’emboîte, c’est un puzzle. Tu espères même y toucher avant de parvenir en haut la côte, tu te dis même qu’il le faudrait, de toute urgence, c’est une condition, ne pas freiner, y parvenir avant d’arriver au col, avant que tout ne s’arrête puis disparaisse, le temps est compté, la vérité se tient là, tout près, en équilibre, il faudrait que tu y parviennes avant de tout oublier, le montage est ténu, il te faut tout risquer à présent, surtout ne pas perdre en un éclair ce qu’un autre éclair, un concours de circonstances et deux pierres d’angle t’avaient fait entrevoir et que l’exigeant labeur de la pensée t’avait permis de rabouter, te hâter, une pièce encore, un enchaînement, tu a mis la main sur le bon filon, c’est certain, tu peux sourire, tu touches bientôt au but, il suffit de glisser la clé de voûte, dépêchons, tu reprendras le tout demain à l’aube, promis, petites suppressions et finitions, polissage, un ou deux contreforts peut-être, pas trop, le retrait enfin des échafaudages. Au crépuscule se dressera la vérité toute neuve, la nouvelle façade de Santa Maria Novella et tu en seras l’architecte.
Mais avant même d’arriver au col, à mi-pente déjà, ou peu après, tu t’aperçois que tu es précisément en train de manquer le but, tu t’en éloignes même, plus rapidement encore que tu ne t’en approches, il ne sert à rien d’accélérer, de siffler les chiens pour qu’ils rameutent des pensées flottantes, mal établies, trop tard, tout se défait, part en fumée, eau de boudin, le convoi s’en va, ce n’était rien, moins que rien.
Tu découvres alors de l’autre côté de la colline un horizon immense, avec des montagnes immobiles, démesurées, rien à voir avec ce que tu avais cru pouvoir réduire et disposer par des signes, te voilà chassé, abandonné, vidé. Où t’es-tu égaré? Tu pourrais tout regretter, te terrer, t’attaquer au mirage qui t’a mené là, en vouloir aux chicanes, débusquer les leurres. Mais tu te prends à penser qu’il en va autrement, cette croisade qui a tourné court t’a allégé. Te voilà au sommet de la côte avec ce qui ne tient pas dans les mains de la raison, avec ce qui ne tient nulle part, ce qui déborde de partout. Derrière toi l’obstination, devant toi la confiance, tu peux désormais aller dormir.

Jean Prod’hom

Premier établissement


Avant la conquête
le ciel
la nuit
les vagues
massives et gauches
butant sur l’île
nue et amaigrie
lettre de guingois
vue du ciel

fenêtres grand ouvertes
sur les grains
sur les vents
courants d’air et pluie
bois blanchis
bestioles à plumes compostées
coques nacrées écailles bris
os et caillasse concassés

mais voici les goélands
rescapés d’un interminable voyage
maigres et faméliques
les cormorans
idées étroites idées noires
ils cherchent à s’établir

le claquement de leurs ailes
le reflet de leur trajectoire
dans le miroir de l’océan
les tiennent
éloignés de l’île
ils s’installent à deux pas
sur un îlot de rien
pas la force de repartir

qui les aurait vus
les aurait vus aller et venir
puis plus rien
rien de neuf
sur l’île mourante
des années durant

c’est aux oiseaux de la mer
que l’on doit
ces quelques images
de l’île d’avant la conquête

à eux aussi la suite
ils préparent leur retour
cris insupportables
affûtent
retroussent leurs paupières

ils partagent
d’abord le ciel
les constellations
avant de tirer des droites à la verticale
de chacune de leurs hésitations
ils repèrent sur l’île
les ronciers et les vasières
établissent des nichoirs
sur tout le territoire
colonisent les terres
toutes
jusqu’aux confins

procédure stricte
reproduction des conditions
réaction du milieu
étude de l’impact
apport des modifications
avant d’astreindre le tout
aux fins prévues
chacun dans son quartier

tout fut réglé
tambour battant
du plan de la mosaïque
au prix de la dot
localisation des sources
établissement des droits de passage
constitution de réserves
contrôle des influences
nomination des autorités de substitution
loi sur le contingentement
asservissement du solde

le récit des oeuvres
des oiseaux de la mer
allège aujourd’hui encore
la tâche des chefs de provinces
en peine de justifications

on appelle cette année-là
l’année du grand partage
c’est aux oiseaux de la mer
qu’on la doit
et sur l’océan
la lettre de guingois
reprit un peu de caractère

Jean Prod’hom

Jour de fête



Accoudés au zinc du café du Cygne, Jean-Rémy et ses amis font une partie de 421 en pataugeant dans le vin blanc.
– Lorsque l’un d’entre vous aura obtenu 807, j’offre la tournée.
Ils retroussent leurs manches et se mettent à l’ouvrage. Je repasse en fin d’après-midi, ils ont dessaoulé et le visage des morts.
– T’as pas plus simple !

