Mon coeur bat avec l'intensité d’un vieux réverbère

Mon coeur bat avec l'intensité d’un vieux réverbère
je termine à l'instant les travaux d’étanchéité
pas sûr que l’année qui se clôt ne s’écoule dans celle qui suit
Jean Prod’hom
A la lumière froide

A la lumière froide et mortelle
qui rôde parfois en plein jour
la tiédeur de la nuit
Jean Prod’hom
Flaques et ciel vides

Flaques et ciel vides et pics
os et coques et ceps nains
les saules y ont laissé leur peau
Jean Prod’hom
N’emporte avec toi

N’emporte avec toi le jour de ton départ
que ce que tu ne voudrais pas
avoir à retrouver à ton retour
Jean Prod’hom
Tu roules en famille

Tu roules en famille depuis deux fois soixante minutes et tu ne crains pas les heures qui vont suivre. C’est les vacances. Bien sûr, au commencement les enfants râlent, puis ils hurlent ; c’est toujours comme ça avant d’avoir l’autorisation de se connecter. Tu gardes le cap au sud.

C’est tout blanc, on a giclé les bas-côtés de l’A7 à l’eau de Javel ; on tient un bon 120, les hommes ont appris à conduire, ils respectent les règles et tu t’en félicites. Toute la famille est contente de faire une halte au restoroute des Portes de la Drôme. Tu y entres sûr de ton fait, sans éprouver le besoin de trouver à redire, c’est une belle journée. Vous y mangez un sandwich au jambon avec de la mayonnaise ; les enfants font la meule, tu finiras par céder et tu leur offriras des oursons de gélatine. Dans la file devant la caisse, tu écoutes tes voisines qui disent du mal des leurs, tu en souris avec la caissière. Toi et ta femme, vous boirez un café, un peu trop sucré à ton goût, dans un verre en carton : vous vous ferez un clin d’oeil.
Comme une foule fait la queue aux toilettes, tu iras pisser contre le mistral, si violent qu’une pie est incapable de rejoindre son nid – tu aurais aimé lui expliquer.
Tu n’as pas grogné contre les embouteillages à l’entrée de Valence, vous avez écouté France Inter et tu as compté les cadavres sur l’un des deux côtés de l’autoroute, tu as doublé le résultat. Le bouchon n’a pas cédé, alors vous avez pris par Crest ; vous vous êtes égarés un plus loin, à cause du GPS, dans un village dont personne ne saura dire le nom. Il s’est mis à pleuvoir, la nuit est tombée avec le brouillard, vous avez annoncé que vous arriveriez plus tard.
Le gyrophare d’une ambulance vous a fait voir un bref instant la vie en bleu. Ça a roulé ensuite, tu t’es dit alors que la vie était bien faite, que c’était du gâteau, que du gâteau ; d’autant plus qu’on vous attendait. Bientôt, tu aperçois dans la nuit le château meringué de Grignan où vécut, raconte un drôle, Madame de Massepain, avec ses bougies et ses angelots. Tu pourrais allonger la liste et mentionner les mille autres choses extraordinaires qui ont eu lieu ce jour-là et que personne ne dira.
Ça y est, vous êtes arrivés, ta journée est faite. Alors tu te réjouis une dernière fois en te disant que tu serais prêt à tout recommencer pour te retrouver là.
Jean Prod’hom
Rêveries sous son bonnet de neige

Rêveries sous son bonnet de neige
couleurs mais aussi résistance
tout la rapprochait de la bruyère
Jean Prod’hom
Il y a deux éternités

Il y a deux éternités
celle au goulot de laquelle on s’abreuve une vie durant
celle qui nous a laissé filer entre ses doigts
Jean Prod’hom
Café littéraire de Vevey

Si on s’est tous crus dimanche, ce matin, c’est parce que Sandra et les filles sont allées chez Marinette nettoyer le parc de Ziggy et de Sahita ; et faire une balade. Arthur ouvre la fenêtre de sa chambre lorsque je pousse le portail ; son visage est encore froissé, pris dans les filets de la nuit : il retourne se coucher. En route donc pour Vevey, bien décidé à jeter un coup d'œil au Café littéraire qui a ouvert ses portes la semaine passée. Par Mézières et le lac de Bret, la corniche.

Écoute à la radio quelques-unes des lettres que Chappaz et Roud se sont échangées ; n’entends à la fin, lorsque je laisse la Yaris avenue Nestlé, qu’une seule solitude, immense, que chacun d’eux charge l’autre d’atténuer en sublimant.
Les magasins sont ouverts, on est donc vendredi. Constate que ce sont 24 roses et 30 lettres d'amour qui entourent mes 50 tessons dans la vitrine de la librairie La Fontaine ; ça pourrait être pire. Hésite à acheter ce recueil de poèmes que Rilke rédigea en français, accompagnés dans la présente édition par des photographies qui évoquent un peu trop les fleurs offertes à la famille d’un défunt ; que la poésie ait maille à partir avec la mort, soit, mais pas ainsi. Laisse finalement dans la vitrine à la fois les lettres d’amour de Moravia à Lélo Fiaux et les poèmes de Rilke.
Beaucoup de lumière au Café littéraire, tout le monde s’affaire : on reprend, fignole, corrige, ajuste sans que jamais le sourire ne lâche les animateurs de ce nouvel espace. Et puis il y a du monde, pas besoin de publicité, tout séduit, la sobriété surtout. Au mur l'actualité culturelle de Vevey, quelques vieilles images, du blanc et du bleu, deux fois le logo – solide comme celui d’une compagnie d’assurances.
Et trois ou quatre rayons sur lesquels sont alignés des livres qui donnent envie de lire. Et ce qui devait arriver arrive, je tombe sur les 24 roses de Rilke que je lis en mangeant : fromage blanc, galette et saumon : délicieux. Pas les poèmes, j’ose le dire, un peu lourds à mon goût, et même recouverts d’une fine poussière et entourés de bouts de ficelle qui n’attachent pas mon attention ; la même phrase chantée par le même ange. Des extraits se mêlent pourtant à la risée qui fait frémir le lac, abandon entouré d'abandon, je lève les yeux sur le flottant séjour, avec des nuages autour du Catogne, là-bas tout au fond.
Sur la terrasse, d’autres poètes, des jeunes gens, des vieux messieurs et des vieilles dames étendent leurs jambes. Même sans couverture, ils font penser à ces malades d'un autre siècle, convalescents alignés sur les balcons des sanatoriums en face des montagnes magiques. Aujourd’hui, ils sirotent un verre de vin blanc ou suçotent un gros cigare de Cuba.
Il est temps de laisser tout ce petit monde ; me réjouis de savoir comment la littérature s'assoira demain autour de ces tables, comment les mots rouleront sur leur vieux plateau cintré : c’est bien parti.
Jean Prod’hom
Serrer en trois lignes

Serrer en trois lignes
ce qui en appelle au langage
et libérer son parfum
Jean Prod’hom
Conte de Noël

Pour Sylvie Durbec
Chemin faisant avec Robert Walser, « Le portrait du père » in Seeland
Benoîte pensait
que ses pairs se féliciteraient
de ses succès
elle n’avait jamais douté
de l’amour universel
mais il n’y a pas de couvert pour elle
ils affectent
de se réjouir
au cas où
creusent un fossé
autour de sa naïveté
rongés par l'envie
qu’à cela ne tienne
elle rentre pour faire du feu
leur ouvre sa maison
ils s'installent
dents blanches
idées reçues
il y a trop de bruit
de rumeur
trop de jalousie
Benoîte monte à l’étage
les roitelets peuvent rester
elle fait sa valise
le soleil l’attend sur le pas de la porte
un chien aussi et l’eau de la fontaine
et l’allée des noisetiers
elle sourit
sourit à la communauté des orties
des vieux hortensias
à la communauté des haies vives
Benoîte qui croit à l’amour universel
va recommencer ailleurs
Jean Prod’hom
Ne rien ajouter

Ne rien ajouter
sinon
un peu de retenue
Jean Prod’hom
C’était un lieu

C’était un lieu
qui ne s’émancipait pas
de la nuit
quelque chose l’y retenait
au voisinage de l’abandon
jusqu’au soir
on devinait l’absent derrière les volets
les yeux grand ouverts
à l’image des arbres dans les bois
grains de blé dur et vieux bouquets de lavande
empreintes de moineaux dans la poussière
et mies sèches
aucune promesse
hormis celle de rester fidèle
à celui qui reviendrait
Jean Prod’hom
(FP) Chacun est dépositaire

Chacun est dépositaire
de deux ou trois lieux
qui veillent sur lui
intacts
quoi qu’on leur retranche
quoi qu’on leur ajoute
sous la pluie
ou en janvier
au soleil ou sous la neige
un tas de pierre ou l’arrière d’une mécanique
la courbe d’un chemin ou un fond de jardin
une maison vide
ils perpétuent
le secret
de ce qui passe
le rais de lumière
qui fait pâlir la suie
dans les hottes des cheminées (P)
Jean Prod’hom
Jean Prod'hom

Jean Prod’hom,
né à Lausanne en 1955,
marié et père de trois enfants,
vit dans le Jorat depuis 1990.
LA PART DES HOMMES, in Études de Lettres, revue de la Faculté des Lettres de l'Université de Lausanne, Lausanne, avril-juin 1985
DÉCRIRE ET DÉFINIR : UNE ANALYSE EMPIRIQUE, in Le discours descriptif I, Travaux du centre de recherches sémiologiques 51, Neuchâtel 1986
DU PRONOM PERSONNEL AU SUJET DE L'ÉNONCIATION EN PASSANT PAR LA PERSONNE : A propos des Dialogiques de Francis Jacques, in Cahiers du Département des langues et des sciences du langage 4, Université de Lausanne 1987
OBJETS DE DESCRIPTIONS ET ÉNONCÉS DESCRIPTIFS, in La schématisation descriptive, Travaux du centre de recherches sémiologiques 55, Neuchâtel 1988
MÉTALOGUE, in Archimade 57, septembre 1997
PIERRES POUR LE GUÉ, in À fleur de peau, Yves Zbinden, Lausanne 1998
DU RÉGIME DE LA MENACE À L'EXERCICE DE LA PEINE, in Éducateur 2, 3 et 4, Genève 1999
CARTE BLANCHE À GEOFFREY COTTENCEAU ET ROMAIN ROUSSET, in Museums.ch, Numéro 4, 2009
COLLECTIF, Les 807, Collection bleue, Les éditions du transat 2010
COLLECTIF les 807 saison 2, Hors collection, Publie.net 2012
LESMARGES.NET, www.lesmarges.net, ISSN: 2267-4373 2008-2014
L’AUTRE NUIT, in L’Autre Nuit, Fey 2014
À TOI L’OEIL À TOI LE MONDE À MOI CETTE CARTE BLANCHE, Anne-Hélène Darbellay & Yves Zbinden, @LAC, Vevey 2014
TESSONS, Éditions d’autre part, Genève 2014
(À paraître) LES MARGES, Éditions Antipodes, Lausanne ?
Bilan

Bilan de fin d’année sur un chemin à double ornière
des jachères et des labours
avec du rouge et du bleu qu’on ne voit pas
Jean Prod’hom
L’été retient

Edouard Monot
L’été retient
l'ombre du tilleul
au pied du tilleul
l’hiver trace dans la neige un liseré
que nos craintes repoussées à l’intérieur des bois
ne franchissent pas
l’alternance du jour et de la nuit l’atteste
le corail flambe derrière le pare-brise
dans le gris souris de nos vies
Jean Prod’hom
On n’est jamais autant avec soi-même que sans

Edouard Monot
On n’est jamais autant avec soi-même que sans
interdiction donc à l’étang
de mêler nos visages au ballet des lumières
les dessous du ciel se mêlaient à ceux du marais
réunissant en un seul lieu ce qui se fait de mieux
on allait ainsi jusqu’au soir
c’est aujourd’hui comme un pansement sur un manque
l’assurance que les visages et nos vies
s’abreuvent à une même brise
Jean Prod’hom
Le ciel

Le ciel !
Ferdinand,
et le Moléson vu du Château des Jaunins
Jean Prod’hom
Folie ce matin

Folie ce matin, le responsable s’était absenté; les nuages n’en ont fait qu’à leur tête. Chacun, pour autant qu’il était, s’est livré tout entier à la poursuite ou sur le dos de son voisin. Les plus agités ont trempé leurs mains dans d’invisibles bassines de lumière, en ont gardé un peu de jaune sur les doigts. D’autres, même père même mère, ont remué leur jupon sur les épaules de Brenleire et de Folliéran.
il y avait une hâte qu’on ne pouvait comprendre que par le retour imminent du patron. Tous pourtant ne se se sont pas livrés à cette bacchanale, vous auriez pu en effet apercevoir un nuage solitaire égaré dans le bois à l’avant du Gibloux. Plus à l’est une vingtaine de petits soldats, au coude à coude, alignés sur trois rangs, surveillaient le verrou de Saint-Maurice. Au milieu du ciel deux solitaires attardés semblaient absorbés dans des rêves très sérieux.
Les anciens se désintéressaient du spectacle de leurs cadets, le regard tourné vers le Jura, avec autre chose dans la tête, une méditation lente dans laquelle les hommes avaient les yeux fermés.
Les fumées des cheminées de la Broye avaient bien tenté sur terre de se mêler à la fête, avaient agité sans discontinuer un ruban; et des ronds de fumée sont montés en spirale, personne ne leur a fait signe, ils se sont évanouis.
On n’a pas vu l’arrivée du patron qui a soufflé un bon coup dans la partie et déroulé dans le ciel, depuis le centre, un bleu couleur de ciel. Restent de cette heure qu’on oubliera vite, là-haut, les lignes d’acier tracées dans le vide par d’anciennes caravelles.
Jean Prod’hom
Ne pas s’opposer

Ne pas s’opposer aux modifications
ou à la disparition d’un texte qui tient debout –
pour autant qu’il ait dépassé toute attente
Jean Prod’hom
Une voix répète inlassablement

Une voix répète inlassablement
qu’à la fin
tout malgré tout ira mieux
une seconde
affirme du fond de l’avenir
qu’au pire il faut s’y faire
crains aujourd’hui que la seconde
n’ait recouvert la première
en étendant son empire comme une marée noire
Jean Prod’hom
En s’en remettant à l’idée de vocation

En s’en remettant à l’idée de vocation
les hommes donnent un air de noblesse
au maton qui patrouille leur visage et verrouille l’avenir
Jean Prod’hom
Une vie pour quitter la partie

Une vie pour quitter la partie
nu
sans arrière-pensée
Jean Prod’hom
Penser après

Julian Charrière | accrochage Vaud 2014 | détail
Penser après
après après
après après après
Jean Prod’hom
La vieille dame au masque d’inuk

Nous chérissons tous quelque part
une vieille dame au masque d’inuk
son silence nous rappelle la sagesse qui nous manque
Jean Prod’hom
Deux coups de godets

Deux coups de godets n’auront jamais raison
de la maison de la gaieté
et de son jardin respectueux
Jean Prod’hom
La poésie

Ne pas demander au ruisseau de faire déborder la mer
ne rien demander à la poésie
lui faire son lit
Jean Prod’hom
Gringalets

Gringalets sous le cagnard d’août
eau froide sous la peau
os sur pilotis
Jean Prod’hom
L’oublieux se souvient avoir tout laissé
L’oublieux se souvient avoir tout laissé
en vrac dans un sac
à Belle Chaux
se souvient du souffle court des linaigrettes
du parfum noir des nigritelles
de la sente de Bonne Fontaine
se souvient de l’arête dans la brouille
de la main ouverte des martinets
mais rien du sac laissé au pied de Teysachaux
Jean Prod’hom
Première neige

D’avoir suivi les traces laissées par celui qui aurait dû me rester un inconnu
m’aura appris à me méfier de ce que je laisse derrière moi
averti que souvent l’inespéré nous précède et nous ramène sur nos pas
Jean Prod’hom
Bartasses pagaille

Bartasses pagaille
ronces rame rame
viendront risée et sourire
Jean Prod’hom
Aller en avant

Aller en avant – ou en arrière – dessous
ou mieux à côté tandis qu’un enfant souffle
sur les flammes d’un coquelicot
Jean Prod’hom
Au grand jour

Au grand jour
le coeur sur la main
dans l’élan que leur offre ce sursis
Jean Prod’hom
Ridentes in vestibulo
Vernissage de « Taupe niveau »
4 décembre 2014

Merci à vous tous qui avez accueilli ces petits morceaux de terre cuite, ils n’en demandaient pas tant, s’en seraient même volontiers passé. Même s’ils laissent quelquefois apparaître, lorsque le jour se lève, un certain plaisir à prolonger leur modeste existence, sans raison, parmi les hommes. Ces brimborions ne sont pas à une contradiction près.
Prendre garde de n’égarer quiconque dans une aventure déjà suffisamment égarante, ces petites pierres auraient tôt fait de vous dérouter et de vous conduire dans une de ces franges, une de ces friches où les mots manquent.
Un texte donc, bref, pour dire une fois encore la nature indécise et miraculeuse de ces presque riens, dessiner à grands traits le commerce que j’entretiens avec eux, depuis 25 ans déjà, jusqu’à leur arrivée ici. Sur les marches de ces escaliers, dans ce vestibule, en latin comme il se doit.
Enfin... le titre : Ridentes in vestibulo

Suite pour violoncelle No.1 in sol majeur, BWV 1007: Prélude
Johann Sebastian Bach
Paul Tortelier
Jean Suite Sol majeur BWV 1007
Le monde se répartit en deux grands domaines : celui des objets auxquels on ne demande rien d’autre que de se maintenir en leur être : les artistes en sont les animateurs.
Celui, plus étendu, des objets dont l’individualité se réduit à un chiffre né de la combinaison de leurs traits distinctifs, obéissant serviles aux modèles élaborés dans les laboratoires : les savants en contrôlent l’accès.
Qu’il le veuille ou non, chaque enfant est invité à choisir auquel des deux saints il vouera sa vie, hésitant parfois longuement avant de s’en remettre aux héritages familiaux, au hasard ou aux circonstances, sans jamais savoir exactement ce qu’il aura manqué en laissant derrière lui l’un ou l’autre des deux chemins dessinés par la tradition.
Je suis resté quelque part sur le seuil, assis sur un escalier. Sans décider. En équilibre précaire sur le rebord d’une fenêtre, – je me souviens, c’était celle d’une cabane de montagne au pied des Dents-du-Midi –, incapable de me soumettre aux excès de la raison collective ou d’épouser les miroitements de l’aventure solitaire, préférant passer au large de cette mise en demeure, évitant ainsi de rejoindre l’un ou l’autre des deux camps sur le point de livrer bataille.
C’est dire que ma rencontre avec ces morceaux de terre cuite, brisés, rejetés, oubliés dans les laisses de l’océan et de l’histoire, m’aura permis d’aller et venir à l’écart des grandes affaires, de ramasser sans concurrence ces minuscules paradis portatifs qui m’auront ouvert une voie sans histoire, à égale distance des pâmoisons et de l’esprit de sérieux.
Car il reste un tiers continent qui échappe au grand partage, aux rêves des artistes et aux formules des savants, et dont la traversée offre à nos vies un joli chemin de prose que les héros d’André Dhôtel ont balisé en leur temps : l’échappée belle.
Fierté donc, fierté que ces délaissés soient arrivés jusque-là et que j’aie pu contribuer à leur reconnaissance. Mais amusement surtout, amusement qu’ils se retrouvent à deux pas des vieux briscards de cette illustre maison, tessons et fibules, tuiles et verres soufflés, identifiés, étiquetés, classés sous clé.
Regardez-les dans ce vestibule et aimez-les pour ce qu’ils sont, je n’y suis pour rien, visages de clown, masques de carnaval, broderies, brimborions égarés devenus boussoles. Eclatés hier, éclatants aujourd’hui.
Trop jeunes pour nous apprendre quelque chose, ces tessons ne parlent ni latin ni grec. Ils sont toutefois assez naïfs pour avoir un avenir, rient sous cape en parlant la langue des cuisines. Mais ne leur en demandez pas trop, ils ne répondent que d’eux-mêmes. Petits moments de rédemption serrés entre déchirure et disparition. Ni bijoux ni témoins, à l’autre bout du sacré comme du passé, dans un vestibule.
Le livre qui les accompagne a pour titre TESSONS, il en est le catalogue déraisonnable et incomplet. Ce n’est pas un traité même s’il en a parfois l’allure ; il a en effet renoncé à vouloir faire le tour de ce qui le déborde, les hypothèses y pullulent mais sont allées fleurir ailleurs. L’idée de classement ne le rebute pas, mais il ne s’y attarde pas et semble dire : « Va, il y a mieux à faire. »
Ce catalogue doit beaucoup au hasard, mais il n’aurait pas vu le jour sans la bienveillance d’inconnus qui sont devenus mes amis, saisis par l’étrange beauté de ces éclats, si bien que l’itinéraire qu’ont suivi ces morceaux de terre cuite pour établir leur campement ici, à Vidy, mériterait qu’on s’y attarde. Une autre fois.
Ces tessons, il aura fallu un peu de violence pour les arracher à leur condition, sur les berges de l’océan, des cours d’eau qui les ont façonnés, des lacs et de la mer. Car ce sont des êtres de lisière et de plein air, nés aux limites de la terre et de la mer, en-deçà des partitions dont ils assurent pourtant l’intelligibilité.
S’ils tiennent debout aujourd’hui dans cette vitrine, hier dans un bol ébréché, sur une armoire à chaussures, au fond d’une poche ou dans le creux de la main, chacun d’entre nous doit savoir qu’ils sont prêts à prendre la poudre d’escampette, là, tout près, dans le sable et sous le vent, sur les rives du Léman. Ecoutez-les murmurer : « Laissez-nous être oubliés! »
Jean Prod’hom
Ce matin j’ai ouvert les fenêtres

Ce matin j’ai ouvert les fenêtres
sur le jardin
sur les promesses des portes closes
Jean Prod’hom
"Que signifie ce nuage ?" | Justine Neubach


Il n’y a rien, dans ma mémoire, qui précède le français. Le français est à ma racine. Il est l’emporte-pièce qui a tranché ma pâte à monde. Il a fondé mon décor. « Je » m’est devenu une seconde peau, « tu » s’est modelé à l’Autre, et entre ces pôles, progressivement, des mots de plus en plus nombreux ont mis le réel en morceaux.
Le français a été, pour longtemps, ma lucarne – la seule. Soit j'acceptais de regarder français, soit il fallait fermer les yeux. Aucune alternative, sinon une façon enfantine de chantonner sans mots, en enchaînant au hasard des sons que les adultes taxaient de « charabia » tout en me mettant à l'écart. Tenter de s'échapper de la reine langue française, c'était aussi cela : tomber en charabia, risquer de n'être plus prise au sérieux, à peine entendue.
Très tôt, ainsi, je me suis résolue à classer le non-français au rayon des bruissements du monde. Le russe y côtoyait le frisson des herbes sous la brise, l’anglais était tout proche d’un gloussement de ruisseau, d’autres langues sifflaient, chuintaient, couinaient, chantaient ; certaines auraient pu être des langues de prairies ; d’autres, des voix pour l’explosion ; il y avait des langues qui s’écoutaient comme la mer dans un coquillage et d’autres, proches, rêches, gutturales, langues remontées des mines, les visages noircis, le regard luisant.
Toute langue étrangère participait d'un univers crypté, aux prises avec l'émotion – univers qu'il convenait de ne pas trop interroger. Il ne fallait pas demander « que veut dire jak ten czas leci ? » ; ce m’eût été l’équivalent d’un « que signifie ce nuage ? »

Plus âgée, par la force des choses, j’ai appris l’anglais. J’y ai travaillé à regret, comme on se jette à la rue par grand froid. Les cours d’anglais m’étaient dépourvus d’abris. Parcourus d’ombres. J’apprenais brutalement qu’il y a dans l’anglais quelque chose de plus qu’un ruisseau qui rit. Des phrases gonflées d’un sens qu’elles refusaient de me livrer dansaient devant mes yeux. La Langue Etrangère s’était détachée du continent des bruits. Elle devenait énigme, clef des regards complices qui s’échangeaient autour de moi sans que je ne sache à quel sujet. Elle me barrait la route avec une sévérité de porte celée.
Et puis il y a ces craintes qui nous viennent, enfant, quand on n'a pas encore touché à d'autres langues et que soudain, l’anglais passe nos lèvres. « Peut-on oublier le français ? » – « Qui je suis quand I am ? »
J’eus d’abord peur de cette langue. Peur de ne pas la savoir et peur de la savoir. Peur de ce qu’elle m’avait toujours caché – intonations, expressions, perspectives – et peur de me perdre en la découvrant.

Lentement, la peur a cédé. Ce sont des gens que l’on rencontre. Ce sont d’autres langues que l’anglais qui entrent en jeu, consolatrices. L’allemand par exemple. Le besoin de savoir l’allemand pour lire de la philosophie. Puis l’envie de connaître une autre poésie, allemande. L’apprentissage émerveillé. Les insuffisances du je suis révélées par l’ich bin.
Alors j’ai ouvert la lucarne. J’ai posé un pied hors de France.
Dehors, le monde est fou. Il fait mine de se plier docilement aux exigences de chaque langue. Il se comporte comme une eau fuyante à laquelle on tenterait d’assigner une forme en la faisant passer de récipient en récipient. Mais sa forme, la vraie, qui la connaît ? Pourquoi devrait-il en avoir ?
Celui qui aime les langues le sait : passer de l’une à l’autre, c’est tout à coup se renverser pour marcher sur les mains. Du français à l’anglais, ma voix change, ma posture subjective aussi, mon rapport à l’action.
Juger qu’il faut savoir une autre langue que la maternelle pour avoir doublement prise sur le monde est une erreur, je crois. La langue agit à un niveau tout autre. On se sent travaillé intimement par elle. Au départ, la langue doit être une nécessité. Ensuite, elle devient ce qu’on veut : outil d’analyse, poésie, cri salvateur, vraiment n’importe quoi. Mais pas la vérité. Car la langue est d’une insouciance… Elle passe en sifflotant à côté des « vérités vraies ».
Justine Neubach
Justine Neubach fait entendre sur l’internet une voix singulière et exigeante. Je suis heureux qu’elle ait accepté de rejoindre lesmarges.net et de m’accueillir chez elle, sur son site Silencieuse.net, : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Et les autres vases communicants de ce mois de décembre, c’est ici.
Merci à Angèle Casanova et à Brigitte Célérier pour la gestion de cette belle entreprise.
A l’abri des regards

A l’abri des regards
et du poids des corps
l’hiver est ici chez lui
lac nu et astres pâles
nul récit
où s’égarer
île sans sommeil
le jour et la nuit
ont la couleur du sable
Jean Prod’hom
La Librairie de Morges

Retour du Musée Romain où nous avons placé, les collaborateurs de Flutsch et moi, une cinquantaine de tessons derrière une vitrine. Rentre par Rolle et Morges, eau froide, deux cormorans et un cygne au large du port. M’arrête au restaurant du Mont-Blanc pour recharger mon natel. Prolonge ma balade rue des Fossés. Coup d'oeil dans la vitrine de La Librairie, une librairie dans laquelle je n’étais jamais entré.
Petit bonheur. Sylviane a été touchée par Tessons, alors elle l’a mis là. Elle n’a pas remarqué, je crois, que j’étais très ému. Vais me cacher au fond de son antre pleine de beaux livres. On parle un peu, elle et son collègue ont le sourire, moi aussi. En ressors avec Pizarnik et Bergounioux, on se quitte.
Second coup d'oeil à la vitrine, clic-clac, va! fais ton chemin!
Rejoins Sandra devant la piscine de Bellerive. Il fait nuit, Sandra va travailler au gymnase, je remonte avec les filles au Riau où le mousse nous attend, avec deux macarons et deux cupcakes.
Jean Prod’hom
De toutes les noces

De toutes les noces
se sont celles – je crois –
de la sobriété et du lyrisme que je préfère
Jean Prod’hom
Tourner le dos

Tourner le dos – se raidir – mourir
sans avoir à entendre
« Il méritait mieux »
Jean Prod’hom
Le poète

Le poète était retourné à son troupeau
préférant la rivalité des bêtes
à celle de ceux qui l’avaient consciencieusement ignoré
Jean Prod’hom
Il plastronnait

Il plastronnait
dans les salles communes
enveloppé dans ses habits de titulaire
l'animateur de l’établissement
à la mâchoire de hyène
était le grand prêtre des loisirs
personne
au grand jamais
ne devait sortir du rang
les autres le suivaient
innocents
un signe sur le dos
ils allaient tous à l'abattoir
eux et leur animateur
pour l'assiette et pour le fun
Jean Prod’hom
La voix
La relation pédagogique prend fin

La relation pédagogique prend fin
lorsque l’élève découvre que l’ignorance de celui qui est supposé savoir
est de même puissance que la sienne
Jean Prod’hom
L’art est une paroi vertigineuse (R. Walser)

L’art est une paroi vertigineuse
dont on n’atteint le sommet
qu’en se laissant glisser
on tomberait de haut
si cils et paupières ne faufilaient
le ciel et le pré
Jean Prod’hom
La rivière

La rivière détournée
la vallée comblée
sainte Barbe au fond d’un réduit
Jean Prod’hom
Nous avançons

Nous avançons sans bien savoir
faisons de la lumière avec de la nuit
dans la nuit
Jean Prod’hom
Ce qui me détourne

Ce qui me détourne des fous de Dieu
ce n’est pas au grand jamais Dieu ou leur folie
mais ce à quoi ils tournent le dos : ce qui nous reste
Jean Prod’hom
Le TCPM, un club qui monte, monte, monte
Il y avait de quoi se réjouir samedi passé à Ropraz, les participants au concours interne n’ont pas manqué de le faire. C’était en effet la fête traditionnelle du Trial club Passepartout de Moudon.

