Cher Pierre

Ciel rose et lisse sur la chaîne des Vanils



Ciel rose et lisse sur la chaîne des Vanils, pour la première fois cette saison des vaches viennent paître dans le pré sous le Chauderonnet. Je conduis Louise au bus avec un pique-nique, elle se rend à Lausanne avec sa classe s'initier à l'art des fossiles. Accompagne Lili un peu plus tôt chez Mylène pour passer à la poste avant huit heures et récupérer ainsi deux ouvrages sur Naples, l'un est de la main de Dominique Fernandez, l'autre de Schifano encore.
Rends les travaux aux élèves de la classe 9, des travaux faibles en général, un tiers semble avoir pris les choses en main, un deuxième tiers y songe, le troisième n'a véritablement aucune idée de ce qu'il fait là.
Je me rends compte qu'il manque un cahier au livre broché de Schifano. Envoie un mail à la maison d'édition qui me répond immédiatement qu'elle m'en fait parvenir un neuf dans 10 ou 20 jours.
La température s'est sérieusement élevée, il faut donc ouvrir les fenêtres, mais les bruits du chantier nous obligent à les fermer. Il en ira ainsi jusqu'à l'été.
Rencontre informelle avec des collègues autour du voyage à Naples, à midi, donne mon assentiment à chacune des propositions, vais pas m'emmêler, je crois, ou le moins possible. Quoi qu'on fasse, j'y retournerai au printemps prochain en famille.
Je demande aux élèves de la 6 d'extraire et de placer sur une carte de l'Europe quelques-unes des villes traversées par Thomas Platter entre 1515 et 1520, d'évaluer la distance parcourue par les bacchants et leurs béjaunes, parfois pieds nus : Berne, Zurich, Nuremberg, Munich, Passau, Ulm, Halle, Dresde. Lorsque je m'avise de l'état de leur travail, de la précision des localisations, de la qualité des traits, du coloriage, je décide de leur soumettre mon propre travail. Cette expérience porte ses fruits, une quinzaine d'élèves décident de recommencer.
L'herbe verdit, la dent-de-lion pousse, l'air tiédit. Nos enfants et ceux de Ropraz jouent dans le jardin, on croque une tranche de pizza avant de partir pour une initiation de grimpe dans une grange de Sottens. Je laisse ce joli monde à leurs exercices et m'en retourne par le Moulin de Sottens. Il y a plus de quinze ans que je n'étais par revenu dans le coin. Je longe la Menthue à sa source, puis l'un de ses affluents qui plonge dans le creux de Villars-Mendrars avant de la rejoindre au-dessus de Moudon. Le ruisselet serpente dans les prés, il est 20 heures. Il me reste une heure au moins pour rentrer jusqu'à Corcelles. Je m'arrête à Ropraz avec la nuit, je retrouve Sandra et les enfants, nous remontons tous les cinq au Riau.


Jean





Il y a ce matin de l'orange



Il y a ce matin de l'orange qui se mélange au vert du pré et du vieux verger, de l'orange qui se mélange au rose des murs de la ferme de la lisière. Le vent a décidé de pousser en une seule fois les nuages, si bien qu'à 6 heures le ciel est nettoyé. Rédige après le déjeuner une brève note sur l'un des mots les plus laids de la langue française, un mot qui fleure les égouts : le ressenti.
Pour le reste, grosse journée de travail qui ne m'a pas laissé beaucoup de temps pour regarder par la fenêtre et faire l'école buissonnière. La journée passe au galop, je suis très mauvais dans le commentaire de Thomas Platter, réussis mieux lors de la présentation du film sur les vies parallèles d'Hitler et Staline. J'évoque la disparition de l'URSS, et ce que je voudrais appeler la captation de l'altérité. L'homme peut-il en effet penser autre chose que le même dans un monde qui s'est affranchi de tout clivage idéologique réel ?
Je pars en quatrième vitesse à Vulliens récupérer les filles et leur camarade de Montpreveyres. Ils sont déjà dehors, au soleil, et sautent sur le trampoline avec les petits de Servion. La landrover qui vient les chercher est impressionnante.
Retour à la maison, Arthur qui avait trop de devoirs n'est pas allé à l'entraînement. On mange plus tôt que d'habitude, si bien que je peux encore transcrire en vitesse les résultats des ECR des élèves de la 9. En bas, Arthur a mis la mort au lit et l'a bordée.
Un coup d'oeil encore dehors, c'est comme si l'herbe avait poussé depuis ce matin, les pissenlits rivalisent sérieusement désormais avec les fleurs de colza.

Jean



Soleil rouge, orange sang



Soleil rouge, orange sang, des hauts de Charmey à la Cape aux Moines. Je fais le point par écrit sur l'état de la préparation du voyage à Naples. Arthur allume un feu dans le poêle que personne ne nourrira puisque Sandra descend à la HEP suivre un cours.
Belle matinée avec les grands de la 11 : une élève présente en effet l'histoire du ghetto de Varsovie, elle fait entendre en une petite demi-heure ce qui l'y a conduite. Elle fait entendre également que quelque chose d'impensable demeure à Varsovie qui mobilisera son esprit dans les années qui viennent, elle n'oubliera pas. Une autre élève présente la naissance de l'aviation et son évolution rapide à l'occasion des conflits du 20ème siècle.
Après la récréation, les élèves se mettent au travail dans un état d'esprit qui me réjouit. Si j'ai souvent perdu mes illusions, j'ai à coup sûr aidé certains adolescents en leur proposant des conditions de travail qui leur permettent de mener leurs affaires avec l'indépendance d'esprit qui convient pour devenir celui qu'on sera.
Je remonte en quatrième vitesse au Riau, le ciel s'est couvert, les enfants m'attendent. Je réchauffe à la hâte les restes des jours passés, on ne dispose que d'une demi-heure pour apaiser nos appétits, il nous faut en effet partir à 13 heures pour Lucens et Curtilles. Louise aimerait monter Spirit, Lili Haribo.
Leurs voeux sont exaucés, j'aide Lili à brosser son poney, Louise se débrouille avec Spirit. Je les accompagne jusque dans le manège. Elles apprennent à resserrer la sangle de leur monture assises sur leur dos.
Mets à jour ces notes au café du Poids de Lucens. Trois vieux causent, ils ont visiblement renoncé à faire tourner les tables et à voir dans l'avenir. Ils font la liste de ce qui a disparu ou ce dont ils ne se souviennent pas. L'un, ventru, a les cheveux blancs, il porte un gilet bleu ; le second, gros fumeur, un paletot défraîchi et une canne à ses côtés ; le troisième enfin, lunettes cerclées d'or, a l'allure d'un ancien instituteur. A l'autre bout du café, une femme lit le quotidien local.
Sitôt rentré je fais un feu, puis un double saut à Ropraz avant de plier la journée et de regarder dans les yeux les dernières braises du jour et du poêle.

Jean

Si les hommes politiques



Si les hommes politiques sont si cavalièrement interrompus dans leurs interventions à la radio, si l'idée même du débat s'est dénaturée, si celui-ci ressemble toujours plus à la coexistence de discours parallèles sans portes ni fenêtres, c'est parce que journalistes et politiques ont des pratiques de solitaires, jamais l'autre n'habite leur propre discours. On peut interrompre à n'importe quel moment le concert des marteaux.
Il a plu une grande partie de la nuit et le soleil peinera à nous visiter aujourd'hui. Il ne semble pas que l'anniversaire de Sandra lui fasse changer d'avis. Un feu pour accompagner nos premiers pas, prépare ensuite le pique-nique de Louise pour le dernier épisode de piscine de l'année. La radio annonce une douzaine de degrés, des rafales de vent, mais aussi quelques éclaircies. Le thermomètre indique 5 degrés et des fumées montent des vallées du pays de la Haute-Veveyse. Ce sont nos champs Phlégréens et c'est là-bas que se situe l'entrée de nos enfers.
Des travaux m'attendent, que je corrige sans arrière-pensée, ça aide. Avant de visionner la première partie de La Marseillaise de Jean Renoir, un film extraordinaire – de propagande ? – qui raconte la montée à Paris de Marseillais en 1792, c'est une commande du Front populaire, mais qui n'est sorti qu'en 1938.
Je ne coupe pas au carrousel du mardi après-midi, mais je tourne avec un certain plaisir. Je prépare en même temps la petite réception pour les 40 ans de Sandra. Suzanne passe en coup de vent à 6 heures, on boit du champagne et on mange des canapés maison.
La soirée se termine par une crise. Arthur souhaiterait ouvrir un compte Facebook, on pose des conditions, c'est stupide, on en reparlera. Sandra fait répéter ses livrets à Louise, Lili écoute et, à son insu, s'y familiarise.
Temps bouché à la fin du jour. On n'y peut rien, mais on voudrait tant que le mauvais temps n'influence pas nos humeurs.

Jean





Il pleut



Il pleut, il pleut, je fais du feu,... jusqu'à mercredi encore, les beaux jours ensuite, c'est la météo qui le dit.
Deux choses d'abord : j'ai manqué d'emboutir ce matin une belle limousine en coupant le virage sous la boulangerie de Coppoz et on ne constate que peu d'évolution sur le chantier des Danseuses
Pour le reste je n'ai pas le choix, il faut entrer dans la mine. Je présente le film qu'Arte a consacré à Hitler et Staline, La Diagonale de la Haine. Le 22 juin 1941, Hitler brise le pacte de non agression, en octobre les Allemands sont à quelques encablures de Moscou. Le film revient sur 1938 et l'Anschluss, 1939 et la capitulation française, 40 et l'occupation de la Pologne, son partage ensuite.
Je crains les premières journées de travail après les vacances, peut-être parce que trop souvent j'ai l'impression de nager à contre-courant des idées qui circulent, avec l'impression parfois que l'on met la charrue avant les bœufs, que l'on ne va pas à l'essentiel. Les années passent et je m'assieds toujours plus aux extrémités des tables, j'écoute avec toujours plus de distance les choses qui se disent et m'étonne de la crédulité de mes contemporains. Je lorgne du côté des portes de sortie.
Il est un peu moins de 17 heures lorsque je rentre. Tout s'est en définitive bien passé. J'ai cru même à certains moments pouvoir encore apporter quelque chose aux élèves dont j'ai la charge, pas tant dans tel ou tel domaine disciplinaire, mais dans la manière d'aborder les choses, quelles qu'elles soient, en honorant leur complexité, en n'hésitant pas à soulever les pages lisses des manuels sous lesquelles grouillent des vers.
Au Riau, Lil fait ses devoirs seule à la cuisine, elle a hâte de retrouver sa chambre où elle a établi son campement, son ranch et où paissent ses poneys, on va entendre sous peu des hennissements. Arthur est dans sa chambre porte fermée, il l'ouvre pour m'annoncer de bons résultats et retourne à son travail.
Je descends à Mézières avec Lili pour sa leçon de musique. J'avertis son enseignante qu'elle renonce à la flûte et qu'elle se rendra après l'été à Oron pour faire du piano. Je rentre et prépare à manger, puis Sandra revient avec Louise, Sandra avec un mal de tête, Louise souriante, la guitare sur le dos.

Jean

La pluie a chantonné contre les tuiles



La pluie a chantonné contre les tuiles ce matin, sans réussir à dissiper les rêvasseries dans lesquelles je suis emmêlé. Louise nous rejoint en réitérant fermement son opinion sur les mariages auxquels elle a assisté. Celui-ci a bel et bien été le meilleur. Me lève et fais du feu.
La vie scolaire va reprendre ses droits demain, elle prend ses marques aujourd'hui. Arthur prépare une page sur John Williams, le musicien attitré de Spielberg. L'enseignant a demandé aux élèves de ne pas utiliser les fonctions copier-coller mais d'utiliser leurs propres mots, sans aucune consigne supplémentaire, ni éclaircissement. J'essaie de me substituer à son maître, avec un succès mitigé, je ne suis en définitive que son père. Il décide de prendre l'affaire par l'autre bout. Je ne comprends pas ce qu'il veut dire, mais je le laisse faire et il le fait.
Louise s'attaque à ses devoirs après s'être mise dans une rage noire pour un crochet qu'elle ne retrouve pas et qu'elle doit rendre mardi. Un peu de guitare et le calme revient. De mon côté, je prépare le repas du soir. Et pendant qu'il mijote, je perce avec une barre à mine le fond des bacs de fer blanc que Sandra a achetés l'autre jour et qu'elle a garnis de fleurs. Lis ensuite le chapitre que Schifano à consacré à la Camorra dans son dictionnaire de Naples. Je regarde ensuite C'est arrivé à Naples, un film tourné par Vittorio de Sica, avec Clark Gable et Sophia Loren sur l'île de Capri.
Sandra et Lili vont en fin d'après-midi à Moudon écouter les airs de John Reutter qu'Edouard répétait à Colonzelle. Les ailes grises de plomb d'une corneille passe sous la fenêtre, la nuit tombe. Les scores de l'extrême droite montent tandis que les résultats tombent. Quoi qu'il advienne, le turbin reprend demain.

Jean



Le vent d'ouest chasse les nuages



Le vent d'ouest chasse les nuages, mais d'autres reviennent et le thermomètre continue à indiquer moins de dix degrés. Sandra et Arthur sont partis pour Ropraz s'entraîner, le second pour se tenir en équilibre, la seconde pour évaluer les performances des coureurs. Louise et Lili baptisent dans leur chambre les chevaux de leur écurie. Des poneys, rectifie Louise, il y en a vingt : Pomme, Chocolat, Framboise, Nuage, Fleur, Paillette, Horizon, Neige, Flèche, Volcan, Flamme, Indiana, Tino, Graphite, Diamant, Dragibus, Confetti, Feuille, Game-over, Barquette, Chupa-tchup, Haribo, Carambar, Bonbon, Tagada. Cinq sont encore de simples poneys, des poneys sans nom.
L'église est pleine, les alentours également. Les mariés sont aimés. Dans le choeur de l'édifice, des chanteurs de gospel, visages de grès gris de trois-quarts. L'officiant, vif, ne manque pas de nous rappeler que Dieu tombe toujours de haut, qu'il a un coeur gros. Dieu a des projets, Dieu compte sur nous, c'est Dieu qui nous équipe, Dieu joue aussi au volley, il est en bonne santé, il mange même parfois des bêtises de Cambray. Le pasteur conclut : Là-haut il n'y a pas de pénurie, pas de chômage. Au fond, le ciel c'est comme ici, mais en mieux.
Le repas de noces est servi dans des caves violettes. Les enfants mangent à l'étage, un hamburger géant, dans un immense salon dont ils occupent l'angle près de la cheminée qui crépite, sous les portraits de la famille, des huiles, ils ont froid. Dehors la roselière est fouettée par le vent et la pluie, on devine dans la nuit le lac, au bout de la pelouse qui y glisse en pente douce.
On se couche à plus de deux heures du matin.

Jean







Je téléphone à 8 heures



Je téléphone à 8 heures à l'entreprise auprès de laquelle j'ai signé un contrat de maintenance. Un réparateur passera dans la journée.
Il me faut continuer à composer avec mes incompétences, mais je parviens pourtant à télécharger un fichier de sous-titres compressé .rar que je réussis à décompresser. Je dispose désormais de Vaghe della stella de Visconti dans la version originale, sous-titrée.
En bas, Sandra tourne un film avec les enfants en utilisant le principe du cluedo. Les Kunz s'en vont en fin de matinée, le film est terminé. C'est Arthur qui le montera. De mon côté je poursuis mon voyage à Naples, dans la banlieue nord, en visionnant le film Gomorra tiré du livre de Saviano.
Françoise, Valentine et Lucie nous rejoignent pour donner un coup de main à Sandra qui a été chargée par Guillaume et Aurélie de faire les cornets de bonbons dont les invités arroseront les alentours à la sortie de l'église.
Stupeur quand Françoise est sur le point de s'en aller, je suis dans l'incapacité non seulement de retrouver mon portemonnaie avec la carte d'identité dont elle s'était proposée de me faire des photocopies en prévision de la sucession de l'oncle Denys, mais encore d'accéder à une image assez nette de l'endroit où j'aurais pu l'avoir vu pour la dernière fois.
Je me mets à monter et descendre les trois étages de la maison, plusieurs fois, à fouiller le vide-poche de la 807, plusieurs fois, le sac poubelle que je vide. Je me vois perdu : cartes bancaires, euros, carte d'assurance, carte d'identité, permis de conduire,... A quoi sert-il de vivre ?
Je le retrouve grâce à Sandra qui me suggère d'aller voir du côté du fauteuil sur lequel j'ai regardé mercredi soir le match de football entre Bayern de Munich et Real Madrid. Il est bien là, et avec lui la promesse du paradis. Il vaut la peine de vivre même si le ciel est gris et bas. Une ombre pourtant au bonheur retrouvé, un merle vient s'écraser contre la porte-fenêtre du salon, il reprend ses esprits dans l'herbe, sera-t-il en état de s'envoler ? Je crains que les chats ne le ratent pas. Il a laissé sur la vitre les vers de terre qu'il destinait à ses petits. Lorsque je repasse un peu plus tard, il n'est plus là. Je me retourne, les chats n'ont pas quitté le canapé de la cuisine, la vie continue.

