Ceux qu'on n'entend pas
Oh mon Albert

Oh mon Albert, comment vas-tu ?
J’ai tant besoin de t’écrire… Avec les caprices de Markus et les problèmes de Lisa, moi j’en peux plus ! En plus, ma propriétaire, tu sais la petite Julie ? Elle me sert beaucoup trop fort, j’ai l’impression que mon bec va exploser et pour couronner le tout, elle n’arrête pas de me mordiller.
Ras-le-bol
C’est décidé, demain, je fuis ! Et j’ai déjà tout prévu ; arrivés à l’école, nous nous mettrons, avec les enfants dans cette si belle trousse que j’ai repérée l’autre jour. Je crois qu’elle appartient à Maria, une amie de Julie. Cette petite à l’air si gentille, si douce… et elle au moins elle ne mordille pas ! Du moins, espérons-le…
Ta Plumette
Coucou Plumette
Coucou Plumette,
Comment s’est passée ton évasion ? Tu as déménagé à une autre table ? Est-ce que tu as enfilé des nouvelles cartouches ?
Parfois, j’aurais aussi bien envie de partir, rencontrer des nouvelles personnes. Ma voisine la règle ne discute pas beaucoup. Les seules fois où elle parle, c’est pour des histoires de lignes ou des centimètres. L’autre jour, pour avoir un peu de compagnie, je suis allé la voir. Elle, obsédée par ses millimètres, m’a proposé de me mesurer. J’ai accepté, et tu sais ce qu’elle m’a dit ? Elle m’annoncé qu’il me restait neuf centimètres à vivre. Neuf, seulement ! Et quand je pense à ma belle jeunesse…Tous ces centimètres envolés à cause de ce tailleur, qui en plus n’arrive jamais à me faire une belle coupe !
Mais sinon je vais bien, j’ai bonne mine, ni cassée ni trop épaisse.
A bientôt,
Albert
Les deux oreillers
-Voisin ! Eh, voisin ! Tu dors ?
-Comment veux-tu que je dorme ? Elle m’écrase ! Pour une fois que mon bourreau n’est pas là, je ne trouve pas le sommeil.
-Ah c’est ballot ça. Dommage pour toi.
Cette nuit-là, une seule personne dormait dans le lit, c’était la femme, Juliette. Son mari, Simon, n’était pas là, étant surement aller voir ailleurs, histoire d’explorer de nouveaux horizons.
Quant aux oreillers, tous les deux étaient présents, fidèles au poste. Ils n’ont pas le choix car ils ne peuvent se mouvoir sans l’aide de leur propriétaire. Cette nuit-là, l’un avait du répit, l’autre souffrait comme chaque nuit.
La vie d’oreiller est aussi dure que négligée. Ces deux oreillers témoignent :
« Notre vie est de loin pas la plus intéressante. Certaines fois, c’est un vrai calvaire. Par exemple, il y a deux jours, Simon a bavé durant la nuit. Il bavait, il bavait et il bavait. Et pensez-vous qu’il aurait lavé la nouvelle housse qu’il venait de m’acheter ? Jamais !
Et Juliette, je ne vous dis même pas l’odeur qui sort de sa bouche au petit matin, une affreuse haleine de chacal ! J’ai cru que j’allais tourner de l’œil.
Le jour, par contre, on s’ennuie à mourir, on reste là, posés sur ce lit, vêtus de nos housses souillées. On est là, à se lamenter, à se demander s’ils savent ce qu’on endure et à rêver d’une vie meilleure. »
Un matin, les deux oreillers furent placés dans l’armoire du grenier, à côté des reliques de famille, pour être remplacés par un traversin.
Au milieu des objets poussiéreux, l’un des deux coussin dit en rigolant :
« Je préfère encore la poussière à la bave. Et l’autre là, le gros boudin, qu’est-ce qu’il va s’ennuyer ! Déjà qu’à deux, c’était rude, mais alors tout seul, ce sera intenable ! »
Timothée