« Se dépasser, se dépasser, se dépasser... » murmure tristement le cheval blanc du manège sur la place du village.

Les moineaux jouaient à cliclimouchette tandis que derrière le battoir un jeune homme aux idées noires fourbissait ses armes.

Jean Prod’hom
25 février 2010

Grande santé



A la maison, on n’était jamais malades, et quand on l’était malgré tout, ce n’était pas comme chez les autres, si bien que ça ne comptait pas vraiment, on restait au lit, simplement, et ça passait. Il faut dire que l’usage même du mot maladie était proscrit à la maison, et malade n’y sonnait pas de la même manière que chez nos amis. A ce propos je dois noter qu’on n’avait pas d’amis, on était si bien entre nous et les choses étaient tellement plus simples ainsi.
Jamais malades ou presque, et les maladies qu’on avait, ce n’était que des bonnes maladies, celles qui rendent plus fort, celles qui rendent justes, celles qui sont dans l’ordre des choses, les maladies qu’on ne soigne pas, que personne ne soigne, surtout pas nous. C’était un peu comme si on les enfantait, c’était les nôtres. On n’allait donc pas chez le médecin, parce que nos maladies n’étaient pas dues au hasard, c’était un signe du ciel, un message des saisons auxquelles on obéissait. Mais attention, on y obéissait librement, car on savait que c’était toujours au meilleur moment qu’elles allaient faire leur apparition, qu’elles allaient faire leur chemin et s’en aller, ni vu ni connu. Il était donc bien inutile qu’on nous les vole.
Elles tombaient toujours bien, pendant les vacances ou le vendredi avant le week-end, ou à des moments qui convenaient à tout le monde. A ces moments-là on avait le feu vert et on laissait la maladie venir, avec le sourire, tout le monde était content. Malades ensemble, c’était encore le meilleur plan, on y arrivait la plupart du temps. Mais attention, c’était exclu qu’on ne se lève pas, qu’on manque l’école ou que papa ne se rende pas à l’usine.
A la maison on ne parlait pas de remèdes, car les remèdes c’était fait pour les malades, et on n’était pas malades. La maladie c’était pour les autres. Nous on était cinq. Un verre d’argile suffisait, c’était notre cure de printemps, une feuille de chou sur le front ou sur la nuque les soirs où on avait la tête pleine, une cuillère de sucre candy macéré dans de la rave sur un radiateur lorsqu’on avait mal au cou. Et c’était tout, des graines de moutarde à la rigueur si on toussait, du blé au printemps quand l’herbe repoussait dans les prés, du blé que maman faisait germer un jour ou deux dans des coupelles jaunes et on était armés pour le reste de l’année.
On avait un modèle à la maison, un grand-père maternel. Il soignait, disait-on en secret, un rhume chronique en avalant à l’aube des limaces crues, il assommait son arthrose en se faisant des bains d’orties près du poulailler. Lui il en savait sur la nature, les plantes et la lune, mais il ne nous en parlait pas, c’était secret, lui aussi était secret, et il avait un mauvais caractère. Et puis il y avait maman, maman à laquelle mes soeurs et moi on doit presque tout, disons qu’on lui doit un peu plus de la moitié de ce qu’on est. Maman était panthéiste, je crois, panthéiste sans le savoir, et je crois même que nous cinq on n’imaginait pas le monde autrement que sous la forme d’un immense organisme respirant, tous panthéistes, même mon père, malgré ses velléités monothéistes, panthéistes et immortels.
C’est beaucoup plus tard que j’ai compris que nos jours étaient comptés, bien après que Michel ne se jette avec sa draisine rouge sur les bas-côtés du chemin qui menait au fond du jardin en criant, sourire aux lèvres : accident mortel. J’ai eu une enfance au grand air, saine et immortelle.

Jean Prod’hom

Lendemain de carnaval



Que vous donniez le bras au porte-drapeau, que vous soyez l’un des fier élus à la tête du cortège, ou que vous alliez clopin-clopant ratisser les mégots nichés entre les pavés, il ne restera rien lorsque la foule se dispersera. Ou si peu : les colonnes vides des pertes et des gains, des confettis, le ciel bleu d'airain contre lequel le temps bute, la bière âcre. La pluie a remis les compteurs à zéro, les nuages nous saluent avant de filer à Saint-Jacques ou pousser jusqu'à Jérusalem.
Oubliée au pied du réverbère, pas effrayée pour un sou, serrée dans les mâchoires d'une invisible nécessité, la graine de l’an passé s’est enhardie. Trois petits bourgeons épongent le tintamarre des cortèges de la veille et font oublier l’omniprésente pauvreté.
Tu t'assois sur le banc, secoues un rameau qui traînait là, le trempes dans la poussière pour écrire sur le macadam quelques lettres, hésitantes, flottantes, qui s’envolent bien vite.