Jean



Grisaille et froid ce matin



Grisaille et froid ce matin – pas plus de 5 degrés. La chaudière fait un bruit qui annonce le pire. Pourvu qu'elle nous laisse en paix quelques jours.
Je passe ma journée devant l'ordinateur, regarde des images sur Naples – Sansevero, Santa Maria delle Anime del Purgatorio, Pio monte della misericordia – Herculanum, Pompéi – pendant que Nathan et Arthur tournent un film policier dans la maison. Sandra et les quatre filles font un cluedo.
Le vent d'ouest nettoie l'atmosphère et de gros nuages blancs et joufflus montent les uns sur les autres, gris puis noirs lorsque la nuit amène sa contribution. Je n'aurai pas vu grand chose de ce qui s'est passé de tout le jour.
Un événement me met dans tous mes états, la tache qui traînait sur l'optique de mon appareil de photos, que le marchand a renvoyé à l'usine il y a peu, est réapparue. Il me reste mon IPhone.
Erre sur la côte amalfitaine, cherche un itinéraire qui pourrait convenir à une quarantaine d'adolescents sur le Sentier des dieux, entre Praiano et Positano, sans vraiment trouver d'indications fiables.
Les malheurs vont par deux, à dix heures je pose ma main sur le radiateur de la bibliothèque, il est froid. Ce que je craignais et que j'ai tenté de conjurer ce matin est arrivé plus tôt que prévu. Je peste contre le monde, contre les vendeurs de mazout et les réparateurs de chaudières qui sont déjà venus deux fois cette année pour changer les gicleurs. Voilà résultat !

Jean



Peine à m'endormir



Peine à m'endormir, il y a longtemps que cela ne m'était pas arrivé, sans compter que j'ouvre les yeux deux fois pendant la nuit. Je termine au réveil Le Goût de l'éternel qu'Henri Thomas publie en 1989.
Je me lève pour aller acheter du pain, lorsque je passe devant la chambre des enfants, Arthur se redresse, il veut des ficelles. Mais je n'en trouve ni au centre du village ni au pied du vieux bourg. Bois successivement trois cafés sur la place de la Bourgade, deux de trop. Huit degrés seulement ce matin, mais j'aime ces moments sur la terrasse. Quatre femmes jouent au loto la cigarette aux lèvres, elles lèvent les yeux après avoir consciencieusement gratté leur carte, font le point. Aujourd'hui elles passent en revue leurs allergies, évoque le surpoids qui les menace et le sommeil qui lâche deux d'entre elles. J'achète le Provencal, le Canard et Libération pour les 6 heures de route qui nous attendent. Si je prolonge ce moment, c'est avec la sensation qu'il m'est difficile de m'arracher à la rumeur de cette place, au bruit de l'eau qui goutte sur le fond de la fontaine vidangée. On est loin de l'été, Grillon somnole, bien des choses se réveillent mais au pas, il est loin encore le temps où la région sera submergée par la vague des estivants.
Les quatre commères parlent de l'école. Je ne veux rien entendre, car de l'école je ne parle plus, je n'écoute pas. Les érables-planes de la place ont commencé à déplier leurs feuilles, c'est maintenant que se prépare l'ombre dont on aura tant besoin bientôt.
Sandra prend en main les nettoyages, je fais la vaisselle et charge la voiture. On part à un peu plus de 10 heures 30. On cherche un container pour nous débarrasser de la poubelle qui aurait dû attendre lundi prochain le passage du service des ordures, on en trouve un sur une aire de repos un peu après Valaurie.
Deux marcassins font le caniveau un peu avant l'entrée de l'autoroute de Montelimar. Ils répondent à la question que je me posais hier entre vignes et lavande. Je n'ai vu aucun mammifère en liberté, je les imaginais tapis dans les bartasses qui bordent le Lez ou fouissant sous les chênes verts. Je n'ai vu en définitive qu'un blaireau, celui qu'une 805 a failli faucher au débouché de la petite route qui conduit à la coopérative de Colonzelle.
Nous voici au Riau, la neige est descendue bas, il fait 11 degrés. Je relance le chauffage que j'avais imprudemment déconnecté avant de partir à Colonzelle. Sandra descend Arthur à Ropraz pour un entraînement et va récupérer Cacao et Mickey chez les Moinat. Suzanne raconte que la couveuse est tombée en panne, la première poignée d'oeufs n'a vraisemblablement pas survécu si bien qu'elle est allée chez Jean-Daniel en chercher une dizaine et chez un cousin une couveuse de remplacement. Je descends à Ropraz récupérer Arthur, le comité a trouvé preneur, le cabanon est vendu à un tenancier de camping, Dany le livre à l'instant avec l'aide de quelques membres du club.

Jean




Réveil aux accents de John Reutter



Réveil aux accents de John Reutter, le ciel est dégagé mais le thermomètre de la 807 indique 8 degrés lorsqu'on monte tous les cinq au marché de Grignan. Françoise, Édouard et Valentine sont rentrés ce matin à Vevey.
Peu de monde sur la place, des fraises, du miel, des pélardons. Et un militant du Front de gauche qui se tient sous la fontaine à baldaquin. L'homme est timide, c'est un professeur de philosophie suppléant à Taulignan. Il fera tout pour que la gauche soit en tête dimanche prochain et prépare les législatives des 10 et 17 juin, le philosophe s'y présente.
Au bas de leur tract, quelques tags qui annoncent une mise à jour de la 5ème République et l'installation d'une version 6. Quelques autres mots, résistances, projet, alternatives, émancipation, revenu maximum, difficile de trouver l'intrus.
Au verso, les intentions des candidats du Front de gauche : combattre le système et le réinventer du Vercors aux Baronnies, le refondre loin du libéralisme, des privilèges, des privautés et de la marchandisation du vivant. Ils déclarent pour terminer ouvertement leur opposition à l'exploitation des gaz de schiste.  Il y a dans le front de gauche et chez Mélenchon un petit air de printemps continu. Mais l'invention quotidienne des institutions est une tâche épuisante, on a besoin de nuits et d'un hiver pour rêver et se remettre à inventer. Je bois un sirop d'orgeat au Grenier à sel, il est 11 heures et les couverts sont en place.
Avant de rentrer je m'arrête à la Collégiale, rien de bien intéressant sinon les signes d'un tour de passe-passe pas si lointain que cela, d'une fable qu'on a tenté d'éloigner sans vraiment s'en défaire, qu'on s'est efforcé de désactualiser sans parvenir à se donner de l'air, car finalement la question des fins n'est pas réglée par la laïcisation de l'espace public et les jours du néo-positivisme dans lequel nous a plongés le néolibéralisme économique sont comptés. En rejetant à l'extérieur de l'espace public, ou à l'intérieur de l'espace privé la question des fins, on n'a fait que différer son traitement. Comment agir désormais pour faire bon accueil à cette question alors qu'on a par trop raidi la frontière qui fait desde ces espaces des espaces étanches.
Rebelote, mais je suis un rebelle, Sandra veut m'emmener avec les enfants à Valréas. Cette fois ce n'est pas pour le Marsupilami mais pour Blanche-neige, je résiste, ce sera sans moi. Je lis un petit texte de Jaccottet écrit en 2009, Couleur de terre, qu'il me semble avoir lu ou écrit ce matin en-dessous de Bedarès, la choeur du chemin, le murmure de la rivière, même énigme. Mais est-ce bien une énigme ?

Jean




La montagne de la Lance



La montagne de la Lance prise dans la ouate n'a pas bougé, mais le versant sud des collines au-dessus de Nyons se prépare à accueillir le soleil. Plus au sud, du côté d'Aix, le soleil a déjà pris la mesure de l'armée de nuages qui descendaient du nord.
Traverse le village de Grillon et ses logements sociaux, des enfants en sortent sac au dos et suivent comme des somnanbules le père ou la mère, les vacances pascales sont terminées.
Nous sommes 7 clients muets au café de la place avec la radio qui distille de la publicité. C'est la première fois cette année que je me trouve là. Des clients, au bar ou accoudés à une table lisent le journal du jour sans consommer. On entre, on sort, chaque matin c'est la même chose, les nouveaux arrivants saluent, ça va ? ça va ! puis lentement, très lentement quelque chose comme une conversation s'engage, sans queue ni tête, les maux de dos, les candidats à la présidentielle, le jardin, le voisin, les haricots, la pêche, le prix du pain.
Édouard répète dans la matinée des airs de John Rutter. Sandra, Valentine et les enfants font des courses à Valréas, Françoise est allée à la coopérative, je lis en-haut les nouvelles du Provençal.
Ce sera la première fois, mais cet après-midi je visite avec les filles le château de Grignan que je rejoins par mes propres moyens en franchissant le Lez au pied du pont de l'ancien chemin de fer. Le mistral noir souffle si violemment que je l'entends à peine.
On entre donc, Françoise, Valentine, les filles et moi dans la résidence de madame de Grignan, pillée à la Révolution, à l'abandon durant de longues années. Madame Marie Fontaine a commencé les travaux de restauration, le Département et la République ont poursuivi. Elle est aujourd'hui un majestueux garde-robe, tout y est vrai, mais rien n'est d'origine. La plus belle chose demeure la façade qu'a conçu Adhemar et la vue sur la plaine qui penche vers la mer.
On passe en coup de vent ramasser Arthur et Sandra pour une séance de cinéma à Valréas. Un film qui aura eu pour principal mérite de nous faire passer une heure et demie ensemble.
Ce soir, une fois encore on mange comme des rois.  

Jean





La pluie encore



La pluie encore, on n'en voit pas la fin. Qu'à cela ne tienne, il y a du feu dans la cheminée et ce n'est pas moi qui l'ai fait. Un cluedo après le déjeuner, j'y ai joué autrefois dans les Cevennes. Le soleil fait quelques apparitions tout au long de la matinée et réitère ses essais l'après-midi.
Parlote à table, je me tais sans m'enfermer dans le mutisme pour honorer ma décision de la veille et ne déranger personne. Curieuse impression d'entendre dans la bouche des autres ce que j'aurais pu dire ou ce que je n'aurais jamais dit.
Descends à la rivière avec les filles, entends au passage sur la nouvelle place du complexe scolaire le langage brutal des copains qu'Arthur s'est faits, et n'apprècie guère leur air de chien battu. Mais il faut bien qu'Arthur se déniaise.
Tout a pris la couleur des saules, le vert tendre et le jaune presque gris des fresques de Giotto : les bosquets, les aulnes, les peupliers et la terre du chemin côtier, sous un ciel à multiples couches de gris qui filent chacune à sa vitesse vers le sud, sans influencer la trajectoire et les teintes de l'autre. Les roseaux, pâles comme l'orge quand il est mûr s'apparient avec l'eau du Lez qui lance des gouttes d'or en forme de dragée. Je suis le miroitement de l'eau et le vent qui rabat soudain les couleurs les unes sur les autres. On doute soudain du haut et du bas, on est prêt à admettre que la terre tourne et qu'elle nous a déposé sur sur cette rive. Les filles ont ménagé un gué qu'elles franchissent pieds nus avec leur trottinette sous le bras. C'est sur la rive droite que nous rejoindrons le village. Les arbres fruitiers plantés au printemps passé ont été vendus sur les places de marché de la région.
Corrige exactement 10 travaux pendant que Sandra et les filles se rendent à Poët Laval avec Françoise et Édouard.
Valentine qui a passé quelques jours à Paris vient se reposer deux jours avec nous avant de repartir à Londres. Les copains qu'Arthur s'est faits viennent le chercher. Le jour tombe derrière la tour de Chamaret, avec un peu de pluie, il est dix heures, une faible lueur de braise résiste au-dessus d'épaisses cendres, le gris de fer chauffé à blanc se confond avec la nuit qui monte. Arthur a trouvé une martingale au jeu du solitaire.

Jean





Un marteau-piqueur



Un marteau-piqueur, des aboiements, le souffle rauque du mistral, mais aussi les voix enchantées de Françoise, Sandra et les enfants qui jouent au cluedo, c'est comme un lendemain de fête, la matinée rampe jusqu'à midi. Par la fenêtre les feuilles argentées des saules balaient le ciel, puis tout redevient immobile et silencieux, un bref instant, avant que le manège ne reprenne. Je crains que la journée me passe sous le nez, il est temps de se ressaisir.
Françoise et Sandra, Arthur, Louise et Lili partent pour Grillon, à pied et en trotinette. Edouard prépare le repas de ce soir et moi le voyage à Naples.
Je rejoins l'équipée à Grillon d'où je rentre à pied, avec Lili et Arthur qui veulent reprendre une conversation avec une jument noire et son poulain qu'ils ont commencée à l'aller. L'eau coule à flots dans le canal, mais tout est très sec autour, un vieux bêche un lopin, sa vieille attend des plantons à la main.
J'écoute une émission à la radio sur la république de Salò, au cours de laquelle Le Jardin des Finzi-Contini, un film que Vittorio de Sica réalisa en 1971, est évoqué. L'ajoute à ma longue liste des choses à lire, à entendre, à voir,...  
Monte à Grignan en fin d'après-midi, puis traverse Chamaret, tourne à l'entrée de Montségur, fais une halte à Richerenches où je bois une verveine. Lis le journal qui m'apprend que le Président sortant est à Ajaccio pour se pencher sur la sécurité, il réclame un meilleur contrôle des armes. Il finit son voyage dans une usine qui produit de la confiture de clémentine, il y demande un peu de l'aide, celle dont il a tant besoin pour rester aux commandes d'une affaire qui pourrait prendre l'eau.
C'est ce soir, après une longue discussion inutile, que je décide de ne plus parler de cette école qui me désespère. C'est dit.

Jean





Les enfants se réveillent



Les enfants se réveillent les uns après les autres et les conversations prennent du volume minute après minute, Édouard est assis sur un fauteuil à côté de la cheminée et lit, Françoise dort encore. Le ciel est bleu, mais très vite des nuages recouvrent la plaine du Rhône. J'entends Sandra raconter en bas la destruction de ses quatre colonies d'abeilles, expliquer le fonctionnement des ruches, la fonction des reines, le rôle des ouvrières. Je les rejoins, puis descends à la coopérative avec les enfants sur leur trottinette : pas d'asperge, mais il y en aura dans l'après-midi. Les iris sont en fleurs sur la butte qui longe le chantier du futur lottissement, dans une zone inondable, prétendent les mauvaises langues, dix centimètres de terre végétale sur le rocher, pas plus.
Dans le village un vacancier repeint le portail de son garage, il a choisi la couleur des glycines. Je considère avec circonspection l'extension du complexe scolaire et le bétonnage des alentours : on viendra de loin pour apprendre ici à prêcher dans le désert.
Je monte à pied à Grignan avec Françoise et Arthur. Le mousse taille un roseau, François me raconte de quoi sont faites ses journées, je lui raconte les miennes, on imagine l'allure qu'elles pourraient avoir si on s'y prenait autrement. Les jeunes pousses des lavandes ont écarté les anciennes aux teintes bleues. Midi, Grignan somnole, des voix la réveillent par à-coups.
Terres d'écriture rassemblent jusqu'à fin mai les travaux autour du noir et du blanc. Je retiens celui de Fanny Viollet qui met en pelote quotidiennement les déchets de ses travaux de couture, qu'elle accompagne d'une petite étiquette sur laquelle sont inscrits les coordonnées temporelles de leur confection.
Nous prenons un café au pied l'immortelle Madame de Sévigné, avec Sandra et les filles qui nous ont rejoints en voiture.
Je profite de l'occasion qui m'est donnée de prolonger ma vie en plein air, je redescends à Colonzelle à pied, sectionne avec mon opinel un vieux fil à sept brins de cuivre qui pend à un poteau électrique, un peu après le petit autel consacré à la vierge, je croise ces sept brins jusqu'au vieux pont, puis franchis le Lez par le gué.
On reste autour de la table jusqu'à 22 heures.

