Même s’il en fut autrement



En se dotant d’un langage dont l’une des caractéristiques essentielles est de maçonner ses oeuvres au marteau et au fil à plomb avec la même obstination que celle qui habite le soleil lorsqu’il se rend à l’ouest, l’homme a perfectionné son aveuglement tout au long d’une histoire née et bâtie au forceps.
Mais ce même langage, et c’est une autre de ses caractéristiques, en nous permettant de ressaisir à nouveaux frais et autant de fois que nous le souhaitons non seulement ce qui a eu lieu mais ce qui aurait pu avoir lieu, ce qui aura lieu et ce qui pourrait avoir lieu, nous conduit au seuil d’une autre scène sur laquelle le passé livre à l’avenir et l’avenir au passé ce que chacun d’eux aurait pu être s’ils n’avaient été réduits à chevaucher un fil.
On découvre alors que le pertuis par lequel chacun d’eux rejoint l’autre en laissant une empreinte de son passage ne se définit pas négativement par sa pure inexistence, à peine un palmier dans le désert, mais s’impose par sa densité extrême, innombrables fils d’acier obligés par un anneau – l’écriture? – à se concerter pour rassembler le réel et le possible sans lequel le premier ne serait pas et faire voir, ou entendre, les innombrables et mystérieuses voix issues des quatre coins du temps.


Subordonner la recherche du passé à une reconstitution scrupuleuse serait en méconnaître l’enjeu, ces forces potentielles qu’un coup de dés malchanceux ne suffit pas à ruiner. L’imagination venue ultérieurement combler la perte, loin de porter atteinte à la vérité intime de l’être, ne la dévoile que mieux...

Louis-René des Forêts
Face à l’immémorable


Jean Prod’hom