Jean Prod’hom

Dimanche 14 mars 2010



On se penche vers ce qui s’entrouvre, on devine, ça tire et ça pousse par en dessous. Avec le soleil qui descend, pour la première fois, tout droit depuis en haut, oui c’est sûr, la besogne sera vite terminée.
La terre – mais est-ce bien le nom qui lui convient en mars? – bombe le ventre et creuse les reins; elle efface les derniers signes de l’hiver que plus personne ne tente de déchiffrer, le grand texte blanc est troué de toutes parts, demeurent quelques grands caractères aux allures de gingembres fantomatiques qui se recroquevillent imperceptiblement, avant de gesticuler comme ces bâtons de guimauve lorsqu’on les approche des flammes : ils moussent et bavent, c’est la débandade.
On aimerait déjà s’asseoir, appuyer le dos contre les mousses et rêver, mais tout est détrempé; sur le chemin, le trop plein d’eau goutte dans de petites vasières que le vent remue; lorsqu’on aura le dos tourné, les moineaux et le merle qui guettent un peu plus loin viendront à tour de rôle y frotter le bec.
Le langage lui aussi monte par en dessous, il vient au bord des lèvres, on voudrait tout dire, vite, trop vite dits, taisez-vous mots mous, laissez la petite débâcle terminer son ouvrage.
Je vais, ma tête s’enfonce dans la terre meuble, un peu d’immobile tout autour, j’y crois dur comme fer, c’est sûr, on a passé bonne espérance. C’était lundi après-midi du côté des Censières, du côté du Bois Vuacoz, à la Mussilly, partout, il n’y avait personne, on n’en parlait pas, ça avait lieu, débâcle aux couleurs pâles, sous le bleu coupant du ciel conquérant.

Jean Prod’hom

Confusion



Ça tournait vite
mais dans le vide
rien pour stopper l’hémorragie
aucun tiers
nul butoir nulle corniche

les souvenirs s’altéraient
rongés par le va-et-vient
des rameaux de l'arbre des pendus
sous lequel végétaient
les sans droits
talon contre talon
épaule contre épaule
tenaces

les mémoires prenaient l’eau
l’après rongeait son frein
incapable de rejoindre l’avant
les effets repoussaient les causes
on allait en vain
en tous sens
c’était luttes feutrées de successions
sur les traverses des échelle dynastiques

cachés dans une tour d’angle
dévorée par le lierre
ceux qu’on appellera
les poètes les philosophes
les buissonniers parfois
qu’importe
s’interrogeaient
sur la domesticité
sur la primauté de la terre
racontaient le ciel avec la mer et la terre
tout
ils risquaient gros

tous ceux qu'on associait
aux tourbillons des consciences
on les pendit
on les craignait tant
qu'on les passa au fil de l’épée
avant de les glisser
morceau par morceau
dans les tiroirs de la nuit

on déplaça les bergers
des montagnes dans la plaine
qui séparait près de l'isthme
les deux océans
on les boucla d’une ceinture d’acacias

on enferma à double tour
les chasseurs et les nomades
confinés sur la côte méridionale de l’île
isolée par un arc de chausse-trapes
on leur offrit l’indépendance
et la liberté des alliances

l’enclave ou l’emboîtement
plus rien en guise d’amer
pas même l’errance
les commencements fuyaient

j’aurais tant voulu embrasser les premiers alinéas du monde

Jean Prod’hom

Les seigneurs de la nuit



La nuit tombe, c’est un samedi soir de l’année 1961 ou 1962, ou 1963. Je monte au stade de la Pontaise, la main dans la main de mon père en suivant la collectrice du Valentin dans laquelle cinq ou six drailles sorties de nulle part déversent des grappes d’inconnus. Mais la foule ne grossit vraiment qu’aux Anciennes Casernes, une foule taiseuse, concentrée, qui se prépare à faire face à quelque chose qu’on n’était tous bien incapables de penser. Une folle rumeur monte du puits que creusent les faisceaux bleu acier des projecteurs. On a de l’avance, on regarde l’heure, tout monte, monte. Mais il faut attendre, nous taire encore, contenir notre agitation, nos espoirs, avant que la grande affaire n’ait lieu. Ils entrent enfin dans la lumière.



On les appelait les Seigneurs de la nuit : Künzi, Grobéty, Tacchella, Schneiter, Hunziker, Dürr, Armbruster, Eschmann, Kerkhoffs, Hosp, Hertig. Chacun d’eux incarnait à sa manière l’un des onze attributs de l’être.