Jean




On ouvre les yeux un peu avant huit heures



On ouvre les yeux un peu avant huit heures, Louise et Sandra descendent au CHUV pour des ultra-sons. Je termine les valises que je place dans la 807. Il pleuvigne et il fait moins de 10 degrés. J'ajoute au chargement les trotinettes et les casques, les sacs se couchage pour les enfants.
Je pensais apercevoir avant de partir les deux bergeronnettes qui squattent depuis quelques jours notre ancien potager. Remplis les abreuvoirs des poules et leur mangeoire. Les œufs de têtards font de belles grappes dans l'étang mais je ne vois aucune trace de la salamandre que les enfants ont ramenée le week-end passé.
File au village déposer à la poste les papiers que Raymond me demande pour la succession de l'oncle Denys. On quitte le Riau à 11 heures, s'arrête au Chalet-à-Gobet pour faire le plein et ajouter un litre d'huile. Le ciel se couvre à l'ouest, il lâche des vapeurs blanches par poignées sur les crêtes du Jura.
Sandra qui souffre à chaque fois que je conduis me laisse à mes occupations. Je ne peux m'empêcher de lui demander de garder les distances avec les véhicules qui la précèdent, elle n'aime pas, il y a pourtant du monde sur l'autoroute et ça roule vite, trop vite. On n'entend plus les enfants qui jouent à l'arrière.
Dans les forêts qui entourent Chambéry et le lac d'Aiguebelette, les fleurs des merisiers s'imposent les premières, au milieu des frênes et des bouleaux qui commencent à faire leurs feuilles, et des chênes. Les noyers au tronc nu et glâbre, eux, ne semblent pas décidés à se tourner vers le printemps. On sort aux Abrets.
Comme il y a une année, je ne parviens pas à faire une photo satisfaisante de la belle peupleraie au vert tendre, vert à l'état naissant, qui occcupe un monticule peu avant Valence où on fait une halte. Il fait 18 degrés, mais le mistral nous oblige à laisser notre veste.
À Montélimar, les feuilles des vignes se déplient sur la crête des ceps dont les bras, entremêlés à des fils de fer, semblent n'en faire qu'un. Les genets et les champs de colza préparent leurs feux. Les oliviers et les chênes verts demeurent fidèles. On franchit le Lez à 15 heures 30.
Après-midi de parlotes, il fait cru lorsque le soleil se cache derrière les nuages, avant que tout ne s'entrouvre à l'ouest, et c'est une boule de feu qui plonge derrière le Château de Chamaret, en nous laissant après sa lente disparition la compagnie de la nuit.

Jean

Fouille jusqu'au milieu de l'après-midi



Fouille jusqu'au milieu de l'après-midi dans les archives de la TSR et visionne quelques émissions sur Naples, de belles et tristes choses. Souhaite emporter à Colonzelle le Dictionnaire amoureux de Naples de Jean-Noël Schifano. Impossible de descendre en ville, sans compter que les librairies ne l'ont pas à coup sûr en stock. Passe chez Amazon.fr qui me dirige vers Amazon.com. Il m'est demandé de faire un compte kindle, ce que je fais en moins de deux. Deux cliques et voilà le Dictionnaire amoureux de Naples sur mon Ipad. C'est pas beau ça  ?
Les enfants sont rentrés de Servion, on mange dans la véranda. Les filles lavent les cages de Cacao et de Mickey. je donne un coup de main à Lili. Remplis ensuite les trous d'où j'ai tiré il y a quelques jours les groseillers pour les repiquer en bordure de l'ancien potager. La neige est tombée jusqu'au bas du Niremont, il fait cru. Rod, l'apiculteur nous a a soufflé à l'oreille ce matin qu'il ne faut pas rêver, on ne voit un bel avril qu'une fois dans sa vie. Sandra charge Cacao, Mickey, les oeufs et la couveuse qu'elle dépose chez les Moinat. Elle se rend ensuite avec les enfants jusqu'à Froideville où elle lavera les cheveux de sa mère.
De mon côté je passe au Mont consulter la collection des Geo que j'ai récupérés il y a quelques années. Ne trouve pas grand chose, passe à la banque acheter des euros, bois un thé au Chalet-des-enfants, le regard dans le vide. Un vieux fait de même en face de moi.
Remonte au Riau, Sandra et les enfants rentrent un peu plus tard, Louise se plaint d'une épaule. Les enfants se baignent les uns après les autres. On part demain pour Colonzelle.

Jean



Le bleu pâlit



Le bleu pâlit tout au long de la matinée, il fait gris à midi. Sandra rentre des courses, elle a déposé les enfants à Mézières. Ils vont visiter la chocolaterie de Broc avec Valérie qui les garde pour la nuit.
Je termine le visionnemnt de L'Or de Naples de Vittorio de Sica et apprends les vertus du pernacchio dans un dernier sketch de la même fraîcheur que les premiers. Naples a la naïveté mystérieuse.
Après avoir survolé 3 des 42 copies qu'il me faut corriger d'ici la fin des vacances, nous descendons en ville, Sandra et moi. Me glisse chez Payot et lit bien câlé dans un fauteuil L'Urgence et la patience de Toussaint. M'arrête à la page 38, sur la fascination qu'a exercée sur lui l'immixtion limite, ponctuelle, du futur dans le présent. Je ne trouve aucun livre satisfaisant sur Naples, pas plus chez Payot qu'à la Fnac où on se rend ensuite. On s'attable sur une une terrasse couverte de la Rue de l'Ale et on regarde passer les Lausannois. On a l'impression d'être des indiens dans une ville squattées par des tard venus, sans élégance, pressés, affairés. La pluie redouble lorsqu'on se lève, on marche un peu avant de revenir par la Rue de la Tour où les salons de coiffure se succèdent. Projection à 18 heures dans le cinéma du Maupas Des Nouveaux Chiens de garde, une analyse du fonctionnement des médias, des liens étroits qu'ils tissent avec les pouvoirs politiques et économique. Le marxisme n'est pas mort, et tant mieux, on étouffait. Et voilà qu'ici et ailleurs des voix se font entendre et indiquent qu'en dehors des systèmes verrouillés du pouvoir il y a de la place pour autre chose.
On mange à Montheron.

Jean


Les filles



Les filles passent la fin de la matinée à ranger leur chambre, moi à mettre la main sur une émission d'Arte autour de Naples, Naples, ville ouverte, qui raconte comment la Camorra a repris pied dans la ville après la capitulation. Sans succès. Que de temps perdu avec ces machines, et d'espoirs déçus.
Descends au village par la Molleyre, tourmenté par rien, tourmenté peut-être de ne l'être pas. Le marbre blanc qui trône dans l'allée qui traverse le jardin du Château ne me raccomode pas avec l'art, des primevères fanent. Remonte derrière la laiterie, le colza fait ses premières fleurs, dans le ciel planent des buses et passe un piper. Je traîne depuis le matin une mauvaise humeur, un rien me fâche. Je ne suis pas le seul, deux jeunes adultes grognent sur la route des Chênes contre leur mère – ou belle-mère – qui peine, les deux mains accrochée à son déambulateur, leurs deux chiens aboient et montrent les dents.
Deux taches rouge avancent dans le pâturage en contrebas du chemin des Tailles, à la hauteur de l'arbre où un jeune paysan, il y a peu, s'est ôté la vie, ce ne sont pas des morilles – j'y songe un instant  – mais de la dent-de-lion qu'ils ramassent.
Rien n'y fait, impossible de me débarrasser de mon humeur, je sais pourtant, et l'attends, qu'il suffira d'une ouverture dans le fouillis des mots sans queue ni tête qui gravitent aurour de ce qui me reste de raison pour que tout s'éclaire, au moins un instant, un instant qui suffira à me remettre d'aplomb.
Je rencontre Mirko à la Moille-au-Blanc. Plus de 40 ans qu'on ne s'était pas revus, une femme et deux enfants, il habite à la Mellette depuis près de 10 ans. Yves nous rejoint à 17 heures. Il nous parle de Tonwnbly et de ce qui le préoccupe, de la mémoire. On va faire le petit tour.

Jean



Vous ne changerez rien



Vous ne changerez rien, absolument rien si vous attendez que le changement vienne d'en-haut. D'accord Monsieur Mélenchon, il viendra donc d'en-bas.
Suzanne et Jeremy reviennent de leur week-end et mangent avec nous. Ils repartent avec leurs enfants au milieu de l'après-midi pour aller fêter Pâques. On part, Arthur, Louise et moi faire un tour a vélo. Il neigeote. Louise rebrousse chemin après le tilleul. On continue jusqu'aux Censières avec Arthur, avant de redescendre sur la Moille Saugeon. On rejoint le chemin qui mène à Froideville qu'on emprunte jusqu'à la Moille-aux-Frênes. On se sépare à l'ancien réservoir, Arthur va tout droit par la Mussilly, je fais un détour par la Moille-au-Blanc. Ainsi un jour le père et le fils.
Je regarde les deux premiers sketchs de L'Or de Naples de Vittorio de Sica, le premier autour d'une vendeuse de pizza frivole interprétée par Sophia Loren. Naples grouille comme dans un film néo-réaliste italien.
Lorsque je redescends, Sandra et Louise lisent en silence près du poêle, Arthur au salon, avec la couveuse – et ses cinq oeufs – qui clignote, Lili dessine. Je fais à manger. On regarde après le repas Trafic de Tati. Il est 9 heures 30 lorsqu'on disparaît chacun de notre côté, avec sa nuit.

Jean




On cesse de douter



On cesse de douter de la parenté du feu et de l'eau lorsque celle-ci crépite sur le vélux. Elle arrosera les alentours toute la matinée si bien que les 6 enfants dont on a la garde aujourd'hui resteront dedans. Je fais du feu, on déjeune. Sandra part faire des courses à Mézières pendant que les petits construisent un château, ou une ville, ou quelque chose d'approchant au salon, avec des box pour Edelweiss, Mickey et Cacao. Je surveille depuis la bibliothèque qu'ils ne ramènent pas les poules.
Sandra les emmène en début d'après-midi au Musée d'art et d'histoire pour un conte. En profite pour mettre à jour ces notes jusqu'à fin février. J'apprends aussi que la Cinémathèque suisse consacre les mois d'avril et de mai au cinéma napolitain. Me demande comment je pourrais tirer parti de cette manifestation pour préparer notre voyage à Naples. Je ne trouve finalement aucune solution. Trouve par contre comment disposer de L'Or de Naples, le film de Vittorio de Sica.
On est en panne de petit bois. Vais à la Branche en chercher deux sacs, par la Goille et Savigny. Je n'y suis jamais allé, demande mon chemin à une dame qui se prépare à un footing. Cette fondation se trouve bien après le terrain de foot, à l'entrée de Moille-Margot. Trouve enfin, à l'extrémité d'un chemin, près d'un vaste bûcher, le local devant lequel sont empilés des sacs de bois. En profite pour acheter quelques avocats, inscris dans le classeur la liste de ces achats.
Ce petit village est aux mains des anthroposophes qui accueillent depuis 1961 plus de cent personnes souffrant d'handicap, externes ou résidents dans des logements indépendants. Il est samedi, j'aperçois derrière une baie vitrée un groupe d'adultes en séance. Voudrais bien savoir ce qui se dit. La cafétéria plus loin est fermée. Une dame, chargée de deux gros sacs pleins de nourriture, remonte de l'arrêt de bus. Elle pourrait être une de ces employées de la fondation, logée dans l'une ou l'aure des petites maisons qui parsèment dans le village.
Passe par les Cullayes pour rentrer. Il a cessé de pleuvoir mais il fait trop humide pour proposer aux enfants de faire un tour à vélo. Je jette un coup d'oeil sur le site de l'association de la Branche, ils cherchent un adjoint de direction, deux éducatrices, une logopédiste.

Jean

On se réveille à point d'heure



On se réveille à point d'heure, en dépit de notre volonté clairement exprimée la veille de ne pas brûler les heures qui nous restent lorsqu'on a accompli le nécessaire. Nous sommes en vacances pour 15 jours, et la première matinée sera embrumée autant dedans que dehors. Jeremy nous amène ses trois enfants qui resteront avec nous jusqu'à dimanche matin. On se retrouve à près de midi pour un déjeuner qui devrait les faire tenir tranquilles jusqu'au soir.
Balade à vélo jusqu'aux Censières avec Louise et les trois petits de Ropraz. Des familles y terminent un repas de fête, elles n'ont pas tout à fait quitté les Balkans, on boit au goulot de la fontaine. On continue dans la boue, à côté de nos vélos, des têtards essaient de trouver une issue dans les flaques qui se sont formées sur les chemins. On aperçoit Arthur et Dylan qui nous rejoignent et prennent les devants de la colonne. Dans l'un des affluents de la Corcelette, en-dessous du Chauderonnet, j'aperçois des oeufs de grenouille.
Ni une ni deux, je m'attaque au nettoyage de l'étang, je retire deux brouettes d'algues, de boue et de feuilles mortes. Odeur de pourriture. On dérive l'eau de la fontaine pour remplir cette gouille qui tient le coup depuis une dizaine d'années. J'indique aux enfants l'endroit où j'ai aperçu des oeufs de grenouille. Je ne les revois plus pendant deux heures, ils reviennent avec une salamandre.
Tandis que Sandra et les 6 enfants regardent les Intouchables sur le beamer, je vais faire le petit tour. L'herbe a soudain verdi et trois chevreuils se hasardent dans le pré de Jean-Paul, je redescends par la Mussilly. Les foyards, à l'avant des sapins et avec derrière le rougeoiement du soleil, prennent une teinte violette.
Je complète la déclaration d'impôts 2012, rapidement à ma grande surprise. Pas de déductions spéciales, pas de travaux dans la maison. La déduction forfaitaire n'aura bien sûr pas de bons effets sur la facture finale mais aura raccourci fortement l'opération que je termine avant 11 heures.
Visionne Le Mani sulla città que Francesco Rosi a réalisé à Naples en 1963, pour dénoncer la collusion des politiques et des promoteurs immobiliers. Belle démonstration traitée à la manière d'un polar américain, des plans extraordinaires : l'effondrement de l'immeuble du vicolo Sant'Andrea, les carrières de tuf, les quartiers nord de la ville vus d'avion, et le charme du noir et blanc de ces années-là.

Jean


Il fait un peu plus de 5 degrés



Il fait un peu plus de 5 degrés lorsque je descends faire du feu. On se retrouve un bref instant en famille avant la diaspora des jours ouvrables. Arthur se prépare un pique-nique, il descend à midi en ville avec deux amies, c'est la première fois, il s'éloigne chaque jour un peu plus, dans la tête et dans la ville, il s'est mis à avancer pour son compte, sans avertir, avec devant lui ce qui ne m'appartient pas.
Au bout de la route du Riau m'attend un brouillard, épais, qui met au secret ce qui vient après. Cette ignorance est toutefois sans commune mesure avec une autre née dans la clarté, l'horizon grand ouvert.
Lorsqu'il pleut, le chantier va au ralenti, à 11 heures un ouvrier consulte un plan dans la cabine de son petit engin de creuse, un second ajuste les bords de la couche de béton maigre. Avec les vacances, la marche de ce chantier va m'échapper.
Je demande dans l'après-midi aux élèves de réécrire un texte qu'ils ont écrit il y a quelques jours, tous ne comprennent pas l'opération qui les oblige à prendre de la hauteur et à viser l'essentiel.
Retrouve Raul dans la salle d'info, la question se pose : laisser Rapidweaver et passer à Joomla ? Je remonte au Riau et fais à manger. Il n'est pas 21 heures mais il me tarde de dormir.