A cette occasion, les résultats comptent moins que le plaisir de se retrouver tous : enfants, parents, frères et soeurs, responsables. C’est le moment de jeter un coup d’oeil sur la saison qui se termine et de se pencher sur la santé du club. Autour d’une fondue.
Le club est en pleine bourre, à preuve les 29 trialistes présents et leurs parents. La salle était pleine à craquer lorsque René Meyer a invité chacun des coureurs à se présenter, on n’en avait jamais vu autant. Parmi eux des tout jeunes, très prometteurs, à peine 7 ans, l’âge idéal pour commencer à pratiquer ce sport exigeant, mais qui est aussi un sport champagne. Venez les regarder sauter sur leur drôle de machine!
Comment comprendre l’attrait de ce club? Il y a d’abord l’encadrement de ces tout jeunes sportifs. Lors des entraînements, René Meyer et Jean-Daniel Savary ne les quittent pas des yeux, aidés par quelques parents qui n’hésitent pas à venir donner un coup de main le mercredi et le samedi. Il faut savoir qu’il y a quatre entraînements pas semaine : les mardi, mercredi, jeudi et samedi.

Camille Girardin de Vucherens, une fille qui progresse.
Si cette offre est aussi alléchante, c’est parce que les infrastructures du club sont exceptionnelles, certainement les meilleures de Suisse. Mais oui, à Ropraz, au Mélèze, au fin fond du bout du monde, certains viennent de loin pour profiter des installations et des compétences des entraîneurs: de Worb dans le canton de Berne, de Baulmes au pied du Jura, de Dombresson au-dessus de Neuchâtel.
Sans que jamais le club ne vende son âme. Les sportifs qui constituent le noyau du TCPM viennent en effet de la région. N’a-t-on pas entendu à l’occasion du discours de René Meyer les beaux noms de Sarzens et d’Hermenches, Vucherens et Corcelles-le-Jorat, Sugnens et Villars-le-Comte, Oron, Marnand et Thierrens?
Le TCPM de Moudon? Un club qui monte, monte, monte. C’est bon pour le trial, c’est bon pour les enfants de la région, pour toute notre région.
Jean Prod’hom
Personne désormais

Personne désormais ne se souviendra
de novembre sous les toits
des deux corps nus sous l’édredon
Jean Prod’hom
Bien se tenir

Bien se tenir et être poli
éviter les gens méchants
habiter une jolie maison
Jean Prod’hom
Un bois de hêtres

Un bois de hêtres
de l’encre
et un bambou
Jean Prod’hom
Loi du moindre effort

Pour Stéphane
La loi du moindre effort oblige celui qui veut bien l'honorer
d'engager des travaux sans commune mesure avec le gain
Ainsi marchent de concert le progrès et l’exploitation de l’homme par l’homme
Jean Prod’hom
Serres accrochées à tapis d'aigreur

Serres accrochées à tapis d'aigreur
ces beauté-là
paupières fanées
Jean Prod’hom
A la surface d’une poche retroussée

A la surface d’une poche retroussée
avec la mer et le ciel au bout de la langue
et une langue qui est comme une île
Jean Prod’hom
De la phrase qui a refroidi

De la phrase qui a refroidi
un sourire parfois
alors toutes les barrières se lèvent
Jean Prod’hom
Brouillard aux Tailles

La vieille de Pra Massin souriait de n’avoir eu
qu’un seul souci dont elle ignorait toujours davantage tout
mais qui s’était adouci à mesure qu’elle l’avait fait marcotter
Jean Prod’hom
Pas sûr que les gens se réjouissent avec toi

Pas sûr qu’on se réjouisse avec toi
à moins qu’on ne te prenne pour un idiot
va falloir le rester
Jean Prod’hom
Te retirer sur la point des pieds

Te retirer sur la point des pieds
lorsque la porte s’ouvre
tu y auras été pour quelque chose
Jean Prod’hom
L’échappée belle

Existe un tiers continent dont la traversée offre à nos vies
un joli chemin en prose
que les héros d’André Dhôtel ont balisé en leur temps
Jean Prod’hom
Dans le train de 8 heures 07

Pour Jean-Louis Kuffer
Dans le train de 8 heures 07 à destination de Venise
Pier Paolo Pasolini et Confucius
au fond du sac
Michaux et Simon Leys dans le brouillard
Alice Munro et Olivier Roy que je rencontrais pour la première fois
Kafka et Peter Sloterdijk
Thierry Vernet si discret
Philippe Sollers
Max Lobe et Marcel Proust évoquant les pierres de Venise
Jean Prod’hom
Le jour se lève

Chaque fois que le jour se levait
ça faisait coup d’état
on avait besoin d'innombrables "comme si" pour s’en remettre
Jean Prod’hom
L’ecclésiastique se prit les pieds

L’ecclésiastique se prit les pieds
dans une parabole qui se renversa
laissant filer son or dans le caniveau
Jean Prod’hom
Lili écrit

- Je sais pas quoi écrire aux Sénéchal, pas d’idée.
- Envoie-leur un bec.
- Jamais, ils fument.
Jean Prod’hom
(FP) A l’écriture de faire entendre
Je prie mon épouse Fanchette née Favre

« Je prie mon épouse Fanchette, née Favre,
de donner mes habits, linge de corps aux enfants
pauvres de l’orphelinat d’Auboranges. »
(Pierre Pache, 28 mai 1869)
Plus de gamins dans l’ancien orphelinat
mais les chants d’une poignée de fidèles
Madeleine et un prêtre chaque premier vendredi du mois
Jean Prod’hom
Remettre à l’eau ces merdouilles

Remettre à l’eau ces merdouilles
et leur laisser une fois encore
trouver la terre où elles fleuriront
Jean Prod’hom
Le château

Que penser de l’homme qui n’aurait à la fin
pas même eu le temps
de dire trop tard
Jean Prod’hom
Le parquet

Pour Denis Montebello
« C’était l'époque des parquets. Des bals qu'on installait dans les villages, qui arrivaient comme les petits cirques, un matin ils avaient disparu. Ils revenaient à date plus ou moins fixe. »
Cinq francs c’était le tarif, paille de fer et huile de coude. Combinaison de lames aux V bancal, alternant leur débord sur le parquet à bâtons rompus du salon de Riant-Mont 4.
L’autiste que j’étais gravissait les pachons de ces échelles de Sisyphe, jusqu’à la frise d’encadrement – à laquelle j’ai repensé l’autre matin, en saluant Jean-David déchintrant son champ de betteraves.
Le pied coulissait sur la frise de chêne en prenant appui contre la plinthe ; la pantoufle de fer glissait sans effort sur l’encadrement, comme le mercredi après-midi avec Anne sur la glace de Montchoisi, main dans la main pour un dernier tour.
Petits tas de farine de bois, deux fois par année, deux fois deux heures ou deux demi-journées, je ne me souviens plus : le temps n’a ni cintre ni plinthe.
Il y avait bien sûr le bord crénelé aux mille promesses de mon salaire, que l’extrémité de mon index ferait bientôt rouler dans la poche, il y avait aussi le salon vide plein de cette rumeur que j’allais écouter parfois dans l’unique coquillage de la maison, mais il y avait surtout l’odeur de l’encaustique que ma mère appliquait au lendemain de mes travaux, au chiffon, et qui me submergerait lorsque je rentrerais de l’école.
Cette essence d’encaustique, qui se confond avec celle de ma mère, a occupé à nouveau la poche qui abrite mon coeur, ce matin, lorsque je suis entré aux Tailles, dans le salon de la vieille de Pra Massin.
Jean Prod’hom
La Broye
Fragments du dedans | François Bon

REMPART
Entretiens ceux du dehors, éclaircis ceux du dedans. Le problème de tes remparts, c’est qu’ils te sont invisibles. L’autre problème, c’est que parfois ils s’écroulent d’un coup. Un troisième problème, c’est qu’ils jouent si bien leur rôle de rempart qu’il arrive que tu ne t’aperçoives de rien.
François Bon
Où ai-je donc entendu cette musique qui ne m’est pas étrangère ? Qui se développe en se jouant des obstacles, comme un filet d’eau, et qui revient comme une question sans fond ?
Voilà que je me souviens, c’est chez le poète des fureurs et des mystères, et chez tous ceux qui vont, viennent, sans craindre de continuer et de recommencer.
Jean Prod’hom
Recoller les deux moitiés de sa vie

Arcangelo Corelli
J’ai souvent pensé, ces derniers jours, à la voix d'Henri Calet, celle qui habite ses chroniques publiées, après guerre, dans Combat et Réforme, et j'ai les larmes aux yeux.
A cause, peut-être, de toute la gentillesse de ceux que j’ai croisés ces derniers jours. J’en avais bien besoin avec la parution de Tessons. Il faut dire qu’il y a eu, cette dernière semaine, tellement de premières fois.
Ce matin j’ai reçu un message de Marc, un ami de l’autre moitié de ma vie, il nous a rejoints vendredi passé à l’Estrée. C’est lui, avec Jacques et Antonella, qui a fait le lien avec la moitié d’aujourd’hui. Voilà ce qu’il m’écrit.
La lecture de tes « tessons » m'a enchanté.
Il faut dire que je sortais tout juste des Frères Karamazov. Une tout autre vaisselle aux débris moins polis. Cette marotte un brin obsessionnelle te va comme un gant.
Je me suis laissé promener, étonner, conter.
Désormais, je n'arpenterai plus les plages tout à fait comme avant.
Merci !
Que ces merdouilles te ravissent et que mon commerce avec eux ne te laisse pas indifférent me réjouit. Je crois bien que ces merdouilles sont en train de tenir leurs promesses. Et d’avoir pu te revoir, Marc, à l’occasion du vernissage de ce petit livre, m’a permis de recoller, un bref instant, les deux morceaux de ma vie.
Que l’écrivain qui m’a ouvert les yeux sur la force de l’idiotie tienne une place dans la tienne ajoute quelque chose au bonheur de t’avoir rencontré.
Les personnes ont semblé contentes de ce 31 octobre, l’éditeur aussi. Mais la vie de ce livre un peu insolite et au caractère indécis sera difficile. Qu’il t’ait enchanté lui donnera une chance supplémentaire.
J’aurais bien voulu remercier tous les amis qui sont montés à l’Estrée, ceux aussi qui auraient voulu en être sans le pouvoir.
Voilà que ce petit livre ne roule pas seulement les morceaux égarés de la beauté du monde, mais aussi les morceaux de la bonté des hommes. Il va me falloir aller au grand air pour redimensionner mon émotion.
Jean Prod’hom
Ne lâcher la phrase

Ne lâcher la phrase
que lorsqu’elle coule
entre les mots
Jean Prod’hom
Le poison que distille le succès

Le poison que distille la réussite
ne se répand pas dans le corps sur le champ
pas plus que les bénéfices promis par l’échec
Jean Prod’hom
De Corcelles à Echallens

On a traversé le jour
d’est en ouest
sans que rien ne nous arrête
Jean Prod’hom
Cité

Pavés
rincés
piqués
Jean Prod’hom
Sur les berges du Styx

Pour Claire, Denise, et Martine
Arcangelo Corelli
22 janvier 2009
Sans le trait assuré des ornières, sans les lisières dont je me suis servi comme d’une main courante, sans l’éclat des cloches qui rameutent au loin les fidèles, le cri du coq, sans les tessons qui battent la mesure, sans les brins d’herbe et les épis de blé qui habillent la terre, l’odeur du bois qui brûle, sans la grange aux portes entrouvertes, sans les regrets qui exaucent, serais-je demeuré vivant?
Je tremble toutefois de ne jamais parvenir au repos, de ne me satisfaire ni du soleil ni de l’ombre, de ne pouvoir retenir le fugace, je tremble lorsque le chemin disparaît derrière la crête, je tremble de rien, je tremble de tout, je suis sur la bonne voie, errant sur un chemin qui n’a ni commencement ni fin.

8 avril 2009
« Ce qui ne meurt pas est redoutable. Tremblez devant lui, vous tous, habitants de la terre! » écrit le psalmiste.
Mais ne te détourne pas de l'éphémère, murmure la vieille sur son banc: la flaque d'eau, Sauveterre, le vent d'ouest qui couche les herbes folles, la crête de la Montagne de Lure, les portes closes, les granges, ceux qui fuient, le chemin poussiéreux, les noms qui disparaissent, les malandrins, l'étang de Gruère, les clochers des églises qui piquent le ciel.
Ne te détourne pas de l’éphémère: la grève de Palerme, le courage des malades, le tracteur dans la remise, les repas sans fin, la sieste de l'ouvrier, les terres incultes, un livre ouvert dans une salle d’attente vide, les méandres du Doubs, les tessons, la dignité de l'orphelin, Ferpècle, les côtes de Bretagne, la pie qui s'envole, les jachères.
Sois bienveillant avec l'éphémère, l'éphémère qui revient, avec le retour des saisons, le sac et le ressac des souvenirs.

Ce petit livre, qui tient dans la main comme un galet, donne à voir les visages d’une cinquantaine de morceaux de terre cuite, ramassés depuis un peu plus de 25 ans sur les grèves, au bord des rivières, des mers, au bord de l’océan; des morceaux de terre cuite qui ont su mener une vie discrète, du lieu de leur abandon à celui de leur rédemption.
Et qui ne craignent pas de disparaître.

Une cinquantaine de textes donc, qui ont autant à faire les uns avec les autres que les morceaux de verre d’un collier qu’on tarderait à boucler. C’est d’ailleurs parce qu’ils supportent sans broncher l’arrivée de nouveaux venus que j’ai décidé, alors que le livre était déjà sous presse et ainsi sur le point de se refermer, d’écrire ces lignes, avec le secret espoir qu’elles le maintiendraient ouvert un instant encore.
Je voudrais aussi faire entendre, chemin faisant, un peu du ravissement qui m’a saisi lorsque les travaux appelés par ces minuscules paradis portatifs m’ont fait comprendre que ceux-ci n’avaient plus besoin de moi.

La mythologie que ces lignes revisitent, je n’en ai, avouons-le d’emblée, qu’une connaissance sommaire, déformée même, je le crains. Elles m’auront cependant conduit à reconsidérer mon commerce avec ces morceaux de terre cuite, une fois encore, depuis le commencement.

Avant d’accepter qu’ils ne montent dans sa barque, Charon, le fils des ténèbres et de la nuit, exigeait que soit placée dans la bouche de ses clients une obole, c’est-à-dire une piécette de peu de valeur – pas même une drachme – à l’avers de laquelle le roi d’Argos avait fait frapper dans ses ateliers d’Égine, en son temps, une tortue de mer.
C’est à cette condition seulement que le vieux nocher acceptait, en grimaçant, de faire passer ses clients sur l'autre rive. Sans quoi ceux-ci avaient à errer cent ans durant sur les berges du fleuve, avant de rejoindre le royaume des morts.

Cette histoire, on me l’a racontée à l’école, j’en ai lu des bribes ailleurs, en ai vu des images ici ou là, avec le sentiment rétrospectif de n’avoir jamais saisi exactement ce qui était en jeu et méritait mon attention. Avec, plus tard, la nette impression qu’il ne s’agissait en réalité que d’une fiction agonisante, tout juste bonne à alimenter le quant à soi de la classe des gens cultivés.
Il m’apparaissait en effet que, dans ce récit, la rive des morts ressemblait par trop à celle des vivants pour nous dire quelque chose d’inédit sur la question, qu’il ne nous éclairait guère sur l’autre royaume.
Et que l’homme couché au fond de la barque n’était vraisemblablement qu’à demi-mort, un ivrogne peut-être, l’oeil entrouvert, bref un vivant qui avait, comme il se doit, à payer son voyage.
Quant à la mauvaise humeur du patron de l’embarcation, les fatigues engendrées par sa tâche et la misère de son salaire l’expliquaient aisément.

Somme tout, ce mythe ne faisait que frôler la trivialité en répétant l’habituelle loi des échanges et l’adage bien connu selon lequel tout travail mérite salaire: chaque passager, quel que soit son état, vivant ou mort, doit, aujourd’hui ou hier, payer son titre de transport, que ce soit au guichet de l’embarcadère ou au péage de l’autoroute. La loi ne souffre aucune exception.
Cette histoire, colportée à l’école dans des langues mortes, ne dirait donc que ce que tout le monde sait déjà, mais en nous laissant supposer qu’elle contiendrait un secret touchant le royaume des morts et ses rampes d’accès, un secret creux à l’examen, dont les bien-pensants seraient persuadés de détenir la clé, qu’ils feraient passer de main en main, comme le furet, de génération en génération.

A moins que, à moins que cette histoire ne nous invite à regarder dans l’autre direction, non pas du côté du royaume des morts, mais du côté de celui des vivants, de ce que nous y faisons, jour après jour jusqu’en son point le plus extrême.
Nous naissons un jour de mars, d’août ou de septembre, sans l’avoir souhaité ni même demandé, nus. Nous ne disposons d’abord de rien, devons année après année répondre à tout et de tout, trouver une place qui ne nous préexistait pas.
Assurés de rien, sinon du fait que notre temps est fini et qu’il nous faudra un jour passer la main.

De ce que nous faisons de ce temps, et pendant tout ce temps, le mythe ne nous dit rien. Il indique simplement qu’il ne faudra pas, au moment voulu, oublier ce modeste viatique, si l’on veut rejoindre le royaume des morts. Pour le reste silence, faites comme bon vous semble.
Le prix du passage, est quasi nul, une obole, à peine une drachme. Mais le mythologue insiste: ce viatique, il convient de ne pas l’oublier, sinon... sinon gare, tout serait à refaire. Vous errerez sur les berges du Styx pendant cent ans.
Sanction exorbitante! Pensez donc, cent ans pour une omission de rien du tout, à peine deux sous! Comme on est loin du principe de proportionnalité.
Mais Charon donne ainsi aux oublieux une seconde chance pour mettre la main sur ce qui leur était sorti de la tête dans la première. Et cette fois, passer.

Je ne parierai pourtant pas un kopeck sur l’existence de Charon, je crains en effet que personne ne nous laisse demain une seconde vie si nous manquons l’essentiel aujourd’hui. Le mythe ment, comme toujours. Ce sursis ne nous sera pas octroyé.

Mais en décrivant nos vies au plus près, le mythe dit vrai, comme toujours. Car les années d’errance que vaut aux défunts cette omission se confondent avec les années mises à notre disposition pour mettre la main sur ce presque rien qui nous manque tout au long de notre vie, cette piécette qui nous échappe, ce nom qu’on répète, cette image ou ce reflet : clé, perle de verre, formule, prière, poème.
Le mythe dit vrai en ceci que la sanction de Charon est ce à quoi la vie nous oblige, sans que nous n’ayons fait quoi que ce soit de répréhensible. Condamnés, errant, à aller à l’essentiel pour passer, à saisir ce rien qui est à notre porte, ce passe qui l’ouvrirait. A notre porte ou sur les interminables berges, sans bruit et désarmé, où j’aperçois un visage de sable qui se défait et se refait, et qui me dit : laisse-moi être oublié.

Je vais et viens sur la grève, remue les laisses de la mer, cherche l’éclat avec lequel j’ai rendez-vous, brisé, rejeté, roulé, raboté, poli. Eclatant enfin. Brimborion délaissé que je serre dans la main, avant de goûter du bout de la langue à son sel et le glisser dans ma poche.

Ces tessons, je n’y ai pas touché, ils sont devenus, chemin faisant, le gué que j’emprunte pour franchir le fleuve, lever la tête, me réjouir de la lumière et accepter l’obscurité: Kérity et Tourronde, la Bressonne et la Corcelette, le Tibre et le Tage, les rives du lac de Bracciano et le Léman, le cap Ténare et le Finistère.
À défaut de prier, je ramasse des pierres, en ai plein les poches, plein la bouche et je bégaie les petites proses qui les accompagnent: haltes dressées sur le chemin que je fraie, pour accepter mon égarement, retourner d’où je viens et aller où je vais.

Il aura fallu que quelqu’un s’intéresse à ces morceaux de terre cuite, s’en approche, montre son intérêt pour que j’accepte d’entrouvrir le meuble d’imprimerie qui les contient. En joignant son regard au mien, Pascal m’a encouragé à aller plus loin, c’est fait et je l’en remercie.

Ce livre n’est pas un roman, pas même un récit, pas tout à fait un recueil d’images.
Ce livre n’est pas un traité même s’il en a parfois l’allure: il a en effet renoncé à vouloir faire le tour de ce qui le déborde, les hypothèses y pullulent mais iront fleurir ailleurs. L’idée de classement ne le rebute pas, mais il ne s’y attarde pas et semble dire : « Va, il y a mieux à faire. »

Un livre d’heures peut-être, un livre de pierres en tous les cas, un livre qui tient dans la main.
Car je n’ai pas oublié qu’écrire n’est pas l’essentiel, écrire ne remplace pas les jeux d’ombres et de lumière sur le chemin qui longe la Broye, la passe des Islandais près de Paimpol, les échassiers d’Alcochete, les pêcheurs de Lugrin, le vieux fou de Tourronde, le delta du Tage à marée basse, la mer la nuit du haut du Stromboli. Mais écrire permet de nous désencombrer et de laisser aux mots le soin de dire ce qui nous manque, en tirant du fatras de nos journées ce dont la pointe est si fine qu’elle finit parfois par se confondre avec l’étendue.

On naît, on croît, on diminue, mais c’est de notre vivant qu’on meurt.
Que nous reste-il donc, le soir, lorsque nous rejoignons cette petite mort qu'est le sommeil ? Ici, dans le Jorat, les bords des rivières sont pingres, impossible de ramener un tesson avant la nuit. Alors j’écris chaque jour, je frappe dans mon atelier l’obole qui me permettra de passer, par quoi quelque chose s’ouvre de l’intérieur et offre une allure et un chiffre à mes heures.
Chaque jour je ramasse, là où je suis, une pierre que je taille: un texte, trois lignes, que le ciel soit verrouillé, la tête à la mine ou dans les étoiles, pour faire naître ce que je pressens et dont je devine le contour, tandis que s’élève dans le ciel un chant simple, que l’oiseau s’empresse de suivre.

Et passant, passer.

Je vous laisse avec ce livre, il fait état d’une errance et de la découverte d’un passage que je veux maintenir vivant, la beauté ne cicatrise pas.

Les uns y verront un livre sur la construction des gués, les autres une revisitation du Petit Poucet ou la structure de la tortue d’Egine sur laquelle Aphrodite aurait posé le pied. Ils n’ont pas tort. Les plus généreux entendront, inaudible, invisible, la mélodie qui accompagne l’imprévu lorsqu’il montre son nez.

Je voudrais tant que vous ne soyez pas montés ici pour rien, je n’ai pas grand chose à vous offrir, ni pierres d'angle, ni clés de voûte, des souvenirs peut-être, comparables à ceux qu’évoque Ramuz dans Découverte du monde, des souvenirs dont, je cite, je m'aperçois qu'ils ne surnagent dans ma mémoire que sous forme de moments épars, comme dans un naufrage les agrès qu'on voit flotter encore à la surface de la mer, quand le bâtiment lui-même a coulé. Quelques souvenirs seulement, ça et là, que je n'ai pas choisis, qui ont émergé d'eux-mêmes, séparés les uns des autres par de grands intervalles ; mais pourquoi brillent-ils ainsi, et d'un éclat d'autant plus vif qu'une plus grande nuit les entoure?

Je voudrais remercier tous ceux qui ont participé, parfois sans le savoir, à cette étrange aventure. On a tout loisir en écrivant, et ce n’est pas le moindre de ses bienfaits, de nous entretenir avec ceux qui nous accompagnent et de reconnaître, avant de le refermer, ce que le livre leur doit. On n'écrit jamais seul, même s’il faut être seul pour entendre leur voix.

Il y a ceux qui se sont tus, Henri le père et Marie la mère, Daniel Christoff le maître. Il est fort probable, au fond, qu’on écrive des livres d’abord pour ceux qui ne les liront pas.
Il y a ceux que je n’ai pas revus depuis des années, certains me font le plaisir d’être là, je les salue chaleureusement.
Il y a ceux que je vois chaque jour au Mont-sur-Lausanne, adolescents vifs, exigeants, qui obligent celui qui veut durer dans cet impossible métier, de se détourner des recettes toutes faites et de considérer les choses du lieu de son ignorance.

Il y a ceux du Riau, de Corcelles et des villages alentours avec lesquels j’échange quelques mots lorsqu’on se croise, une main qui se lève derrière le pare-brise ou le treillis du jardin.

il y a ceux que je rencontre ici pour la première fois, que j’ai croisés sur les réseaux sociaux et que j’ai eu l’occasion de lire sur le net.
Ceux qui sont à mille milles d’ici, Michèle, François, Franck, Justine, Mathilde, Virgine, Christine, Brigitte, Christophe. Ils font vivre le net. Leur lecture, nos échanges, leur soutien auront été essentiels. Car le numérique n’est pas qu’un instrument de domination, le net et les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel, ils offrent ici et là des poches d’indépendance et de résistance, vivantes, aussi importants aujourd’hui que les cafés autrefois. Ils sont nos ateliers, nos laboratoires, des lieux de discussions et d’expérimentation.

Il y a ceux de la première heure, Frédérique d’abord, elle qui la première a vu débarquer à Hermenches ces objets, alors qu’elle partageait ma vie, elle n’a jamais moqué cette entreprise sans queue ni tête.
Il y a Olivier que j’ai beaucoup rencontré cette année, si généreux, qui n’a jamais refusé de m’écouter et avec lequel nous avons eu de belles conversations au bord du lac.
Il y a Yves qui n'a pas une seconde douté, je crois, de ce que j’entreprenais, et qui n'a pas hésité à m’encourager et à me soutenir lorsqu’il le fallait.