Jean Prod’hom

Hostie



Au petit déjeuner, à Riant-Mont, on terminait toujours le pain de la veille, ou s’il en restait, le pain de deux jours, même le dimanche. Ce n’était pas l’effet d’un de ces étranges concours de circonstances qui se répètent quotidiennement et qui alourdissent nos existences, mais l’application stricte d’un des articles essentiels d’une doctrine dont nous étions les dépositaires, les seuls peut-être, un article qui nous soudait, nous constituait même, à tel point qu'on n'imaginait pas qu'il puisse exister ailleurs d'autres doctrines. Une vérité simple, sans déclinaison : chez nous on ne mange pas de pain frais, c’est tout.
Ma mère achetait du pain chaque jour, chaque jour ou presque, mais on n'y touchait pas, on attendait patiemment qu’il vieillisse, un jour au moins. Il le fallait pour qu’il livre tous ses bienfaits et soit bon pour notre santé. On ne s’en plaignait pas, c’était ainsi. Comment vouliez-vous donc qu’on ait une telle idée, se plaindre?
C’était comme un pacte, un ancien pacte sans origine connue, sacré en cela, un pacte continué, assuré par un silence sur lequel on ne s’appesantissait pas. Mais c’était aussi un signe distinctif qui faisait de nous des êtres un peu prométhéens, un luxe et une puissance, voyez-vous? Mais un luxe discret, puisque personne d’autre que nous n’en savait rien. L’ostentation on ne connaissait pas, ou si peu, un petit peu quand même, c’était comme une petite ostentation rentrée qui nous aidait à garder la tête haute mais que personne ne devait voir.
On ne voulait endoctriner personne, car on n’avait besoin de personne, cette doctrine nous obligeait même à nous couper des autres, même si on se disait au fond du coeur que les autres auraient mieux fait de savoir tout ce qu’on savait à propos du pain. Mais ça on le disait tout bas, l’a-t-on d’ailleurs dit même une seule fois? à qui que ce soit? en a-t-on même parlé un jour entre nous?
On savait bien sûr que le pain frais ça se mangeait, mais ailleurs, et ailleurs qu’est-ce que c’est? On savait aussi que certaines personnes prétendaient que le pain frais, blanc de surcroît, c’était bien meilleur que le pain, ça aussi on savait que certains le disaient. On pensait au fin fond de nous qu’ils le disaient pour nous narguer ou éprouver la doctrine. Mais ces gens, fils de boulangers ou de riches, on ne les écoutait pas, on les entendait à peine, c’était tellement insensé.
On admettait toutefois qu’il en soit ainsi chez les autres. Qu’ils mangent donc du pain blanc, du pain frais, des croissants et des petits pains au lait. Qu’ils assument, c’était pas notre affaire. On savait que chez les autres c’était pas comme chez nous, on pensait simplement qu’ils habitaient un autre monde, voisin de celui des fous, et qu’ils paieraient un jour leur inconscience de leur santé. Qu’ils restent entre eux et nous entre nous, ils n’avaient en définitive pas été choisis pour entendre toute la vérité sur le pain, tout simplement.

Nous sommes descendus une ou deux fois en famille à Ouchy donner du pain sec aux poules d’eau, aux cygnes et aux canards. Je me demande bien aujourd’hui d’où il nous venait? s’il y avait un traître parmi nous, ou s’il s’agissait d’un geste de ceux de l’autre monde. Car à la maison, en principe on n’avait pas de restes, on avait seulement du pain sur la planche.

Jean Prod’hom

Veillée



Lourde insomnie cette nuit malgré l’application consciencieuse des techniques mises au point par Ravel. À minuit pourtant le sommeil avait pointé son nez, mais l’air du boléro a joué des coudes et le sommeil a foutu le camp.


- Je me demande bien si j’ai dormi cette nuit.
- Mais enfin ma Lili, tu as dormi comme tout le monde, n'est-ce pas ?
- Je sais pas, je ne me suis pas réveillée une seule fois.


Jorge Luis Borges ferme les yeux et il voit un troupeau de moutons. La vision dure une seconde, peut-être moins. Leur nombre était-il ou non défini ? Le problème enveloppe celui de l’existence de Dieu. Si Dieu existe, le nombre est défini, car Dieu sait combien de moutons il a vus. Si Dieu n’existe pas, le nombre n’est pas défini, car personne n’a pu en faire le compte. Dans ce cas, il a vu un nombre de moutons, disons inférieur à 810 et supérieur à 805, mais il n'a pas vu 806, 807, 808 ni 809 moutons. Il en a vu un nombre compris entre 810 et 805, qui n’est ni 809, ni 808, ni 807, ni 806, ni 805,... Jorge Luis Borges s’est endormi le 14 juin 1986 à Genève.