Jean


Un rideau de pluie



Un rideau de pluie a été tiré pendant la nuit. Je n'y coupe pas, l'humidité et le froid m'obligent à faire du feu dans le poêle. Conduis ensuite Arthur à la croisée, la route est mouillée, les gens roulent prudemment. Entre le golfe et la Marjolatte, des ouvriers ont dégrappé les bordures de la route et installé des guide-âne. Ça roule vite et on croise à peine. Me demande bien quand la commune de Lausanne renoncera aux travaux d'entretien, qui durent depuis des années, pour une mise à neuf de ce tronçon essentiel aux Vaudois, qui fait communiquer la haute vallée du Flon à celle de la Louve.
Discute avec le mécanicien aux commandes de la grosse pelle du chantier, il vient de Bulle et travaille dans une entreprise sur le déclin, plus de 800 ouvriers en 1990, ils sont moins de 400 aujourd'hui. Certains ont été licenciés puis réengagés à la baisse. Ils sont ici pour la creuse, la pose du bidime, celle du gravier et du plastique, pour le coulage du béton maigre. C'est eux encore qui réaliseront le caisson étanche – au sous-sol du sous-sol – nécessaire au fonctionnement de l'ascenseur. Ils laisseront alors le chantier à une autre entreprise.
Lui, il ira dans le nord-vaudois ou à Genève. Il n'aime pas Genève, c'est trop loin de Bulle et l'autoroute est vite saturée. Il faut partir bien avant l'aube pour arriver à 7 heures sur le chantier. Et le soir, avec les bouchons on n'est jamais rentrés.
Je remonte au Riau à 14 heures, on ne voit pas l'horizon. La fumée sort de la cheminée, on croirait l'automne. Silence dans la maison, Arthur est chez Dylan, Lili chez Ines, Sandra et Louise sont en bas près du poêle, la première travaille tandis que la seconde dessine.
Par la fenêtre de la bibliothèque, de gros nuages filent en fin d'après-midi vers le nord-est, ils ne sont pas assez nombreux pour empêcher le soleil de se glisser par des trous tout bleus et remettre les saisons d'aplomb. En bas Louise fait une pizza, j'y descends pour laver des radis, éplucher des concombres et couper des pommes en quartiers.
Avant d'aller se coucher, Lili regarde par-dessus mon épaule la première moitié d'Une Partie de campagne que Jean Renoir a réalisé avant de partir en Amérique : les congés payés, les vacances, les bords de Seine, mais aussi et surtout une certaine manière de filmer les dimanches, l'aube et le crépuscule, la lumière, une lumière qu'on ne voit plus : le soleil suit comme le cinéma les méandres de la Seine, mais aussi ceux de l'histoire.

Jean

Une nègre-soie a disparu



Une nègre-soie a disparu, des plumes jonchent le sol à l'entrée du poulailler. J'annonce la mauvaise nouvelle à Louise qui est réconfortée lorsque je lui annonce que c'est Flèche qui s'est fait emmener par le renard. Pâquerette, très ébranlée, semble s'être défendue. Il est probable que le renard ait fait son premier passage peu avant le mien et que je l'ai empêché de terminer ses oeuvres. A quoi un destin et le soulagement d'une enfant tiennent-ils donc ?
Je descends Arthur et Dylan au bus, le ciel est couvert, c'est la première fois depuis la neige du 8 mars et la petite averse du 18. Mais pas de pluie au réveil. Le soleil nettoiera le tout au milieu de la matinée.
Sandra emmène Louise, à moi de terminer le carrousel quotidien, mais le retard pris je ne sais où ni pourquoi m'oblige à conduire Lili et Mylène directement jusqu'à Montpreveyres, ce sera la même chose l'après-midi après le repas que nous prenons tous les trois à la véranda. J'aurai travaillé toute la matinée sans ordinateur en raison du remplacement des poteaux électriques dans le coin. L'incident m'aura apporté la preuve qui me manquait que je peux le faire sans difficultés si on m'y force, comme me passer de cafés pendant plus de trois heures : plus difficile pourtant.
Je relis l'épreuve de français qu'une collègue veut soumettre en juin aux élèves de 9e, m'avise que c'est une recopie du certificat proposé dans un établissement en 2009, non pas dans son contenu, mais dans sa forme, ses approximations et ses imprécisions. La tradition est parfois une vraie catastrophe.
Je reçois un mail de Sandra qui m'annonce que les élèves de l'option mathématiques-physique de 9ème année a gagné le concours organisé par Mathématiques sans frontières. Ils touchent le gros lot. Sandra songe à un petit voyage au Technorama de Winterthur et me propose de l'accompagner.
Il pleuvigne en début de soirée. Visionne Nuit et Brouillard de Resnais, vais chercher Louise et Lili, puis Arthur, visionne le soir une émission sur les destins parallèles d'Hitler et de Staline diffusé il y a quelques années sur Arte. Arthur travaille avec sa mère sur Dark jusqu'à plus de 10 heures.

Jean

Pas de feu malgré le froid



Pas de feu malgré le froid, même si on frôle le zéro ce matin. Arthur marche comme un vieux mais il ne se plaint pas. Je saisis à la volée un morceau de fromage, une tranche de pain, une pomme et un yoghourt. C'est la dernière semaine d'école, mais il faut songer aux cinq semaines qui suivront, au voyage à Tenero, au certificat, puis au voyage à Naples.
Retrouve les fauteuils rouges et m'y assieds une demi-heure. On annonce beau temps jusqu'à demain. Les pies vont par paires dans ce qui reste de la pelouse, les moineaux sont très agités, ils se déplacent par petits tas dans le roncier qui a pris possession de la partie ouest du préau. Tout va très vite, les pruneliers et les forsythias sont en fleur.
Travail coopératif des élèves de la classe 6 cette après-midi, sur le modèle de l'offre et de la demande. C'est l'utilisation de la virgule qui a le plus gros succès, les accents ensuite. Tout se passe dans une ambiance qui ne manque pas de sérieux.
Sandra descend au CHUV avec Louise, tout va bien, guitare ensuite mais pas de solfège, Louise a mal à la tête. Le pouce de Lili est inutilisable, la leçon de flûte est annulée. Arthur est sur skype avec son copain de Montpreveyres, ils mettent au point un travail sur le château fort : guère utile du point de vue du traitement de l'information, mais efficace du point de vue de l'utilisation des nouvelles technologies. Et ils s'amusent ; ces deux-là sauraient-ils le faire sans leurs Itouch ? Pas sûr, ils ne se verraient même pas. C'est dire que ces machines ont la vertu de rapprocher les gens qui habitent un pays de loups, et le Riau en est un.
Je donne un coup de main à Arthur qui s'est attelé au plan de sa présentation de Dark. On finit plus tard que prévu et cela n'aura pas été simple, des frictions même, car le mousse n'a pas toujours conscience des conditions à remplir pour satisfaire les exigences de l'école qui, comme on le sait, ne dit pas tout.

Jean

Ni vu ni fait grand chose de la matinée



Ni vu ni fait grand chose de la matinée. Termine après le déjeuner la lecture de Dark, le polar qu'Arthur a choisi et qu'il présentera bientôt à ses camarades. Je parcours ensuite avec le même, assis sur le banc rose placé devant le hangar, les notes sur le climat qu'il doit mémoriser pour la semaine prochaine. Doute toujours de la valeur de ce qu'on demande de faire à nos enfants, mais ne doute pas une seconde de la chance qui leur est donnée de se pencher sur tout et sur n'importe quoi.
Sandra donne un coup de main aux filles qui repeignent leur trottinette. Je vais faire ensuite un tour à vélo avec Louise, le même que la veille.
Dans la plate-bande devant la véranda, des tulipes, quelques narcisses ; les pivoines ont fait leurs feuilles, nous sommes à une semaine de Colonzelle, je m'en réjouis. Arthur a rédigé un billet plein d'esprit sur sa visite à l'Hôpital de l'Enfance, il va mieux, sans compter qu'il est invité par Swiss Cycling à faire un stage avec l'équipe de la relève suisse à Macolin. Dedans la maison il fait encore cru, mais tout le monde sait que nous glissons désormais sur le versant de la belle saison.
Fais le petit tour après le souper. Le bouvier bernois des C. tourne dans le pré au-dessus de la Moille-au-Blanc, la nuit tombe, rien ne bouge, un paysage sans raison. Trois chevreuils s'enfuient sous la Mussilly, Daniel y a fait poser un nouveau banc. Dans le ciel la lune se tient droite comme tenue par une barre rigide que je tiendrais dans la main, elle avance sans me quitter des yeux.

Jean

Sandra descend à Ropraz



Sandra descend à Ropraz faire quelques exercices pour juger juste les concours de trial de la saison. Arthur lui se soigne, repos pendant 3 semaines. Je pars avec Louise aux Censières, elle sur son nouveau vélo et moi sur celui d'Arthur, le ciel est bleu écarlate.
A notre retour Lili va chez Mylène pour son anniversaire. Je poursuis mon équipée à vélo jusqu'à à Ropraz, la tête à la fête et la fête aux lilas. Fais une pause sur la terrasse de l'Estrée, une autre sur celle des Corthésy que Valérie balaie, elle prépare l'été.
Sandra et les enfants nous rejoignent, on passe la fin de l'après-midi ensemble, arrosée, la fête se prolonge. Passage par la laiterie de Corcelles, on y achète du fromage et des pommes de terre ; passage par la cave du Riau, on en revient avec du vin. Au total il est plus de 22 heures lorsqu'on rentre, le ciel est noir et je retrouve ces mots couchés sur un bout de papier :

Je suis poète,
j'aime les oiseaux
et les quarante tonnes
qui traversent le village à 80
ton visage me fait penser à Ostende
tu vas voir
je ne suis pas ronchon

Jean

En revenant de l'arrêt de bus



En revenant de l'arrêt de bus où j'ai déposé Lili, je croise une pie qui transporte du matériel pour le gros œuvre de son nid, elle remonte en direction de la Moille-au-Blanc je descends au Mont.
Une idée passe, y pense tout en conduisant, suis une ou deux de ses avenues, tente de l'organiser pour m'en souvenir. Elle m'échappe, j'hésite alors à m'arrêter sur le bord de la route pour la noter, trop tard, tente de m'accrocher aux dernière traces de son organisation qui s'effacent elles aussi. L'idée s'évapore avec tout ce que je lui avais prêté, me voici les mains vides avec le sentiment d'une perte irrémédiable et la sensation d'avoir perdu pied.
Le collège est presque vide le vendredi après-midi, il fait meilleur travailler dans ces conditions, il y a un air de vacances.
Remonte à 16 heures. Sandra et Louise partent à Lucens chercher le nouveau vélo. Sandra emmène ensuite Arthur à l'hopital de l'Enfance, sa hanche ne va pas mieux. Lili joue dehors jusqu'à la nuit, Louise roule, je prépare le repas. Mais Sandra et Arthur ne sont toujours pas rentrés à 20 heures, il y a du monde, et des cas plus graves que celui du mousse.

Jean

Ceci encore



Ceci encore : nous avons fait un feu, hier soir, avec les couenneaux qui bordaient l'ancien potager, ce n'est plus qu'un souvenir, on grille des cervelas.
Revois au réveil les fondamentaux du dauphin, avec Lili qui s'inquiète. Elle a raison, compliqué le système d'écholocation, quant à la variété des poissons qu'il mange – maquereaux, anchois, crevettes et calamars – elle doit être en mesure de la lister aujourd'hui. Par ordre alphabétique, Monsieur ?
Écoute une chaconne en descendant au Mont, un air d'ailleurs, de l'autre côté de chez moi et qui en rapporte l'écho, quelque chose que je suis incapable d'imaginer, quelque chose qui me laisse dehors, quelque chose qui passe, qui passe très loin de moi, la réalité d'un rêve.
Les marronniers près de l'église font leurs feuilles, le chantier avance, la creuse se poursuit avec quelques précautions, il faut en effet que le tractopelle ne soit pas prisonnier de la fouille qu'il est sur le point de terminer. Le mille-feuille – bidime, gravier, plastique, béton maigre – dont la fabrication précède les opération d'étanchéité sera prêt la semaine prochaine.
Passe un moment à la salle des maîtres, sur l'un des fauteuils rouges si souvent inoccupés. Des voix me parviennent, elles me rappellent la fragilité des institutions aujourd'hui, l'obsession que chacun a de ne faire que ce qu'il doit et ce qu'il est en droit de faire.
J'enchaîne 8 périodes. S'il me faut en garder une en mémoire, c'est celle pendant laquelle je visionne avec les élèves de la 11 le Continents sans visa consacré à juin 68, séduit par les intervention de Michel Bosquet (alias André Gorz) d'une rhétorique glaciale ; les étudiants jouent aux apprentis sorciers ; des ouvriers de chez Renault, usés, avouent sans rhétorique aucune préférer à la révoltion permanente quelques heures de travail en moins chaque semaine et une retraite à 60 ans, ils sont loin du débat sur les institutions et font apparaître les étudiants d'alors comme les dignes successeurs des enfants de choeur. Je souhaiterais pourtant que les élèves dont nous avons la charge leur ressemblent parfois un peu plus.
Je récupère les filles à la poterie avant de récupérer Arthur. Il est tombé et boîte bas, très bas.

Jean

Me prépare



Me prépare pour les 5 périodes du mercredi matin, peu d'entrain, mais je ne les vois finalement pas passer. Me sens incapable de déterminer en quoi j'ai pu être utile aux élèves. Peut-être lorsque nous avons parlé M. et moi de Maupassant, de la fabrication, par la littérature, du monde dans lequel nous vivons.
Passe une heure à relire avec une collègue les futures épreuves du certificat avant de rentrer au Riau. Personne. Sandra a conduit le mousse et Lili à la séance de la Lanterne magique, elle s'est rendue ensuite à Vevey rendre les skis, la saison est terminée. S'est arrêtée un instant chez Françoise avant de conduire Louise chez l'orthodontiste. Je file à Oron récupérer Arthur et Lil. On se retrouve tous les cinq vers 17 heures.
Lis dans le jardin, avec une bergeronnette qui tourne autour du potager abandonné, les moineaux vont et viennent du pommier des moissons à la haie vive près de l'étang. Louise fait de la trottinette, Sandra rempote. Les enfants Moinat montent de Ropraz passer avec nous la fin de l'après-midi. Le jardin est devenu une immense oiselière, Cacao s'est joint et la bande et les filles serrent dans leur bras les nègre-soie. On mange avec Suzanne, Jeremy et leurs enfants, la soirée se proplonge un peu. C'est la belle saison.
Françoise m'apprend que Denys, le frère de papa est mort ce soir.

Jean

L'anticyclone nous assure de beaux jours



L'anticyclone nous assure de beaux jours et le mardi me procure de belles heures lorsque les taches administratives et scolaires ne l'encombrent pas. Visionne le film réalisé par Alain Tanner et Jean-Pierre Goretta dans le cadre de l'émisssion Continents sans visa consacré aux événements de mai 68 à Paris, une merveille tournée en juin 68, floraison de naïvetés mêlées à d'âpres morceaux de doctrine.
Relis dans le jardin le Haut-Jorat de Gustave Roud (1949).
Ecoute la radio en faisant à manger, pas longtemps, le ton des journaliste m'exaspère. Plutôt que de démonter les discours, ils tentent par tous les moyens de démonter les hommes qu'ils ont invités, lesquels n'ont eu d'autres solutions que de se former à l'art du contrôle de soi pour que ces entretiens ne se terminent pas en échauffourées, comme dans les cours d'école.
On mange, Arthur, Lili et moi à la véranda, Louise est à la piscine. Un bout d'après-midi à ma disposition, je rédige et publie sur lesmarges.net le billet du jour. Sandra nettoie les ruches vides depuis cet hiver.
Mézières est fermée aux voitures qui viennent de Peney et vont à Oron, il faut passer par Carrouge pour entrer dans le village. C'est ce que je fais et vais lire les 50 premières pages de Dark, le roman policier de Claude Merle qu'Arthur se propose de présenter à ses camarades.
On se retrouve tous à table après l'entraînement du mousse, j'ai hâte de me coucher. On a certes repoussé la nuit d'une heure, mais la mienne vient toujours un peu plus tôt et me donne l'impression que les jours n'ont pas été taillés à ma mesure.

