C'est ici



Il n'essaie pas plus de rejoindre le pays d'où il vient que l'autre pays, celui dont il a rêvé, car il est désormais d'ici, davantage chaque matin, dans le pré ou là-bas à la lisière du bois. Il démêle jour après jour les images issues de ses rêves, les épuise, la brise légère se charge du reste et dissipe les innombrables fantômes qui sommeillent dans le tracé glorieux des chemins. Il attend d'y voir clair ne s'appuyant sur rien, sinon ce presque rien, muet, qui apparie les choses élémentaires. Et soudain le pays se dresse tout entier, la terre ondule, les secrets fleurissent, des traînées dans le ciel, l'ombre sous les frênes, la rivière.

Certes, il y a ce vers quoi on va lorsqu'on revient sur ses pas et ce vers quoi on va lorsqu'on y va de ce pas. Mais de ce lieu, qui sait s'il en vient ou s'il y va? L’enfance est l'autre nom de l'avenir, c'est ici, on y va et on en vient.

L'engourdissement auquel l'a conduit son éducation a épuisé son poison. Il prend conscience alors qu’attendre est consubstantiel à son heure. Que veulent-ils savoir? Il l’ignore, alors il se tait pour laisser la place à ceux qui savent, pour que ceux-ci puissent parler et se taire, et entendre à leur tour l’immense rumeur sur laquelle les puissantes conventions ont étendu leur empire. Chacun n'occupe qu'un instant la place de celui qui la lui a cédée. Il la laissera à son tour à celui qui ne perd rien pour attendre.

L’aurore sommeille. S’il s’agite trop, il ne sera pas à même d'aller à sa rencontre derrière les Vanils, il la guette, à peine une lueur poussant par dessous le voile qui ne résiste pas, elle ouvre alors sa paume et étend ses doigts de rose. Lui il ne bronche pas. A côté, devant, derrière, en lui la terre frémit. Et le soleil se dresse, et l’ombre se glisse discrètement aux côtés de l'homme seul.

Jean Prod’hom