Il y a ceux qui ont facilité ma tâche, Thierry, Arturo et Raul, qui on fait en sorte que je dispose d'une journée de congé, cette année, pour mener à bien ce projet.

Et puis il y a celui qui a tenu bon, alors que d'autres auraient laissé tomber avant même d'avoir commencé. Il y a de belles histoires, celle de Tessons en est une.
Disons qu’une lettre, reçue l’hiver passé, est pour beaucoup dans la naissance de ce livre.
Cher Jean, m’écrivait Pascal Rebetez,
Je vous découvre aujourd’hui sur la toile. Par hasard, je crois.
Suivent deux ou trois gentils compliments qui donnent un peu de courage à ceux qui n'ont cessé de pratiquer le doute et qui, écrivant, espèrent secrètement, mais en vain, le lever un jour.
Je ne sais si vous désirez publier un livre, j’en réalise de petits, le plus soigneusement possible.
Non, Monsieur Rebetez, je ne désirais pas publier de livre. Oui, Pascal, l’allure de ta lettre m’a convaincu, le ton, son pas.
J'aimerais te proposer qu'on les partage ces tessons, qu'on les offre à voir, dans un livre, c'est ça que je sais faire, en y prenant le temps, mais qu'il soit beau comme un cadeau, on le sortirait tout visible dans les librairies en octobre 2014.
Fallait-il encore l’écrire, et dans les délais. Mais ta proposition était convaincante, n’habites-tu pas rue de la Poterie? Ça ne s’invente pas, je devais te suivre.
On prendra le temps, écrivais-tu. Là je souris : il m'avait fallu 26 ans pour que je me décide à faire quelque chose de ces brimborions, tu ne me laisseras pas 6 mois pour réaliser ce quelque chose. Nous sommes le 31 octobre, cher Pascal, c'était moins une.

Et si ce livre est sans contestation possible un livre, c’est d’abord à cause du savoir-faire d’artisans exigeants, Chatty la graphiste et les imprimeurs du Locle. Ils ont su mettre en page les textes et les photographies que Geoffrey et Romain ont réalisées.
Ne pas oublier Jasmine, l’indispensable, qui a toujours gardé la distance nécessaire, regardant de très haut lorsqu’il fallait embrasser l’ensemble du projet, de tout près lorsqu’il nous a fallu descendre dans le détail du texte.
Merci pour ce cadeau.

Je veux encore remercier Alain, notre hôte, qui fait vivre cette Fondation avec Claire-Lise, Michaël et les amis de l’Estrée. Alain qui m’a convaincu de montrer quelques-uns des restes de cette vaisselle du monde, regardez, il a pris soin d’eux et leur a offert un beau milieu, un peu écrasés par les grandes toiles de Logovarda. Pas grave, ils ont l’habitude.

Merci à Laurent Flutsch. Avec le concours de David Cuendet, responsable de laboratoire du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire, Laurent Flutsch va offrir une vie parallèle à ces objets et à ce livre. Ils seront en effet présents au Musée romain de Lausanne-Vidy, depuis le 4 décembre, jour du vernissage de la nouvelle exposition temporaire.

Merci à Christine Macé que Françoise et Edouard m’ont fait connaître. Elle anime dans la Drôme, depuis de nombreuses années, un espace de rencontre autour de la céramique et de la calligraphie: Terres d’Ecritures. Elle accueillera, elle-aussi, ces tessons et ce livre, dans sa galerie de Grignan, au printemps prochain. ils auront l’honneur de côtoyer les calligraphies de Kitty Sabatier et de Denise Lach. Peut-être.

Il y a ceux enfin que je n’ai pas oubliés une seconde, si proches.
Sandra ma femme, qui a suivi avec sollicitude toute cette aventure, elle a supporté le désordre que ne cessent de causer ces merdouilles, comme le dit si poétiquement David, qui ont la fâcheuse tendance à s’éparpiller, alors qu'elle a tant à faire avec la rédaction des manuels de physique sur lesquels s'échineront les adolescents de demain.
Nous savons désormais tous les deux ce qu'écrire veut dire.
Arthur qui rêve de faire quelque chose avec presque rien. Oui Arthur, c’est un très bon plan. Les restes tiennent toujours leurs promesses: petits objets, petites vies, petits bonheurs.
Louise, ma Louise, avec qui il m’aura fallu lutter ferme pour ne pas céder à ta proposition de monter une petite entreprise et tirer de ces objets une fortune. Oui, Louise, tu n’as pas tort, il y aurait de quoi faire, j’y ai songé, mais je les aurais trahis.
Lili enfin. J’aurais tant voulu suivre les conseils que tu m’as fait parvenir l’autre jour à Château-d’Oex. Voilà ce que tu m’écrivais:
Salut papa, je suis rentré de mon super camp d’équitation, j’ai monté Katlaya. Sinon nous sommes allés manger des crêpes, à Rue, elles sont trop bonnes. Je te raconterai la suite quand tu rentreras.
Pour le reste, prépare bien ton discours. Petit conseil, utilise des mots majestueux, je sais que ça ne veut rien dire, mais je fais de mon mieux.
Bonne soirée, ne bois pas trop, car ça ne va pas pour les discours. Bref, fais une belle nuit avec de beaux rêves.
Lili, ma Lili, je ne sais pas si tu es contente de mon discours, tu me le diras tout à l’heure, mais je peux te l’assurer, j’ai fait de mon mieux.

Merci à vous tous d’être montés jusque-là, dans la nuit de ce pays de loups.
Jean Prod’hom
Photo : François Corthésy et Romain Rousset
Incipit tragœdia

Ni laisses ni friches
rien à dérober personne à soudoyer
Incipit tragœdia
Jean Prod’hom
Saint-Marc

Pierres de remploi
dos rond
reins aux mains de l’ombre
Jean Prod’hom
Daniel Christoff

Langue-monde entourée de douves
il y vivait seul
nous l’écoutions sur l’autre rive
Jean Prod’hom
C’était à craindre

Effrayée par notre gestion du travail à flux tendus
c’était à craindre
aucune mousse ne s’installait plus
Jean Prod’hom
Laissez-moi

Lugrin (5 avril 2014)
Laissez-moi
reprendre des forces
laissez-nous être oubliés
Jean Prod’hom
On naît...

On naît
on croît
on diminue mais c’est de notre vivant qu’on meurt
Jean Prod’hom
La beauté

Inutile
la beauté
ne cicatrise pas
Jean Prod’hom
Dans chaque tas de pierres

Dans chaque tas de pierres
se maintient quelque chose de vivant
vivant de n’y être plus
Jean Prod’hom
Lac de Neuchâtel (22 août 2009)

C’était un samedi
la veille cinq plongeurs italiens avaient été arrêtés
alors qu'ils pillaient un champ d'amphores au sud de la Corse
Jean Prod’hom
S’il croisait le regard d’une poupée de porcelaine

S’il croisait le regard de cette poupée de porcelaine
derrière les rideaux d’une riche demeure
cet ami à moi
entrerait par effraction pour la libérer
pas la poupée
mais la prisonnière
Jean Prod’hom
Epierrée

Première collecte après la herse et le semoir
au milieu des jeunes pousses
pierres remontées des labours
Jean Prod’hom
Vacances à la Creusaz

On allait
maman mes soeurs et moi
sous le chemin d’Emaney
trente-trois fois trois myrtilles
à lâcher dans un gobelet de yoghourt vide
libres ensuite
Jean Prod’hom
Quelque part à l’intérieur du jour

Quelque part à l’intérieur du jour
une porte
elle y conduit

Jean Prod’hom
Kouzma fait le plein sur les rives du lac de Zurich

Kouzma Rehacek et Jules Morard
C'est à Stäfa que s'est déroulée la dernière course de trial de la saison. Deux couronnes étaient en jeu ce dimanche 19 octobre, celle de la septième et dernière manche, celle de la Coupe suisse qui honore le meilleur coureur de l’année dans chacune des catégories.
Il a bien fallu que les vaincus reconnaissent la supériorité des vainqueurs et, les organisateurs l’espéraient, dans un esprit comparable à celui qui anima Goethe en 1797. Là en effet, à Stäfa, dans l'ancien hôtel de la Couronne, l’écrivain prit conscience –sportivement raconte en souriant la tradition–, que Schiller était plus à même que lui de réaliser le drame de Guillaume Tell. Et il lui laissa la place, sans rancune.
Belle journée donc, au soleil, même si quelques mauvaises langues discutaient à la cantine du bien-fondé de la présence de sainte Vérène sur le trophée offert aux vainqueurs, sans le peigne et la cruche qui figurent sur les armoiries de Stäfa, mais chevauchant hardiment un vélo de trial !


Romain Bellanger et Arthur Prod’hom
Beaux résultats d'ensemble des trialistes de Moudon. On mentionnera tout particulièrement la troisième place de Romain Bellanger dans la catégorie des juniors, à un petit point de la deuxième; il termine troisième également du classement de la saison. Bravo!
Quant à Arthur Prod'hom, il espérait un plus peut-être de cette dernière course, il obtient pourtant, au bilan de cette année, une magnifique deuxième place dans la catégorie des cadets.
Un seul coureur du Passepartout de Moudon a fait le plein, mais quel plein! C'est Kouzma Rehacek. Il empoche à la fois le trophée de la course zurichoise et celui qui récompense le meilleur coureur de la catégorie des poussins. Il nous a confié une ou deux choses après sa double victoire, perché avec son copain Jules à la cime d'une pyramide de blocs de granit, une glace à la main.

Kouzma Rehacek
«ll a fallu que je me concentre dès le début. Parce qu'à Bex, lors de la dernière course, je n'ai terminé que septième, à cause d'une maudite racine sur laquelle mon vélo a glissé trois fois de suite. Ça peut arriver une racine, aujourd’hui ça aurait pu être autre chose.
Mika de Vordemwwald pouvait gagner lui aussi. On se connaît avec Mika, on discute lorsqu'il faut attendre, on se demande nos résultats.
Disons que j'ai fait un bon début de course, une premier zone à zéro et deux points seulement de pénalité sur le premier tour. On roule toujours ensemble avec Jules, on s'encourage, lui aussi a bien roulé, il a fait son premier podium aujourd'hui.
Je trouve que j'ai bien progressé, du point de vue de l'équilibre notamment, et j'ai amélioré ma détente. En latéral aussi.
Faut dire aussi que, ces derniers temps, j'ai fait quatre entraînements par semaine. Disons que ça ne m'a pas empêché de me rater au deuxième tour, à la zone 9, sur des palettes. Et des palettes, j'en ai chez moi à Baulmes, des poutres aussi, je m'entraîne même parfois sur les fontaines du village... Bon, j'ai fait un cinq, mais j'avais confiance, tout s'est bien passé ensuite. Je suis content d'avoir gagné. »
« Sans compter, ajoute son copain Jules, que Kozma n'a pas le meilleur matériel, mais ça ne l'empêche pas de réussir quand même. Il est fort Kouzma, il roule vite et ça passe. Si tu réfléchis trop dans ce sport, tu ne peux rien faire. Bon, il y a aussi nos entraîneurs, René et Jean-Daniel. Et nos parents qui nous emmènent et qui nous paient des glaces. On se réjouit l’année prochaine!»
Le rendez-vous est pris, au mois de mai à Ropraz, pour une nouvelle saison.
Résultats de Stäfa et résultats de la saison des membres du TCPM
Catégorie élites : Tom Blaser (6 / 5) Steve Jordan (12 / 10)
Catégorie juniors : Romain Bellanger (3 / 3) Loïc Rogivue (4 / 5)
Catégorie cadets : Arthur Prod'hom (5 / 2)
Catégorie minimes : Theo Grin (6 / 6)
Catégorie benjamins : Mickaël Repond (6 / 5) Kilian Steiner (7/ 9)
Catégorie poussins : Kouzma Rehacek (1 / 1) Jules Morard 3( / 12)
Jean Prod’hom
Je voudrais parfois

Je voudrais que le ciel et les nuages
les montagnes et même parfois l’eau des fontaines
prennent quelquefois un peu plus d’initiatives
Jean Prod’hom
Chagrin

Souffrir des conceptions du temps en vigueur
et vouloir s’en défaire dans les plus brefs délais
ne va pas sans contradiction
s’en réjouir et compter sur une prolongation renouvelée de cette jouissance
n’est en toute rigueur
guère plus cohérent
Jean Prod’hom
Après le passage de la herse

Glisser la main dans une anfractuosité du jour
un froissement suffit
suivre la veine
Jean Prod’hom
A la Sernanty

On attend
ce qui a déjà eu lieu
là où bientôt il n’y aura personne
Jean Prod’hom
Merci David

Lui, il s’appelle David, on s’est rencontrés après un spectacle dans lequel nos enfants jouaient cet été; un spectacle intitulé L’Autre Nuit, que Gwenaelle et son équipe ont réalisé à Fey sous chapiteau, un beau spectacle avec des enfants et des chevaux, de la musique et des funambules.

Le 13 juillet, ç’avait été la dernière représentation et il faisait beau, un petit air de fête. David a débouché une bouteille de rosé, on a parlé de nos enfants, j’ai débouché une seconde bouteille, on a commencé à se tutoyer. Il m’a parlé de son boulot au musée; de fil en aiguille il m’a proposé de le recontacter pour que je puisse visiter, avec mes élèves, les ateliers de restauration du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire du canton de Vaud, dont il est le responsable.
On boit encore un verre et je lui parle des morceaux de terre cuite que je collecte depuis plus de deux décennies. Il m’encourage alors à prendre contact avec les directeurs des musées de la place, prétextant que ça pourrait les intéresser. L’homme est à l’aise, je le suis moins et le convaincs de prendre contact avec ces augustes personnes. Salut. Salut salut. L’été passe.
Je reçois, fin août, une copie d’un message que David a adressé à Laurent :
Laurent,
Au hasard d'un verre j’ai fait la connaissance d'un type intéressant. Il ramasse depuis plusieurs années des tessons roulés par la mer. En fin d'année, un bouquin inspiré par ces petits bouts de merdouille sera publié. De considérer le tesson comme une source d'inspiration et non un trésor archéologique me paraît assez original. As-tu un peu de temps pour le rencontrer? Sa démarche poétique serait intéressante à mettre en relation avec l'univers de l'archéo, le pillage. Une vitrine et ton musée? Je te propose d'ouvrir le lien « Au pied du brise-lames » sur son site. Et de me donner ton avis.
A bientôt.
David
Le gars a du culot, j’aime ça, mais je doute de l’efficacité de ce type de message dans le monde de l’archéologie. Je me trompe. Le bonhomme qui vante mes merdouilles ajoute à son envoi la réponse de Laurent Flutsch, le Directeur du Musée romain de Lausanne-Vidy. Je lis :
Salut David,
Jolie démarche… Je marche !
Autrement dit, d’accord pour une vitrine.
Après, il y a la question de date : on ouvrira une nouvelle expo sur le thème assez vague « L’archéologie au quotidien » le 4 décembre. Avant cette date, ça risque d’être difficile, on sera en plein chantier et l’atmosphère sera nettement plus stressée que poétique. Mais après, ce serait parfait, et en harmonie avec notre sujet, en plus !
Dis-moi si ça peut coller comme ça, et si oui on organise une rencontre.
Amitiés
Laurent
Laurent, Eric le technicien et moi, on s’est rencontrés ce matin; on a bu un café et fait des plans sur la comète. Les tessons seront visibles au Musée romain de Lausanne-Vidy depuis le 4 décembre. Comme quoi il y a encore de belles histoires. Sans compter que le catalogue est déjà réalisé.
Jean Prod’hom
Confier au chef d’orchestre

Confier au chef d’orchestre qui me précède dans le langage
le soin de faire taire le charivari qui m’habite
au profit d’une mélodie qui me consolerait
Jean Prod’hom
Laisser en héritage

Laisser en héritage ce sur quoi l’acier ne mord pas
les nuages et la mer
vers lesquels coule l’encre du papier noirci
Jean Prod’hom
On n'écrit pas seul

On n'écrit pas seul
mais il faut être seul
pour entendre leurs voix
Jean Prod’hom
Elles rêvaient de Chenonceau et de Versailles

Du balcon de la grande galerie
de la centrale hydroélectrique de Mühleberg
nous rêvions de Chenonceau et de Versailles
les dix minutes passées sur le pont du générateur dedans une turbine Francis
nous ramenèrent cheveux aux vents à la dure réalité
au naufrage du Titanic
Jean Prod’hom
Clôture à Mühleberg

Des hommes veillent sur les rives de l’Aar
à l’abri des affaires du siècle
le coeur de Mühleberg vit au rythme de celui de Sainte-Sophie
Jean Prod’hom
Le seul rêve qui se réalise

Le seul rêve qui se réalise continument
est ce rêve que personne n’a rêvé
et qui n'attend personne
Jean Prod’hom
Avant que le jour n’annule la nuit

Avant que le jour n’annule la nuit
timides et secrets
l’argent des labours et l’or de la chaume
Jean Prod’hom
L'amie de Jean-Rémy

On pense à une motte de margarine
mais ses allures de capo donnent le change
c’est en réalité une oie gavée des articles d’une vilaine doctrine
on croyait s’en être débarrassé
mais la donzelle revient par une porte dérobée
un cortège de tanks la suit
il n’est jamais trop tard pour avoir peur
apprenez que l’oie qui jacasse hante les couloirs nus
d’un comité de salubrité publique
Jean Prod’hom
Tirer du fatras

Tirer du fatras
ce dont la pointe serait si fine
qu’elle se confondrait avec l’étendue
Jean Prod’hom
Au cours de sciences

Ecartez le bruit et retroussez les manches,
ajoutez à l’eau versée dans les douves du château de sable un peu de sel,
vous ferez lever la mer.
Jean Prod’hom
Augustin Rebetez

Rien à quoi s’appuyer
le marionnettiste a quitté la partie
pas le temps de récapituler
chute libre
dans un univers en expansion
même lorsqu'il se réduit
Jean Prod’hom
Carrouge

Des jonquilles
un merle
sur un prunier
des iris
sous l’aulne
près de l’étang
les courges enfin
les pommes
et le dernier train
Jean Prod’hom
Quatre heures du mat'

Le jour repousse la nuit
dans la nuit,
ne nous en laisse que la traîne.
Jean Prod’hom
1945
Réduire la fracture

Réduire la fracture qui maintient l’effet éloigné de la cause,
l’avenir étranger au passé et l’obligation privée de liberté.
Ce que fait entendre le ruisseau se confond, parfois, avec son murmure.
Jean Prod’hom
Mercredi après-midi

Une douzaine de gamins attendent
assis sur le muret bordant le terrain de foot de la Colline,
j’attends toujours
Jean Prod’hom
Tessons à paraître

On ne sait pas trop quoi dire
par où commencer
alors on se tait à deux pas de ceux qui n’en savent rien
Jean Prod’hom
Hesselbarth au Vieil Arsenal

Un caillebotis en guise d’embarcation
un bec verseur d’acier et un bambou d’avant le goupillon
qui tombe d’en-haut comme un trait de lumière





Jean-Claude Hesselbarth au Vieil Arsenal (26 septembre 2014)
Jean Prod’hom
La Rivière
Jean-Claude Hesselbarth
Vieil Arsenal
Du 26 septembre au 2 novembre 2014
J’aurais voulu encore

J’aurais voulu encore que le poète eût assez de forces
pour écrire l’instant où celles-ci lui ont manqué
l’ont laissé sans le poème mais peut-être au plus près de son évidence
Jean Prod’hom
Cery

Passe l’ombre d’un poète
les pierres qu'il a déposées dans l’allée
m’aident à ouvrir le portail
Jean Prod’hom
Quelque chose

Quelque chose qui ne restera pas
un char de foin
pour voir venir
Jean Prod’hom
L'aventure ne figure dans aucun bilan
Si on le peut

Un peu en-deçà
dans l’anonymat
c’est ce qu’on fait de mieux
Jean Prod’hom
Critique

Che bello film
carissimo bacci
sulla bella red carpet
Jean Prod’hom
Villages

Ils se sont regardés tout l’été de travers
aujourd’hui plongés dans la brouille
villages bientôt sous la neige
Jean Prod’hom
Tout le monde se tut

La voix de la vieille sortait d’un de ces fonds de tiroir branlant
qu’on ne réparera pas où s’empilent des napperons
des boîtes de fer blanc remplies de boutons et de fermetures éclair d’argent
Jean Prod’hom
Au milieu des années 30 du siècle passé

Au milieu des années 30 du siècle passé, Louis Rossier démissionna de l’Ecole d’agriculture de Marcelin qui l’obligeait, en fin d'année, à dépenser sournoisement l'argent qui demeurait dans les tiroirs de ses services, afin d'en obtenir autant l’année suivante, lorsque la nécessité s’en ferait peut-être sentir.
Je n’ai pas mis la main sur le papier qui atteste de cette démission; et si l’espoir de sa validation s'éloigne chaque jour davantage, ce qui s’avèrerait alors n’être qu’une légende aura fait naître en moi, d’un modeste chef de culture, un héros.
Jean Prod’hom
Ils s’en prennent

Ils s’en prennent comme d’hab à ceux qui ont pris acte de la nouvelle donne
au prétexte d’assurer la sécurité de ceux qui viendront après eux
leur refilant en sous-main les représentations antiques qui les paralysent
Jean Prod’hom
Silence et déni

Silence et déni
pour conjurer l’échec
dont se réjouit celui qui a gardé confiance
Jean Prod’hom
De l’autre côté du décor

Arthur Prod’hom
De l’autre côté du décor
l’inachevé passe et dure et brille
avec dessus la nuit qui respire et le ciel qui prend le large
Jean Prod’hom
Il y a des fatigues

Il y a des fatigues et des regrets
il y a des faiblesses et des hésitations
il y a des attentes qui ne reviendront pas
Jean Prod’hom
Sculpture sans sacre

Sculptures sans vernis ni sacre
visite libre à l’arrière des maisons
la nuit personne ne surveille le site
Jean Prod’hom
La relève du club de Moudon montre son nez à Bex



De gauche à droite :
Michaël Repond, Killian Steiner, Kouzma Rehacek, Matthieu Habegger, Jules Morard, Théo Benosmane et Jeremy Bolomey.
Colin Novello et Justin Desimone
Dans son traditionnel petit bois de sapins et de hêtres, cerné de vignes, le trial club de Bex a organisé, ce dimanche 14 septembre, la sixième des sept manches de la Swiss-Cup 2014. Tout au long de la journée, les trialistes à l’ouïe fine ont pu entendre des airs de jazz et les sons profonds des cors des Alpes Riviera-Chablais, qui accompagnaient les participants à la « Balade dans le vignoble » que la commune d’Ollon organise chaque année pour mettre en avant les vins de ses viticulteurs, du domaine de Trécord à l’abbaye de Salaz.
Disons que les coureurs n’ont pas eu le temps de goûter, sous Antagnes, aux chasselas et aux pinots noirs de la région; ils se sont abreuvés d’eau, sans compter, pour maintenir au frais des organismes mis à forte contribution. Les tracés dans les bois, racines piégeuses et terre lâche, les ont éprouvés, pente qui n’en finit pas lorsqu'il faut tirer son vélo sans mettre le pied par terre, dérupe vertigineuse quand on sait qu'il ne sera pas simple de s'arrêter avant le toboggan creusé par les coureurs malheureux.
On aurait pu faire grise mine et affirmer que les week-ends ne sont pas toujours roses pour les coureurs du trial club de Moudon : Tom Blaser a semblé fatigué et n’a terminé qu’au au 6ème rang chez les Elites, Brian Allaman à Andorre pour le Trial-moto des Nations n’était pas là pour l’épauler. On aurait certes pu invoquer la fatigue de fin de saison, mais le rétrécissement des jours que la nuit grignote par les deux bouts affecte tous les pilotes et n'explique pas complètement la relative discrétion des pilotes du club broyard.
On préférera mentionner les bonnes choses : le TCPM a fêté deux beaux podiums, Romain Bellanger et Arthur Prod'hom, troisièmes chez les Juniors et les Cadets. On se réjouira des progrès de Steve Jordan (8ème) chez les Elites et de Loïc Rogivue (5ème) chez les Juniors. Et on le répète, il ne manque à Théo Grin (6ème) qu’un peu de confiance pour se retrouver avec les tout premiers chez les Minimes.
Mais il faut surtout mettre en avant l’arrivée en force des jeunes que René Meyer a formés, des tout jeunes encadrés avec sollicitude par leurs parents, des petits gaillards qui se serrent les coudes et se retrouvent parmi les meilleurs. Chez les Poussins, Théo Benosmane (4ème), Jules Morard (6ème), Kouzma Rehacek (7ème) et Justin Desimone (11ème) sont l’avenir du club. Mêmes promesses chez les Benjamins avec Michaël Repond (5ème), Killian Steiner (6ème), Matthieu Habegger (11ème), Colin Novello (12ème) et Jeremy Bolomey (15ème). Bravo !
Il reste une manche avant de clore cette saison de trial, elle se déroulera le 19 octobre sur la rive droite du lac de Zurich, elle désignera les vainqueurs dans chacune des catégories. Plusieurs pilotes du TCPM peuvent monter sur le podium et même viser la victoire finale. On ne voit pas cependant qui pourrait rejoindre le Jurassien Lucien Leiser qui survole les obstacles et déclasse aujourd’hui ses adversaires en catégorie Elites; après sa 5ème brillante place aux Championnats du monde de Lillehammer, il termine une fois encore premier dans le Chablais.
Si la fête a été belle dans le petit bois sous Antagnes, il n’en a pas été de même sur les routes bondées du retour, le Jura, Zurich et le Tessin sont soudain bien loin. Des pilotes et leur famille ont préféré différer leur départ de deux ou trois heures ; certains se sont attardés dans les vignes; on en a même vu se promener dans le vieux bourg d'Aigle, prolongeant cette belle journée de fin d'été, les dents dans un kebab, avec le murmure de l'Eau Froide qui les inclinait à penser que l'été ne finirait pas.
Jean Prod’hom
L'or fin

L’or fin confond au matin les êtres qui plastronnent
les plonge dans la glaise
seconde nuit dont ils ne s’émanciperont pas
Jean Prod’hom
Il faisait un ciel bas

Il faisait un ciel bas
Rebecca Bowring et Alexandre Schild
Mai 2014
Petit


Depuis la disparition des refuges que lui laissaient la terre et le ciel
lorsque ceux-ci partageaient la clé du royaume
l’homme est redevenu le théâtre des premières terreurs
Jean Prod’hom
Septembre aux Lofoten

L’homme qui titube dans le port de Svolvær
traîne un jerrican d’aquavit
la lune ne se retourne pas et continue sans lui
Jean Prod’hom
Une belle carrière

Une belle carrière ponctuée d’indignations et de colères
de sacrifices et de révisions
en révisions d’épurations
Jean Prod’hom
Boîte crânienne

Boîte crânienne entrouverte comme une noix
s’y glissent homéostatiques
le ciel et les bois
Jean Prod’hom
Le silence

Sa voix puissante ne laissait rien dans l’ombre
pas même l’ombre
moi je campais
Jean Prod’hom
J’entends faiblement

J’entends faiblement
l’ailleurs qui appelle du dedans le langage
mais je l’entends
Jean Prod’hom
Silence de bibliothèque
Foires à lire

Inviter aux foires à lire d’autres personnes que les auteurs
et d’autres objets que les livres
changerait considérablement la donne
Jean Prod’hom
L'anniversaire

L’enfant tourne le dos au linge que soulève le vent dans le jardin
gonfle les joues pour éteindre les bougies d’un gâteau en forme d’île
meringues double crème et cerises bleu noir de seiche
Jean Prod’hom
Rentrée littéraire

Photo : Louise Prod’hom
Parvenue au bas de la première page
la lectrice du bord de la mer leva la tête
les autres auraient-elles été de trop ?
Jean Prod’hom
Ramenés de l'île d'Yeu

Le propre de l’homme ?
à coup sûr la poche
n’était le kangourou
Jean Prod’hom
Sans les prépositions

Sans les prépositions
les mots ne sautilleraient pas de branche en branche
et les quarts de soupir demeureraient sur la ligne d’horizon
Jean Prod’hom
N'y touche pas

Si je m’écoutais
il ne resterait rien
qui vaille la peine d'être ajouté
Jean Prod’hom
Plus de choses dans le livre que dans la vie

En se figurant qu'il y a plus de choses dans le livre que dans la vie
le lecteur se coupe du vertige et de l’ivresse
que lui offrent l’un et l’autre lorsqu’ils sont l’un dans l’autre
Jean Prod’hom
Les eaux de la mer Rouge

Les eaux de la mer Rouge s’écartaient s’écartaient
lorsque je m’avisai que je m’étais endormi au fond d’un chemin creux
qui montait montait se perdre dans le ciel
Jean Prod’hom
Sont où les papillons ?