Jean

Retour de la nuit au réveil



Retour de la nuit au réveil, avec les lampadaires publics et l'éclairage domestique dedans et tout autour, c'est le prix de l'horaire d'été, ce non-sens. Les filles dorment encore lorsque j'emmène Arthur au bus. Je continue jusqu'au Mont en essayant de chasser les réticences qui m'assiègent depuis quelque temps lorsque je me rends à l'école, fatigué des dysfonctionnements et des aveuglements qui minent cette institution. Elle me fait penser à un gigantesque vaisseau, plein à craquer, qui glisserait sans pilote sur une mer illimitée, sans obstacle pour l'arrêter. M'assieds dans la pénombre de la classe pour anticiper les questions qui vont se présenter ce matin. Je leur donne un nom, et ce qui me pesait s'allège. Le jour se lève.
Tente de régler une embrouille qui aurait pu infecter dans l'immédiat des relations entre adultes en proposant mes services pour accompagner des élèves au Tessin, assuré que ce coup de main se retournera plus tard jour contre moi. Quatre périodes ensuite, au cours desquelles j'essaie de ferrer le désir et la curiosité des élèves, c'est en définitive le gros et l'essentiel du travail de l'enseignant. Je ferme les yeux à midi, les rouvre à 13 heures, des élèves ont besoin de mon aide pour publier sur cocktail le billet de la semaine. Aimerait les refermer ensuite.
Je taille le pommier en espalier avant d'accompagner Lili à Mézières où j'annonce à sa maîtresse qu'elle ne fera plus de flûte à la rentrée scolaire, mais du piano à Oron. S'il n'y avait eu ces mots, cette journée n'aurait, je crois, pas existé. Mais ces mots ne la chargent d'aucune valeur, ils m'auront permis simplement de fixer les contours de ce qui fut et de ne plus rien en attendre, sinon le jour qui va suivre.

Jean

Pas de pause dans la succession des beaux jours



Pas de pause dans la succession des beaux jours, on déjeune à la véranda, les nouvelles pousses du cognassier et celle du prunier montent tout droit. Les filles se préparent, bombe, bottes et casaque, pour le concours de Curtilles que Laurence a préparé.
On roule entre Moudon et Lucens sur la route cantonale, avec la voie de chemin de fer à ses côtés, puis la Broye, le talus, le chemin côtier, la succession des bouleaux, tout droit jusqu'à ce qu'un peu avant Lucens la longue courbe de la Broye endiguée entraîne avec elle vers l'ouest le reste du paysage.
Les enfant brossent leur poney, l'harnachent et attendent leur tour en face du château. C'est le tour de Lili et de Louise, elles se régalent, se jouent des obstacles, réussissent même à monter sur le dos de leur bête sans se servir des étriers.
On revient avant midi, il fait plus de 20 degrés, les enfants commencent leurs devoirs, à contre-cœur. Pour faire passer la pilule, je me rends à Mézières acheter trois caraques, un millefeuille et un vermicelle. Me décide à tailler le cognassier, dans la foulée je transplante les groseillers au sud de l'ancien potager, sous le soleil ; ils crachotaient jusque-là, dans l'ombre du tilleul, de maigres baies. C'est peut-être un peu tard, on verra.
On repart à Curtilles en fin d'après-midi pour la proclamation des résultats, les filles sont contentes de recevoir une plaque et un flo. On rentre à 18 heures, les filles se baignent, Arthur rédige le second billet de la semaine.
Je mets du temps à m'extraire de la mine le vendredi, du temps pour y rentrer le dimanche soir, ceci exlique cela : je sors du week-end fatigué. On a passé cette nuit à l'horaire d'été, Lili peine à s'endormir.

Jean

Ravi dès le réveil par le ciel bleu



Ravi dès le réveil par le ciel bleu. J'ouvre aux poules, convaincu que le renard sait que nous sommes sur nos gardes. François nous rejoint à un peu plus de 9 heures. On boit un café dans le jardin et, tandis que Sandra part pour Ropraz avec Arthur pour son premier stage pratique de juge, on file à l'ouest avec la voiture de François qu'on laisse à l'entrée d'Echallens, près du tennis. Des cadavres de grenouilles jonchent le parking. On remonte le canal de dérivation sur la rive droite du Talent, d'autres grenouilles, bien vivantes y copulent. On continue jusqu'à la route de Malapalud. On parle de choses et d'autres, de la retraite à laquelle François a droit depuis une année, du travail qui continue pour moi. Il fait un temps à aller au bout du monde.
Les abeilles se sont mises au travail, les papillons se réveillent, un pique-épeiche, des pies s'agitent. On fait une halte dans la chapelle de Bottens. Quelqu'un a souligné au crayon les six doigts de pied du Christ de Rivier. Une fissure traverse son torse et une tache d'humidité est apparue sur le bustier de Marie. 
Dehors de belles cavalières vont et viennent sur leurs chevaux. On mange sur la terrasse de l'auberge de Bottens avant de repartir pour Froideville où la famille de l'un de nos anciens élèves nous offre une glace : un ou deux mots, le soleil, pas beaucoup plus. On continue par le refuge de Corcelles.
On boit un thé au jardin où Sandra et les enfants nous rejoignent. Le pommier fait ses premières fleurs. Les étourneaux et les corneilles s'activent dans le ciel en fin d'après-midi. 
Ce soir, nous regardons, Arthur et moi, une émission de la TSR sur la sélection des hôtesses pour animer les stands Maserati, Mazda, Peugeot au salon de l'automobile à Genève. Sans importance mais un peu inquiétant tout de même.

Jean

Un feu avant la diane



Un feu avant la diane, m'occupe ensuite des filles à qui j'annonce qu'elle rentreront à pied cette après-midi de l'arrêt de bus. Il fait beau, Lili s'en réjouit, il n'en va pas de même pour Louise. Dans la haie vive qui borde l'étang au fond du jardin, les crocus sont en fleur. 
De la cour que je traverse, j'aperçois derrière les vitres des classes des visages d'enfants désœuvrés, quelques-uns à la tâche. Me dis qu'il y a du gâchis. Ils vivent dans leur tête comme dans une garderie. Un verre d'eau pour fixer les choses, dans l'un des fauteuils rouges de la salle des maîtres, avec le bruit du chantier qui rappelle que les choses se font très bien sans nous. C'est réconfortant. Une collègue commande sur internet sa garde-robe de printemps, une autre débarrasse la machine à laver la vaisselle. Sonnerie, rejoins la classe 9, corrige des travaux pendant qu'ils en font d'autres. 
Dure journée avec quelques élèves, je durcis le ton. Serait-ce la seule solution ? leur faire entendre qu'un orage, une tempête gronde ? Suis désormais un vieux fondamentaliste, bien plus intéressé par la question de la connaissance que par celle de l'encyclopédie, m'en suis rendu compte lors d'une séance avec le chef de file de géographie. Remonte à 5 heures, croise les filles. Elles vont dormir chez les Moinat.
Ai oublié le Tupperware du repas de midi, m'en veux, passerai ce week-end. Envoie un mail à François pour lui donner le programme de samedi : d'Echallens à Malapalud par les bords du Talent, Bottens. Halte à l'auberge. Puis Froideville, François semble ravi. Michel passe reprendre son appareil auditif qu'il a oublié à midi. Lucette rentrera à la maison vraisemblablement lundi. 
Ce soir nous allons, Sandra et moi, au cinéma d'Echallens où l'on projette Cheval de guerre de S. Spielberg. Aurai surtout apprécié la glace à l'entracte et les réminiscences d'autres films. Arthur est resté à la maison pour voir Sherlock Holmes 2. On revient par Poliez-le-Grand et Bottens, l'église catholique est éclairée, l'autre pas. Arthur dort, avec la lumière. J'éteins.

Jean

Le feu dans le poêle ne durera pas



Le feu dans le poêle ne durera pas, le soleil occupe déjà la véranda. Descends au bus Arthur et Dylan qui s'est fracturé l'annulaire. Sandra suit avec Louise, je termine avec Lili. La maison sera déserte jusqu'à midi. Michel viendra faire à manger aux enfants, seul, puisque les médecins, qui lui ont posé un plâtre, gardent Lucette à l'hôpital pour la semaine. La bande de neige à l'orée du bois a presque disparu.
J'écoute la radio en descendant au Mont, la voix des journalistes, leur suffisance, leur arrogance, leur bonne humeur m'exaspèrent. Ne regarde rien de la route, m'en veux.
Des camions versent du gros gravier sur les toiles de bidime étendues à l'ouest, à même la terre. Des barrières de sécurité ont été placées tout autour des palplanches pour sécuriser le chantier.
Corrige les travaux que j'ai préparés et que je donnerai à faire ces prochains jours aux élèves. Les mets en page pendant une heure de surveillance dans la petite salle de sciences, au pied du premier bâtiment dont la construction a bien avancé. En levant la tête, on aperçoit les armatures des grandes ouvertures vitrées fixées contre la coque de béton. Les standards ont bien changé, les économies d'énergie y sont pour quelque chose.
Le soleil annonce le printemps depuis plusieurs semaines. On n'y croit pas encore vraiment, et quand il sera là, on sera déjà en été, quelques beaux jours, une paire de mois, trop court. Un temps où l'esprit succombe pourtant à l'école buissonnière, qu'on le veuille ou non. On croit moins aux choses de l'intérieur, aux bibliothèques, on se détache de la raison.
Est-ce une libellule ? un oiseau inconnu ? un hélicoptère ? Non, c'est un drone dont j'aperçois le pilote caché derrière une butte. Les brebis et leurs petits sont dehors en face de la Marjolate. Dans le jardin au Riau, le nid des corneilles fait une tache noire, un noeud sombre dans les branches du foyard. On ne le verra bientôt plus mais on entendra les cris de leurs propriétaires, étouffés derrière leur lourde frondaison.

Jean

Grandes traînées de tulle ce matin



Grandes traînées de tulle ce matin, qui se plissent du nord au sud et qui bordent le ciel à l'est et à l'ouest comme des rideaux. Le bleu au centre ne parvient pas à les écarter, les rideaux retombent et tout est à recommencer. Deux degrés au dessus de zéro, je fais du feu.
La maison somnole lorsque je m'en vais, les filles sont au lit. N'entends pas l'oiseau de la veille. Arthur a congé il descendra plus tard à Ouchy faire de le trottinette pendant que Sandra fera des courses. A Sainte-Catherine, une bergeronnette bat la queue sur les glissières de sécurité. Le soleil réapparaît. Me demande où sont les chardonnerets qui donnaient à nos campagnes, il y a quelques années encore, un air si exotique.
Les travaux au collège n'ont pas beaucoup avancé depuis lundi. Je demande au contre-maître la raison du béton maigre sur le chemin de ronde. Ça ne sert à rien, me dit-il, mais on doit le faire. La grande grue devrait arriver dans la troisième semaine d'avril, l'excavation est loin d'être terminée. Il faudra encore recouvrir le fond de la creuse, de bidime, de gros gravier et de 10 centimètres de béton maigre avant d'entamer les opérations d'étanchéité.
Mets à la disposition des élèves certains de mes fichiers pour leurs travaux de fin d'année. Réitère mes avertissements pour qu'aucun d'eux ne tombe dans le piège de Wikipédia. Posent les bouées qui devraient les obliger à se mettre à l'eau sans trop de crainte. Me surprends chaque fois de leur faculté de passer à côté des problèmes et des difficultés. J'étais la même chose.
Les Préalpes sont à nouveau, là-bas, recouvertes de neige jusqu'à leur collet. Ici les buses prennent du bon temps, les haies un peu de couleur. Les muscaris sont en fleur.
Sandra et les filles mangent dans le jardin, sous le parasol sorti pour l'occasion, c'est la première fois. Je jette un coup d'oeil aux rosiers avant de me mettre à table, il semble qu'aucun d'eux n'ait été définitivement victime du gel.  
À Curtilles, une dizaine de cavaliers s'éloignent pour une balade, je lis sur un banc.

Jean

Premier jour de printemps



Premier jour de printemps, ou presque, et tout est à nouveau blanc. Arthur a fait un feu ce matin, qu'il a oublié de nourrir. Me retrouve de service, doublement puisque c'est mon jour de congé et parce que les filles restent ce matin à la maison, leurs enseignantes ont une journée de formation. Lili dort jusqu'à 8 heures 30. Elles font leurs devoirs après le petit déjeuner, la liberté ensuite.
J'ai du travail mais m'y mets tard. Des évaluations à préparer, des travaux à corriger. Ça fait ensemble un tas dans lequel il me faut mettre un peu d'ordre, je m'en réfère aux Horaces et aux Curiaces, mets le tout en colonne, coche mes premières victimes. Dehors le brouillard est descendu à ras-de-terre, n'a laissé aucune ouverture, mais il rampe si bas qu'on voit en levant les yeux le soleil se préparer dans les couches supérieures. Il fait son entrée en fin de la matinée. Louise prend alors son vélo et nous allons faire le petit tour sous le soleil. Elle a les mains nues, se plaint du froid. Un milan tournoie dans les airs lorsqu'on redescend sur la Moille Cherry, je le lui montre. Un bref coup d'oeil et ce commentaire lapidaire :
- Ça ne sert à rien de tourner en rond, mais il ne le sait pas. Il ne parviendra jamais en Italie.
Arrivé près de la ferme du château, je veux en avoir le coeur net, je lui demande si elle sait où se trouve Milan. Sa réponse négative ne me fait pas avancer. Ma question était idiote, je laisse tomber.
De retour à la maison, Lili nous signale, fière, qu'elle a terminé ses devoirs. Un léger voile nous coupe du ciel. Bientôt midi, Louise revoit ses vocabulaires à la véranda. Je prépare à manger.
Les filles partent pour l'école, l'après-midi est pour moi, je prépare une tarte aux pruneaux. Presse l'heure dont je dispose comme un citron pour terminer le travail que je m'étais promis de faire. Accompagne ensuite Arthur au trial. Sandra et Louise reviennent du CHUV, les examens sont bons, tout va bien. La maman de Sandra aussi, son opération s'est bien déroulée. Je ferme aux poules avant de descendre à Ropraz.

Jean


Le brouillard manoeuvre



Le brouillard manoeuvre dicrètement ce matin, se glisse dans certains vallons, en épargne d'autres, il étend son règne sans esprit de système. On entend depuis la véranda le chant d'un oiseau, les haies vives au nord du jardin sont nues, la terre noire à leur pied. Il fait deux degrés au dessus de zéro lorsque j'entre dans la voiture et que je descends Arthur à l'arrêt de bus.
Une pompe aspire l'eau des futurs sous-sols du nouveau bâtiment scolaire, la conduit dans une benne qui la déverse dans un regard. Les poseurs de palplanches auront terminé cette semaine. Le chemin de ronde mesure à peine un mètre de large et deux ouvriers font des mesures. Au fond de l'excavation, un engin déplace avec un gros godet la terre alourdie par la pluie. Toujours peu de monde sur le chantier, bientôt de la boue et plus personne.
Présente le Sonderbund aux élèves de la 6, et 1848. Parle trop. Mais me demande bien comment faire autrement pour rendre intelligibles des histoires qui ne sont pas toujours très traisonnables.
Retour au Riau à 16 heures, le brouillard a pris de la hauteur, la pluie est noire. Lili fait un peu de flûte avant son cours. Sandra a emmené Louise à la guitare et au solfège. Arthur qui a vendu quelques billets de tombola au village est resté chez Dylan, permission de 17 heures. Les jeux vidéo sont décidément une vraie terreur.

Jean

Voici un dimanche



Voici un dimanche différent des autres, parce que Sandra quitte la maison avant qu'on ne se lève. Elle s'est engagée à suivre les cours de juge pour les courses de trial. Elle m'étonne chaque jour, capable d'alterner des activités si différentes avec le même entrain, la même bienveillance, le même sourire. On déjeune orphelins.
Arthur, qui a oublié ses affaires en classe, prépare la semaine prochaine avec l'à-peu-près qui sied aux pré-adolescents. On n'y peut rien sinon lui laisser assez de place pour qu'il puisse faire ses expériences sans qu'il lui en coûte trop demain. Je supervise les devoirs de Louise qui les commence avec le sourire. Mais la répétition fastidieuse de la tâche la fait douter sur leur bien-fondé, elle ralentit puis câle. Elle terminera avec toutes les peines du monde.
Le froid est revenu, tout est blanc à trois heures lorsque je raccompagne Suzanne et ses enfants à Ropraz. On les a accueillis pour un thé, surpris qu'ils ont été par la pluie et la neige. Ils laissent leur vélo au garage. Ils les reprendront la semaine prochaine.  
Je prépare une ou deux choses à dire demain à propos de la Réforme aux élèves de la clase 6. Arthur, Louise et Lili regardent une vidéo avant qu'on ne se décide à descendre au P'tit Théâtre. Il est 16 heures 15, c'est jour blanc, on descend alors que le brouillard a étendu son empire et se tient sans bouger à une vingtaine de mètres au-dessus du sol. J'ai l'impression de regarder le monde de l'intérieur à travers l'ouverture d'une boîte à lettres. Petite pièce de Jean-Claude Grumberg pour grands enfants. Ne me fais pas embarquer, Arthur non plus. Pour Lili, il manquait quelque chose, mais elle ne sait pas quoi. Louise est enchantée.
Il fait encore jour lorsqu'on sort, on passe derrière le chevet de la cathédrale, les cloches sonnent, le pavé est mouillé. Rentre et ferme les poules.
Sandra est là, on mange les restes de la veille que je réchauffe. Les enfants après s'être succèdé dans la baignoire, même eau, vont se coucher, même nuit.