Jean Prod’hom
18 février 2010

Le champ de Tityre




Rien n’a changé depuis plus de vingt ans, les élèves et les enseignants vont et viennent d’un pas régulier, affairés, sérieux, puis les portes se ferment et le silence revient. Je suis assis sur la troisième des cinq marches qui conduisent à la nouvelle bibliothèque du collège, pour la première fois. Par la baie vitrée à l’ouest, j’aperçois les crêtes enneigées du Jura, longues et lointaines, au pied desquelles s’égrènent des villages que je connais bien. A vrai dire je les devine, plus proches et vivants que jamais. Je murmure leur nom : Bérolle, Mollens, Montricher, L’Isle, La Coudre, Mont-la-Ville, La Praz, je demeure immobile, un instant encore, le regard tendu, l’oreille aussi, le corps, je crois, là-bas. Je songe à Paludes.

"Paludes, c'est spécialement l'histoire de qui ne peut voyager; – dans Virgile il s'appelle Tytire; – Paludes, c'est l'histoire d'un homme qui, possédant le champ de Tityre, ne s'efforce pas d'en sortir, mais au contraire s'en contente; voilà..."

Je serais volontiers resté un instant encore accroupi sur ces escaliers, comme autrefois sur les escaliers de Chandieu, sur les escaliers de pierres du Buisson, ceux du jardin de Riant-Mont, de Colonzelle, sur ceux du grenier de Bursins, sur les escaliers Hollard, sur ceux du parvis du dôme de Montepulciano, sur tous ces escaliers, souches et bancs de pierre, sur tous ces murets et ces perrons qui m'ont fait l'égal de Tytire : un champ et m'en contenter.

Jean Prod’hom

Nuit de Walpurgis



Un anonyme rédigea
à la demande des prêtres
le compte-rendu des méfaits
du responsable des mines

pour sauver sa tête
on acheta
les témoignages d’indigènes
qu’il fallut ensuite
et par précaution
tailler en pièces

on jeta les procès-verbaux
dans un feu immense
qui éclaira le festin au cours duquel
on fit tomber les masques
on laissa libre cours aux propos de table
la femme du responsable des mines
chanta même dans la nuit
abondance et apanage

t’en souviens-tu

et les choses tues
foulées sous les tréteaux
par les convives
mélangées à la boue
devinrent comptines
chansons paillardes et rengaines

pas d’image complète de l’affaire
mais on la colporta en l'état
dans la vallée
où on l’enrichit
de vaille que vaille et de quoi qu’il en soit
tant et si bien qu’elle ne se perdit pas
dans l’agitation tricéphale
des égoïsmes des peurs et des ça va de soi

tout porte à croire que
les à-côtés du procès du responsable des mines
joints aux emprunts et aux anachronismes
soient également aux sources des hégémonies
qui fondèrent le droit des fous
à devenir sur tout le territoire de l’île
les dépositaires des clés des allées
les détenteurs du texte de justification des grands lacs
et lorsque le temps l’exigea
les rédacteurs de l’appel au retrait des grandes crues

néanmoins le ciel et les nuages
en vinrent aux mains
si bien qu'il fallut quelques têtes brûlées
pour détourner des sources empoisonnées
la transparence de l’eau
et tirer de la terre fumante
des poignées de glaise

c’est par ces actes de courage
que les héritiers se souviennent aujourd’hui
qu’il aurait pu en être autrement

Jean Prod’hom

Dimanche 7 mars 2010



Dans les villages autrefois, on chérissait les idiots qu’on autorisait à rôder aux alentours des habitations avec les chiens errants. Ils vivaient libres et dormaient chez une tante éloignée, un vieux ou une vieille, dans une grange abandonnée, sur la margelle d’un puits, dans la paille ou des sacs de jute. On les éloignait certes, mais on leur offrait un peu de soupe et un peu de pain pour les inclure dans la création et proposer ainsi un avant-goût du paradis. Souvenez-vous de Corentin le bienheureux.
On les chasse aujourd’hui, avec les tantes éloignées, les vieux et les vieilles au-delà des limites de la création, on les enferme dans des maisons de redressement, des atelier protégés, des centres de tri ou des asiles dans lesquels ils sont nourris comme des oies, pour nous offrir un aperçu de l’enfer auquel nous sommes destinés.