Le solitaire et le grand sylvain sont en danger
l’hermite est au bord de l’extinction
le petit agreste éteint
Jean Prod’hom
Les 236 espèces de Papillons diurnes et de Zygènes observées à ce jour en Suisse font partie des insectes les plus familiers et les plus appréciés du grand public. Extrêmement sensibles aux variations de la qualité ou du mode d’exploitation de leurs principaux habitats – prairies et pâturages maigres secs ou humides, landes et écotones buissonneux notamment – ce sont d’excellents indicateurs de l’évolution des biocénoses des milieux ouverts et semi-ouverts. Ces quelques caractéristiques justifient à elles seules leur prise en compte dans les programmes de suivi de la biodiversité en Suisse et d’actualisation des Listes rouges nationales des espèces menacées.
Parmi les espèces évaluées, 78 (34,5 %) sont menacées: 3 (1 %) sont éteintes en Suisse (RE), 10 (4 %) au bord de l’extinction (CR), 27 (12 %) en danger (EN), et 38 (17 %) vulnérables (VU). 44 (20%) sont potentiellement menacées (NT). La majorité des espèces de ces catégories se retrouvent principalement dans les prairies et pâturages maigres, les menaces étant plus marquées à basse et moyenne altitude que dans les pelouses subalpines et alpines. Les milieux buissonnants et de transition jouent également un rôle important. Les zones humides et forestières hébergent un nombre plus limité de Papillons de jour et de Zygènes, mais la proportion d’espèces menacées y est par contre plus forte, en particulier dans les milieux humides. Les milieux contruits et les cultures peuvent jouer un rôle dans la survie de quelques espèces menacées, même si ces dernières n’en sont pas dépendantes et colonisent principalement d’autres mi- lieux semi-naturels plus propices.
Liste rouge Papillons diurnes et Zygènes
Publié par l’Office fédéral de l’environnement OFEV
et par le Centre suisse de cartographie de la faune CSCF Berne, 2014
Grands-Praz

Immobile sur la rive droite de la Carrouge
divisé
ni taupe ni milan
Jean Prod’hom
Jourde et Meizoz

Réouvrir les boîtes trop vite scellées
bijoux mal acquis et voeux pieux
accords infects et mariages forcés
Jean Prod’hom
Héritage

Elle y a ouvert les yeux avant qu’on lui en barre l’accès
pièce vide verrouillée du dedans
pas même le nom de sa mère
Jean Prod’hom
A titre d'honoraires

Avance sur les droits d’auteur
quinze ans de mariage et trois enfants
assez pour t’offrir des fleurs et vous payer une quatre-saisons
Jean Prod’hom
Butin

Se rendre à l’évidence
à l’aise dans les fosses
à l’aise dans les laisses et les poches
Jean Prod’hom
Rien à signaler sur le front scolaire

Rien à signaler cette année sur le front scolaire mis à part
de nouveaux caporaux et des améliorations dans l’étanchéité des bâtiments
la mise à jour du jeu des injonctions et des soumissions
Jean Prod’hom
Isotropie

Tu crois connaître la passe qu’emprunte l’avenir
pour rejoindre le passé
mais connais-tu celle qu’emprunte le passé pour rejoindre l’avenir
Jean Prod’hom
La Murée

C’est parce qu’elle mourut en ignorant que ce tableau viendrait jusqu’à moi que
les découvrant côte à côte sur une ancienne photo
je perçus le mystère qui les entourait
Jean Prod’hom
Les coeurs

Les coeurs demeurent à découvert
à côté du lieu où ils battent
dans la paille
Jean Prod’hom
Visite au cimetière

Le nom des morts ne connaît pas de repos
les époux font chambre à part libres de ce qu’ils s’étaient promis
je pique-nique avec les enfants adossés à leur arbre généalogique
Jean Prod’hom
Coïncidences

Les circonstances coulissent
comme les décors d’un théâtre
ça fait bien au total cent mille milliards de poèmes
Jean Prod’hom
Structures élémentaires de la parenté

Chacun rejoint la place qui lui revient
dans l’un ou l’autre des compartiments du convoi des générations
dans la hâte mais en bon ordre comme au mikado
* (1898?) Augusta / Marie (Joliquin) / Lucie / Louis / Elisa / Marcel / Charles Rossier / Blanche
Jean Prod’hom
Rue du Nord (1983)

Seul près du poêle j’entendis des voix
la plus nue se proposa de tirer parti du charivari
et fit entendre la chambre vide
Jean Prod’hom
Rueyres

Plus loin le foin tout juste sorti du four
des abeilles dans le tilleul et de la cire dans les oreilles
deux draps blancs au vent et une ribambelle de mirabelles
Jean Prod’hom
Morvan (1980)

Il parlaient dans une langue à gros galets
d’où jaillissait un filet d’eau
corps de lierre et jambes de bois
Jean Prod’hom
Dernière fête du bois (1959)

Les nouveaux firent leur mélange de gravier et de ciment dans la caisse à sable
supprimèrent l’épingle à cheveux qui ramenait les papillons aux ateliers
tranchèrent d’un coup de ciseau indolore et le bandeau et les escaliers
Jean Prod’hom
Palette d'Isenau (1957)

Nous sommes nés d’une même pâte translucide
éclats d'un seul tenant que rien ne pouvait séparer pas même les pleurs
rires ivres qu’un regard dont on ne saura rien faisait monter au gré du vent
Jean Prod’hom
Coupe suisse de trial à Wangen-Nuolen

De gauche à droite et de haut en bas : Tom Blaser, Théo Grin, Loïc Rogivue, Arthur Prod’hom, Kouzma Rehacek, Mathieu Habegger, Théo Benosmane et Michaël Repond.
C’est sur les rives du lac de Zurich, en pays schwytzois, que les meilleurs trialistes du pays se sont retrouvés dimanche passé. Le soleil, présent dès l’aube, a racheté d’un coup ses absences injustifiées de juillet et d’août, si bien qu’il y avait un air de fête dans les carrières mises à la disposition du VMC Wangen-Nuolen pour organiser sa course.
Des sourires aussi : on a assisté à un spectacle extraordinaire, des cyclistes en équilibre sur l’horizon, traçant leur chemin dans un chaos de barres de granit, bondissant sur de formidables dés de grès, touchant le ciel de la tête ou frôlant le lac du pied, avec pour décor, sur l’autre rive, les trois tours du château de Rapperswil et les deux de l’église Saint-Jean.

Arthur Prod’hom, vainqueur chez les cadets.
Tous les pilotes n’ont pas répondu à l’invitation du club schwytzois – les vacances ne sont pas terminées pour certains – si bien que les trialistes du TCPM de Moudon, orphelins de leurs entraîneurs appelés ailleurs, ont dû serrer les coudes pour compenser l’absence de quelques-uns de leurs leaders; les huit pilotes qui étaient au rendez-vous ont répondu présents.
Dans la catégorie des Poussins, Théo Benosmane (8ème) continue son apprentissage; Kouzma Rehacek monte sur la plus haute marche du podium, il confirme à la fois son travail, son talent et se présente comme un sérieux prétendant à la victoire finale. Chez les Benjamins, Mathieu Habegger (10ème) progresse et Michaël Repond (6ème) ne quitte pas le peloton de tête, mais ils se rendent compte que la catégorie est relevée.

Kouzma Rehacek, vainqueur chez les poussins.
La troisième place obtenue à Vordemwald a donné des ailes à Théo Grin (5ème), mais il lui manque trois points pour accéder à un second podium chez les Minimes. Arthur Prod’hom soigne les détails et réalise une très belle course chez les Cadets, il laisse ses adversaires à plusieurs longueurs et peut commencer, du haut du podium, à envisager une fin de saison d’enfer.
La marche qu’il faut franchir de la catégorie des Cadets à celle des Juniors est importante, Loïc Rogivue (5e) le sait mais il garde le sourire. Quant à Tom Blaser (3ème), il peut être satisfait : après un titre de champion suisse junior acquis il y a un mois et demi, le voici pour la seconde fois sur le podium dans la catégorie des Elites. Bravo !

Tom Blaser, troisième chez les élites.
Vous êtes amateurs de trial ? Rendez-vous le 14 septembre à Bex sous les châtaigniers – c’est un dimanche – pour l’avant-dernière manche de la Coupe suisse. Et si vous souhaitez en savoir plus, n’hésitez pas à jeter un coup d’oeil sur le site du Passepartout de Moudon (www.trial-moudon.ch) !
Jean Prod’hom
Texte partiellement repris et modifié dans « La Broye »
Texte publié dans « Le Journal de Moudon » et « Le Courrier Lavaux | Oron »
Incipit tragoedia (1959)

On apprit émerveillés les différents rôles de la tragédie qui nous attendait
avant d’accepter celui que les circonstances nous commandaient d’endosser
et dont nous aurions à nous affranchir le restant de notre vie
Jean Prod’hom
Plans-sur-Bex (1962)

C’est en y jouant de longues heures dehors sous l’auvent
que le Monopoly imposa à nos vies intérieures
un premier plan directeur
Jean Prod’hom
Vie personnelle (1958)

Ma vie personnelle prit naissance au fond des yeux fermés de papa et maman
corollaire du désintérêt qu’ils me portèrent soudain pour sauver la leur
et de la confiance qu'ils me firent pour disposer d’un peu de temps mignon
Jean Prod’hom
Baron perché (1957)

L’intrusion du passe simple
nous contraignit à partager nos vies avec les héros de nos récits
à concevoir un ailleurs et d’autres asiles
Jean Prod’hom
Grandes vacances

Les paupières décollées
notre futal enfilé
nous nous glissions entre ciel et terre pour rejoindre notre bivouac
Jean Prod’hom
Riant-Mont

Notre quartier s’étendait jusqu’au petit parc
à la colline et au fond du jardin
au-delà un domaine inconnu où régnait le gros Georges au milieu de rien
Jean Prod’hom
Plus tard

Une adolescence à mobylette
rythmée par de petites explosions
des ratés soigneusement organisés
Jean Prod’hom
J’ai essayé

J’ai essayé d’imaginer les Australiens comme l’école nous y obligeait
à chaque coup un vertige me saisissait et je m’accrochais à la cime des arbres
le ciel à mes pieds et la tête en-bas jurant qu’on ne m’y reprendrait pas
Jean Prod’hom
Des lieux auxquels je ne demandais rien
Des lieux auxquels je ne demandais rien
des lieux d’avant les questions et les réponses
des mariages et des divorces
Jean Prod’hom
Allais au ralenti

Allais au ralenti
lorsque tout allait bien
avec la conviction des balles perdues
Jean Prod’hom
Aussi loin que mon regard

D’aussi loin que mon regard pouvait porter
sourdait une nostalgie vivace
sans passage secret
Jean Prod’hom
Happy boots

Batterie de chants au couchant
le soleil mijote derrière le barbecue
croque de cake et coup d’bourdon
Jean Prod’hom
Laves bleues

Laves bleues
chaume vert-de-gris
la toison d’or entre chien et loup
Jean Prod’hom
Ecoles à Berne

Ecoles à Berne, c’est le nom d’une aventure à laquelle j’ai participé et qui m’a enthousiasmé. Trois classes dont j’ai eu la responsabilité au Mont-sur-Lausanne, en 2010, 2013 et 2014, ont eu en effet la chance de se rendre dans la capitale toute une semaine, une semaine organisée au piccolo par une équipe très décidée et consciente de l’importance d’un tel événement pour des adolescents.
J’y participerai une quatrième fois en 2015, c’est sûr. Mais on me dit aujourd’hui que le financement de cette belle affaire n’est pas assuré à long terme. C’est dire que si je veux y retourner une dernière fois avant ma retraite et faire profiter une dernière volée en 2017, il faut que je me décarcasse et convainque ceux qui pourraient hésiter.

Disons d’abord que c’est un jeu qui a le mérite de remettre en perspective la question du politique en la reprenant depuis le début, c’est-à-dire dans l’espace réduit d’une classe réunissant des personnes qui ne sont ni de la même famille, ni ne se sont choisis. Que fait-on là, ensemble, pendant ces années d’école? Qu’a-t-on en commun? Si nous sommes en désaccord avec le monde dans lequel nous vivons, peut-on le changer. Peut-on trouver un terrain d’entente? Faire des alliances? A quel prix et avec quelles conséquences? Veut-on obtenir quelque chose immédiatement ou changer les choses en profondeur et à long terme? Comment déplacer les mentalités? Accepterons-nous de perdre? Que ferons-nous de nos victoires?

Le jeu démocratique dans lequel une société s’engage en acceptant ses règles est un jeu en tout point analogue à celui qui est proposé par Ecoles à Berne – mise à part la modification effective de la Constitution fédérale. C’est dire que le second jeu est aussi sérieux que le premier. Il est en outre, du point de vue de l’enseignant que je suis, hautement formateur. Je voudrais mentionner brièvement deux ou trois choses que les élèves ont été amenés à rencontrer et qui leur ont permis d’aller plus avant dans des problématiques que l’école se doit d’aborder.

Les programmes scolaires ont longtemps insisté sur le pacte de 1291, ils se sont tournés il n’y a que peu en direction de 1848. Il convient aujourd’hui de mettre l’accent sur cette période non seulement parce que la Constitution régit aujourd’hui encore notre vie politique mais parce que l’histoire du fédéralisme a encore beaucoup à nous apprendre.

Le jeu proposé par Ecoles à Berne, centré sur le dépôt d’une initiative fédérale, oblige les participants à comprendre du dedans nos institutions, à en éprouver les contraintes, à en interroger les faiblesses et les points forts.

La vie à Berne, pour un enfant de ce côté-ci de la Sarine, est une découverte. Non seulement celle d’une autre langue, mais aussi celle d’une autre ville. Les organisateurs ont bien fait les choses ; ils proposent en effet aux participants, à côté de leurs travaux parlementaires, une visite de Berne, celle du XIXème siècle, des ambassades et de la vie politique actuelle.

Faire manger dans le même réfectoire des ressortissants des cantons de Thurgovie, Argovie et Vaud n’est pas sans conséquences. En les obligeant à se mettre d’accord ou, pour le moins, à trouver une solution qui satisfasse chacun, les participants prennent conscience en commission ou en plénière que les différences culturelles et linguistiques ne sont pas toujours à la source de conflits mais, paradoxalement, l’occasion d’être ensemble pour trouver des solutions satisfaisantes.

Pas d’action sans anticipation et stratégie, pas d’argumentation sans préparatifs, collecte et organisation d’informations, utilisation fine de la langue, mots choisis, un à un.

De ce point de vue, le jeu permet à chacun de comprendre que pour convaincre celui qui n’est pas convaincu, il ne suffit pas de l’être, qu’il s’agit d’abord de mieux comprendre ce que croit l’autre, de déterminer les objets sur lesquels il ne cédera pas, de lui concéder ce à quoi on peut renoncer. Du point de vue de l’utilisation de la langue dans son versant argumentatif, Ecoles à Berne est une mine aux dimensions du réel qui ne saurait être remplacée.

Travail de longue haleine donc, bien avant la semaine qui se déroule à Berne. Autour d’un objet qui se révèle toujours complexe. L’étude de texte ne suffit pas, il faut en appeler à la genèse de la problématique, aux différentes réponses qui en ont été données, celles des cantons, des états, des spécialistes… L’élève est invité à aller à la rencontre d’objets de connaissance qu’aucun domaine disciplinaire n’a pris en otage. Au contraire, l’élève doit saisir cet objet dans ses différentes dimensions et, pour cela, s’en référer à ses dimensions historique, géographique, linguistique, sociologique…

Obligation donc pour les enseignants de se soumettre à une logique de l’objet plutôt qu’à une logique des programmes et des disciplines. Disons que de ce point de vue, l’affaire n’est pas gagnée.

Tout va très vite à Berne, rien ne serait possible sans une organisation dont tous les participants sont les maîtres d’oeuvre. Accepter que l’un d’entre eux prennent la tête du groupe, choisir un vice-président, prendre des initiatives, ne pas jeter le discrédit sur celui qui n’en prend pas, respecter l’ordre du jour, être à l’heure, déléguer.

(Voici le stratège du groupe, il s’ignorait jusque-là, il imagine un scénario pour obtenir la vice-présidence du Conseil national, impossible de viser la présidence, les Suisses allemands sont trop nombreux. Voici une conseillère nationale qui en veut, ne lâchera pas ses adversaires avant de les convaincre, gagner quelques voix ici en allemand, là en anglais, mais aussi avec les mains. Un membre veut faire bande à part, l’exclura-t-on du groupe?)

Il n’est pas inutile de rappeler que les parents des élèves que j’ai accompagnés m’ont souvent encouragé à remettre l’ouvrage sur le métier avec les cadets de leurs enfants. Rappeler aussi que les autorités communales n’ont pas hésité à aider substantiellement les familles dans la réalisation de ce projet. J’en suis persuadé, cet investissement professionnel et financier n’est pas vain. Mais je crains que les autorités scolaires cantonales n’ont pas assez prêté l’oreille à ce qui se déroule à Berne depuis quelques années, pas assez prêté leur concours pour convaincre et aider les enseignants à y participer.

Le jeu se termine le jeudi, dans la salle du Conseil national, par une plénière à l’occasion de laquelle les différentes initiatives populaires sont présentées et discutées, avant que la majorité ne recommande au peuple de les accepter ou de les refuser. Tous les participants, en principe, montent à la tribune.

Quelque chose m’a toujours sidéré à cette occasion. Le soin que les jeunes orateurs apportaient à leur intervention rédigée la veille, répétée au réveil, la manière dont ils montaient dans le tram numéro 9, se préparaient pour cet instant guère plus long qu’un éclair, la manière dont ils se levaient pour se rendre à la tribune, ajustaient le micro, posaient leurs notes et leur voix, s’adressaient à leurs collègues. Pour quelques mots, quelques mots qui venaient de loin puisqu’ils étaient le fruit d’une année de travail, de lectures souvent ardues, de discussions longues. Oui, aurait certainement dit Socrate, dire quelque chose est chose difficile.
Jean Prod’hom
En avoir toujours déjà fini

En avoir toujours déjà fini avec les affaires courantes
déroute au lever du jour
point d’orgue jusqu’à la nuit
Jean Prod’hom
Retour au Riau

Ne pas en faire plus l’un pour l’autre
que de nous redire la nuit que nous partageons
et dans laquelle tu te réfugies avant moi
Jean Prod’hom
Au ciel

Ni tri ni carde
ni peigne ni fil ni trame
l’haleine du vent
Jean Prod’hom
Tsahal 1985-2009

Tonnerre et Arc-en-ciel
Opéra et Jambe de bois
Pluie d'été et Plomb durci
Jean Prod’hom
Poésie verticale

Ne pas forcer le système à retourner en arrière ou aller de l’avant
mais redescendre le seau au fond du puits
en levant le cliquet et la tête au fond du ciel
Jean Prod’hom
Saint-Auban-sur-Ouvèze

Jamais au grand jamais disais-tu
sans imaginer qu’il eût pu en aller autrement
saisi du vertige d’être bel et bien ici plutôt que là
Jean Prod’hom
Bergerie du Lou

Elle est entrée dans la partie par effraction
en a appris les règles par distraction
l’a quittée avant son terme
Jean Prod’hom
Rive du Lez

On croit pouvoir infléchir le cours des choses sans avoir à changer soi-même
on manque naturellement le premier objectif
on parvient sans effort au second
Jean Prod’hom
Adieu au langage

Aussi inconcevable de dire adieu au langage
qu’à l’ombre qui nous suit
à moins de s’enfoncer dans sa nuit
Jean Prod’hom
Dans les gorges du Chassezac

Dans le creux de midi
les cris de l’été couvrent le silence de ceux qui soudain manquent
la maison de Casteljau dort
Jean Prod’hom
Quelque chose qui demeure

Quelque chose qui nous aura accompagnés tout au long de notre existence
semblable au ciel qu’on aperçoit
du fond d’un chemin creux ou des talus qui le bordent
Jean Prod’hom
Quelque part

Le silence dans lequel l’inclinaison de son visage le plonge
celui qui accompagne les fronces de tes sourcils attestent d’un séjour partagé
où nous sommes assurés de ne rencontrer personne
Jean Prod’hom
Rideau de pluie

Nous étions restés tout le jour
à l’abri derrière un épais rideau de pluie
le soir venu chacun de nous lui tourna le dos
Jean Prod’hom
Sous Chabanne

Pêches pommes prunes
derniers feux d’un jardin en terrasses
rendu à la patience des ronces
Jean Prod’hom
Espace Chauvet

J’appelle « espace Chauvet » toute réplique homothétique
d’un espace protégé ou laissé à l’abandon
dont la réalité se substitue in fine à celle dont elle est la réplique
Jean Prod’hom
Murettes

Galets blancs et basalte noir
dans les eaux de l’Ardèche
et les pierres sèches des murettes que déracinent les genets
Jean Prod’hom
Pléiades

S’est vu trois fois refusé un permis de conduire
s’est rabattu sur la poésie
qui l’a conduit dans la constellation des pléiades
Jean Prod’hom
Je monte tout à l’heure à Grignan

C’est en famille que le rôtisseur fait tourner ses douze poulets sur la place de la Bourgade à Grillon ; sa femme et ses deux filles chargent le grill portatif de chêne vert jusqu’à la gueule. Il sonne deux fois neuf heures aux quatre coins du bourg. A côté, un balèze à coiffe d’indien fait le paon au milieu de ses cageots d’oignons, de tomates, de melons et lance de sept en quatorze des cocoricos très convaincants, qui attirent la maigre clientèle du jour. Je feuillète le Dauphiné au café de la place refaite à neuf, quelques autochtones cancanent à l’ombre des vieux platanes. Je décide alors de monter sous les remparts faire une visite au sauvage de Grignan, sans l’avertir, il me bottera le cul si je le dérange. Plus embêtant, m’y rends sans le boutefas et le gruyère promis, et je m’en veux.

Mais l’homme qui va entrer sous peu dans sa nonantième année ne m’en tient pas rigueur. Je le retrouve comme je l’ai laissé à Noël, dans la pénombre, la vie au bout des doigts. Mais cette fois dans une fraicheur piégée derrière les persiennes, avec de la place tout autour, l’âme en vacances et le désir de tout vouloir croquer sans rien oublier. Il répand la bonne humeur de ceux que le sérieux ne menace pas, qui s’y refusent, la naïveté des enfants dont le réveil se prolonge jusqu’au soir et qui sont engagés dès le lever du jour dans mille activités, les cheveux en pétard et une chemise de gitan sur le dos. Il lit un article du Monde que Régis Debray a consacré à l’Europe et à son avenir.
Mais je me rends compte qu’une autre affaire occupe l’esprit de mes hôtes. Jean-Claude et Liliane préparent en effet de grandes manoeuvres, celles qui vont les conduire à l’achat de la nouvelle voiture qui remplacera la Peugeot laissée, il y a une semaine, sur le pont à l’entrée de Vaison-la-Romaine, embrochée contre un pilier. Le plus bel accident auquel Jean-Claude a participé, pensez, leur voiture était presque à l’arrêt lorsque l’événement s’est produit, pas de mal, aucun autre véhicule concerné. Le rêve donc, d’autant plus qu’un de leurs voisins, là par hasard, a eu l’amabilité de tout prendre en main. Il y a de sales histoires qui finissent bien parfois.
La voiture, Jean-Claude n’aime pas ça, vraiment pas, il la craint. Il précise que c’est la vitesse qui le met dans ses petits souliers, car la mobylette, il en a été un amateur émerveillé. Jean-Claude ne conduit pas, n’a jamais conduit et ne conduira pas de quatre roues. Cette hantise l’amène à circonscrire avec soin les différents éléments qui présideront au choix du nouveau véhicule et qui devraient atténuer sa hantise.
Tout est savamment pesé, le nouveau véhicule devra être comparable au précédent, respect de la tradition, la place du passager facilement accessible, il devra être d’une couleur claire, très claire, parce qu’une couleur claire est moins salissante d’abord, mais surtout parce qu’une couleur claire est plus visible par celui qui vient en face. Le danger venant toujours d’ailleurs, les couleurs sombres constituent une véritable menace pour les automobilistes. Le blanc c’est l’idéal, mais le gris, le beige, le vert tendre ou le bleu coupé conviennent également. Attention pourtant, attention au rouge vif, une couleur bien visible, trop visible, une main tendue à la catastrophe, le rouge doit être proscrit parce qu’il porte sur les nerfs de celui qui le voit, c’est un fait connu. Et boum, la collision qu’on voulait éviter devient inévitable.
Je crois entendre l’énoncé d’un manifeste, le choix d’une voiture prend du temps, il obéit lui aussi à certains principes et à certaines règles, d’autres, parole de peintre.
Au mur un dessin, des feuilles oblongues dans l’ombre desquelles sommeille un jardin qui déborde d’un reste de lumière. Jean-Claude descend moins souvent dans son atelier, à cause de la chaleur. On parle de choses et d’autres, il me montre les deux textes de ses amis Nicolas Raboud et Philippe Jaccottet qui présentent l’exposition que la Fondation Gianadda lui consacrera du 26 septembre au 2 novembre dans le Vieil Arsenal, une quarantaine de peintures solaires et une série de dessins creusés à l’acier et au bambou. Le bonhomme est partagé, ses amis ne le sont pas, le catalogue raisonné de ses réalisations suivra.
Liliane me fait penser à Giulietta Masina, elle courate, téléphone, prépare l’achat du prochain véhicule. Lui me remet à l’ordre lorsque, voulant parler de Marcel Poncet je mentionne Charles Il saute du coq à l’âne en suivant une logique qui se révèle par après, de la première exposition des impressionnistes à Beaubourg, des grandes peintures de Seurat, de Monet, des nymphéas, de Kurt von Balmoos. On reparle du livre que lui a consacré Silberstein, de nos amis communs. Même s’il est solide comme un roc, je le sens fatigué et Régis Debray l’attend, c’est le moment de se quitter, je reviendrai les mains pleines.
Fais un saut à Terres d’écritures, Christine Macé n’est pas là, montre mes bricoles à Anne Gros-Balthazard qui m’écoute avec bienveillance. A l’étage, sur un lit de sable noir, de gros galets de porcelaine et de grès, des galets dont il faut se méfier, entre deux eaux, ils me font penser à ces énormes vesses-de-loup rencontrées un jour sur les Causses, ou à des oeufs d’autruche. Des galets fragiles. Trouve au retour dans le Lez un vieux tesson.