Jean

Mars a tiré un rideau blanc



Mars a tiré un rideau blanc, le temps est chaud mais de petite humeur. Deux jonquilles sont en fleur dans la plate-bande, à côté des rosiers, trois d'entre eux semblent avoir gelé. C'est l'ancienne propriétaire qui les avait mis en terre ici. J'aperçois pourtant quelque chose comme une repousse sous le bois sec. A suivre.
Il fait assez chaud pour que je ne fasse pas de feu et que l'on déjeune à la véranda. Sandra et Arthur descendent à l'EPFL pour l'une des demi-finales du 24e Championnat international des jeux mathématiques et logiques. Je reste avec les filles dont je me serais volontiers débarrassé après une dizaine de minutes, une affaire de livres qui les conduit à s'invectiver, à hurler, menaces et rétorsions. Je n'en peux plus, sors de mes gonds, leur intime l'ordre d'aller dans leur chambre, portes fermées. Je vais prendre un bain.
Aurai réussi ensuite, après plusieurs manipulations à configurer sur l'Itouch qu'Arthur a vendu à Louise une nouvelle adresse mail. Quartiers libres jusqu'à trois heures, les filles vont jouer dehors, amènagent le toit du hangar. On descend ensuite sous le soleil au Musée de l'Elysée qui consacre son exposition à l'histoire du photomaton. Elles font le tour rapidement et vont jouer dans le parc. Lorsque je sors une heure après, Lucie est avec elles. On achète du pain et du chocolat dans une épicerie qu'on croque dans la foule d'Ouchy avant de remonter au Riau.
Lucie et les filles dessinent, je termine le repas que Sandra a préparé et qui rentre à 19 heures. Bel après-midi à l'EPFL.
Je vais chercher Arthur à la Ferme des Troncs à 22 heures. Françoise et Edouard passent en coup de vent reprendre Lucie.

Jean

La lune incise le ciel bombé



La lune incise le ciel bombé comme un vase, bleu plomb, puis bleu beurre, beau fixe enfin. Les enfants sourient au réveil. Température douce d'or tout le jour. Fais un feu pourtant. Tout ça me réjouit, sans compter que Louise égrène quelques notes du Printemps. Elle me demande de la conseiller pour son audition, ce que je fais, la descends au bus, elle a, contrairement à la veille, de l'énergie à revendre.
Lili coiffe ses longs cheveux qu'elle noue en queue de cheval, je lui laisse le volant de la voiture jusqu'au carrefour. Sur la route du collège, les pare-neige sont en tas, l'ombre des piquets dressés comme des gnomons s'est raccourcie. Photocopie les 5 premières scènes du Malade imaginaire.
Un élève présente les 6 artistes que la Banque nationale a choisis pour faire bonne figure sur les billets de banque : Charles Ferdinand Ramuz, Alberto Giacometti, Arthur Honegger, Sophie Taeuber-Arp, Le Corbusier. Et Jacob Burckhardt. Belle alliance contre nature de l'équivalent général et du sans prix.
Ne sais pas trop bien ce qu'on peut faire avec les élèves de la 9, aux limites de l'infans, grands pourtant, solides. Je prie un élève de descendre aux travaux manuels pour bricoler sa ceinture et le libérer de l'inquiétude continue qu'il semble avoir de perdre ses pantalons ou sa raison. Il y consent. Suis fatigué, le leur dit, leur remonte les bretelles, le camp polysportif branle au manche, ça fait un certain effet. Me voilà tranquille jusqu'à la fin de la matinée.
M'arrête au Chalet des Enfants, bois une camomille sur la terrasse, avec d'un côté l'eau de la fontaine qui coule en abondance malgré la sécheresse, de l'autre celui de huit retraités qui poursuivent les conversations commencées sur les banc d'école, en plus disciplinés. Les groupes lorsqu'ils ne visent pas l'efficacité sont des plaies, ils sont des monstres lorsqu'ils la visent.
Le vent d'ouest fait du bien. Un tracteur herse la prairie qui descend jusqu'au bois. Je ferme aux poules avant de me rendre à Moudon pour l'Assemblée générale du Trial. Sandra et les enfant vont à Ropraz manger chez les Moinat.

Jean

Le ciel est dégagé



Le ciel est dégagé, prés et lisières d'or, longues ombres qui s'échappent par manque d'attention, on détourne les yeux et tout redevient comme la veille. On fait faux, il faudrait persévérer dans les hésitations et les nuances de ce qui commence à peine, ce dans quoi on est immergé lorsqu'on sort de la nuit, ne pas renoncer et ne pas fermer les yeux, ne pas entrer dans ces filières qui ne mènent nulle part sinon au regret. Impossible pourtant de reprendre et commencer juste, notre condition l'interdit, y penser nous réconforte parfois.
Préparer le feu pour commencer, la table ensuite que Sandra garnit, c'est l'anniversaire de la grand-maman des enfants qui viendra à midi, avec Michel, comme tous les jeudis – et les vendredis – , leur faire à manger. Lili a perdu une nouvelle dent hier et se demande s'il est bien nécessaire de laver celles qui restent.
Une dernière plaque de neige, longue langue qui longe le bois derrière le Chauderonnet. Des colonnes de fumées s'élancent, tordues, au-dessus des haies et des palissades de l'Escargotière. Là-bas, du feu, ils en font presque toute l'année.
La creuse se poursuit au Mont, on entend les craquements de la souche du marronnier tronçonné il y a quelques semains et qui faisait des grappes de fleurs blanches et roses. Les camions se succèdent avant de disparaître avec leur chargement je ne sais où.
Pour le reste, j'enchaîne 8 périodes, avec une maigre pose à midi. Essaie de faire voir aux élèves de la classe 11 que la grammaire ne conduit pas exclusivement à accorder correctement le verbe avec le sujet, mais aussi à mieux comprendre la puissance générative de la langue, à nous en proposer une représentation dont il est nécessaire de disposer pour qu'elle ne nous abuse pas et qu'on la considère non plus seulement comme un véhicule, mais encore comme cette singularité relevant du monde des choses dont elle est issue, et située à la source du miracle dont elle fournit une image. J'essaie de leur montrer également la nature particulière du verbe être, des verbes paraître, rester ou devenir, si essentiels à leur vie d'adolescents, des verbes avec lesquels il faut faire pour devenir celui qu'on est et approcher la ribambelle de fantômes qui nous habitent, dans une société qui ne nous attendait pas. Ça fait beaucoup.
Je leur raconte ensuite le rêve qui a mobilisé près de la moitié de la population européenne de 1917 à 1991, la succession des dérives qui ont conduit Gorbatchev a entrouvrir, dès 1985, les portes de la fin. Le 25 décembre 1991, le monde se réveille, la bouche pleine, pluralisme et économie de marché, c'est la fin d'un rêve. Gorbatchev regrette aujourd'hui, il aurait fallu des réformes, plus de réformes et plus vite. Les oligarques feront le reste.
Arthur m'attend à la maison, je le dépose à Ropraz avant de partir pour Vulliens. C'est partout le printemps d'avant le printemps, vieilles herbes jaune filasse, vert tendre, sans brillance. M'arrête pour la premiere fois cette année sur le banc de l'épicerie de Carrouge, au soleil, mange un pain de poire et bois une eau minérale.
Reviens de la poterie avec les filles par Montpreveyres. Louise est fatiguée, mal à l'épaule, aux chevilles, au cuisses, partout. Les nouveaux poteaux téléphoniques entre le village et le Riau sont dressés.  

Jean

C'est un un bruit de crécelle



C'est un un bruit de crécelle, précédé d'un sifflement, qui me réveille, un rouge-queue, le rouge-queue qui niche au-dessus de la porte d'entrée, peut-être. Je me suis réveillé à 5 heures, somnole jusqu'à 6, le jour se lève. Il faisait rose hier soir, il fait rose ce matin. Louise nous régale d'une valse de Bartolomé Calatuyud.
Panique avant de partir à la mine, je ne trouve ni mes clés ni mon sac, le sol s'entrouvre sur le vide : Arthur va rater le bus, je vais devoir le conduire jusqu'à Mézières,... Retrouve bientôt le tout et mes esprits.
Le soleil apparaît au-dessus des Préalpes, comme hier, comme tous les jours, mais aujourd'hui les maisons se tournent vers lui, leur visage s'éclaire, celui des hommes aussi. J'écoute la radio, une femme raconte : Il y a plus de choses que je ne savais pas que de choses que je savais, alors j'ai décidé d'apprendre.
Constate que plus de la moitié des palplanches sont placées au Mottier. M'assieds dans l'un des 6 fauteuils rouges de la salle des maîtres, silence et voix basses, puis la sonnerie annonce la débâcle, la salle se vide, reste la stupeur d'un espace rendu à lui-même. C'est seulement alors que je rejoins les élèves. Leur soumets l'énoncé suivant : la phrase est à la langue ce que le mètre est au système métrique. On se penche ensuite sur le verbe être, son isolement dans le système, son comportement grammatical, sa puissance.
Je pars à 10 heures pour Moudon, avec une sensation de liberté, comme chaque fois que je vais ailleurs, là où je ne devrais pas être. Personne sur la route, ni à Syens, personne non plus dans les autres villages. Le centre de Moudon est désert, la circulation est interdite au pied du chevet de Saint-Etienne : deux ouvriers retirent d'une fouille une vieille ligne téléphonique.
Au cabinet dentaire il y a au contraire du trafic. Mais j'y entre avec la sensation d'être en vacances, une sensation qui s'étend et qui me conduit à penser que tout le monde l'est. Et cette pensée a pour effet d'alléger la vie de chacun, la mienne, la leur, le vide se conjugue avec la brise et les sourires, et j'avance sans rien déranger sur les pavés. Sors pourtant de chez le dentiste avec l'assurance d'y avoir laissé quelque chose : une dent. En échange, l'acceptation du temps qui passe. Le soleil est haut dans le ciel, il est midi.
Sandra et les enfant sont à la véranda, je mange un yoghourt. Elle a trouvé des billets d'avion pour Berlin, puis a déniché un hôtel. On sort la petite table verte et les chaises qui avaient passé l'été dans la serre. Quelque chose a changé dans le jardin, ce sont les couenneaux qui entouraient la demi-douzaine de carreaux dont on peinait à s'occuper. Je les ai retirés dimanche, j'espère secrètement que les cosmos et la rhubarbe reviendront.
Dans les prés, l'herbe nouvelle chasse la vieille filasse sèche. Je lâche Arthur en haut de Ropraz pour qu'il puisse chauffer les freins de son nouveau vélo. Il sonne six coups à l'église de Mézières, bois une camomille à l'auberge en corrigeant les derniers travaux rédigés par les élèves avant la semaine à Berne. Globalement du bon, du très bon travail. Ils sont loin encore pourtant de l'idée qu'une bonne charpente est celle qu'on ne voit pas. Ils ont tendance encore à travailler de proche en proche, ils ajoutent à leur construction qui ne tient pas des contreforts, étendent une nouvelle couche de dispersion par-dessus le salpêtre.
Le tilleul que le voisin a taillé il y a quelques jours donne l'impression d'avoir perdu la tête.

Jean

A six heures



A six heures, le thermomètre indique un peu moins de 5°. Le feu a pris sur la chaîne des Vanils, le brouillard se tient à ses pieds, mais aussi de l'autre côté, à la lisière du bois, comme arrêté par le jour. Lili sort son lapin en répétant sa poésie sur l'escargot, ce matin c'est moi qui accompagne les petits à l'arrêt de bus, Marilyne s'est fait mal à l'épaule. Il en sera ainsi ces prochaines semaines Vais faire le plein sur la route de Berne, le prix de l'essence ne cesse de monter.
Je fais le ménage à la bibliothèque, mets à la poubelle des CDs qui n'ont servi à rien, aimerais bien ne pas avoir à travailler et sortir, suivre les traces du soleil dans le brouillard. Ai la sensation parfois d'avancer dans une impasse, dedans, peine à réévaluer ce qui est en jeu, dégager l'essentiel, retrouver le calme. Des tâches administratives m'attendent, elles ne pèsent rien mais encombrent mes heures.
Ébauche les consignes de l'examen de français avant de descendre à la cuisine sortir la tarte que j'ai mis au four à 8 heures. Remonte sauvegarder les travaux des jours passés en écoutant Gélinet évoquer avec son invité 1991, la disparition de l'URSS. Ecoute ensuite Gorbatchev qui raconte ses tentatives de sauver l'entreprise soviétique, le rôle ambigu d'Eltsine. Descends préparer le repas, Lili claque la porte, puis c'est au tour d'Arthur. Je mets la table.
J'enchaîne tout l'après-midi des petits travaux sans jamais avoir l'impression salvatrice de pouvoir en venir à bout. Récupère au bus Lili et Louise, avant d'avoir fait quoi que se soit, puis Arthur à 16 heures 30 que je descends à Ropraz. Passe une heure sous le portrait du général Guisan à l'auberge communale de Mézières. Deux tables derrière moi, des retraités passent en revue les problèmes du jour, prostate, veuvage, lessive, brandons, enterrement, croisières, ivresse, voisinage, étrangers. Il fait 16 degrés lorsque je vais récupérer le mousse, une lumière pâle rampe dans les prés, la ligne sombre du Jorat luit au dessus.

Jean

Le brouillard est dense



Le brouillard est dense mais la bise a faibli. Fends les trois morceaux de sapin qui suffiront à faire partir le feu, qu'on abandonnera à ses cendres lorsque le soleil sera haut dans le ciel. Ce sera le régime de mars et d'avril, deux feux par jour, certains jours, l'un avant de partir, l'autre à mon retour.
Vais réveiller Arthur qui reporte avec bonne volonté quelques mots dans son carnet, comme il en avait été convenu la veille. La brouille épaisse s'écarte à l'entrée de Sainte-Catherine, le soleil s'y glisse et repousse sur les hauteurs les fantômes qui partent en fumée, un conducteur d'un gros 4x4 jette son mégot par la fenêtre.
Dans la cour du collège, deux camions attendent leur tour, une pelle est sur le point d'entamer la creuse au pied de la façade nord du futur bâtiment, personne encore au vibrofonceur. Les enseignants travailleraient-ils davantage que les travailleurs du bâtiment ? Ce n'est pas le reflet du soleil qui brille sur le plateau, ici et là, c'est l'éclairage public, il fait pourtant grand jour et le Conseil fédéral a décidé, il y a quelques mois, de faire sortir la Suisse du nucléaire d'ici 2034.
Je note la curieuse remarque d'un élève qui raconte l'histoire du Cristo redentor de Rio de Janeiro, il renonce en effet à montrer à ses camarades la position de Rio de Janeiro sur une carte murale, parce que, dit-il, un gros carton cache le Brésil. Le carton est vide, je lui propose de le déplacer. Il le déplace et l'Amérique du sud apparaît comme par enchantement.
Visionne avec les élèves de la 11 un temps présent de 96 qui raconte la saga d'une famille vivant à Pripiat : des morts, de la tristesse, un passé qui ne passe pas. Un voile descend jusqu'au Jura avant de se lever.
Lance cet après-midi les élèves sur un échanges de connaissances. Sandra m'envoie un mail que je ne comprends pas immédiatement : Renard-Prod'hom 4-3. Je finis par saisir : lorsque j'ai passé hier soir au fond du jardin, trois poules étaient à l'intérieur, mais quatre sont demeurées à l'extérieur. Le renard ne s'en est pas privé. C'est vraisemblablement la bise qui a refermé la porte du poulailler, Louise est particulièrement triste, il y en avait une qu'elle chérissait tout particulièrement, la cochin : elle se console avec un air de guitare. Lili et Arthur accusent le coup comme des enfants de la campagne. Ne nous restent plus que deux nègre-soie et une poule de gouttière.