Jean Prod’hom

Autogéographie | Nathanaël Gobenceaux


Montage : Nathanaël Gobenceaux

Autogéographie en footballeur
(JE ME SOUVIENS des années football)


… Lausanne Sport – Neuchâtel Xamax - Grasshopper – Zurich – Servette Genève - AJ Auxerre - Girondins de Bordeaux - D’aussi loin que je me souvienne, j’ai dû m’intéresser au foot vers mes 7 ou 8 ans… - US Boulogne CO - Grenoble Foot - Le Mans UC 7 - …j’ai acheté nombre de France Foot que je ne me résous pas à jeter et qui encombrent ici ou là… - RC Lens - Lille OSC - FC Lorient - Olympique lyonnais - JE ME SOUVIENS DES ECUSSONS DORES QUE NOUS COLLIONS SUR UNE CARTE DE FRANCE ; LES VILLES ET LES CLUBS, GEOGRAPHIE ET FOOTBALL ; ASSOCIATION SPORTIVE DE MONACO, FOOTBALL CLUB DE METZ, OLYMPIQUE MARSEILLE, ASSOCIATION DE LA JEUNESSE AUXERROISE, RACING CLUB DE LENS, STADE RENNAIS… - Olympique de Marseille - AS Monaco - Montpellier HSC - AS Nancy-Lorraine - OGC Nice - …les plus anciens doivent dater de la fin des années 1980’… - Paris SG - Stade rennais - AS Saint-Étienne - FC Sochaux - Toulouse FC - …je me rappelle particulièrement, à chaque intersaison (l’intersaison en foot correspond aux mois de juillet et août, quand les joueurs sont en vacances et en profitent pour changer de club)… - Valenciennes FC - M'gladbach – Nuremberg- Leverkusen - JE ME SOUVIENS, LISANT LA GAZZETTA DELLO SPORT DANS UN IMMEUBLE DE SCANDICCI, DEVANT LES RESULTATS DE LA COUPE UEFA, ETRE TOMBE SUR UN CERTAIN BAYERN MONACO. BIZARRE, Y AURAIT-IL UNE AUTRE VILLE QUE LA PRINCIPAUTE A AVOIR CE NOM ? J’ENQUETE, FEUILLETTE LE JOURNAL JUSQU’A LA PAGE DU CHAMPIONNAT ALLEMAND ET LA JE COMPRENDS : EN ITALIEN, MUNICH SE DIT MONACO. – Wolfsburg - Stuttgart – Hambourg - Bochum – Hoffenheim - … des cartes présentant les différentes villes & équipes en compétition pour l’année à venir… - Hanovre - Werder Brême - Hertha Berlin – Mayence - Bayern Munich - …peut-être mes premières cartes non scolaires… - Borussia Dortmund – Schalke 04 – Cologne – Francfort - JE ME SOUVIENS DE GUY ROUX, LE MANAGER D’AUXERRE, DISANT AVANT UNE RENCONTRE DE COUPE D’EUROPE CONTRE LA FIORENTINA DE BAGGIO, QU’IL VOULAIT BIEN ENLEVER LE PONTE VECCHIO DE L’ARNO POUR LE METTRE SUR L’YONNE. – Fribourg - Man. City - Bolton - Portsmouth - Sunderland - Wigan - Stoke City - …c’est ainsi que j’ai appris que Rosario était en Argentine, que Santiago du Chili abritait le club de Colo Colo… - Fulham - Burnley - Arsenal - Liverpool - Aston Villa - Man. United - …qu’Anderlecht était un quartier de Bruxelles… - West Ham - Birmingham - Wolverhampton - Tottenham - Blackburn - Hull City - Everton - JE ME SOUVIENS DE PISE, DEVANT LA TOUR PENCHANTE, CHEZ DES MARCHANDS AMBULANTS, D’Y AVOIR ACHETE LES FANIONS DE PLUSIEURS GRANDES EQUIPES EUROPEENNES : CEUX DE L’AJAX AMSTERDAM, DU MILAN AC, DE LA FIORENTINA, DE L’AS ROMA ; JE ME SOUVIENS QUE PLUS TARD ON M’OFFRIT CEUX DU SPORTING LISBONNE ET DU REAL MADRID DE CHENDO, MICHEL ET BUTRAGUEÑO. – Chelsea - Genk - Lokeren - Zulte-Waregem - Roulers - La Gantoise - …c’est ainsi que j’ai appris à situer Glasgow, Cologne ou Eindhoven sur une carte… - Saint-Trond - Courtrai - Cercles Bruges - Westerlo - Charleroi - …c’est comme ça aussi que j’ai appris qu’Auxerre, bien que grand club de foot n’est en fait qu’une petite ville de 40 000 habitants… - FC Bruges - Standard Liège - Anderlecht - Malines - Aberdeen - Celtic - Hamilton - JE ME SOUVIENS AVOIR PRIS PARTI POUR LE BARÇA PLUTOT QUE POUR LE REAL LE JOUR OU J’APPRIS QUE LE REAL ETAIT LE CLUB DU ROI, L’ANCIEN CLUB SOUTENU PAR FRANCO ALORS QUE LE FC BARCELONE REPRESENTAIT PLUTÔT L’ANTI-FRANQUISME. - Motherwell - Hearts - Falkirk - Kilmarnock - St Johnstone - St Mirren - Dundee United - Rangers - Hibernian - …que le PSG est le club des quartiers Ouest de Paris, que le Red-star 93 est celui des anciennes banlieues communistes… - Gijon - Valence - Xerez - Real Madrid - Villarreal - Athletic Bilbao - Espanyol - La Corogne - Valladolid - Saragosse - …je situais donc tout cela sur la carte, sur la mappemonde ou dans l’atlas… - Getafe - Almeria - Santander - Malaga - FC Séville - Osasuna - Atlético Madrid - Barcelone - Tenerife - Majorque - JE ME SOUVIENS D’UN AMI ME RAPPORTANT D’ANGLETERRE UN MAILLOT ROUGE DE MANCHESTER UNITED. - Milan AC - Udinese - AS Roma - Palerme - Sampdoria - Fiorentina - Cagliari - Bari - Catane - Atalanta - Chievo - Sienne - Juventus - …je parcourais le monde des Andes à la Yougoslavie, de Tromso (Norvège) à l’Ajax Cape Town (Afrique du Sud)… - Genoa - Livourne - Bologne - Parme - Lazio Rome - Naples - Inter Milan - NEC Nimègue - NAC Breda - Vitesse - FC Twente - Heerenveen - Ajax - ADO Den Haag - Willem II - AZ Alkmaar …j’apprenais ainsi que les noms en –ic viennent de l’ex Yougoslavie, ceux en –ev de Bulgarie, les noms en –ski de Pologne, les en –sky plutôt de Russie… - Roda JC - Utrecht - Feyenoord - Groningen - Waalwijk - Sparta Rotterdam - VVV Venlo - Heracles - PSV - P.Ferreira - Sporting - Benfica - Belenenses - Leixões - Porto - Leiria - Setubal - Academica - JE ME SOUVIENS D’UN VOYAGE EN ANGLETERRE ; J’ACHETAIS DES MAGAZINES DE FOOTBALL, J’APPRENAIS DES MOTS -QUI NE M’ONT PAS SERVI DEPUIS- TELS QUE ‘WINGER’, GOALKEEPER OU ENCORE LEFT BACK ; PLUS TARD, J’APPRENDRAIS LES TRADUCTIONS ITALIENNES DE BUTS : RETI, GARDIEN : PORTIERE, ENTRAINEUR : TECNICO OU ALLENATORE. - Olhanense - Nacional - Rio Ave - Braga - Maritimo - Naval - V.Guimarães - Sion - St-Gallen - Lucerne - Aarau - Bâle - Bellinzona - Young Boys.