Rejoins Sandra et les enfants à la piscine, me débarrasse avec eux de tous mes plans foireux. C’est seul que je descendrai à pied à Colonzelle, j’ai moi aussi rendez-vous avec les couleurs. Ne peux m’empêcher de faire à nouveau toutes sortes de scénarios qui me font sourire, parce ce ne sont dans le fond que des récits qui ont guère d’importance.
Jean Prod’hom
La négation

La négation ne retranche rien
mais ouvre aux lisières du langage
des échappées vers ce qui se dérobe
Jean Prod’hom
Qui n'a pas vu double

Qui n'a pas vu double
dans le train et sur le quai n'a rien vu
il nous faut désormais songer à voir triple
Jean Prod’hom
Termoli

L’enfant treuille le trabucco descendu la veille
les mailles du filet laissent filer la mer
et ce point de tangence auquel l’enfant touche pour la première fois
Jean Prod’hom
Un bon intellect

Un bon intellect fonctionne
sur le principe de la double digestion
il se satisfait lui aussi de nourritures très pauvres en énergie
Jean Prod’hom
Goût de cendre

Mêmes huissiers à l'entrée des palais du bon et du mauvais goût
même architecte mêmes oubliettes
mêmes pissotières même amertume
Jean Prod’hom
De toujours

De toujours les conversations aveugles
en-bas sous les tilleuls
bercent ceux qui ont jeté l'éponge
Jean Prod’hom
Le silence

Le silence que sécrétait l'ombre dans le lit du Lignon
remontait les prés jusqu'à la butte du Molard
dans ses blancs le cri jasmin d'un courlis
Jean Prod’hom
Prisonnier

Prisonnier de son courant
immobile sur ses rives
successivement et simultanément
Jean Prod’hom
Chose qu'on entend mais qu'on ne voit pas

Près de la fontaine du refuge de Ropraz
j’entends des champignons sortir de terre
impossible de les surprendre
Jean Prod’hom
N'écris pas trop court

N'écris pas trop court
ceux qui te lisent ne te liront plus
si tu fais plus long
Jean Prod’hom
Heureux égarement

De l’heureux égarement dans lequel je m’étais trouvé au milieu du bois Vuacoz
je conclus qu’il dépendait certes de l’affaiblissement de ma mémoire
mais qu’il était avant tout la conséquence de l’acceptation de mon ignorance
Jean Prod’hom
Au bois Vuacoz

Parti vers l’ouest sur le dos d'un Boeing
revenu
sur celui d'une libellule
Jean Prod’hom
Dans les myrtilliers

Le chant du merle et les odeurs de la résine
l'eau dans la brise et une poignée de framboises
ensemble dans la même main
Jean Prod’hom
Pierrot a ouvert le bal

Pierrot a ouvert le bal
ondins des prés jardins de paille
toisons tressées entre terre et ciel


Jean Prod’hom
Ce soir

Soudain ce soir le temps a tourné
dans le ciel
des nuages se baignent
Jean Prod’hom
Sans couture

Les choses tiennent
ensemble
en joignant leurs mains
Jean Prod’hom
Doubler notre monde

Les tentatives de doubler notre monde
sont à l’origine de l’invention et du développement du récit
l’histoire est la chronique de cet échec
Jean Prod’hom
Nous sommes tous des Payernois du dehors

A Payerne vit une belle tradition née au milieu du siècle passé : la Noble Société des Tireurs à la Cible – fondée en 1736 – invite en effet, lors de la fête annuelle du Tirage, un Payernois du dehors à s’adresser aux Payernois du dedans ; il s’agit là du seul discours prononcé lors du banquet officiel. L’heureux élu lève d’abord le toast à la Patrie, courte prière à l’occasion de laquelle l’orateur loue Dieu d’avoir rassemblé, une fois encore, les ressortissants de la petite ville broyarde. Le Payernois du dehors enchaîne ensuite avec les mots qu’il a choisi d’adresser à ceux du dedans et aux exilés. Que les mots officiels du rassemblement soient pris en charge précisément par l’un de ceux qui a quitté la ville nous invite à réfléchir sur la question des origines et sur le statut de celui qui est habilité à en parler.
Une fois encore cette année, au mois d’août, un Payernois du dehors aura donc l’insigne honneur de sonner le rassemblement, un bourgeois de la ville qui n’y a jamais vécu, puisque son grand-père l’a quittée en 1926 pour reprendre un domaine dans le Jorat.
Je suis comme ce Payernois du dehors, mais de Bursins d'où mon père est parti pour des motifs économiques dans les années d'après-guerre, la menuiserie familiale ne suffisant pas à nourrir les deux frères qui avaient appris le métier. L’un était donc de trop, le droit d'aînesse a voulu que mon père s'en aille. Il y a laissé les siens sans que jamais il ne coupe les amarres, il y est retourné tout au long de sa vie pour revoir ceux qu'il avait dû quitter, heureux de passer une demi-journée avec ses anciens camarades, d'aller boire un verre de Tartegnin à la pinte dont il connaissait l'entrée dérobée. Il n’en a jamais voulu, je crois, à ceux qui l’avaient précédé sur les lieux de ses origines et qui l’ont obligé à s’exiler là où il y avait de la place. Je pense même que ses retours dans le village qui l’avait vu naître et dans lequel il avait fait ses premiers pas lui permettait de leur rappeler qu’il ne leur portait aucun grief, qu’il est possible d’être du dedans en étant du dehors.
Je n’ai donc jamais vécu à Bursins. Et si j’y suis attaché, c’est assurément pour d’autres raisons que celles de mon père. Je n’y ai laissé personne. Je vis ailleurs, dans un ailleurs qui m’a accueilli. J’ai pourtant, au fond de moi, des attaches puissantes avec ce village de la Côte, j’y retourne parfois et rêve d’y retourner plus souvent. Qu’aurais-je dit après avoir levé le toast à la Patrie aux Bursinois du dedans s’ils m’y avaient invité ?
J’aurais dit que le lieu des origines ne se confond pas à celui de nos résidences. Et que nous avons tous été accueillis un jour, la légende veut que Bursins ait adopté mes ancêtres lorsque la révocation de l’Edit de Nantes les a obligés à s'exiler. L’origine est un nom, une image, une fable nécessaire et régulatrice qui retient le secret de notre double nature, celle d’être à la fois du dedans et du dehors. Nous sommes tous issus d’une diaspora et nous vivons dans des rassemblements précaires. Nous sommes invités à y songer, à ceux du dehors de nous le rappeler. Nos sociétés fragiles vivent d’un double écoulement, écoulement de ceux qui viennent, écoulement de ceux qui partent, c’est le prix qu’il faut payer pour que l'eau ne stagne pas et que les groupes ne se referment pas sur eux-mêmes. Ce sont ceux du dehors qui oxygènent ceux du dedans, restaurent les issues par où les nouveaux arrivés viennent et les partants s’en vont. Car il y a deux portes, d’en oublier une rend nos vies impossibles. J’aurais remercié les Bursinois du dedans d’avoir laissé filer mon père, que celui-ci ne leur en a jamais voulu, bien au contraire. Mais j’aurais aussi évoqué la porte de derrière à laquelle frappent tous ceux du dehors qui ont dû quitter leur village, leur ville ou leur pays et que parfois ceux du dedans n’entendent pas. J’aurais fait voir aux Bursinois du dedans que nous sommes tous des Payernois du dehors, ces orphelins et ces adoptés sans lesquels il n’y aurait pas d’histoire.
Je leur aurais raconté en conclusion l’histoire du grand-père et du père de ce Payernois du dehors qui a conduit celui-ci à faire sien le Jorat.
Jean Prod’hom
Métalogue

Mais alors quitter la maison
et rentrer chez soi
c’est pareil au même
Jean Prod’hom
Inconscience ou grandeur d'âme

Traiter avec la même bienveillance ceux qui se serviront demain
des outils enseignés pour asseoir leur domination
inconscience ou grandeur d’âme
Jean Prod’hom
Mes yeux brillent

Mes yeux brillent et ton sourire ouvre les bras
paire d'heures dans un chemin creux
puits de fraîcheur dont tes lèvres dessinent l’ombre
Jean Prod’hom
Topologie

Les rolex et les menottes font partie d’une seule et même famille d’objets
ce sont en effet aux poignets de ceux qui exhibent les premières
qu’on passe tôt ou tard les secondes
Jean Prod’hom
La petite vieille

L’infirmière porte la valise de la petite vieille
dans la chambre bleue
la poupée en porcelaine ne bronche pas
Jean Prod’hom
Il pleut sur la tôle

Il pleut sur la tôle et les fougères ploient
myrtilles et framboises attendront
cueillette sous l’édredon




Jean Prod’hom
Avant l'orage

Au second plan le triticale main au képi
au premier ivre et vanille
le fol épi




Jean Prod’hom
Brian Allaman et Tom Blaser au pied du podium

Brian Allaman, une roue à deux pas du podium, l’autre dans l’avenir
Temps maussade et ciel de Hollande sur les rives de l'Aar pour cette seconde partie du Championnat suisse de trial, gros nuages blancs aux ourlets gris que le vent a poussés tout au long de la matinée. Le soleil est apparu dans l’après-midi, sans avertir, pour ne pas quitter la manifestation ; les spectateurs ont pu enlever leur petite laine et admirer ces merveilleux fous volants sur leur drôle de machine.
Il n'aura fallu que 5 jours aux meilleurs pilotes du pays pour remiser leur « 20 pouces » et répéter leurs gammes sur leur « 26 pouces ». Ils n’ont pas compté leurs heures si bien qu’ils étaient prêts à midi quand la course a commencé.
A Vordemwald, les deux leaders du club de Moudon ont frôlé la réalisation du plus beau des scénarios, le glorieux, l’éclatant, celui que nos voeux orchestrent mais que les circonstances soudain déjouent. Mais s’ils ne sont pas montés samedi sur le podium, Brian Allaman et Tom Blaser ont eu l’occasion de se rendre compte, une fois encore, que ce sont de petits riens qui décident à la fin de la réalisation de nos entreprises, une étourderie, l’erreur d’un juge, un risque qu’il aurait fallu prendre, un autre qu’il aurait été préférable d’éviter. « Il aurait pu évidemment en aller autrement si… » Tout sportif est un philosophe qui s’ignore.
Brian Allaman et Tom Blaser du Passepartout de Moudon concouraient donc dans les catégories respectivement des Elites et des Juniors, ils ont terminé à la quatrième place du championnat suisse de trial 26 pouces, la plus vilaine disent certains, peut-être, mais une place qui fait voir ce que les sportifs ont dans le ventre. Les proches n’ont pas eu besoin de consoler bien longtemps les deux pilotes du Passepartout, ce sont des sportifs aguerris, ils ont vite redressé la tête et félicité les vainqueurs : le Jurassien Lucien Leiser et le Tessinois Igor Müller. C’est leur faculté de digérer leurs succès et leurs défaites, de remettre l’ouvrage sur le métier qui rend les sportifs attachants. Le soir même, ils avaient remisé dans la boîte à souvenirs leur déconvenue et s’étaient tournés vers d’autres objectifs, d’autres échéances.
Cette finale du Championnat suisse de trial 26 pouces aura été extraordinaire. Merci à Brian Allaman, à Tom Blaser et à Steve Jordan qui s’est battu, pour sa première participation à un championnat suisse, comme un beau diable.

Tom Blaser entre ciel et terre
Si aucune médaille n’ira rejoindre l’armoire à trophées déjà bien remplie du club, de belles satisfactions ont eu lieu en terre argovienne. Car en contrepoint du championnat suisse, s’est déroulée une manche de la Swiss-trial cup (1), la 4ème des 7 manches qui permettront de désigner en fin de saison les vainqueurs dans chacune des catégories, des Poussins aux Elites. Les coureurs du Passepartout se sont à nouveau illustrés à Vordemwald et sont montés à plusieurs reprises sur le podium : confirmation de Romain Bellanger (3ème) dans la catégorie Juniors, confirmation également d’Arthur Prod’hom (3ème) dans celle des Cadets et de Rehacek Kouzma (2ème) dans celle des Poussins.
Mais la grande satisfaction, c’est à Theo Grin qu’on la doit. Il monte dans la catégorie des Minimes pour la première fois sur le podium, à 1 point seulement de la seconde place. C’est une magnifique performance pour ce coureur qui a travaillé dur et dont on peut constater chaque jour les progrès.
On reviendra au mois d’août, à l’occasion de la 5ème manche de la Swiss-trial cup qui se déroulera à Wangen (Schwytz), sur les jeunes coureurs du Passepartout qui constituent l’avenir du club de Moudon. A ce propos, si vous en avez l’occasion, allez jeter un coup d’oeil à Ropraz où tous ces jeunes s’entraînent les mardi, mercredi, jeudi et samedi, ça vaut la peine. Il y a tout près de chez vous un club qui propose aux jeunes de notre région une activité hautement formatrice. Nos enfants y apprennent, sous le regard bienveillant de René Meyer et Jean-Daniel Savary, deux ou trois de ces choses simples qui charpentent nos existences : l’équilibre, la persévérance, la régularité, la concentration. Ce n’est pas rien.
(1) Disons pour faire simple que la Swiss-trial cup est au Championnat suisse de trial ce que le Championnat suisse de football est à la Coupe suisse.
Jean Prod’hom
Texte partiellement repris et modifié dans « La Broye »
Texte publié dans « Le Journal de Moudon » et « Le Courrier Lavaux | Oron »
De bien petits seins ma foi

De bien petits seins ma foi
à moins qu’elle ait mis son soutien-gorge à l'envers
je m’avisai plus tard que c’était sa tête qui l’était
Jean Prod’hom
Malaxe

Vieux rêve qui se réveille
celui de baigner ton corps dans les verts
craies grasses non solubles à l'eau
Jean Prod’hom
Clairière

Clairière où se sont repliés
parfums et toisons
d’avant la conquête
Jean Prod’hom
Parthénogenèse

Un rideau coupe en continu nos jours
sans que nous sachions exactement
de quel côté nous avons installé notre campement de base
Jean Prod’hom
A Geoffrey Cottenceau et Romain Rousset

C’est le même voyage familier
mais rien ne va comme on l’imagine
les cairns vacillent


Jean Prod’hom
Demain l'école

Nous sommes sans réponse de nos commanditaires
on commencera donc l'année scolaire sans chaises ni tables ni papier
une chance pour notre école qui volera de branche en branche
Jean Prod’hom
Plan-Châtel

Les sangliers ont tourné la butte du vieux
le Mont-Blanc a mis son chapeau
les raiponces ont les cheveux en bataille
Jean Prod’hom
Orgevaux

C'est là qu'on s'établira
on essartera et dans la pente fleuriront
renouées scabieuses et centaurées
Jean Prod’hom
Tom Blaser couronné dans le Jura bernois

Tom Blaser n’a laissé que des miettes à ses adversaires.
Le club Passepartout était bien représenté. Dans la course des élites, Brian Allaman, champion suisse junior en 2013, concourait pour la première fois dans la catégorie reine; il avoue que le service militaire ne lui a guère laissé de temps de s’entraîner pour préparer au mieux cette course. Il n’a rien pu faire contre les hommes en forme du moment, il termine à la quatrième place, assez loin de Lucien Leiser qui confirme son titre de champion suisse 2013.
C’est du côté des juniors que la surprise est venue. Tom Blaser du club Passepartout n’en finit pas de nous étonner, ses progrès sont constants, son engagement soutenu, il a survolé la compétition de dimanche. Loris Braun, cador du trial en Suisse, admire les progrès réalisés par ce jeune pilote. Il souligne tout particulièrement la puissance qu’il dégage et que plusieurs trialistes plus expérimentés lui envient. « Sans compter que sa marge de progression est encore importante. Il méritait ce titre. »

Tom sur la plus haute marche du podium.
Quant à la troisième manche de la TRIAL SWISS CUP, elle s’est déroulée le matin même; un peu plus de 60 coureurs se sont mesurés dans la carrière Huguelet.
Aucune première place pour les pilotes de Moudon – c’est assez rare pour qu’on le signale – mais plusieurs podiums : Romain Bellanger (3ème) dans la catégorie des juniors et Arthur Prod’hom (3ème) dans celle des cadets. On signalera encore, chez les Poussins, le magnifique résultat de Theo Benosmane (2ème) et la confirmation du talent de Kouzma Rehacek (3ème).
Dimanche prochain, c’est Vordemwald dans le canton d’Argovie, sur les rives de l’Aar ; y seront désignés deux nouveaux champions suisses (vélo 26 pouces) et s’y déroulera la quatrième manche de la TRIAL SWISS CUP. Le rendez-vous est pris, avec Brian Allaman, qui devrait être plus à l’aise sur un vélo 26 pouces, et Tom Blaser, peut-être, encore une fois, dans le première rôle…
Jean Prod’hom
Texte partiellement repris et modifié dans « La Broye »
Texte publié dans « Le Journal de Moudon » et « Le Courrier Lavaux | Oron »
L’essence du bref

Court plus court mains jointes
ne rien écrire avant que
le commencement et la fin ne fassent qu’un
Jean Prod’hom
Talent

L’absence de talent ne l’a pas handicapé bien au contraire
il aimerait le faire entendre à ceux qui lui en prêtent un
le dire avec élégance et précision sans pour autant leur faire croire le contraire
Jean Prod’hom
Viale Ruggero di Lauria (Catane)

Des fleurs dans un pot de grès
un lot de pauvres parés d’étoiles
le jour entre les barreaux par où s’invitent une tourterelle et un air de liberté
Jean Prod’hom
Du Gueulard au paradis

En lisant dans les carnets de Dante
le compte-rendu d’une fête à laquelle j’ai participé sans le savoir
je me suis réjoui une fois encore de la pluralité des mondes et de mon ubiquité
Du Gueulard au paradis / Le Retour de Dante
Daniel Gaemperle / Jean-Pierre Gerber / Pascal Rebetez
Saint-Ursanne / Fours à Chaux (22 juin - 27 juillet 2014)
San Giovanni Li Cuti (Catane)

Corps et cailloux brûlants expulsés des bouches de la ville
la mer a relevé ses jupes
et les accueille entre ses cuisses
Jean Prod’hom
Via Vittorio Emanuele II (Catane)

Ne pas déchirer l'enveloppe
derrière laquelle
chacun vit incognito
Jean Prod’hom
Ginostra (Stromboli)

Une vingtaine d’indiens
l'hiver sans illusion
pris entre rêveries et volcan qui se racle la gorge
Jean Prod’hom
Enfers (Stromboli)

Une baleine noire
neuf évents chauffés à blanc
personne vraiment personne
Jean Prod’hom
San Vincenzo (Stromboli)

La bête
immobile
tiendra parole
Jean Prod’hom
Cimitero di Lipari

Les habitants de l'île avaient mis leurs morts
sous perfusion
pour les maintenir en l'état
Jean Prod’hom
Vespa (Vulcano)

Vespa de Piano à Gelso
une obsidienne dans la poche
des genêts s'accrochent
Jean Prod’hom
Ce que j'avais égaré (Milazzo)

Milazzo
Retrouve enfin ce que j'avais égaré
avec la soudaine conviction
que j'aurais pu m'en passer
Jean Prod’hom
Hôtel Conti (Vulcano)

Tonnerre de lave noire
la vague battue disparaît dans les sous-sols
dans la nuit Alicudi Filicudi et Salina
Jean Prod’hom
Se réjouir

Se réjouir
se réjouir
lorsqu’on ne comprend pas
Jean Prod’hom
Temps

L’éternité
se prend parfois les pieds
dans la durée
Jean Prod’hom
Aller de l'avant

Certains remontent très loin en arrière
pour en avoir le coeur net
c’est peut-être la seule manière d’aller de l’avant
Jean Prod’hom
Avec Descartes

Passe l’après-midi au bord du lac avec Descartes
il revient sur la dualité de la pensée et de l’étendue
sans daigner m’écouter lorsque j’évoque les effets à long terme d’une telle idée
Jean Prod’hom
Ecoles à Berne

Nous avons participé, début mai, au jeu « Ecoles à Berne », qui nous a permis de nous sensibiliser à la vie politique suisse. Avec cinq classes de la Suisse allemande, nous avons troqué l’habit d’écolier pour celui de conseiller national durant une semaine. Chaque classe a déposé une initiative sur un sujet qui lui tenait à cœur.
(la suite, c’est ici : ECOLES A BERNE-2014
Mantra

Professionnel mot mantra mis à la disposition des enseignants
pour que les amateurs qu’ils resteront n’aient à répondre
ni de leurs actions ni de celles de l’institution à laquelle ils obéissent
Jean Prod’hom
A la pêche

Parfois la ligne et le filet
le leurre la mouche le fer et la proie ne font qu’un
ainsi le poème
Jean Prod’hom
Ce que je vaux

Ce que je vaux
tout le monde le sait
à moi d’en douter
Jean Prod’hom
En tongs

En tongs
dans le lit de la Corcelette
l’eau froide me monte à la tête
Jean Prod’hom
Elle n’avait laissé sur son corps nu

Elle n’avait laissé sur son corps nu
que son long nom long et vallonné
à l’ombre duquel les hommes rêvaient lorsque le soleil était de plomb
Jean Prod’hom
Culture

L’utilisation des pesticides a permis
également
la culture extensive du bon goût
Jean Prod’hom
Après-midi

On avait ouvert le parasol
le vent soulevait ta jupe
tandis qu’un enfant lisait fenêtre ouverte et volets clos
Jean Prod’hom
Près de l'Escargotière

A côté des oiseaux qui traversent le ciel et les poèmes
il y a des oiseaux à grand bec
qui attendent sans toucher à rien
Jean Prod’hom
Jeunesses campagnardes

Ils voyagent sept fois l’an
pas de prise de tête l’été c’est une jolie saison
sur un timbre poste entre Roms et traditions
Jean Prod’hom
A toi l'oeil à toi le monde à moi cette carte blanche