Jean

Il fait beau



Il fait beau, mais un film transparent traversé de nervures blanchâtres et grasses colle au ciel. D'innombrables mouches jonchent le sol des combles. Relis au réveil les dernières pages de Colomba, texte sur lequel un élève prépare son travail de certificat. J'en aurai bientôt fini avec ces lectures : Une vie, Le Parfum, Si c'est un homme, Le Voyage au centre de la terre, L'Ecume des jours. On déjeune à la véranda et on goûte à la mousse de framboise que j'ai préparée la veille avec Louise. On se régale et on se promet d'en refaire une un de ces jours prochains avec les fruits qui restent dans le congélateur.
Louise nettoie la cage de Mickey, Lili celle de Cacao. J'envoie un mot à François pour fixer la date à laquelle nous irons faire une balade, ce sera fin mars. Le printemps est encore loin, on tire depuis ce matin à la quatrième citerne de mazout.
Je pars pour une promenade, mais m'assieds bien vite sur une souche qui borde le sentier qui mène à l'étang. Les restes de l'automne ont été comme passés à l'eau de javel, la bise qui forcit dans les épicéas souffle le chaud et le froid.
Ne sais pas pourquoi mais y pense, à Sebald qui écrit quelque part qu'il y a désormais sur terre assez de vivants pour qu'on n'ait plus à garder nos morts qui, bientôt, ne nous visiteront plus. Ils disparaissent ainsi deux fois. Mais c'est aussi du passé qu'on se coupe, et des lieux, du passé des inconnus de Biasca, de Vienne ou de Berne.
A l'étang, les bouleaux muent et sous leur pellicule blanche, plus fine que de l'ostie, apparaît leur nouvelle peau, rose ou orange avec des reflets bleus. L'herbe sèche ne se relèvera pas. Je cherche sans succès le couple de canards qui vivaient le printemps passé dans les parages.
La bise donne le vertige, elle gronde par moment, comme l'océan. Plus loin, les lignes à haute tension au pied desquelles trottinent des pies la fait siffler. Sur le rebord de fenêtre d'un atelier, des corps en terre cuite n'ont pas résisté à l'hiver, l'eau les a rongés et ils se désagrègent comme du pain sec détrempé.
Arthur a préparé avec Dylan une mixture pour savonner une rampe sur laquelle il comptent faire glisser leur trottinette, Louise les rejoint au tilleul. Bizarre, la porte du poulailler est fermée lorsque je veux la fermer.
Cette après-midi, Lili a perdu une incisive.

Jean

Réveil tardif



Réveil tardif, taquiné par les courbatures qui me donnent rendez-vous le matin, elles s'installent chaque année davantage, toujours plus décidées, en voilà qui ne me quitteront plus. On finit par s'y faire, c'est ainsi qu'on repousse la conscience du vieillissement.
Ciel bleu sur l'écran des combles. Arthur descend à vélo à Ropraz pour 10 heures, Lili et Louise jouent après avoir épuisé le temps mis à leur disposition hebdomadairement pour jouer avec leur machine numérique. Lili invoque sa méconnaissance des heures pour expliquer son dépassement. Elles jouent ensuite les mains vides avec presque rien. Je vais de mon côté arracher les couenneaux qui délimitent le jardin potager, trop grand désormais : on ne gardera que la serre et le châssis de bois à couvertures de verre que nous a fournies Michel il y a quelques années. Ça c'est dehors, dedans un peu de tristesse traîne, née d'une ou deux choses qui n'ont pas été dites, ou qui ont été oubliées.
Dans l'après-midi, Sandra va faire des courses à Epalinges tandis que je vais me trouver un fauteuil qui devrait remplacer avantageusement celui qui traînait dans les caves du collège et que m'avaient remis les concierges. Il y a du soleil jusqu'Aubonne, les filets sont encore enroulés au-dessus des rangées des arbres fruitiers. Ils remplacent les corbeaux que les maraîchers clouaient autrefois sur des montants de bois.
Traverse Interio sans m'arrêter, personne pour me faire l'article, me convaincre dans un domaine où je me sais incapable de choisir. Passe de l'autre côté, chez Pfister, pique sur une dame bien mise qui me conduit devant le fauteuil qu'il me faut lorsque je lui dis mon mal de dos. Je suis un client facile, j'achète, elle m'offre un café et un verre d'eau, que je vide assis sur la bécane que je ne vais que peu quitter dans les années qui viennent, je fais le derviche, tire les manettes. Deviens par cet achat également l'heureux possesseur de la carte de fidélité, 3% de remise, à la condition que je lui communique mon lieu d'origine, mon âge, mon revenu. Lui demande s'il s'agit de mon revenu brut, net, ou après déduction. C'est égal, c'est comme je le désire. Quel monde étrange ! La donzelle m'entraîne à la caisse, me serre la main en me félicitant de l'achat dont ma colonne vertébrale peut se réjouir : la carte épinglée sur sa poitrine m'apprend que j'ai eu la chance de traiter avec Madame Lombaire. Passe à l'arrière du bâtiment charger mon fauteuil.
M'arrête au retour chez un fleuriste établi dans un vieux garage abandonné, petite âme au milieu des grandes surfaces qui occupent la zone comprise entre Morges et Aubonne. Emporte une azalée rouge passion pour me faire pardonner mes oublis, mes lenteurs, ma paresse,... M'arrête sur la terrasse du restaurant de la Plage de Préverenges où je note ces quelque mots avant de lire les premières pages du Goût de l'éternel d'Henri Thomas.
Au retour, m'assieds sur la bête, pas longtemps, il me faut passer à la déchèterie et déposer mes bulletins de vote dans la boîte aux lettres de l'administration communale.
Fais à manger pendant que Sandra se repose. A 19 heures Arthur part à Vulliens pour une boum. je vais le rechercher à 23 heures. A la lisière des bois, les fermes foraines sont éclairées comme des châteaux.

Jean

Passe la fin de la nuit



Passe la fin de la nuit dans les alpes grisonnes, en songe. De rendez-vous manqués en rendez-vous manqués, il est une heure l'aprės midi lorsque je me rends compte qu'il est trop tard, impossible désormais de rejoindre la cabane prévue. Avec qui ? je ne sais pas exactement. Qui sont donc ces gens qui me sont si familiers ?
Fine pellicule de neige ce matin, à nouveau, il est 6 heures et le thermomètre indique moins de 5 degrés sous zéro. Quand l'aurore aux doigts de roses paraît un peu plus tard, c'est un monde bleu qui se lève, bleu dragée, de la couleur des bracelets qu'on met aux poignets des garçons dans les maternités. Sur le plat de Sainte-Catherine, la lumière prend une teinte violette.
Ça grogne au Mont, les vibrations dérangent certains enseignants dans leur travail, leur parler de Fuskushima n'apaise pas leur colère. J'enchaine six périodes d'enseignement dont je ressors curieusement en bon état, les élèves de la 9 ont lu leurs textes libres du mois. Suis surpris par la vivacitė de certains d'entre eux.
Les ouvriers quittent le chantier en même temps que les enseignants, il est un peu plus de 16 heures, mais les deux groupes ne se mélangent pas. Je reste à la salle des maîtres, discute le coup avec D. des manuels scolaires, de notre présent d'où découle l'histoire. Je reste encore un instant sur l'un des fauteuils rouges, l'oeil fixé sur la butte couverte d'herbe rase, semblable à celle que laissent les moutons de l'Asclier. Les voitures sur la route de la Blécherette mêlent leurs bruits à ceux des souffleries des ordinateurs, j'entends quelques pas précipités dans les couloirs. Soleil partout. La salle des maîtres est laissée à elle-même, un peu lasse, les murs presque nus.
Il est 17 heures 30 lorsque je me décide à rentrer, prépare une tarte aux pommes, sors les poules qui sont très agitées, remplis leur abreuvoir. Récupère 12 oeufs, on en mangera 6 ce soir. Louise est fatiguée, Sandra s'occupe du rallye de mathémathique transalpin, Arthur fait de la trottinette. On relit le texte qu'il a rédigé pour son blog. On se rend ensuite tous les deux au cinéma de Carrouge, on y projette un Sherlock Holmes auquel je ne comprends pas grand chose. Je suis fatigué.

Jean

L'hiver s'est réinstallé



L'hiver s'est réinstallé durant la nuit, ce matin une fine couche de neige recouvre les prés. Fais un feu et prépare le pique-nique d'Arthur ; c'est que cet après-midi il descend pour la première fois en ville avec des copains, il emporte trois petits sacs à dos : son pique-nique, ses affaires de gymnastique, celles de l'école, et sa trottinette, il a fier allure le mousse, un Tati des temps modernes. Ramasse son copain D qui s'est coupé les cheveux et les emmène tous les deux à l'arrêt de bus.
Plus de neige à la Marjolatte, trouve une place de parc derrière l'église, les travaux ont interdit pour plusieurs mois l'accès au parking. La même équipe de trois ouvriers s'affairent sur le chantier, ancrent une nouvelle série de palplanches. Le contremaître va et vient sans qu'on sache exactement à quelle tâche il se livre.
On ne me trouve aucune occupation, aucun collègue absent, si bien que je passe cette seconde période du jeudi matin assis dans l'un des fauteuils rouges du fond de la salle des maitres à écouter une version audio du K de Buzati. Je retrouve un peu de goût à être là, avant de retrouver les élèves de la 9 auxquels je parle du casque blanc du contremaître, des idées reçues, de l'idée de trait distinctif.
Aux ouvriers aperçus la veille s'ajoutent deux nouveaux venus, coiffés chacun d'un bonnet de fourrure, ils occupent le jardin qui jouxte le chantier, l'un d'eux, gros pic au plumage orange, est monté sur le poteau de fortune qu'ils viennent de dresser et et y fixe un épais fil noir. J'apprendrai plus tard qu'ils répondent aux dégâts collatéraux de la creuse : des lignes téléphoniques ont été sectionnées. Ils ne l'ont su qu'aujourd'hui, n'ayant pas reçu, comme il se doit, le coup de téléphone qui aurait pu les avertir. La classe 9 est aux premières loges, un élève veut en savoir plus, je l'autorise à aller s'informer, mais il revient vite, bredouille. Les préposés aux télécommunications parlent une langue qu'il ne comprend pas.
Repas éclair avant de retourner à la salle d'informatique où une éleve cherche une solution élégante à la question des discours rapportés directs, lorsque trois interlocuteurs, un père et ses deux filles, veulent se faire entendre. On discute de l'ambiguïté et de ses ressorts, du monde nouveau qu'elle fait entrevoir. Me rejoignent ensuite trois rêveurs qui croient qu'il est possible de d'improviser, vite fait bien fait, quelque chose qui tiendra en haleine le premier venu.
Je discute à 6 heures avec l'un des responsables du vibrofonceur : c'est 19 tonnes de fonte qui fournissent une poussée de 40 tonnes sur les palplanches. Sais pas trop comment entendre tout cela d'autant plus que d'autres personnes m'ont expliqué l'affaire différemment la veille.
Pose Arthur à Ropraz, tout s'est bien passé lors de son après-midi à Ouchy. M'arrête au café de Vucherens en allant chercher les filles à la poterie. Cinq hommes sont autour d'une bouteille de blanc, ils s'entretiennent : de la femme, de la guerre, de leur commune, de motos, de la vie nocturne dans le quartier du Flon à Lausannne, de l'Armée du Salut, de tout ce qu'il faudrait raser, de tout ce qui est pourri. A Vulliens, Louise a façonné une belle poule de terre.
Passe à la maison avant de retourner à Ropraz où je passe une vingtaine de minutes en compagnie des parents de coureurs dans l'ambiance tiède du grand mobilhomme que le comité du club a fait placer au fond du hangar. Fait froid dehors.
Ce soir la lune n'est pas dans le ciel à l'endroit où on l'attendait et les nuages s'enfuient comme des voleurs.

Jean

On frôle le zéro à six heures



On frôle le zéro à six heures, il faut gratter un coin de ciel sur le pare-brise, le soleil fait le reste.
Je fais voir aux élèves de la 11, en début de la matinée, le reportage d'une douzaine de minutes que la TSR a consacré aux voyages organisés en Ukraine, près du réacteur de Tchernobyl numéro 4 et dans la ville abandonnée de Pripiat. Quelques amateurs prennent un singulier plaisir à s'approcher du centre invisible de diffusion du danger, s'y font photographier, avec le sourire, et rêvent d'un voyage à Fukushima dans 25 ans. En dehors de la sottise immédiate, ce reportage fait voir l'image saisissante du monde tel qu'il sera lorsque l'espèce humaine aura disparu.
Je prends goût depuis quelque temps à la surveillance de la récréation, le chantier est installé, les camions attendent sagement leur tour, une douzaine de godets suffisent pour les charger d'une terre grasse. A l'autre bout du chantier, une grue décharge des dizaines de palplanches en acier. Peu de monde, des gestes comptés, pas de brusquerie, comme nos réveils.
Termine la matinée en écoutant chacun des élèves présenter quelques-unes des pistes qu'ils ont dégagées de la lecture des romans qu'ils ont choisis pour le certificat. Une élève a ouvert un beau chantier, celui de la fabrication des parfums, à cause de Süskind, elle est allée faire un stage chez un parfumeur de la place, a consulté le site des parfumeurs de Grasse, a lu,... J'espère que ses camarades vont profiter de la saignée qu'elle a réalisée. Même chose avec Vian, un garçon lève la piste Sartre, celle du jazz, des années de l'après-guerre. Il évoque la petite torsion que l'écrivain fait subir à la réalité.
M'assieds à midi sur les nouveaux fauteuils rouges de la salle des maîtres, nichés derrière des plantes vertes qui ressuscitent dans ma mémoire le gommier de Riant-Mont. Deux enseignants parlent en mangeant un yoghourt, de choses et d'autres, sans plainte, avec le sourire. Ce n'est pas toujours ainsi. Le collège est presque vide, les derniers enseignants sortent au compte-gouttes, et puis c'est le tour des concierges qui s'assurent que tout est en ordre.
Dehors il y a un tremblement de terre, la pose des palplanches fait un bruit de fin du monde. Il est 15 heures, m'accroche au grillage qui circonscrit et isole le chantier comme une scène de théâtre, toujours peu de monde. Les ouvriers ont dégrappé la surface de la cour qui accueillera le nouveau bâtiment, creusé une tranchée dans laquelle le vibrofonceur pousse les premières palplanches. La terre est belle, ça entre dans l'argile comme dans du beurre, faut dire qu'il y a un morceau de fonte de plusieurs tonnes qui pèsent sur leur dos. Quelles sont leur fonction ? Retenir la terre et les bâtiments alentours ? étanchéifier la zone ? Trois hommes suffisent pour mener l'opération, l'un d'eux aux manettes du bras de la machine et du groupe électrogène, un second qui place à la perpendiculaire chacune des palplanches, le troisième vérifie les niveaux. La pose des deux premières pièces est déterminante, puisque les suivantes ne feront que s'encastrer dans le profil de leur voisine. Plus loin, une pelle termine le creusement de la tranchée en déposant délicatement la terre sur le pont des camions qui se suivent. Un homme se distingue des autres, il porte un casque blanc. Je lui demande les raisons lorsqu'il s'approche, c'est le chef du chantier J'assiste à la pose complète de trois planches de fonte puis m'éclipse.
Personne à la maison, les filles sont sur leur poney à Curtilles, Arthur les a accompagnées pour ne pas rester seul. J'irai rechercher la petite bande à 17 heures à Oron, après la séance de cinéma. Un trajet jusqu'à Ropaz pour l'entraînement du mousse : le nouveau vélo d'Arthur est commandé, c'est fait, la correction de quelques travaux à l'auberge en l'attendant. On rentre juste assez tôt pour embrasser les filles.