Nathanaël Gobenceaux




écrit par Nathanaël Gobenceaux
(géo-graphe. Il égrène sont auto-géo-graphie-s ici et là sur le net et tient les blogs Les lignes du monde et Balzac (par de petites portes) qui m’accueille chez lui dans le cadre du projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.

Et d’autres vases communicants ce mois :

 Mariane Jaeglé et Gilles Bertin
 Eric Dubois et Patricia Laranco
 Lignes électriques et Chroniques d'une avatar
 Christophe Sanchez et Yzabel
 Luc Lamy et Anna de Sandre
 Futiles et graves et Kill that Marquise
 Christine Jeanney et Arnaud Maïsetti
 Michel Brosseau et Juliette Mezenc
 Frédérique Martin et Denis Sigur
 Pierre Ménard et Anne Savelli
 Juliette Zara et Kouki Rossi
 Nathanaël Gobenceaux et Jean Prod'hom
 Florence Noël et Lambert Savigneux
 Hublots et Petite racine
 Pendant le week-end et Quelque(s) chose(s)
 François Bon et Commettre
 Scriptopolis et Kill Me Sarah
 RV. Jeanney et Paumée
 Anita Navarrete Berbel et Anna Angeles

Post-scriptum



La nuit tombait sur Lausanne, un samedi soir de l’année 1961 ou 1962, ou 1963. Je montais au stade de la Pontaise, la main dans la main de mon père, en suivant la collectrice du Valentin dans laquelle cinq ou six drailles sorties de nulle part déversaient des grappes d’inconnus. Mais la foule ne grossissait vraiment qu’aux Anciennes Casernes, une foule taiseuse, concentrée, qui se préparait à faire face à quelque chose qu’on n’était tous bien incapables de penser. Une folle rumeur montait déjà du puits que creusaient les faisceaux bleu acier des projecteurs. On avait de l’avance, on regardait l’heure, tout montait, montait. Mais il fallait attendre encore un peu, nous taire encore, contenir notre agitation, nos espoirs, avant que la grande affaire n’ait lieu.