Le soleil est revenu, l’herbe a poussé, il me faudra tondre. Je suis passé ce matin près de l'étang, les iris vont s'ouvrir bientôt et faire voir leurs délicats arcs-en-ciel. Je crains toutefois que le bouclement de l'année scolaire, la virée à Orgevaux, le voyage aux Eoliennes et les deux livres auxquels je dois mettre un point final ne me tiennent loin du jardin et me fassent manquer l’éclosion de ces fleurs qui me ravissent depuis longtemps déjà. Il nous faut trop souvent consentir à renoncer à ce qui nous entoure et que nous chérissons ; il sera soudain trop tard, il ne nous restera que quelques regrets pour nous consoler, quelques images, quelques souvenirs, et l’amitié.
Car au fond il s'agit bien de cela, prolonger ou faire revenir ces instants qui nous font signe et à côté desquels on passe, condamnés que nous sommes, pour vivre, à nous détacher de l’immédiat en taillant des marches au fil du temps, en nous promettant au dedans qu’on ne nous y reprendra pas et qu’on recomposera sur nos claviers, plus tard, ce qui était lorsqu’on n’y était pas, songeant au bonheur que ces instants auraient pu nous apporter et qu’ils nous offrent tandis que, écrivant musique et cadence, nous ne l’espérions plus.
J'ai pris quelques photos des iris dans leur étui et conduit Louise à Lucens pour la fête du cirque, Lili fait du cheval et Arthur du vélo. A la fin, je le sais, le vent nous emportera, on ne laissera à ceux qui viennent que les quelques brimborions qu'on aura cru bon ne pas jeter, une fleur qui s’incline, quelques tercets, des photographies, les peintures des amis et, mêlé à l’intraitable beauté du monde, un peu du trouble qui nous habite.
Souvenez-vous, nous étions convaincus que l’homme filait du mauvais coton et que nous avions été désignés pour le remettre sur le bon chemin. Nous étions jeunes et souhaitions changer le monde, obtenir du même coup ce qui nous manquait et que nous avaient promis nos prédécesseurs, l’obtenir immédiatement, sans que nous sachions exactement quoi. (Nous n’en savons guère plus aujourd’hui.)
Nous voulions ainsi nous donner une chance d’accéder à cet autre lieu qu’alimentaient des philosophies qu’on baragouinait avec l’autorité des gens pressés. On avait entendu, au coeur même de leur doctrine s’éveiller celui qu’on n’était pas encore, avec lequel et pour lequel on était prêts à agir, qui nous mènerait à cet ailleurs auquel on comptait bien goûter un jour. Ce désir trouble qui nous habitait, sans objet ou presque, ou satisfait par le premier venu, ne nous a jamais quittés.
Nous avons alors posé de petites mines, fait bourgeonner des mots simples, prononcé des formules incantatoires, conçu des poèmes bâtards. Bien peu lorsqu’on y songe ; mais nous avons eu la chance, ce faisant, de nous rencontrer et de marcher ensemble.
Nous avons dans le même temps appris que, même seuls, nous ne sommes pas seuls, ou que nous le sommes avec ceux qui nous accompagnent lorsque nous sommes loin d’eux. On joue toujours à l’intérieur de soi une partie à deux, l’un est soi, l’autre est foule.
Je me souviens de nos virées et de nos rires, de nos excès et de nos insouciances. Penser que nous avons un jour abandonné la partie serait se méprendre, nous avons réinvesti la force qu’on dilapidait dans le désert sur des chemins plus étroits, sans autre adjuvant que l’honnêteté de qui ose l’aventure, en accueillant aussi, à l’intérieur de celle-ci, l’obstacle contre lequel on avait buté et dont on ne voulait jusque-là rien savoir.
Vieillir évidemment change la donne, pas tellement parce qu’on n’y croit plus, mais au contraire parce qu’on y croit davantage et qu’on devine avec toujours plus d’acuité que ce qui aurait pu nous combler est précisément ce qui nous aura portés. Nous avons poursuivi chacun de notre côté, loin des groupes et des poisons qu’ils distillent, réconfortés par l’amitié et ses vertus sans lesquelles nous aurions été bien incapables de prolonger nos aventures solitaires. J’ai avancé avec vous, seul et sans béquilles.
Il ne suffit pas de mettre la main, un jour, sur une veste trop courte, des pantalons trop longs, une canne et un chapeau melon, de se laisser pousser une moustache pour devenir le héros des Temps modernes. Les légendes ignorent les échafaudages qui ont présidé à leur édification : elles ne disent rien du temps long, de la fidélité, du chemin qui, d’énigme en énigme, trouve sa direction.
Vasco et Pablo sont des amis d’enfance, dans la force de l’âge. Ils quittent Belem à bord d’une caravelle, avec dans la poche les recommandations d’Henri le Navigateur ; les deux embarcations descendent l’estuaire flanc contre flanc. Vasco jette un coup d’oeil sur la rive gauche du Tage, du côté d’Alcochete où il laisse sa famille, mais aussi les corniers et les gerboises qui le ravissent depuis qu’il est enfant. Pablo scrute de son côté la rive droite, les magasins du roi et les ateliers de construction où travaille son père. Les deux amis sont en route pour la côte ouest de l’Afrique. Mais sitôt la barre de l’océan franchie, voici que les caravelles divergent d’un rien; au large de Cascais, les amis se perdent bientôt de vue : un monde finit par les séparer.
Des nombreux voyages qu’ils feront, Vasco ramènera des portraits d’oiseaux, en particulier ceux de l’île d’Arguin ; Pablo des croquis des embarcations qu’il a observées, notamment celles de l’archipel des Bijagos. Pourquoi cet écart, nul ne le sait, un battement d’aile suffit à donner une orientation à ce qui n’en avait pas.
Chacun pilote son embarcation de l’arrière, qu’il soit dans un verre, un lac ou la mer. Certains ont le courage de la pousser là où les portulans manquent, ils en dressent alors un de fortune pour ne pas se perdre, pierres immatérielles sur lesquelles ils vont et viennent immobiles. Je vous aperçois sur vos coques de noix coupant l’horizon ; vous voir me donne du courage. Celui qui ignore l’amitié et la fidélité ne comprendra rien de la parenté de ce qui sépare et unit.
On ne sait pas à quoi tout cela rime et à quoi bon on le fait, mais on le fait jusqu’au bout. On diffère le terminus aussi longtemps que possible ; de fil en aiguille quelque chose se met en place, quelque chose qui était là bien avant qu’on s’en mêle, quelque chose qui nous ressemble.
Il y a un livre dont on ne tourne pas la page, c’est le livre qu’on écrit ; vous avez continué le vôtre, comme d’autres le leur, séparément, en des lieux qui se côtoient, se frôlent ou s’emboîtent. Et un jour, par la grâce de l'amitié, on se retrouve, avec dans la poche une ou deux choses qu'on a ramassées ou bricolées, qu’il faut bien déposer quelque part si on veut repartir les mains et l’esprit libres. On organise une fête à l’occasion de laquelle on tremble un peu, non pas tant parce qu’on douterait de la valeur de ce qu’on a réalisé, c’est trop tard, mais parce que les amis seront là. Je retrouve derrière vos visages parcheminés par les ans ce qui demeure, on évoquera nos errances et nos rencontres. Prenez bien soin de vous, je prends soin de ce que vous laissez, il contient ce que vous y avez mis, c’est tout ce que je possède.
Yves, Anne-Hélène, lorsque vous êtes venus me trouver au Riau, vous aviez déjà mis la main sur la forme que prendrait cette exposition. Il aurait été vain de vouloir combler ce gouffre que les années ont creusé entre vos deux rives. Vous aviez le sourire, heureux d’avoir trouvé le dispositif qui réunirait ce qui vous sépare, sans que jamais les images de l’un mettent celles de l’autre sous tutelle. Pas question donc d'ajouter quoi que ce soit à ce qui tient debout tout seul.
En commençant par l’autre bout, en me rappelant les fidélités que génère l’amitié, me sont apparues très clairement et très distinctement les deux directions qui se sont offertes naguère à vous, à nous, sans que nous le voulions : à toi l’oeil, à toi le monde; à moi, et je vous en remercie, une carte blanche.
Je crois au fond ne m’être jamais départi du dualisme de Descartes. La relation du sujet pensant aux objets et à l’étendue qui les contient demeure l’une des énigmes les plus profondes de notre temps. Nous n’en sommes pas sortis, invités désormais à réexaminer la relation que pourraient prendre ces deux attributs de l’être, dans les domaines qui nous sont propres – celui du langage, celui des images –, pour mieux apprivoiser cette énigme qui nous a condamnés, après nous avoir libérés, à claudiquer.
Il y a d’un côté l’oeil qui se trouble, l’esprit qui pense, doute, s’égare ; il y a de l’autre le monde dont nous sommes les hôtes et dont nous peinons à saisir l’infinie richesse. Nous avons voulu en avoir le coeur net, interminable collecte, mise bout à bout des fragments du monde, punaisés dans des boîtes sous l’empire du langage. Il a fallu déchanter, celui-ci tient en laisse ce qu’on croyait tenir dans nos mains, notre mémoire se révèle insuffisante et nous demeurons muets devant le miracle de cette coexistence. Inutile de le déplorer.
Il a fallu, Anne-Hélène, t’exiler, rejoindre d’autres continents, laver ton esprit à leurs eaux pour que, après un long détour, tu rebattes les cartes découpées dans le tissu homogène de nos récits, en conçoives d’autres, recadrées, décadrées, qui ne sont plus subordonnées aux patrons que nos routines ont mis à notre disposition. Voici nos attentes réorientées, des mondes qui auraient pu exister, les vides et les pleins redistribués; on se penche sur nos obscurités, on ouvre les yeux sur le doigt et on les ferme sur ce qu’il désigne. Combinaisons inédites qui décollent mes paupières, redonnent du jeu à ce dont je fais partie : brelans inédits et paires imprévues, qui rapatrient le trouble dans mes vues étroites, suggèrent enfin – et surtout – que la partie jouée ici relève, elle aussi, du merveilleux qu’on prête à l’ailleurs.
J’ai, sur le rebord de ma fenêtre, des images qui se chevauchent, une pierre de Patmos, un ciel, des labours, le saint Augustin de Vittore Carpaccio, un caducée, des images de vieux crépis et quelques tessons ; un moineau s’y invite parfois, sans titre, sans date, sans lieu. Ces images de la coexistence retiennent quelque chose qui déborde la raison, petits autels portatifs qui m’obligent à regarder à nouveaux frais ce qui m’entoure, me dissuadent de donner au lieu qui est le mien la forme d’un puzzle dont j’aurais à trouver la dernière pièce, mais plutôt la forme du vent dans lequel couleurs et lumière se roulent parfois en juin. Tu en témoignes, Anne-Hélène, le monde a lui aussi ses fenêtres et ses rebords, lieux de passage vers ce qui n’a pas de nom.
Il y a l’oeil qui se trouble, l’esprit qui pense, doute, s’égare, il y a mes yeux qui se ferment. Ce que nous avions cru bien établi s’est mis à trembler : nos récits font grise mine, nos représentations épousent la fumée. Le bord des choses faseye, les liens de subordination mollissent, les idées vacillent. Vertige.
Le jardin et le ruisseau qui nous enchantaient sont-ils des rêves ? Je veux y voir clair mais bute sur la dimension de mon objet. Comment éclairer ce qui ne tient aucune place, ou presque ? Quelles lentilles feront apparaître distinctement ce qui relève de mon esprit, de mon regard et du désir qu’il loge ? Quel est ce presque rien qui remue en moi, que mon corps abrite et qui fait respirer les choses ? Comment le faire voir dans sa simplicité, dans sa pureté ?
Ce rien qui tremble, respire, bouge, remue, t’a conduit, Yves, à un autre exil. Il le fallait pour donner une représentation à ce qui ne relève d’aucun lieu, pour en produire d’abord le contour, la profondeur, le relief, en examiner les variations, en figurer le jeu. Motif plongé dans un morceau de cire d’abord, organe enveloppé dans un suaire, lumière jetée dans la brouille, mots coulés dans le verre, poussière noyée dans les larmes, autant d’objets soumis au passant pour lui donner à voir son trouble. Tu lui fais voir aujourd’hui le trouble lui-même : plus de mise en scène, plus de motif, de cire ni de larme, plus de suaire, ni verre ni buée. Un seul mirage, à peine une image, celle de la lumière – qui est, disait Robert Walser, très petite –, presque rien, bientôt plus rien. Mais un rien qui tremble, étend son empire bien au-delà du domaine qui lui a été attribué, comme une poignée de galets jetés dans l’étang et dont d’immatérielles ondes répercutent la force jusqu’à l’horizon, arcs de cercle, cercles, arcs-en-ciel.
L’iris, – celui de notre oeil –, est tout à la fois l’objet et l’image de ce trouble rendu à lui-même, qui déborde de son orbite et anime sa banlieue, il outrepasse ses limites comme ces taches de lumière projetées sur l’écran noir de nos paupières et qui s’en échappent plus vite encore lorsqu’on veut les retenir. Tu as su, Yves, donner au trouble qui agite notre esprit une image, avant d’en donner – le rendez-vous est pris – une ultime figuration sans dimension. On peut espérer qu’un jour les deux attributs de l’être ne fassent qu’un, sans qu’on ait besoin de renoncer aux inestimables profits que nous a apportés ce détour : la soif et la houle.
Que nos vies relèvent du rêve ou de la réalité, je n’en sais trop rien, mais je fais le pari que la seconde recèle les propriétés du premier, et que celui-ci ne cesse de déborder de son lit pour arroser celle-là qui s’y abreuve.
Avant que ces mots ne me pèsent, je vous laisse, je rentre à la maison, comme l’enfant à la fin de l’hiver, il pousse nonchalamment du bout du pied un morceau de glace oublié sur les bords du chemin. Il n’en reste rien lorsque la porte se referme derrière lui.
Finalement je ne serai pas passé à côté du printemps. Demain, une lentille d'eau poussée par le vent fera frémir le miroir de l’étang, la brise agitera les feuilles du tremble et les lèvres des iris, et je penserai une fois encore à vous. Car nous n’en avons pas terminé. Priés de rejoindre l’arrière de l’embarcation, nous tiendrons nos promesses, nous poursuivrons notre route solitaire, ensemble, la main sur le safran dans une nuit piquée d’or.
Vous l’aurez compris, ceci n’est qu’un poème qui dit la confusion que j’éprouve lorsque les exigences de l’esprit croisent celles de la matière, et le bonheur qui me traverse lorsque les pinces du serre-joint s’écartent et que je parviens à entendre derrière le rideau de la pluie un oiseau qui chante.
Corelli/ Sonata
#1 In D - 4. Adagio | #2 In B - 1. Grave
#4 In F - 1. Adagio | #4 In F - 4. Adagio
#5 In G - 3. Adagio | #6 In A - 1. Grave
Jean Prod’hom
ANNE-HELENE DARBELLAY
YVES ZBINDEN
Caput variationis est positio certarum partium

Une vie pour occuper puis céder sa place
et remettre à ceux qui viennent
un insaisissable secret









Marche en plaine

Grande traverse de Fey au Riau
sans précaution
presque nus
Jean Prod’hom
Priorité

Mon appareil photo est le seul
à me le demander encore
priorité à l’ouverture ou à la vitesse
Jean Prod’hom
Amitié (7)

Que nos vies relèvent du rêve ou de la réalité, je n’en sais trop rien, mais je fais le pari que la seconde recèle les propriétés du premier, et que celui-ci ne cesse de déborder de son lit pour arroser celle-là qui s’y abreuve.
Avant que ces mots ne me pèsent, je vous laisse, je rentre à la maison, comme l’enfant à la fin de l’hiver, il pousse nonchalamment du bout du pied un morceau de glace oublié sur les bord du chemin. Il n’en reste rien lorsque la porte se referme derrière lui.
Finalement je ne serai pas passé à côté du printemps. Demain, une lentille d'eau poussée par le vent fera frémir le miroir de l’étang, la brise agitera les feuilles du tremble et les lèvres des iris, et je penserai une fois encore à vous. Car nous n’en avons pas terminé. Priés de rejoindre l’arrière de l’embarcation, nous tiendrons nos promesses, nous poursuivrons notre route solitaire, ensemble, la main sur le safran dans une nuit piquée d’or.
Vous l’aurez compris, ceci n’est qu’un poème qui dit la confusion que j’éprouve lorsque les exigences de l’esprit croisent celles de la matière, et le bonheur qui me traverse lorsque les pinces du serre-joint s’écartent et que je parviens à entendre derrière le rideau de la pluie un oiseau qui chante.
Jean Prod’hom
Amitié (6)

Il y a l’oeil qui se trouble, l’esprit qui pense, doute, s’égare, il y a mes yeux qui se ferment. Ce que nous avions cru bien établi s’est mis à trembler : nos récits font grise mine, nos représentations épousent la fumée. Le bord des choses faseye, les liens de subordination mollissent, les idées vacillent. Vertige.
Le jardin et le ruisseau qui nous enchantaient sont-ils des rêves ? Je veux y voir clair mais bute sur la dimension de mon objet. Comment éclairer ce qui ne tient aucune place, ou presque ? Quelles lentilles feront apparaître distinctement ce qui relève de mon esprit, de mon regard et du désir qu’il loge ? Quel est ce presque rien qui remue en moi, que mon corps abrite et qui fait respirer les choses ? Comment le faire voir dans sa simplicité, dans sa pureté ?
Ce rien qui tremble, respire, bouge, remue, t’a conduit, Yves, à un autre exil. Il le fallait pour donner une représentation à ce qui ne relève d’aucun lieu, pour en produire d’abord le contour, la profondeur, le relief, en examiner les variations, en figurer le jeu. Motif plongé dans un morceau de cire d’abord, organe enveloppé dans un suaire, lumière jetée dans la brouille, mots coulés dans le verre, poussière noyée dans les larmes, autant d’objets soumis au passant pour lui donner à voir son trouble. Tu lui fais voir aujourd’hui le trouble lui-même : plus de mise en scène, plus de motif, de cire ni de larme, plus de suaire, ni verre ni buée. Un seul mirage, à peine une image, celle de la lumière – qui est, disait Robert Walser, très petite –, presque rien, bientôt plus rien. Mais un rien qui tremble, étend son empire bien au-delà du domaine qui lui a été attribué, comme une poignée de galets jetés dans l’étang et dont d’immatérielles ondes répercutent la force jusqu’à l’horizon, arcs de cercle, cercles, arcs-en-ciel.
L’iris, – celui de notre oeil –, est tout à la fois l’objet et l’image de ce trouble rendu à lui-même, qui déborde de son orbite et anime sa banlieue, il outrepasse ses limites comme ces taches de lumière projetées sur l’écran noir de nos paupières et qui s’en échappent plus vite encore lorsqu’on veut les retenir. Tu as su, Yves, donner au trouble qui agite notre esprit une image, avant d’en donner – le rendez-vous est pris – une ultime figuration sans dimension. On peut espérer qu’un jour les deux attributs de l’être ne fassent qu’un, sans qu’on ait besoin de renoncer aux inestimables profits que nous a apportés ce détour : la soif et la houle.
Jean Prod’hom
Amitié (5)

Il y a d’un côté l’oeil qui se trouble, l’esprit qui pense, doute, s’égare ; il y a de l’autre le monde dont nous sommes les hôtes et dont nous peinons à saisir l’infinie richesse. Nous avons voulu en avoir le coeur net, interminable collecte, mise bout à bout des fragments du monde, punaisés dans des boîtes sous l’empire du langage. Il a fallu déchanter, celui-ci tient en laisse ce qu’on croyait tenir dans nos mains, notre mémoire se révèle insuffisante et nous demeurons muets devant le miracle de cette coexistence. Inutile de le déplorer.
Il a fallu, Anne-Hélène, t’exiler, rejoindre d’autres continents, laver ton esprit à leurs eaux pour que, après un long détour, tu rebattes les cartes découpées dans le tissu homogène de nos récits, en conçoives d’autres, recadrées, décadrées, qui ne sont plus subordonnées aux patrons que nos routines ont mis à notre disposition. Voici nos attentes réorientées, des mondes qui auraient pu exister, les vides et les pleins redistribués; on se penche sur nos obscurités, on ouvre les yeux sur le doigt et on les ferme sur ce qu’il désigne. Combinaisons inédites qui décollent mes paupières, redonnent du jeu à ce dont je fais partie : brelans inédits et paires imprévues, qui rapatrient le trouble dans mes vues étroites, suggèrent enfin – et surtout – que la partie jouée ici relève, elle aussi, du merveilleux qu’on prête à l’ailleurs.
J’ai, sur le rebord de ma fenêtre, des images qui se chevauchent, une pierre de Patmos, un ciel, des labours, le saint Augustin de Vittore Carpaccio, un caducée, des images de vieux crépis et quelques tessons ; un moineau s’y invite parfois, sans titre, sans date, sans lieu. Ces images de la coexistence retiennent quelque chose qui déborde la raison, petits autels portatifs qui m’obligent à regarder à nouveaux frais ce qui m’entoure, me dissuadent de donner au lieu qui est le mien la forme d’un puzzle dont j’aurais à trouver la dernière pièce, mais plutôt la forme du vent dans lequel couleurs et lumière se roulent parfois en juin. Tu en témoignes, Anne-Hélène, le monde a lui aussi ses fenêtres et ses rebords, lieux de passage vers ce qui n’a pas de nom.
Jean Prod’hom
Amitié (4)

Il y a un livre dont on ne tourne pas la page, c’est le livre qu’on écrit ; vous avez continué le vôtre, comme d’autres le leur, séparément, en des lieux qui se côtoient, se frôlent ou s’emboîtent. Et un jour, par la grâce de l'amitié, on se retrouve, avec dans la poche une ou deux choses qu'on a ramassées ou bricolées, qu’il faut bien déposer quelque part si on veut repartir les mains et l’esprit libres. On organise une fête à l’occasion de laquelle on tremble un peu, non pas tant parce qu’on douterait de la valeur de ce qu’on a réalisé, c’est trop tard, mais parce que les amis seront là. Je retrouve derrière vos visages parcheminés par les ans ce qui demeure, on évoquera nos errances et nos rencontres. Prenez bien soin de vous, je prends soin de ce que vous laissez, il contient ce que vous y avez mis, c’est tout ce que je possède.
Yves, Anne-Hélène, lorsque vous êtes venus me trouver au Riau, vous aviez déjà mis la main sur la forme que prendrait cette exposition. Il aurait été vain de vouloir combler ce gouffre que les années ont creusé entre vos deux rives. Vous aviez le sourire, heureux d’avoir trouvé le dispositif qui réunirait ce qui vous sépare, sans que jamais les images de l’un mettent celles de l’autre sous tutelle. Pas question donc d'ajouter quoi que ce soit à ce qui tient debout tout seul.
En commençant par l’autre bout, en me rappelant les fidélités que génère l’amitié, me sont apparues très clairement et très distinctement les deux directions qui se sont offertes naguère à vous, à nous, sans que nous le voulions : à toi l’oeil, à toi le monde; à moi, et je vous en remercie, une carte blanche.
Je crois au fond ne m’être jamais départi du dualisme de Descartes. La relation du sujet pensant aux objets et à l’étendue qui les contient demeure l’une des énigmes les plus profondes de notre temps. Nous n’en sommes pas sortis, invités désormais à réexaminer la relation que pourrait prendre ces deux attributs de l’être, dans les domaines qui nous sont propres – celui du langage, celui des images –, pour mieux apprivoiser cette énigme qui nous a condamnés, après nous avoir libérés, à claudiquer.
Jean Prod’hom
Amitié (3)

Il ne suffit pas de mettre la main, un jour, sur une veste trop courte, des pantalons trop longs, une canne et un chapeau melon, de se laisser pousser une moustache pour devenir le héros des Temps modernes. Les légendes ignorent les échafaudages qui ont présidé à leur édification : elles ne disent rien du temps long, de la fidélité, du chemin qui, d’énigme en énigme, trouve sa direction.
Vasco et Pablo sont des amis d’enfance, dans la force de l’âge. Ils quittent Belem à bord d’une caravelle, avec dans la poche les recommandations d’Henri le Navigateur ; les deux embarcations descendent l’estuaire flanc contre flanc. Vasco jette un coup d’oeil sur la rive gauche du Tage, du côté d’Alcochete où il laisse sa famille, mais aussi les corniers et les gerboises qui le ravissent depuis qu’il est enfant. Pablo scrute de son côté la rive droite, les magasins du roi et les ateliers de construction où travaille son père. Les deux amis sont en route pour la côte ouest de l’Afrique. Mais sitôt la barre de l’océan franchie, voici que les caravelles divergent d’un rien; au large de Cascais, les amis se perdent bientôt de vue : un monde finit par les séparer.
Des nombreux voyages qu’ils feront, Vasco ramènera des portrait d’oiseaux, en particulier ceux de l’île d’Arguin ; Pablo des croquis des embarcations observées, notamment celles de l’archipel des Bijagos. Pourquoi cet écart, nul ne le sait, un battement d’aile suffit à donner une orientation à ce qui n’en avait pas.
Chacun pilote son embarcation de l’arrière, qu’il soit dans un verre, un lac ou la mer. Certains ont le courage de la pousser là où les portulans manquent, ils en dressent alors un de fortune pour ne pas se perdre, pierres immatérielles sur lesquelles ils vont et viennent immobiles. Je vous aperçois sur vos coques de noix coupant l’horizon ; vous voir me donne du courage. Celui qui ignore l’amitié et la fidélité ne comprendra rien de la parenté de ce qui sépare et unit.
On ne sait pas à quoi tout cela rime et à quoi bon on le fait, mais on le fait jusqu’au bout. On diffère le terminus aussi longtemps que possible ; de fil en aiguille quelque chose se met en place, quelque chose qui était là bien avant qu’on s’en mêle, quelque chose qui nous ressemble.
Jean Prod’hom
Offrir une assiette

Offrir une assiette aux morceaux oubliés
de la beauté
du monde
Jean Prod’hom
Amitié (2)

Souvenez-vous, nous étions convaincus que l’homme filait du mauvais coton et que nous avions été désignés pour le remettre sur le bon chemin. Nous étions jeunes et souhaitions changer le monde, obtenir du même coup ce qui nous manquait et que nous avaient promis nos prédécesseurs, l’obtenir immédiatement, sans que nous sachions exactement quoi. (Nous n’en savons guère plus aujourd’hui.)
Nous voulions ainsi nous donner une chance d’accéder à cet autre lieu qu’alimentaient des philosophies qu’on baragouinait avec l’autorité des gens pressés. On avait entendu, au coeur même de leur doctrine s’éveiller celui qu’on n’était pas encore, avec lequel et pour lequel on était prêt à agir, qui nous mènerait à cet ailleurs auquel on comptait bien goûter un jour. Ce désir trouble qui nous habitait, sans objet ou presque, ou satisfait par le premier venu, ne nous a jamais quittés.
Nous avons alors posé de petites mines, fait bourgeonner des mots simples, prononcé des formules incantatoires, conçu des poèmes bâtards. Bien peu lorsqu’on y songe ; mais nous avons eu la chance, ce faisant, de nous rencontrer et de marcher ensemble.
Nous avons dans le même temps appris que, même seuls, nous ne sommes pas seuls, ou que nous le sommes avec ceux qui nous accompagnent lorsque nous sommes loin d’eux. On joue toujours à l’intérieur de soi une partie à deux, l’un est soi, l’autre est foule.
Je me souviens de nos virées et de nos rires, de nos excès et de nos insouciances. Penser que nous avons un jour abandonner la partie serait se méprendre, nous avons réinvesti la force qu’on dilapidait dans le désert sur des chemins plus étroits, sans autre adjuvant que l’honnêteté de qui ose l’aventure, en accueillant aussi, à l’intérieur de celle-ci, l’obstacle contre lequel on avait buté et dont on ne voulait jusque-là rien savoir.
Vieillir évidemment change la donne, pas tellement parce qu’on n’y croit plus, mais au contraire parce qu’on y croit davantage et qu’on devine avec toujours plus d’acuité que ce qui aurait pu nous combler est précisément ce qui nous aura portés. Nous avons poursuivi chacun de notre côté, loin des groupes et des poisons qu’ils distillent, réconfortés par l’amitié et ses vertus sans lesquelles nous aurions été bien incapables de prolonger nos aventures solitaires. J’ai avancé avec vous, seul et sans béquilles.
Jean Prod’hom
Attente

Prolonger indéfiniment les préparatifs
prendre mille précautions
ne jamais en venir à quoi au fait
Jean Prod’hom
L'amitié (1)

Le soleil est revenu, l’herbe a poussé, il me faudra tondre. Je suis passé ce matin près de l'étang, les iris vont s'ouvrir bientôt et faire voir leurs délicats arcs-en-ciel. Je crains toutefois que le bouclement de l'année scolaire, la virée à Orgevaux, le voyage aux Eoliennes et les deux livres auxquels je dois mettre un point final ne me tiennent loin du jardin et me fassent manquer l’éclosion de ces fleurs qui me ravissent depuis longtemps déjà. Il nous faut trop souvent consentir à renoncer à ce qui nous entoure et que nous chérissons ; il sera soudain trop tard, il ne nous restera que quelques regrets pour nous consoler, quelques images, quelques souvenirs, et l’amitié.
Car au fond il s'agit bien de cela, prolonger ou faire revenir ces instants qui nous font signe et à côté desquels on passe, condamnés que nous sommes, pour vivre, à nous détacher de l’immédiat en taillant des marches au fil du temps, en nous promettant au dedans qu’on ne nous y reprendra pas et qu’on recomposera sur nos claviers, plus tard, ce qui était lorsqu’on n’y était pas, songeant au bonheur que ces instants auraient pu nous apporter et qu’ils nous offrent tandis que, écrivant musique et cadence, nous ne l’espérions plus.
J'ai pris quelques photos des iris dans leur étui et conduit Louise à Lucens pour la fête du cirque, Lili fait du cheval et Arthur du vélo. A la fin, je le sais, le vent nous emportera, on ne laissera à ceux qui viennent que les quelques brimborions qu'on aura cru bon ne pas jeter, une fleur qui s’incline, quelques tercets, des photographies, les peintures des amis et, mêlé à l’intraitable beauté du monde, un peu du trouble qui nous habite.
Jean Prod’hom
D'autre part

Il saisit dans ce que j’ai fait
ce que je n'y ai pas mis
me voilà soulagé
Jean Prod’hom
Présomption

Je ferais je crois
un excellent fou du roi
à qui m’adresser
Jean Prod’hom
L’éternel retour du même

L’éternel retour du même
personne ne le nie
peu s’en satisfont
Jean Prod’hom
Syllogomanie

Bientôt plus de place aux archives
va falloir faire l’économie
de l’avenir
Jean Prod’hom
Eh ! patate

Ce qui se joue
dans mon rétroviseur
me donne le vertige
Jean Prod’hom
Construire

Construire solidement ses jours
ne pas oublier les arcs de décharge
une seule porte suffit
Jean Prod’hom
Ne cours pas après l'impossible

Tu ne seras définitivement guéri que
lorsque tu comprendras qu’il ne s’agissait
que d’une rémission
Jean Prod’hom
La Cerjaule

Se détacher
en taillant les marches
qui feront entendre musique et cadence
Jean Prod’hom
Poursuite du vent

Tu te trouves là sans savoir ni comment ni pourquoi
alors tu te penches et rêves à ce qui était
lorsque tu n’étais pas
Jean Prod’hom
Vertus des petites colères

Commenter s’abstenir
grogner c’est du même
je soutiens les vertus des petites colères
Jean Prod’hom
Inversion des pôles

On s’avise mais trop tard
la folie qui a porté l’homme à sortir de son réduit
le rapatrie aujourd’hui au pays des punaises et dans sa nuit
Jean Prod’hom
Kouzma confirme à Zurich

Il est 9 heures 30, c’est dimanche. Quelques cyclistes passent la tête dans le guidon, le Hallenstadion disparaît derrière le reflet des vitres de la Sunrise Tower. Silence. On sent pourtant que quelque choses se prépare, des gens endimanchés surgissent d’on ne sait où et rejoignent en silence les collectrices qui les conduisent sur le seuil de l'église réformée d’Oerlikon – le pasteur les y attend – ou sur celui de l'église catholique romaine – s’y presse une grappe de premiers communiants. Comme souvent le dimanche, les mondes se côtoient sans jamais se toucher. D’ailleurs, un autre rassemblement se prépare au même instant à un jet de pierre des deux églises. Les cloches sonnent à tue-tête, il est 10 heures.

