Ne trouve rien sinon une idée saugrenue

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Je quitte ce matin le Riau avec l'intention de refaire le même chemin que la veille, les mêmes gestes, en espérant rencontrer le même bonheur au même endroit. M'assieds au pied du même arbre, avec le ciel bleu que j'aperçois en-haut piqué par les cimes des épicéas, même sensation que hier, mais bien décidé aujourd'hui à trouver de l'intérieur une explication, au risque de me brûler les ailes et d'être chassé de ce fragile paradis.

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Ne trouve rien sinon l'idée saugrenue qu'à force de nous éloigner des choses auxquelles on est mêlé pour y voir enfin un peu clair, fixer quelques-uns de leurs caractères, objectiver ce à quoi il nous a fallu aveuglément obéir, on devrait, reculant ou avançant, nous retrouver tôt ou tard dans le lieu précis qu'on a quitté, avec la lucidité qui nous manquait dans l'immédiate perception, nous retrouver dedans en connaissance de cause, c'est-à-dire à la fois dedans et dehors. Me voici venu de nulle part dedans un monde mobile, j'y consens, j'y retourne, m'y arrête librement, en soi et pour soi, pas mieux.
Abandonne l'idée de trouver une meilleure explication, me couche sur un tapis de mousse et lis trois poèmes de Jean Follain qui me font penser à des origamis sous les plis desquels seraient écrits les chiffres naïfs et denses de l'universel. Fais quatre photos d'Oscar, des espèces de portraits, les premières et peut-être les dernières, il a neuf mois et il ne changera pas.
Termine au retour la tonte du jardin et fais deux voyages à la déchèterie, c'est le moment de nous débarrasser de ce dont on s'était servi jusque-là pour garder derrière des barreaux les animaux semi-domestiques qui ont aidé à faire sortir nos enfants du premier âge. Reste Cacao qui vit désormais seul dans sa cage et auquel les enfants ne s'intéressent plus. Et Oscar à qui nous devons apprendre à vivre sans laisse, c'est le second âge auquel, on l'espère, nos enfants parviendront eux aussi.
Je croise Jean-Paul en remontant, il a reçu le permis de construire, près de deux ans auront été nécessaires.
Je prépare un pique-nique avant de descendre à la rivière. Je comptais retrouver sous la déchèterie d'Hermenches le chemin qui menait autrefois à travers les côtes du Moulin aux rives de la Bressonne. Je n'y suis pas retourné depuis une dizaine d'années et on n'en trouve plus trace si bien qu'on décide de couper au plus court à même le bois. On avance à l'estime avec pour seule précaution celle ne pas se retrouver en haut des falaises de molasse qui plongent à pic dans le lit de la rivière, Arthur a le nez, Oscar le suit, je fais le lien avec Sandra et les filles qui restent à l'arrière. Notre présence ne passe pas inaperçue, un chevreuil à la peau de daim, une biche peut-être, quitte la rivière et remonte la pente à tire-d'aile, extraordinaire apparition, extraordinaire disparition, Sandra et Lili étaient aux premières loges.
L'eau est fraîche, les rayons du soleil caressent le fond de la saignée, tremblent, les chairs de la molasse mollissent. Les enfants se baignent dans un go, ils frissonnent. Un sandwiche et un sirop à la framboise en guise de festin, c'est un paradis sans être un rêve.
L'eau est froide, la saignée se referme, le soleil s'en va, l'eau est noire. Il faut ressortir de ce qui pourrait devenir un enfer, on saute de pierre en pierre comme sur une marelle géante, une petite heure et des orties, des ronces et de la boue, des pleurs même. J'espérais retrouver en aval le pont de Syens, mais une cascade dont je n'avais pas le souvenir nous barre l'accès. Hors la ville le monde retourne à la friche. On remonte à quatre pattes jusqu'à Lamarin, la voiture est toute proche.
Les filles font un bouquet de prêles qu'elles mettent en pot dans le jardin. Le soleil est revenu.

Jean Prod’hom


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