On les appelait les Seigneurs de la nuit : Künzi, Grobéty, Tacchella, Schneiter, Hunziker, Dürr, Armbruster, Eschmann, Kerkhoffs, Hosp, Hertig. Chacun d’eux incarnait à sa manière l’un des onze attributs de l’être.

Jean Prod’hom

La vieille de Pra Massin



L’affaiblissement de ses forces et la perspective de la mort effrayaient moins la vieille depuis qu’elle se rendait avec son chien à Pra Massin sur les hauteurs du village, chaque jour ou presque. Elle s’asseyait sur le banc que la commune avait mis à la disposition des promeneurs et elle se taisait, laissant son regard chercher, puis lentement se fixer sur l’un des villages attachés au flanc des collines qui longent la rive droite de la Broye.
On racontait qu’elle y avait laissé autrefois un amour, auquel elle s’était mise à repenser depuis la mort du père de ses enfants et du mépris que ceux-ci affichaient à son égard. Ce n’était qu’une rumeur sans fondement colportée par ceux qui ont renoncé à comprendre quoi que ce soit du mystère dont nous sommes les hôtes.
En réalité la vieille venait s’asseoir pour s’attendrir et accepter enfin ce qui lui avait été octroyé. Elle disait à qui voulait l’entendre, d’une voix blanche, ferme pourtant, que le paysage là-bas ne se dérobait pas, malgré la danse des saisons, la neige, les coupes dans les bois, les feux d’automne, le brouillard empoisonné. Elle fixait, disait-elle, un point du paysage, toujours le même, en contrebas de l’un des villages, un vallon vers lequel elle sentait converger de proche en proche la terre entière et tous ses habitants comme au milieu d’une grande respiration. Elle ajoutait que ce lieu lui semblait en même temps répandre son secret dans toutes les directions, sans perdre jamais cette singulière étrangeté pour laquelle elle venait à Pra Massin. Elle disait en souriant qu’elle se sentait un peu plus prêt de l’éternité.
Lorsque je regarde aujourd’hui les villages et les clairières sommeillant au dessus de la Broye que survole et caresse son âme libre, je songe aux dernières années de sa vie suspendues à la petite éternité que durait sa halte à Pra Massin et je l’envie.

Jean Prod’hom

L’abri


La nuit prend si vite ses quartiers le soir que les hommes se retirent promptement, fanfarons parfois, sur les îles qu'ils ont aménagées le jour. Depuis le temps la débandade est organisée. La nuit ne laisse rien au hasard et s'insinue partout. Seul le ciel noir mité comme une feuille de millepertuis clignote de toutes parts, c'est qu'une fête se déroule là-bas, au-delà des Sablonnières. Plus rien n'est à craindre ici, les maisons sont calfeutrées et derrière leurs paupières les hommes s'abandonnent confiants à ce qui ne se voit pas. Dehors l'obscurité accroupie sur le seuil attend sagement, les écorces enlacent le coeur des grands échassiers qui sommeillent les yeux grand ouverts. Demain à midi, lorsque la nuit ne sera qu'une ombre, je jetterai un coup d'oeil du côté du couchant et me réjouirai du soir, lorsque la nuit tombe à verse.

Jean Prod’hom

Da capo



J'avance somnanbule dans un monde strié par le va-et-vient du jour et de la nuit, vêtu des lambeaux d’un récit rapiécé qui enchante cependant ma vie. Il raconte, drapeau blanc, mon appartenance à l'espèce mais ne me réchauffe guère.
Il me faut aller tête baissée dedans le brasier, lever la tête qui est dans ma tête, regarder à gauche, regarder à droite, prendre et déposer comme l'abeille le fait avec la fleur du pommier cet autre dont j’ai besoin, dans un monde sans image, et ensemencer la page qui peine à faire voir le feu dont on est fait.
Le roncier s'est refermé derrière moi, je ne reverrai plus la clairière patiemment dégagée. Il me faut recommencer.

Jean Prod’hom

Dimanche 28 février 2010



L'eau noie les songes creux et dissémine les pensées qu'on croyait éternelles. Demeurent nos vies qui s'allègent jusqu'à la ruine et pour lesquelles on mendiera un jour encore.
J'aperçois le vieux qui brasse la neige, seul dans le bois, il va à la lisière visiter ses abeilles qu'on entend lorsque le soleil guigne. Les ruches enflamment une dernière fois les alentours. Sera-t-il avec elles ce printemps?
Comment rassembler les promesses qui débordent avec les mots d'avant? Comment contenir ce qui va sans se retourner? Je demeure en retrait et assiste à la poussée de ce à quoi je serai peut-être convié.

Jean Prod’hom