Michaël Repond chez Motorex
On a quitté le colza et les prés pour le bitume, c’est un peu moins champêtre qu’à Ropraz mais il fait aussi soleil. Tous les coureurs se sont retrouvés ce dimanche 25 mai à 8 heures, poignée de main, quoi de neuf ? Ils se connaissent tous, ont grandi ensemble, se croisent chaque nouvelle année au sommet d’obstacles toujours plus importants, les nouveaux venus regardent les petits d'hier comme des héros.
Les traits sont tirés, six zones à parcourir, à trois ou quatre reprises selon les catégories, dans le chaudron de la plus vieille installation sportive encore en usage en Suisse : le vélodrome d’Oerlikon où va se dérouler la seconde manche de la Swiss-Cup de trial 2014. Repérage du parcours un croissant à la main, Jean-Daniel Savary, l’entraîneur de l’équipe suisse et du club de Moudon, accompagne les coureurs qui le souhaitent dans leur reconnaissance des zones. Un responsable vérifie le traçage, les difficultés, mesure les dangers ; au fond du vélodrome on essaie les micros. Le speaker appelle enfin les élites, les masters et les juniors, qui croiseront les poussins et les benjamins dans les zones 10 et 12. Ce mélange, c’est le beau côté de la Swiss-Cup de trial.
On s’attendait aujourd’hui à ce que ceux qui ont tenu le haut du pavé à Ropraz confirment à Zurich ; les pilotes du Passepartout de Moudon l’ont fait en partie ; en partie seulement puisque Brian Allaman, blessé, n’a pas pu confirmer chez les Elites sa première place ; mais Tom Blaser, tout neuf dans la catégorie reine, a obtenu son premier podium (3ème), une catégorie dans laquelle Steve Jordan (12ème) continue à faire ses gammes. Le junior Romain Bellanger (6ème), blessé en cours de compétition, n’a pu non plus être en mesure de confirmer son succès d’il y a quinze jours, Loïc Rogivue a obtenu une belle 5ème place.
Chez les Cadets, les Allemands qui se sont invités à Zurich montent sur les deux plus hautes marches du podium, dans une catégorie où Arthur Prod’hom confirme sa première place de Ropraz ; il termine 1er Suisse, empoche 30 points et empêche le troisième Allemand de faire main basse sur nos terres. Tom Selz (15ème) progresse mais la concurrence est rude.

Kouzma Rehacek, zéro pénalité dans la zone 6
Les cinq Benjamins du Passepartout réalisent un beau tir groupé ; il ne manque pas grand chose pour que Michaël Repond (7ème) et Kilian Steiner (9ème) montent sur le podium ; pas grand chose non plus pour que Colin Novello (15ème), Mathieu Habegger (16ème) et Théo Dal Ben (17ème) s’en approchent. Idem chez les Poussins : Jules Morard obtient le 13ème rang, Theo Benosmane (4ème) termine à deux points du podium.
Il faut pourtant d’ores et déjà les avertir qu’ils auront fort à faire. Il y a en effet un petit gars qui monte chez les Poussins, il n’a pas dix ans et a déjà gagné la manche de Ropraz. Deux fois par semaine Kouzma vient du pied du Jura pour s’entraîner dans le Jorat. Les autres jours il roule à Baulmes, sur des palettes et des traverses de chemin de fer, le vade-mecum du trialiste. Tous ces efforts ont visiblement porté leurs fruits : un seul point de pénalité à Zurich, si bien qu’il lève pour la seconde fois le trophée du champion. Kouzma, vous ne le manquerez pas dans la foule, il parle russe avec l’homme qui l’accompagne, c’est son père. Né dans le Caucase, il est arrivé il y a une quinzaine d’années de Saint-Pétersbourg, où il a fait ses études, avec une petite bibliothèque dans la tête. On a parlé de Dostoïevski et de Tolstoï sur le banc de la zone 6. Le papa m’a confié que son fils rêvait comme lui du Caucase. Il rêve peut-être aussi de la course prochaine qui aura lieu fin juin à Tramelan.

Bravo Kouzma !
Jean Prod’hom
Texte partiellement repris et modifié dans « La Broye »
Texte publié dans « Le Journal de Moudon » et « Le Courrier Lavaux | Oron »
Ce qui aurait pu le combler

L’homme vit de différer ce qu’il rejoindra à la fin
ne s’avisant pas toujours que ce qui aurait pu le combler
est précisément ce qui l’aura porté
Jean Prod’hom
J'aime la dépression

J'aime la dépression qui revient chaque dimanche
les mondes qui s'y côtoient
sans jamais se toucher
Jean Prod’hom
Passage de la mer Rouge

Deux douzaines de baronnets annoncent continument ce qui est juste et bon
écartent d’un trait les eaux de la mer Rouge
corps glorieux à la poupe de leur vaurien monté sur des roulettes
Jean Prod’hom
Jurisprudence

Monsieur c'est vrai
qu'un jour on n'aura plus le droit
de faire des photos du lac
Jean Prod’hom
Lemme 13

Au prétexte que la pilule est amère,
on les voit user de séductions auprès de ceux à qui il conviendrait précisément de faire voir qu'il est possible de ne pas y succomber sans cesse.
En réalité les maîtres n'en savent rien et sont victimes de leurs propres pièges, exilés, comme ceux dont ils ont la charge, de la connaissance qui leur manque.
Ils sourient, copinent ou cabotinent, bien décidés à protéger le château de sable, dont ils sont devenus les barons replets, de l'extraordinaire profusion du monde.
Jean Prod’hom
Rappel

La connaissance est le seul vrai obstacle
rencontré par le maître dans sa volonté
de mettre ses élèves sous tutelle
Jean Prod’hom
Via Cittadella

Plus de serre-joint
la nuit s'engouffre
un oiseau s'y glisse
Jean Prod’hom
Ça tient

En haut d'innombrables moineaux
dessous une couche de pluie
tout autour un invisible serre-joint
Jean Prod’hom
Madonna del Sasso

Il a quinze ans aime farouchement le sport
athée dit-il en fermant les yeux
l'esprit saint n'est décidément pas tombé bien loin
Jean Prod’hom
Brione

Cuivre et indigo
mêlés au torrent
gneiss passé à la verge des prés
Jean Prod’hom
Lac Majeur

Fin de leur partie d'échec
trente ans qu'ils viennent au camping
en voilà deux qui ont appris la durée
Jean Prod’hom
En toutes lettres

La terre tourne le dos
au bavardage
gratitude
Jean Prod’hom
La Léchère

Le vent remonte la Léchère
barbes d'orge
dessous violets
Jean Prod’hom
Pandore

La boîte était si belle que
personne ne songea à l’ouvrir
on raconte qu’elle contenait des reliques foie rate et poumons
Jean Prod’hom
Traité de ponctuation

Aller et venir de virgule en virgule
point-virgule pour faire le point
point on reprend à zéro
Jean Prod’hom
Riant-Mont

Hegel demande son chemin
devant chez Zappelli
personne ne lui répond le temps s’arrête
Jean Prod’hom
Claquet

Des petites mines qui éclatent
Un mot qui bourgeonne
Des poèmes qui ratent
Jean Prod’hom
Passe encore

Passe encore celle du velcro
celles du calcul infinitésimal et du paratonnerre
mais celle des anges
Jean Prod’hom
Si l’efficacité d’un aphorisme

Si l’efficacité d’un aphorisme est à mettre en relation
avec la brièveté de son expression et la profondeur de son propos
la Recherche du temps perdu n’en est un qu’à moitié réussi
Jean Prod’hom
Pluralité des mondes

Pierre est mort il y a une semaine je l'ai appris ce matin
qu’a-t-il donc fait pendant tout ce temps
et moi dans quel monde me suis-je égaré
Jean Prod’hom
« Atelier contemplatif »

Dans la nasse
dans la passe
piégé et consentant


Jean Prod’hom
Tôt ou tard

Condamnés à rejoindre l'arrière de l’embarcation
que leurs enfants ont quittée un jour
ils poursuivent la main sur le safran dans une nuit piquée d’or
Jean Prod’hom
En marchant

Donner en marchant
un rythme à sa lassitude
qui bientôt s’éloigne en trottinant
Jean Prod’hom
Epatante jeunesse

Kilian Steiner
Il n’en a rien été et les efforts des bénévoles ne sont pas tombés à l'eau. Le vent d’ouest a forci et chassé les nuages si bien que le soleil était de retour quand la course a démarré; on a vu alors le public débouler de partout, de Mézières, Moudon, Oron et Corcelles venus encourager leurs champions; mais aussi du Tessin, de Zurich et du Jura, même des îles britanniques, on s’est mis à parler dans toutes les langues. Pour fêter ce début de saison, un second soleil, le jaune des fleurs du colza a clairé toute la journée, il a voulu être de la partie en prenant deux semaines d’avance de sorte que, le soir venu, tout le monde a fait ses comptes le sourire aux lèvres, même les mères dont c’était la fête et que les organisateurs ont souhaité honorer en leur offrant un coeur.
Magnifique spectacle ! Une infirmerie que personne n’a eu l’occasion de visiter et des coureurs qui ont tutoyé sur leur vélo les quelques rares nuages joufflus qui filaient à l’est. Pas une goutte d’eau. Ah! si, j’oubliais, une belle averse à 16 heures, il fallait bien annoncer d’une manière ou d’une autre que la course allait se terminer.
Première course officielle pour Kilian Steiner du Passepartout de Moudon; il vient des Tavernes et ne roule que depuis une année et demie; il termine à la cinquième place, tout près du podium. Ses parents lui ont ménagé dans un coin de leur jardin un espace pour progresser; le gamin est aussi un assidu des entrainements et ne ménage pas ses efforts; ses parents sont fiers de lui, ses entraîneurs aussi. Il faut dire que le trial est une dure école, on n’y règle pas les difficultés des verbes rater, tomber, recommencer, douter, espérer en recourant à des tableaux de conjugaison.
Bravo à toute l'équipe du Passepartout de Moudon et à leurs entraîneurs! On manque de place pour évoquer ici toutes les satisfactions de cette journée, mais on signalera la brillante performance de Brian Allaman qui détrône les cadors du pays dans la catégorie reine, celle des Elites, dépassé seulement par un Britannique en visite dans notre pays. On mentionnera aussi les premières places de Romain Bellanger des Thioleyres dans la catégorie des Juniors, d’Arthur Prod’hom de Corcelles-le-Jorat dans celle des Cadets et celle de Kouzma Rehacek de Baulmes dans celle des Poussins. Le résultat d’ensemble du club de Moudon est remarquable, il annonce un beau printemps.
Rendez-vous dans quinze jours à Oerlikon-Zürich pour la seconde manche de la Swiss Cup Velo-Trial. On vous tiendra au courant.
Jean Prod’hom
Un souvenir de Solférino

Oublié l’effroi
une stèle de marbre blanc se dresse à la croisée du transept
les draps lavés sèchent dans une salle du musée
Jean Prod’hom
Fête des mères et du trial à Ropraz

TRIAL SWISS CUP La première manche a lieu ce dimanche 11 mai à Ropraz.
Une bonne semaine aura été nécessaire pour réaliser les 12 zones qui seront proposées aux 70 trialistes qui vont débarquer sur les rives de la Bressonne le 11 mai prochain. Le comité et les bénévoles sont à pied d’oeuvre, travaillent sans relâche depuis plusieurs semaines déjà. Les entreprises de la région ont été généreuses; sans elles une telle manifestation n’aurait jamais pu être organisée.
Après la parenthèse de l’année dernière sur la Place d’armes de Moudon, la compétition reprend ses quartiers sur le domaine de Jean-Daniel Savary. Le spectacle promet d'être impressionnant. Les meilleurs pilotes de Suisse seront au rendez-vous de cette 29ème édition de la course de Ropraz dans chacune des catégories, Poussins, Benjamins, Minimes, Cadets, Juniors et Elites.
Une zone d’initiation et des vélos de trial seront mis à la disposition du public. Un espace couvert est prévu pour le public, qu'il soit connaisseur ou curieux, qu’il vente ou qu'il fasse grand soleil. Mais aussi de quoi apaiser son gosier et faire taire son estomac : jambon, grillades, crêpes, glaces. Venez nombreux, une telle manifestations manquerait son but si vous n'étiez pas là, la fête sera belle.
PS
Le 11 mai, c'est Fête des mères ! Les organisateurs ne les ont pas oubliées, ils ont prévu un petit présent à leur attention. Mais ils n'ont pas oublié non plus les enfants et les adultes qui le sont restés : un ballon à air chaud emportera tous ceux qui auront le courage de quitter le plancher des vaches pour voir cette belle journée d’un peu plus haut.
Retrouvez les informations sur le site www.trial-moudon.ch
Jean Prod’hom
Texte publié dans « Le Journal de Moudon » et « Le Courrier Lavaux | Oron »
Bois-Mermet

Condamnés à se satisfaire
de ce qui leur appartient
écartés de ce qui seul nourrit
Jean Prod’hom
Cyclamen

Un battement d’aile suffit parfois
à donner une orientation à celui qui s’est perdu
dans ce qui n’en a pas
Jean Prod’hom
Equanimité

On l’atteint parfois
lorsqu’on parvient à écarter sans les brusquer
ce qui aurait pu être et ce qui n’est pas
Jean Prod’hom
Ce n’est qu’une image

Ce n’est qu’une image qui s’en va à tombeau ouvert
le bleu du lin mêlé aux longs cils du seigle
aux pavots et au vent
Jean Prod’hom
Ici au moins leur peine n'aura pas été vaine

Ils emmuraient leurs secrets
jetaient des bouteilles à la mer et dans le ciel
sans qu’aucun œil n'y pût rien découvrir de suspect
Jean Prod’hom
Pssst

Au salon du livre
un peu trop de livres
mais François Jasmine Daniel et Odile Denise et Pascal
Jean Prod’hom
Un milan

Un milan a jeté l’ancre
dans les quartiers-sud de notre ciel
on se réjouit qu’il nous ait choisis et de ce qu’il écrit
Jean Prod’hom
Mai

On a remisé les puzzles au fond des armoires
dehors aucune pièce ne manque
les couleurs et la lumière se roulent dans l’herbe de mai
Jean Prod’hom
Avec Robert Walser

J'ai croisé Robert Walser tout près du Dählhölzli
il longeait un joli canal sous les frênes qui bourgeonnaient
la viorne obier et l'aubépine étaient en fleurs
Jean Prod’hom
Jour de pluie

Cuir détrempé sous la peau
plus fin qu’une coque d’oeuf
maison pleine de trous
Jean Prod’hom
En souvenir d’André
Salle du Conseil national
Jeudi 1 mai
Un groupe d’élèves défendent devant des classes de Suisse allemande une initiative populaire intitulée
Pour une mort digne et une assistance au suicide
Art. 10 Droit à la vie et liberté personnelle
2bis Tout être humain a le droit de mourir dans la dignité. 3bis Tout être humain peut bénéficier d'une assistance au suicide
A cette occasion, une élève cite un extrait d’En souvenir d’André de Martin Winkler

Jean Prod’hom
Zivilschutzanlage

Des inconnus s’étaient installés à nos portes
on a fini par les oublier
avec eux la pluie et le vent
Jean Prod’hom
La vieille

Elle avait beaucoup maigri
feignait de l’ignorer
oh ! comme elle était belle
Jean Prod’hom
Rua Augusta

C’était une rêverie
relayée par d’autres rêveurs elle m’est revenue
dotée de tous les attributs de l’évidence
Jean Prod’hom
São João

La durée
plus brève que l’instant
plus longue et plus large que l’océan
Jean Prod’hom
Enigme

C’est dans un retrait radical
que l’enfant recouvre l’identité
dont il a été dépouillé à la naissance


Jean Prod’hom
Revolução dos Cravos

Le roi Joseph à cheval
sur la place du Commerce
il y a 40 ans le général de Spinola
Jean Prod’hom
Alcochete

De l'autre côté du Tage
des vasières
un cul de sac et des merveilles
Jean Prod’hom
Cemitério Alto de São João

Oasis née du choléra
où fanent les cendres
et les fleurs artificielles





Jean Prod’hom
Azulejos

Déposer le passé et l'immatériel
au Mont-de-piété offrir l'avenir
à celui qui veut bien l'accepter





Jean Prod’hom
Nuit

L’incompréhension de Joseph
la stupeur d’Abel
l’effroi de Winnie
Jean Prod’hom
Belém

On souhaite qu'elle se dérobe
la bonne espérance
mais on a mis le pied dessus



Jean Prod’hom
Mouraria

Pays lointains
les nuages s'y rendent
un canari au balcon
Jean Prod’hom
Ligne du Tonkin

Dans le dernier wagon
du dernier train
un récit coupé de ses racines
Jean Prod’hom
Méthode

Une main lâche la rambarde
s’y accroche
l’autre balance
Jean Prod’hom
Passepartout prépare la nouvelle saison

VÉLO TRIAL Les trialistes du club de Moudon se sont entraînés à Fully.
La bise qui a soufflé dans la Broye n'a pas perturbé les coureurs du club de Moudon, qui s’étaient déplacés cette année en Valais pour leur traditionnel camp de préparation. Plus précisément à Fully, où le Moto-Club a mis à leur disposition son terrain d’entraînement, du lundi 14 au vendredi 18 avril.
Il s’est vérifié une fois encore qu’il pleut moins à Fully qu’à Alger et le soleil a brillé toute la semaine ; pas sûr toutefois que les athlètes aient eu le loisir de goûter à cet air de printemps, arpenter les vignes, se perdre sur le sentier des Follatères ou faire la sieste dans la Châtaigneraie à deux pas de laquelle ils se sont entraînés : le menu préparé par les deux entraîneurs était copieux : équilibre et sauts, endurance, force. René Meyer et Jean-Daniel Savary ont encadré tout au long de la semaine les quinze coureurs, de 9 à 17 ans, qui ont participé; chaque coureur a eu l’occasion de mettre en mots ses motivations et ses ambitions. Le soir une théorie, le rappel des règles concernant les pénalités, des jeux de société. Ah! j’oubliais, un moment de détente aussi, aux bains de Saillon!
Les coureurs et leurs entraineurs remercient le Moto-Club de Fully qui a mis à leur disposition son site naturel, mais aussi le club de trial de Bex où ils ont eu la chance de s’entraîner à deux reprises. Ils remercient également la commune de Moudon et les sponsors pour leur aide financière.
Si les coureurs ont travaillé dur, c’est parce que le début des compétitions approchent ; c’est en effet le dimanche 11 mai que Ropraz accueillera les trialistes de toute la Suisse pour la première manche de la Trial Swiss Cup. Les préparatifs vont bon train, les bénévoles ont répondu présent, c’est bon signe pour l'avenir. Les coureurs du Passepartout comptent une fois encore porter haut les couleurs de Moudon et de sa région. Pensez-y, c’est le dimanche 11 mai, à Ropraz.
Retrouvez les informations sur le site www.trial-moudon.ch
Jean Prod’hom
Texte publié dans « Le Journal de Moudon » et « Le Courrier Lavaux | Oron »
L'autre nuit

Il y a ce silence de quelqu’un qui est sur le point de parler.
Jean Grosjean, « Le silence » in : Si peu, Bayard, Paris 2001
(Difficile de faire un peu de lumière sur la cécité, il conviendrait peut-être de l’entendre à l’intérieur de nos mots et dans le silence qui les sépare, dans le vide qui donne vie à ce qu’ils désignent. On découvre soudain autre chose que ce que l’on croyait. Pénombre et nuit. Hésitation. Alors chacun cherche ses mots, lentement.)

L'aînée se tient debout, à quelques pas de la cadette, assise, qui presse les paumes de ses mains sur ses yeux.
L’AÎNEE -
Il ne faut pas pleurer


L'aînée regarde ailleurs, puis s’éloigne de quelques pas.
L’AÎNEE -
On croit comprendre,
on aurait voulu que les choses se passent autrement.
Mais les choses font ce qu’elles peuvent,
impossible de réparer ce qui a eu lieu.

On peut partager nos vies,
c’est déjà beaucoup.
J’aime la présence de Cisco,
la manière dont il écoute,
dresse l’oreille,
se tient
droit.
Je croyais qu’il habitait les profondeurs.
Voilà qu’il est devenu le miroir dans lequel se reflète le ciel.
Si tu savais ce que sa cécité m'a fait voir !

La cadette, sans regarder l’aînée qui parle, a sorti la tête de ses mains
La CADETTE -
Qu’est-ce qu’il t’a fait voir ?
Et voir quoi ?


Toujours debout, mais plus loin.
L’AÎNEE -
C’est difficile à dire.
Il m’a fait entrevoir,
je crois,
ce que je ne voyais pas,
ou mal.
La nuit surtout,
l’autre nuit,
pas la nuit noire, celle que les enfants craignent.
Non, l’autre nuit,
la nuit claire,
celle qui nous tient éveillés
dans laquelle on a les yeux
grand ouverts.
Il m’a fait voir aussi jusqu’où pouvait aller la confiance,
celle qui l’habite m’émeut aux larmes.
Tu m’entends ?
Il existe une autre nuit,
une nuit qui nous ouvre au jour,
à un autre jour.
Il existe une autre lumière,
une lumière qui éclaire ceux qui ne voient pas.
une lumière qu’ils répandent.
Il y a un mystère,
m’en montrerai-je digne ?
Faire voir ce qu’ils ne voient pas et qu’ils m’ont fait voir.

LA CADETTE -
Je ne comprends pas tout ce que tu dis,
mais j’aime la façon dont tu me parles,
ta voix dans la pénombre,
l’attention que tu me portes.
Ce que tu dis de la nuit aussi,
et du jour.
Je ne vois rien,
j’ai les paumes de mes mains sur les yeux,
mais j’entends.
J’entends
le silence
la confiance.
Alors tout devient soudain plus grand.
A la fin, on est bien obligé d’aller lentement,
n’est-ce pas?
Si on ne brusquait rien,
tout pourrait alors aller de soi.
Et on pourrait se croiser sans crier gare.
Faire les choses les unes après les autres,
lentement.
Lève,
baisse,
tourne.
Croquer une fraise, fermer les paupières, boire au goulot de la fontaine.
Tu m’entends ?

L’AÎNEE -
Le moins de mots possible
pour éviter les confusions,
c’est ça.
Te souviens-tu le soleil qui était revenu ?
Le chemin derrière Bercher, le craquement des arbres.
La joie du papillon qui nous précédait.
Près du Moulin, la Mentue dans laquelle
on avait trempé nos pieds.
Le vrombissement de l’essaim d’abeilles.
L’odeur des fleurs de l’accacia.
Le cabanon où nous devions passer la nuit.
Les rires des petites.
La patience des chevaux.
La confiance qui nous habitait.

Dis-moi !

LA CADETTE -
Et nos habits détrempés par la rosée,
t’en souviens-tu ?
L’odeur du lait chaud.
Lucie qui n’arrivait pas à faire partir le feu.
Le vent dans les pétales des coquelicots.
Nos laines chauffées par le soleil.
Colin-maillard.
Le temps qu’on voulait retenir.
Les promesses qu’on s’était faites.
La nuit qu’on n’avait pas vu tomber.
Tu m’entends ?


L’AÎNEE -
Viens !
La cadette se tourne en direction de l’aînée.


La cadette la rejoint au pas, genou haut. Comme un cheval. Elle tourne à gauche, tourne à droite, tête en-haut, tête en-bas, lentement. Elle continue jusqu’à ce que la nuit tombe.
LA CADETTE -
Dis-moi encore ce qu’on ne voit pas.

Il fait nuit.
L’AÎNEE -
Il y a le jour avant qu’il ne se lève,
la confiance,
il y a la nuit avant qu’elle ne tombe.
Il y a ce silence de quelqu’un qui est sur le point de parler.

LA CADETTE -
Encore.
Silence
Jean Prod’hom
Loi des aires

En équilibre
centrifuge et centripète
le milan royal les saules aussi
Jean Prod’hom
Perdu le nord

Impossible
de retrouver le fil
les hirondelles sont de retour
Jean Prod’hom
Jacques Drillon

La poésie qui se proclamant comme genre littéraire
s’est affranchie des signes de ponctuation
souffre plus du manque de virgules que de l’absence de points
Jean Prod’hom
Appréhension

Tu doutes de la solidité de la terre
crains le feu qui couve
ferme le poulailler et allons boire un thé
Jean Prod’hom
Il y a mieux à faire

Les salariés de l’enseignement obligatoire
colportent on le savait les vérités d’avant-hier
avec l'assurance des scientologues c’est nouveau
Jean Prod’hom
Jeu

A l’intérieur de soi
une partie à deux
l’un est seul l’autre est foule
Jean Prod’hom
Antienne

Coups d’archet sur les mousquetons de la balançoire
trilles liquides dans le tremble
un enfant et un merle aux deux bouts du pré
Jean Prod’hom
Weltanschauungen

Je l'appelle l’Escargotière
tu l'appelles le village des Italiens
autres rêves
Jean Prod’hom
Prévenant

L’enfant du pays a placé des bancs
sur tout le territoire de la commune
et bien au-delà encore
Jean Prod’hom
Clôture

Un suaire tient
le monde et nos visages
à l’abri des hommes
Jean Prod’hom
Bande à part

Dormir en plein jour
parfois
sans demander son reste
Jean Prod’hom
Travaux de printemps

Le ciel a repoussé l'horizon
les bûcherons ont éclairci les bois
reste encore à brûler mes propres dépouilles
Jean Prod’hom
Inconcevable

Inconcevable
la disparition à soi-même
ce qui fait vivre le vivant
Jean Prod’hom
Le petit peuple des oiseaux

Le petit peuple des oiseaux
fixe les limites du jour
pas un mot sur la nuit laissée au cri du seul hibou
Jean Prod’hom
En Rachigny

Poussés de l’arrière
tendus vers l’avant
l’oubli et la mémoire au pas d’amble
Jean Prod’hom
L’adolescent

L’adolescent écartait de la main
tout ce qui aurait pu l’intéresser
pas question de se mettre la bague au doigt
Jean Prod’hom
Le verrier

Le verrier est mort l’autre jour
nulle part
partout
Jean Prod’hom
Spiritualité

Les dieux sont de retour
guignent aux lisières
ils ont la gueule de bois
Jean Prod’hom
Dans les couloirs

La donzelle avait tout du tramway
lui manquait son charme
et un pantographe
Jean Prod’hom
Anxiété

Anxiété
dans le petit monde de la poésie
le vide se réduirait
Jean Prod’hom
Bascules

Le train fantôme est un souvenir
l’homme est convié désormais
de bascule en bascule à faire la grande roue
Jean Prod’hom
Carnaval

Elle s’étonne des passants
qui lui tournent le dos
un malheur les a-t-il emportés
Jean Prod’hom
Gué

Pierres immatérielles
sur lesquelles nous allons
immobiles
Jean Prod’hom
Tendre

Main lichen
joue de ton ventre
à la lisière terre meuble et bois
Jean Prod’hom
Fin de journée

Compromissions cousues de fil blanc
ravalement de façades
la belle pleure derrière les volets clos
Jean Prod’hom
Tourner le dos

Laisser libre
la porte dérobée
du théâtre intérieur
Jean Prod’hom
Près de la Chaux

Cherche près de la Chaux le bohémien
au bandeau blanc taché de sang
et la maison albinos
Jean Prod’hom
Dans les soutes

Dans les soutes de l’Achille Lauro
au trapèze d’un dériveur
ou dans la nuit sur une coquille de noix
Jean Prod’hom
Tête au vert

Les bourreaux huilent leurs chaînes
les victimes versifient
il est temps de mettre ma tête au vert
Jean Prod’hom
Avril

Cric crac des crocus
trotte et draisine
au carrousel d’avril
Jean Prod’hom
Pierre ronde

L'irréfutable déborde
la raison et baigne
son île
Jean Prod’hom
Déserts

Le silence sur lequel débouchent nos certitudes
nous met davantage en danger
que ne le fait celui auquel s’abreuvent nos doutes
Jean Prod’hom
Caresses

Lorsque la neige cède
le ventre souple et rond de la terre
plein sous la main
Jean Prod’hom
Sans issue

La clé est à coup sûr
dans la bouche
de ceux qui se taisent
Jean Prod’hom
Ce qui n'appartient à personne

Se saisir de ce qui n'appartient à personne
le lui rendre
comme une offrande
Jean Prod’hom
Quelques mots

Quelques mots
une allée de platanes
de quoi écrire
Jean Prod’hom
Fin de partie

Partie
dont on ne peut connaître le fin mot
en donnant sa langue au chat
Jean Prod’hom
Aussi longtemps

La langue nous lie
aussi longtemps
que son usage ne nous en affranchit pas
Jean Prod’hom
Belle histoire

Si rien n’a de fin c’est
peut-être parce que
rien n’a vraiment commencé
Jean Prod’hom
Mars

Le ciel se baigne
dans les flaques des labours
tapissées de boues lisses
Jean Prod’hom
Front de mer

Sur le front de mer
les illusions se mêlent
au grain
Jean Prod’hom
Objectivement

Seule manière de considérer
objectivement ses pensées
les tenir à respectable distance
Jean Prod’hom
Taille

Ne laisser au cep
qu’un seul sarment
orienté vers l’occident
Jean Prod’hom
Preuves

Jours fériés
dimanches
indiscutables preuves de l'existence de Dieu
Jean Prod’hom
Homéostasie

J’héberge deux soi
l’un se tait quand l’autre fait la sourde oreille
chacun son tour
Jean Prod’hom
Panique

Assuré de marcher sur un chemin emprunté mille fois déjà
chercher sans y parvenir les signes d’une familiarité
perdre la raison
Jean Prod’hom
Ecrire

Ecrire pour exister hors de soi
et faire dedans un peu de place
à ce qui fait défaut
Jean Prod’hom
Obligés de personne

Père et fils unis
dans l’obligation d’être à la fin
les obligés de personne
Jean Prod’hom
Les associations

Les associations
sont toujours à la fin
des associations de malfaiteurs
Jean Prod’hom
Conscience

Sur les écrans de la bonne
et de la mauvaise conscience
les mêmes larcins
Jean Prod’hom
Tirages limités

Tirages limités
encres uniques
textes illisibles
Jean Prod’hom
Innocent

Innocent
qui n’a ni fui ni désobéi
devenu bourreau obéissant
Jean Prod’hom
Jusqu’au bout

Jusqu’au bout
là où les ornières se perdent
où il n’y a plus rien
Jean Prod’hom
Tant que j’ai ma tête

Tu ne me forceras pas
tant que j’ai ma tête
qu'on ne s'acharne pas si je la perds
Jean Prod’hom
Jouer petit

Jouer petit
forcer ainsi l'enfant à prendre la main
l’obliger à se retrouver devant
Jean Prod’hom
À défaut

À défaut de prière
ramasse une pierre
et dépose-la
Jean Prod’hom
Ça tient

Ça tient
non pas que ce soit vrai ou qu’on y soit pour quelque chose
non ça tient
Jean Prod’hom
Un peu à côté

Vivre un peu à côté
dans une parenthèse
avec juste ce qu’il faut
Jean Prod’hom
Une tache de soleil

Derrière le chantier désert
le vin coule à ras bord
l’esprit fait l’accordéon
Jean Prod’hom
J’entends

J’entends le chant d’une mésange
air et brindilles
de feux réchauffés
Jean Prod’hom
Changements

Il y a bien quelques changements
les rosiers taillés
le bois livré
Jean Prod’hom
Surseoir

Surseoir
aussi longtemps que possible
sans élever de digue
Jean Prod’hom
Quelque chose

Quelque chose insiste
dans la vague que suit
ma respiration
Jean Prod’hom
Février

Bras noirs des pommiers du verger
cercles de boue nue
tout autour le pré enneigé
Jean Prod’hom
Phylogenèse

Chasseur autrefois
puis éleveur
bien élevé aujourd'hui
Jean Prod’hom
Demi-dieu

L’homme ne dépend que de l'inaccessible
pour le reste
carte blanche
Jean Prod’hom
Retrait

Décoller du trafic
en se laissant couler
comme le sable au fond du verre
Jean Prod’hom
Nuit

Ne pas faire la lumière sur tout
maintenir quel qu’en soit le prix un coin d’ombre
où déposer sa fatigue
Jean Prod’hom
Plein air

C’est la qualité de l’air qu’on respire
qui donne à nos pensées
un semblant d'allure
Jean Prod’hom
Plaie d'époque

S’en référer à la loi
pour ne pas avoir à lui désobéir
lâcheté de sous-lieutenant
Jean Prod’hom
Avancer

Avancer
à l'endroit même
où on demeure immobile
Jean Prod’hom
Ne me fie

Me tiens au courant
m'étonne de ce bazar
ne me fie qu’à ce qui penche
Jean Prod’hom
Bulletin scolaire

Six points sur douze
la gamine huit ans ne dit rien
terre d’asile
Pleure à la récré
pas de points de suture
crime contre l’humanité
Jean Prod’hom
Un mot de Grignan

N’en attendais pas tant. Reçois ce matin quelques mots de Grignan, avec une image, celle du manuscrit de l’un de ses poèmes : Les Gitans. Recto et verso de ce qui va sans remous avec et après nous.
Il y a un feu sous les arbres :
on l'entend qui parle bas
à la nation endormie
près des portes de la ville.
Si nous marchons en silence,
âmes de peu de durée
entre les sombres demeures,
c'est de crainte que tu meures,
murmure perpétuel
de la lumière cachée.
18 | XII | 53
Celui qui me confie être un vieillard, un vieillard qui ne trouve plus toujours le courage de lire puis de dire, et encore moins à celui qui somme tout n’est guère plus jeune que lui, ce qu’il pense des pages qu’il a lues et qui mériteraient un meilleur lecteur, au-delà de la passe rhétorique, souligne une fois encore que le feu n’est pas éteint. Demeurer reste le seul chemin qu’on peut faire soi-même.
Et je souris à penser, comme il me le rappelle de nulle part, que son père a soigné au Riau de Corcelles quelques bestiaux, mais que ni lui ni moi n’y étions. Ce sont ces mots au-delà de nos existences qui font transiter à la fin un peu de cette lumière cachée qui brûle sous les arbres en dehors de nos sombres demeures.
Chacun à son tour se retire, sans fermer l’oeil ni la porte à clé, laissant à d’autres ce qui est et ce qu’on a bien voulu leur confier, en les invitant à tout reprendre. Comme des ignorants.
Jean Prod’hom
Légèrement en retrait

L’homme ne précède que de quelques pas la mort qui le suit
et qui le fait tenir droit aussi longtemps qu’il vit
et qui recueille son corps lorsqu’il meurt
Jean Prod’hom
Dans le pré

La même inquiétude
mais une autre réponse à ce qui ne lui convient pas
une manière de consentir en tournant le dos
Jean Prod’hom
Becs d’acier

Becs d’acier et bambous
figés dans l’encrier
j’attends le dégel
Jean Prod’hom
L’homme prêche

L’homme prêche à journée faite
personne ne s’en soucie
pas même le désert
Jean Prod’hom
D'encre et d'huile

Les ruisseaux tracent dans la neige
de longues lettres noires
dans lesquelles se mêle un peu du bleu du ciel
Jean Prod’hom
L’insensé

L’insensé a entouré sa vie intérieure
d’une telle isolation que
plus rien n’en sort
Jean Prod’hom
Laisser l’ignorance

L’ignorance conduit là où
ni l’enfant ni vous
ne songiez vous rendre
Jean Prod’hom
Plus de murs

Plus de murs
on cherche désormais quoi mettre en tiers
pour fabriquer de l’autre autrement
Jean Prod’hom
Pris au mot

Pris au mot dans la cour des grands
quelque chose s’accroche
au goulot des fontaines
Jean Prod’hom
Deux ou trois mots

Deux ou trois des mots à boire
qui t’ont fait danser
reposent au fond du verre
Jean Prod’hom
Couper

Couper au plus court
le reste au pas
avec l’âne Balthazar
Jean Prod’hom
Sourire

Sourire à la traîne
fine lézarde où affleure
une fatigue de plomb
Jean Prod’hom
Le regard

Le regard du fratricide
celui d’Abel
la nuit des citernes
Jean Prod’hom
La boue

La boue le froid
un lait chaud
gagner ainsi son pain
Jean Prod’hom
Dedans dehors

Dedans dehors
comme chien et loup
néon dans l’obscurité
Jean Prod’hom
Erreur fatale

Erreur fatale
blocage général
l’administrateur a foutu le camp
Jean Prod’hom
Rentrée des classes

Mise en boîte
et placards au prix fort
fausses pistes et chausse-trapes
Jean Prod’hom
Les lieux de la ruse | Georges Perec

On ne saisit pas d’emblée pourquoi les amis de Georges Perec ont fait une place dans Penser / Classer aux texte intitulé Les lieux d'une ruse. Le sommaire de ce recueil tourne en effet autour de la question des classements et de leurs heureux accidents, et on voit mal comment ces réflexions de Georges Perec sur l'analyse qu'il a faite entre 1971 et 1975 se cale dans leur projet éditorial.

À moins que la panique née de la faillite de sa mémoire, dont il a été saisi lors de cette analyse et qui l’a conduit, pour ne rien oublier, à noter quotidiennement ce qui lui arrivait, et à conserver les traces matérielles de son existence qu’il triait pendant de longues heures en songeant à un classement qui remplirait chaque année, chaque mois, chaque jour de sa vie, ait suffi à motiver leur décision. A moins que, par une nouvelle ruse, il ne s'agisse de tout autre chose. Je le crois plutôt.
Georges Perec revient en une quinzaine de pages au divan sur lequel il s’est étendu trois fois par semaine pendant quatre ans, pour faire entendre ce quelque chose de très ancien et de tout à fait nouveau, dit-il, qui est advenu soudain et qui a offert un nouveau tour à sa vie, à ce qu’il a écrit et écrira ; il y a un avant et un après l'analyse. Mais ce texte il ne parvient pas à l’écrire, pas plus qu'il n’est parvenu, pendant quatre ans, à dire à l'analyste ce que celui-ci écoutait sans l'entendre, pour cette simple et bonne raison qu'il ne le lui disait pas.
Il y a à écrire ce rien, les précautions vaines, les circonstances, les jalons, les préliminaires, les ruses mises en place pour différer l'inéluctable moment d’écrire. Et c'est cette vérité que Perec est allé chercher en dehors de tout lieu, en se condamnant quatre ans durant à parler pour ne rien dire et à se taire à tort et à travers, avant que cette force de résister à soi-même ne soit entamée, lentement s’érode et laisse apparaître la vérité à laquelle il tournait le dos. L’analyse peut s’arrêter, ou se poursuivre ailleurs, quelques chose a jailli qui rejaillit non seulement dans ce que Perec écrira mais aussi dans ce qu’il a écrit.
Raconter, classer, penser sans plus considérer ces opérations comme des préliminaires à ce qui serait à dire. Le dire, c’est dit.
Jean Prod’hom
116

Se servir de nos deux yeux pour lire deux livres simultanément, ou n’en lire qu’un seul mais stéréoscopiquement, c’est-à-dire simultanément de deux points de vue différents ?
En faisant ce qu’il s’était promis de faire pour ne pas avoir à regretter un jour de ne pas l’avoir fait, ou à l’inverse en ne le faisant pas pour ne pas avoir à en regretter les conséquences, l’homme frôle la perfection.
Si tout va trop vite, accélère ; si tout va trop lentement, ralentis.
Jean Prod’hom
Se hisser dans le premier cercle du paradis

Arpente en début d’après-midi les rives du lac, de Vidy à Dorigny. Ramasse les restes d’un trésor et bois un thé à la cafétéria de l’université, il fait si beau et les étudiants semblent si jeunes. Remonte par la Maladière jusqu’au centre funéraire de Montoie.



A l’élève dont le père vient de mourir, j’aurais voulu dire que je n’avais rien voulu savoir lorsque le mien est mort, juste éprouver le vide qu'il laissait sans penser ni à lui ni à rien, et respirer un air allégé : il était donc passé. J’ai eu quelques jours durant un étrange sentiment, une espèce de soulagement et l’impression de flotter dans un milieu sans arrête, un milieu accueillant, paisible, incertain. Avec le temps j'ai vu se déposer ce qui vivait de lui en moi et qui lui venait des autres. Je regarde aujourd’hui les paysages qu’il a traversés et parcours les chemins que nous avons empruntés et que j’emprunte encore. Ailleurs avec mes enfants et lui à côté. Le monde est plein de ce que les morts n’ont pas emporté.
Il est bientôt 19 heures. Je récupère Louise, direction Moudon : monocycle, trapèze ou ruban. J’en profite pour faire quelques courses ; longues files aux caisses, on attend. Chacun cherche dedans soi un peu de ce soi qu'une journée de travail a mis de côté, la caissière sait la fatigue, elle se réserve la sienne pour tout à l’heure. Pour l’instant elle passe sans hâte le lecteur sur le code-barres de chacun des articles qui débordent des paniers, sans s’agiter, sans se troubler.
Aucun geste d’humeur, chacun attend son tour. J’attends le mien avec une curieuse impatience, celle de la saluer, et la saluant lui témoigner ma reconnaissance, sans faire étalage de l'admiration que je voue au coeur qui l'habite. Je la salue sans lever les yeux, elle non plus, elle emballe consciencieusement les 10 tulipes couleur lilas, c’est comme si quelque chose nous élevait, quelque chose de simple. On se retrouve tout là-haut un bref instant, je voudrais le voir durer : - Merci. - Merci. - Je vous en prie. - Bonne fin de journée. - Bonne soirée. C'est simple, tout simple, dire juste, juste ce qui est à dire, et se hisser ensemble dans le premier cercle du paradis.
Jean Prod’hom
Ce qui en tout lieu n'a pas de fin

Le milan là-haut n’était pas dans notre temps. Il savait ménager son vol pour mesurer la beauté de l’air. La libellule, qui n’avait pas sa force vive, se risquait à suspendre son élan et quand la buse criait, elle criait deux fois, une fois pour sa vie une fois pour autre chose que sa vie. (André Dhôtel, Le Mont Damion)
Toujours davantage, toujours plus clairement et distinctement l’appréhension qu’il va me falloir une fois encore, pour rejoindre l’espace que je partage avec mes semblables, – aligner mes pas et faire tourner la noria –, descendre du ciel aux larges anses. Sans que je n’y puisse rien. Et lorsque j’entends les pas résonner dans les couloirs, le bruit des souliers et des bottes monter du fond de la cage d'escaliers, je songe une fois encore à l’apaisement auquel le désoeuvrement m’a conduit pendant les quelques jours fériés du bout de l’an, et que cette vague humaine est sur le point de recouvrir.
Il est bien trop tard pour m'éclipser. Me reste un court instant pour consentir à payer mon dû et quitter avec le moins de regret ce que je laisse, en le dissimulant dans un pli de la mémoire, et reconnaître en guise de consolation que les principes, les artifices et les obligations sécrétés par le collectif ont permis à l’espèce de survivre en glissant de main à main ce qui non seulement assure la prolongation ou la reconduction de nos espérances mais encore, quoiqu’on en dise ou comment on le pense, ce qu'on appelle le progrès.
Et cette tension entre ce qui est au-delà de ce que je sais et de ce que je vois, qui me divise, que je l’envisage comme l’irréconciliable, que je tente de la réduire ou que je tienne la clé du passage secret qui conduit de l'un à l'autre, m’oblige aujourd'hui encore à ouvrir la porte et à accueillir ceux qui viennent après moi, non seulement pour leur remettre l’indispensable, lire, écrire, compter, mais encore pour leur rendre plus familier ce qui en tout lieu n'a pas de fin.
Qu'ils puissent un jour, sans effroi, ne pas se détourner du chant liquide du rossignol entendu tout à l’heure près du cimetière, il faisait nuit. Je me suis souvenu alors de cet autre matin, de la gare de Pully près de laquelle j’avais cru pouvoir me réfugier à l’aube, au-delà de tout. Personne ne m'avait rien dit de cet autre monde dans lequel je me trouvais soudain enfermé, avec pour seuls compagnons le chant d'un rossignol et les herbes du talus, sans savoir comment revenir au lieu qui m’avait vu naître. C’était pourtant le printemps, j’étais allé trop loin, forclos et naufragé, il m'a fallu des années pour retrouver près de chez moi les innombrables traces de l’existence de cet autre monde dont je suis enfin revenu. Un monde qu’on n’habite pas mais qui nous entoure.
Jean Prod’hom
Via sicura

Les cornes des rhinocéros exposés dans nos musées sont pour la plupart des copies. Les originales, aux vertus quasi-miraculeuses pour soigner les troubles de l'érection et qui se négocient à prix d’or, ont été sciées et remplacées par des fac-similés en résine ou en latex. Les vraies sommeillent à l’abri des malfrats dans des maisons tenues secrètes.
Depuis le 1er janvier 2014, la loi sur la circulation oblige les automobilistes à circuler de jour avec les phares allumés sur le réseau routier suisse. Le jour plongé dans la nuit d’un seul coup. Du jour au lendemain. Ni nuit ni jour.
Jean Prod’hom
Derniers honneurs

Ultime représentation à Moudon de l’Helvetia, l’un des 25 cirques qui sillonnent encore nos régions ; avant sa tournée de printemps. Les choses ont cependant bien changé ; il proposait en effet au milieu du siècle dernier un spectacle à ciel ouvert. Les circonstances - ou le mauvais sort - l’ont fait disparaître pendant une vingtaine d’années avant qu’une famille de magiciens ne le fasse ressurgir en 1975 sous un chapiteau. C’est à cette époque que le cirque a pris ses quartiers d’hiver sur les rives de la Broye. Les naissances de Julien et de David obligeront Daniel et Brigitte à concevoir de nouveaux chapiteaux, toujours plus grands. Julien est aujourd’hui le nouveau directeur, il a épousé Anaïs en 2013, une troisième génération se prépare.

Dernière représentation donc du cirque de Noël à laquelle j’ai assisté hier soir. Avec un sentiment douloureusement partagé. Admiration d’abord devant le courage de ces petites entreprises familiales traditionnelles qui ne ménagent pas leurs efforts pour survivre dans une société qui ne leur fait pas de cadeaux, admiration devant leur capacité à résister en mettant sur pied des activités sur mesure, organisation d’ateliers (catégorie Baby circus, adulte, loisir, senior, fitness), représentations privées, goûters avec les artistes.
Mais effroi également devant ces héros d’un autre temps dont les corps défaits ne connaissent pas la retraite, héros vieillis et grimaçants dans un décor décati, vendeurs à l’entracte de barbes à papa et de sachets de popcorns pour arrondir leur fin de mois, en rang serré près de la porte de sortie pour remettre à chacun d’entre nous les flyers de la dernière chance et prolonger le rêve d’enfants qui n’existent plus. Smarty et Silver ne ressemblent plus vraiment à des poneys-poneys, mais à ces poneys qu’on apercevait à l’arrière des véhicules dodelinant de la tête, la moquette est usée jusqu’à la corde, les articulations craquent, les paons ont perdu leurs plumes.
Le public a rendu les derniers honneurs sans piper mot.
Jean Prod’hom
Car au bout il y a un charme.

En collectant les dessins, les petits mots et les bricolages que nous ont offerts nos enfants tout au long de l’année, bouts de bois et de terre cuite devenus foule en désordre lorsque vient le moment de faire un peu de place au pied du nouvel an, ne serait-ce que pour y accéder, je me suis surpris à penser que leur destin ressemblait étrangement à celui des pensées que l’on met de côté chaque jour avec l’idée qu’un matin le philosophe qui sommeille en nous les jettera dans un récipient d’argent. Sur lequel il suffira de poser un couvercle d’or pour les faire mijoter à feu doux et en tirer une grande oeuvre.

A la fin le philosophe prend congé, et nous avec ; et ceux qui restent ont tôt fait d’aspirer ou de collecter ces billets qui traînent aux quatre coins de la maison pour les jeter dans la benne, comme on l’a fait naguère avec les trésors de nos enfants que l’on n’a pas voulu conserver.
Et si je pense aujourd’hui à tout cela, c’est d’abord parce que Sandra revient de la déchèterie, mais c’est aussi parce qu’une lectrice de ces billets a ajouté il y a quelques jours à l’un d’entre eux, en guise de commentaire, un extrait des Papiers collés.
Pour qu’un penseur soit intéressant, il faut qu’il ne puisse pas penser jusqu’au bout. Car il n’y a pas de bout. Il y a un charme. La pensée est enlevée, fait la roue et ruine l’ambition d’absolu. Tout est à refaire, toujours, pour un homme d’esprit. C’est pourquoi la notion de progrès ne lui convient pas. Ce ne sont perpétuellement qu’essais, tentatives, pour faire sauter la machine. Qui ne saute pas.
(Georges Perros, Papiers collés 1, L’Imaginaire, Gallimard, page 150)
La succession journalière de ces billets, quand bien même je me défends d’être un homme d’esprit, ne sont qu’essais et tentatives, pour faire sauter la machine. Et si je les dépose ici, c’est en attendant quelque chose qui ressemble étrangement à rien et parce qu’il faut bien les mettre quelque part. Georges Perros dit tout cela mieux que moi, il suffit de lire les Notes pour une préface des Papiers collés. Et les papiers eux-mêmes.
Jean Prod’hom
Il y a le dimanche qui suit le premier de l’an

Il y a le dimanche qui suit le premier de l’an
les hydrocarbures
les locomotives
les truffes
l’acquiescement
il y a les compresseurs d’ennui
les vieux treillis
les mondes auxquels ouvre l'erreur
la sainte ignorance
Jean Prod’hom
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En faisant de la mesure du temps la clef de nos valeurs d’échange, la division du travail a bel et bien été à l’origine de la multiplication de nos richesses et de nos années d’espérances. Mais elle a aussi drastiquement raccourci nos vie et nos chances d’apaisement. A mesure que l’homme s'éloigne de la sphère de ses activités marchandes, le temps en effet ralentit et se creuse.
Jean Prod’hom
Retour

Il est un peu plus d’une heure, on quitte Colonzelle. Sandra tient le volant, je prends le livre que Jil Silberstein a consacré en 1990 à Jean-Claude Hesselbarth (Âge d’Homme, 2011). Série de quatre entretiens qui se lisent d’une traite et font un peu de lumière sur cet homme qui a passé sa vie à la faire naître au coeur du noir d’encre de ses dessins et dans la danse liquide de ses peintures. Ces entretiens font entendre aussi une voix truculente, celle d’un bonhomme qui semble avoir été taillé à la hache, fait d’un seul tenant, habité par une insouciance expansive. Méfions-nous pourtant des apparences, l’homme n’est pas seul et des voix d’autrefois parlent en lui :
Je jette des gouttes de couleur très liquides qui vont se délayer et se crocher, si je peux dire, dans la couleur qui n'en est pas une. Si bien qu'il se fait, presque tout seul, un travail de la peinture dans la peinture.
Comme tous les modestes, Hesselbarth veut nous laisser croire que ses peintures sont le fruit des circonstances et du hasard. Sauf que parfois il dit tout haut son ambition : Bon, c'est quand même voulu parce que c'est moi qui gicle et que je ne gicle pas n’importe où. Avant de faire marche arrière : Quoique… Parfois je gicle bien « n’importe où », comme on dit, mais on s’aperçoit que quand on gicle « n’importe où », on ne gicle en fait pas n’importe où.
Le sage n’a rien à cacher, il dit ses secrets qui n'en sont pas, passe du noir à la couleur, du pavatex au papier à la cuve, griffe, gratte, gicle et danse.

Villars-Bramard

Cerniaz
Il y a encore dans ce livre une belle promenade sur la rive droite de la Broye, au cours de laquelle se déroule le quatrième et dernier entretien. Du côté de Cerniaz, de Villars-Bramard, et de leurs cimetières dont j’ai parlé il y a quelques semaines. Voici ce qu’en dit Jean-Claude Hesselbarth à Jil Silberstein :
C’est Villars-Bramard ! Cette entrée du village est très belle… aussi parce qu’on arrive directement de la campagne dans le village… Les beaux villages, c’est fini. Maintenant on aura de plus en plus des villages très composites, entre de l’ancien plus ou moins bien restauré et du moderne qui, en principe jure pratiquement tout le temps. Et puis alors, ce qu’il y a d’extraordinaire dans ce village, c’est qu’ils ont installé le cimetière à l’endroit le plus magnifique de la commune. C’est-à-dire que les morts, vraiment, ont droit à la vue la plus belle. Les vivants, eux, eh bien ils sont un peu plus dans une combe ; moins bien placés que les morts. Je trouve ça assez extraordinaire. Et c’est assez fréquent dans les villages vaudois que le cimetière soit à la meilleure place de la topographie générale du coin.
Tiens ! Voilà de nouveau un cimetière bien situé… Celui qu’on a vu tout à l’heure, en fait, c’est celui de Cergnat (sic). Et puis ça c’est celui de Villars-Bramart (sic)… Alors là, par exemple, c’est extraordinaire, parce qu’ils l’ont mis vraiment très loin de l’église. Et pour cause : il n’y a pas d’église à Villars-Bramart (sic)… Et puis, ils l’on mis vraiment très loin du village, dans un endroit tout à fait magnifique où on voit très bien la campagne. Alors je trouve ça assez touchant… Et puis en plus, ça signifie que chaque fois qu’on va enterrer quelqu’un, il faut marcher deux kilomètres pour arriver au cimetière. Et ça se fait généralement à pied, encore, dans les villages. En tout cas, ça se faisait autrefois à pied – jamais en voiture. Donc ça veut dire qu’on accompagne le mort. On paie de sa personne sur deux kilomètres…
On arrive en fin d’après-midi au Riau, la fine couche de neige a résisté. Je coupe des pommes et fais des pâtes. On regarde avec les enfants une émission consacrée à la foule des amateurs inconscients qui partent à la conquête du Mont-Blanc en ballerines.
Jean Prod’hom
Pierres sèches

On marche sur des chemins de terre dans la plaine des Basses Rouvières jusqu'aux Blaches, en empruntant des sections de l'ancienne voie ferrée. Sans bien concevoir le plan invisible qui unit les parcelles de vignes et de chênes, les plantations de pruniers, de pêchers et de lavande, bordées de murets souvent effondrés, de hauts murs parfois, miraculeusement conservés, déroulant leurs lignes irrégulières de pierres sèches, qui n’ont pas quitté la place que le maçon leur a attribuée naguère, une à une, épaule contre épaule, immobiles et singulières.

Je rejoins en contrebas du sentier une dame et son chien qui viennent, me dit-elle, de Valréas. Elle me fait voir comment elle et son chien travaillent au milieu des chênes ; une petite pioche lui permet de terminer à la main le travail commencé par le museau de son chien, en soulevant ensemble la truffe et la motte de terre qui l’enrobe.
J'ai suivi un truffier il y a une vingtaine d'années entre Sénanque et Fontaines-de-Vaucluse, dans un vallon détruit par le feu. L'homme me précédait de quelques pas ; c'est l'odeur musquée, l’odeur de noisette qu’il laissait traîner derrière lui qui m'avait alerté. Si j’ai vite compris la méthode qu’utilisait le bonhomme, je n’ai pas saisi d'emblée pourquoi il empoignait avec une telle rage les jeunes pousses de pins qu'il arrachait comme de la mauvaise herbe. Il m'avait expliqué alors que cette incendie était en réalité un acte criminel, l'œuvre des sbires de l’Office national des Eaux et forêts qui préféraient la pousse rapide des pins à celle trop lente des chênes.
Si l’homme était un solide gaillard de L'Isle-sur-la-Sorgue, complétant son salaire de manoeuvre par l’élevage de la truffe, la donzelle de Valréas n'est pas née sous les mêmes auspices. Son mari est assureur, il lui a offert il y a quelques années cette chênaie avec un lagoto romagnolo. Ils viennent tous les deux sur leurs terres de Grignan du 15 novembre au 15 mars, trois fois par semaine. Elle porte un manteau de luxe, ses yeux sont bordés de rimmel et elle remue la terre avec des gants. Elle m'offre contre un sourire une miette de truffe.
Je croyais que cette histoire intéresserait ceux dont je m'étais décroché pour avoir les coudées franches, mais tout le monde a des histoires de truffes entendues à la radio ou vues à la télévision. On rentre en suivant le Lez, et je croise la libraire de Grignan chez laquelle j'ai trouvé hier quelques merveilles.






Jean Prod’hom