Jean

L'eau a gelé chez les poules



L'eau a gelé chez les poules et elles n'ont plus de grain. Fais deux sandwiches pour le pique-nique de Louise que Sandra accompagne au bus avant de passer sa journée au Mont d'où elle m'envoie deux mails : on passera peut-être 6 ou 7 jours cet été à Château-d'Oex. Elle m'informe en outre qu'Arthur fera partie cette année de la Nationalkader Nachwuchs.
Je rédige l'un des sujets du certificat de juin et m'occupe de Tchernobyl le reste de la matinée. Il aura fallu plus de 20 ans pour que je m'avise de cette catastrophe et d'une folie qui n'a pas ménagé ses effets. A deux encablures, une longue langue de neige borde la route, ce sont les restes du passage de l'hiver et du chasse-neige, ils rappellent qu'on n'est pas tout à fait dehors la mauvaise saison. Pourtant on dresse aux alentours les échelles, on taille, on brûle.
La bise a forci, la porte claque, c'est Lili qui rentre de l'école, j'aime ce bruit, Arthur nous rejoint. Une pomme pour chacun, une carotte et un hot-dog feront l'affaire. Louise n'est pas là, elle est à la piscine. Arthur évoque brièvement les Epreuves cantonales de référence de français qui lui ont été soumises ce matin et dont il ne dira à peu près rien. La nouvelle de la swisstrial lui fait davantage d'effet.
Avant de repartir à l'école, Lili m'offre un petit livre illustré confectionné dans ses ateliers, couverture vert fluo et brochage bleu ciel. Il s'intitule Poney et raconte en quatre pages, format boîte d'alumettes, l'essentiel de la vie de l'animal. Descends Lili et ses camarades à l'arrêt de bus dont je n'attends pas le passage. C'est ainsi que les petits grandissent.
Prends l'heure et demie mise à ma disposition, mais n'en tire, comme toujours, bien moins que je ne l'espérais. C'est ainsi que je vais jusqu'au soir, de service en service, avec au milieu des minutes volées.
Pendant qu'Arthur s'entraîne, je corrige un sixième des textes argumentatifs rédigés par les élèves de la 11 avant notre voyage à Berne. Deux autres semaines me seront nécessaires pour en finir. L'auberge de Mézières a fermé son entrée côté-cour, il faut y pénétrer côté-jardin, j'en sortirai côté-nuit.

Jean

La sonnerie du réveil



La sonnerie du réveil me rappelle aux dures lois des jours ouvrables. Difficile de désobéir aujourd'hui, trop avancé dans l'existence, en rendrais certains malheureux.
Il fait encore nuit. Je commence par faire du feu, trois morceaux de petite taille de chez les anthroposophes, trois moyens de chez François, un gros de chez Francis, une page du quotidien de la veille, une allumette et le tour est joué. Lorsque le pain est dégelé, il est 6 heures 30 et il fait moins de 5 degrés.
Arthur sitôt arrivé en bas se couche sur le canapé et s'enroule dans une couverture. La partie n'est visiblement pas gagnée. Sandra qui nous a rejoints se tient debout, dos au poêle. Je remets un morceau de bois.
Je n'aurai pas vu les filles lorsque je conduis Arthur à l'arrêt de bus. Le jour cette fois pointe son nez, je découvre le pare-brise recouvert de neige. Ce retour de l'hiver a des effets sur la route de Berne, on avance au pas. Les nuages sont chargés à l'ouest, ils ont la consistance de la crème fouettée.
Bien décidé à montrer aux élèves de la 11 les 20 minutes que Raphaël Van Singer a consacré à Tchernobyl lors d'un voyage qu'il a effectué en Ukraine avec quelques parlementaires – parmi lesquels son père – à l'occasion du 25ème anniversaire de la catastrophe. C'est de là que je me propose d'aborder la guerre froide ces prochaines semaines. Les élèves regardent silencieusement ces images qui semblent dater de 1986 mais qui ont été tournées en 2011. A moins que rien – ou peu – n'ait changé là-bas depuis 1986.
Passe le reste de la journée à reprendre avec les autres classes le travail fait en mon absence.
Le soleil a fait une nouvelle apparition dans la classe 6. On ouvre les fenêtres, on en profite pour faire l'état des lieux, les travaux de démolition des portacabines sont terminés. (Un élève m'annoncera fièrement que c'est à son papa que la Commune a demandé d'exécuter ces travaux.) Les pelles mécaniques se sont mises à creuser. On aura ce bruit et bien d'autres pendant les mois qui viennent, il faudra s'y faire. Il faudrait, c'est une autre affaire, de courage encore, tout abandonner et suivre avec les élèves le détail de ces travaux.
Retrouve le Riau, Sandra et Louise sont de retour du CHUV, la petite fait de l'humour noir, mais tout va bien, Arthur est content de son contrôle de vocabulaire d'allemand, quant à Lili, je ne la vois pas mais l'entends s'entretenir à l'étage avec ses compagnons imaginaires et fidèles. Je l'emmène à 5 heures et demie pour sa demi-heure de flûte. La ronde des transports reprend, elle me donne un peu le vertige. Bois un renversé au Central. Sandra est à Oron, elle fait des courses pendant que Louise a son cours de guitare, contente qu'il ne soit pas suivi aujourd'hui de celui de solfège. Je feuillète le journal, une jeune célibataire a mis au monde des jumeaux, elle a 66 ans et vit en Ukraine près de Tchernobyl. Voilà une mère qui ne pourra pas déduire les frais de garde de ses bambins. Et si les enfants tardent à quitter le giron, l'âge de la mère leur promet la maison pour eux tout seuls.
Louise nous raconte à table, avec quelques sous-entendus, que son maître de guitare lui a confié que si elle continuait à progresser de la sorte, elle pourrait, plus grande, avoir comme lui un diplôme. Et jouer avec d'autres. Ça la réjouit.

Jean


Me suis rendormi à 4 heures 30



Me suis rendormi à 4 heures 30, jusqu'à l'aube, et puis un peu au-delà. Termine ensuite le Parfum de Süskind que quelques élèves souhaitent présenter aux examens de juin, puis somnole avec la rumeur des enfants qui jouent en bas, sans élever la voix, en traînant derrière moi des lambeaux de pensée que je suis incapable de mettre bout à bout mais dont je ne parviens pas non plus à me défaire.
Je descends finalement dans le jardin, il y a une odeur que je connais bien et qui me ramène à d'autres printemps. Je l'identifie mieux qu'autrefois, presque à même de lui donner un nom, mais elle m'échappe soudain, sans avertir, je la sais encore là qui veille. Cherche un sécateur que je finirai par trouver au garage. M'attaque sous le soleil aux rosiers de la plate-bande, l'un semble avoir gelé. A voir. J'ouvre aux poules qui vont explorer les alentours, jusqu'à la pelouse des voisins d'où je les chasse avant leur coup de téléphone. On déjeune dans la véranda, malgré un léger voile tendu sous le ciel, on ne fera du feu qu'en fin d'après-midi.
Sandra enregistre les résultats du concours de mathématiques dont elle est la cheville ouvrière, elle engage les trois petits lorsque les deux filles ont terminé leurs devoirs et qu'Arthur a réécrit les engagements qu'il a pris pour les mois qui viennent. Ils ont peu changé.
De mon côté je taille dans ce que je projetais de faire au collège jusqu'à l'été, et ce recalibrage de mes intentions lié aux circonstances dont j'avais fait jusque-là l'économie rend moins inquiétante la reprise des cours demain.
Je sors et monte jusqu'à l'étang encore partiellement gelé, la bruyėre a jauni. Passe près des ruches abandonnées dont je fais une photo. Il n'y a guėre d'autres couleurs à cette saison. L'horizon est bouché à la Moille au Blanc, mais la fontaine ne déborde plus. Le petit chien qu'hébergent les nouveaux propriétaires de la ferme aux bouleaux se fait menaçant à mon passage, le propriétaire laisse faire. Plus bas les taupes ont laissé d'étranges messages dans les prés.
Je fais à manger pendant que les petites regardent les Indestructibles et Arthur une série américaine. Avant d'aller se coucher, les enfants reçoivent leur salaire dont Sandra retire ce qu'ils nous ont emprunté, dur apprentissage, surtout pour le mousse qui accepte mal le prix des bonbons de Charmey. On regarde cependant tous les deux les nouvelles sur une chaîne française. Un peu d'inquiétude, l'école reprend demain, pour tous les cinq.

Jean

Lève un oeil à 8 heures




Lève un oeil à 8 heures, un second à 8 heures 30, puis plus rien jusqu'à 10. J'en connais qui auraient vivement brandi un carton jaune, convaincus que ces heures perdues le matin sont des pertes sèches. Les poules, elles, sont déjà dehors, la porte du nichoir n'a pas été fermée, ce sont les petites qui ont joué hier et qui n'ont pas pensé au goupil. On se réjouit qu'il n'en ait pas été informé, on répète aux enfants les conséquences de tels oublis, sans y croire vraiment, persuadés que la meilleure leçon est donnée par les crocs du renard. Les crocus bleu pâle sont ouverts ; une fine pellicule transparente, veinée, colle au ciel. Cacao passera la journée dans son parc.
On charge la voiture et on file en direction de la Veveyse. Dans les champs, en bas, la terre humide des labours d'automne brille, il fait une dizaine de degrés. Plus haut, les herbes jaunies et sèches des pâturages poussent les restes de neige qui font comme des chapeaux.
De la neige il y en a un peu plus à Rathvel. Les raquettes aux pieds, j'aperçois Sandra en bleu, Lili et Arthur aussi, en rouge Louise, disparaître dans la petite foule qui attend au bas des installations, puis réapparaître sur le téléski. M'en vais derrière l'épaule du Niremont jusqu'à ce qu'on devine dans la brume le Léman, grimpe ensuite jusqu'au sommet, m'adosse au chalet en haut de l'arbalète, rejoint par des randonneurs puis par les miens. On pique-nique. En face, les coulées de neige ont sali les pentes de Teysachaux et de la Dent de Lys, mais les randonneurs s'y aventurent quand même.
On se sépare encore une fois et je plonge sur Semsales dans la neige lourde et grasse, saoulé par le soleil. Y suis comme convenu entre 15 heures 30 et 16 heures. Bois un thé dans un café qui accueille cet après-midi une poignée de vieux et de vieilles, babillards à l'excès et mauvaise langue. N'y reste pas. Je devine que la chaleur a incité les petits et Sandra à prolonger l'après-midi sur les pistes. Je lis en les attendant le Journal de Paul Klee sur le muret qui borde la place de l'église. Il se rend en 1890 de Berne à Soleure de nuit, pour gravir à l'aube le Weissenstein avant de se retrouver à 15 heures 30 dans une brasserie de Soleure, harassé par 13 heures de marche. Il repart pour Berne en train. Il a 21 ans.
On se retrouve à un peu plus de 17 heures devant l'église de Semsales, les portes grandes ouvertes, heureux d'avoir prolongé cet après-midi, les derniers sur les pistes. Retour au Riau avec des chants, ceux de Louise et Lili, et des plaintes, celles d'Arthur qui a mal à la tête.
Ce soir, parce qu'on veut faire de nos enfant des enfants de notre temps, on projette sur le beamer les Intouchables, un film qui ne fait pas de mal, qui nous rappelle à l'envi que les handicaps sont bien plus supportables lorsqu'on ne manque de rien, lorsqu'on dispose d'une maison, d'argent et d'assistance.

Jean



Les crapahutées de ces derniers jours



Les crapahutées de ces derniers jours dans le Val d'Entremont, alors que je n'en ai plus l'habitude, m'ont laissé une grosse fatigue. Sommeil ce matin. Quant aux enfants, ils ont retrouvé leurs jeux en-bas et s'occupent silencieusement. On ne fait pas de feu aujourd'hui, pour la première fois cette année et on déjeune sous le soleil à la véranda. C'est un crocus bleu qui a poussé près des rosiers, et une primevère dans l'angle de la maison. Sandra part en ville faire des courses avec les enfants.
Il fait 17 degrés lorsque je vais à Moudon me faire soigner une dent. Peine à identifier le moment du jour, je reprends le décompte depuis mon réveil, cherche un repère, puis un autre et, de fil en aiguille me voici parmi les vivants. A Moudon, les cloches sonnent, c'est Blanche qu'on enterre. Je jette un coup d'oeil dans la nef occupée par de vieilles personnes, une cinquantaine, la mort rampe, l'église semble petite et triste.
Je passe près d'une heure sur le fauteuil du docteur N, tendu comme une corde, devant d'exécrables gravures présentant des poncifs de Venise. Je comprends vite, à sa voix basse et à celle de son assistante, qu'il me faudra revenir. Dans une dizaine de jours.
Comme chaque fois lorsque je parviens sur le seuil de l'immeuble qui abrite le cabinet, j'ai l'impression délicieuse qu'une grâce m'a été délivrée en haut lieu. Et je me retrouve comme un sou neuf à l'air libre. Il fait 18 degrés lorsque je sors de la pharamacie, passe acheter du café à Vers-chez-les-Blanc avant de rentrer. On se retrouve tous dans le jardin, Lili nettoie l'abri près de l'étang, Louise a sorti le pousse-pouse dans lequel elle a installé une poule qui ne s'y plaît guère, puis Edelweiss qui y prend goût. Je brûle les branchettes qui sont tombées du tilleul pendant l'hiver. Sandra taille les arbustes et la lavande des plates-bandes, rempote des primevères.

Jean



Je quitte ce matin la Tzavannes



Je quitte ce matin la Tzavannes tandis que Sandra, Valérie et les autres terminent les rangements. Me sens à nouveau un peu coupable. Chausse mes raquettes pour retrouver les traces de mon expédition de dimanche passé, passe le torrent de l'A disparu dans la neige. Puis tire au sud, peu avant le Roc de Cornet, sur un chemin qui rejoint par les bois le Tomeley, au bout de l'arête, l'entrée de la Combe, avec à l'ouest la Tour de Bavon. J'aurai gagné près de 400 mètres d'altitude et une belle fatigue. Le coup d'oeil vaut la peine et nous inviterait à poursuivre. Le danger est trop important, des coulées de neige ont fini leur course dans le lit du torrent. Ne m'y attarde pas. Longe le bisse de la Tour, invisible à cette époque de l'année, je croise deux vieilles personnes fluorescentes qui se rendent au Tomeley. J'avance péniblement, les raquettes dans cette neige ramollie suffisent à peine, je décide de rejoindre le télésiège qui me conduit au Bar des neiges. Il y a du monde, on y sent l'excitation des foules exigeantes, chacun se croit plus important que son voisin. On mange tous ensemble une dernière fois avant de se séparer.
Peu de trafic sur les routes, j'essaie de remettre à leur place les montagnes qu'on laisse derrière nous. Esquisse dans la tête la carte vivante de mes balades.
Coup d'oeil en arrivant, les crocus jaunes sont au rendez-vous devant la véranda. J'en compte quatre, les photographie. L'eau coule à la fontaine, il y a un air de printemps. Sandra part pour Moudon avec Louise pour faire de la physio. Lili reste à la maison pendant que je vais récupérer Arthur à Ropraz. Son camp s'est bien passé, ils sont allés voir la mer à Marseille. Le mousse a pris quelques centimètres supplémentaires. Il boîte, mais l'orteil qu'une marche d'escalier a maltraité, ne l'a pas empêché de faire du vélo.

Jean



Même dispositif que la veille



Même dispositif que la veille, tout le monde sur l'Alpe. Quant à moi, je descends avec mes raquettes sur Dranse, par le Roc de Cornet. Fais une halte Chez Petit. Il y a foule devant le chalet-d’en-bas, une foule qui se disperse, les uns vont à Liddes, d'autres à Bourg-Saint-Pierre ou Martigny. Je parle un peu avec J.-L. qui reste seul, il est à l'AI. Il me raconte que lui et ses frères et soeurs ont laissé aller le domaine depuis 2007, lorsque ses parents sont décédés. Aujourd'hui il ne fait rien, il marche parfois jusqu'au contour, c'est sa promenade. A midi et le soir il va manger chez sa soeur à Liddes. L'idiot est désarmant de tranquillité, si attachant que je ne sais comment demeurer un instant encore avec lui. Je lui demande s'il sait apprivoiser les chevreuils ou les chamois. Tu vois, qu'il me dit, le jour ils ne sont pas là, ils sont craintifs, ils se cachent dans la forêt. Et la nuit on ne les voit pas. Je ne sais pas pourquoi j'aime tant les idiots, ces assistés qui ne seraient rien sans nous. Mais que serions-nous sans eux, sans cette tranquillité, cette paix qu'ils mettent dans tout et qui ne les touche pas ?
Je rejoins le lit de la Dranse après le terrain de foot et la déchèterie, Marche deux bonnes heures sur un sentier qui la longe. Ne rencontrerai qu'une dame de Bourg-Saint-Pierre et une fille qui ne lui ressemble pas. Elle y a vécu toute sa vie, mais il y a quelques mois, elle et son mari ont décidé de partir, en deux étapes. C'est pas simple de quitter son pays. Ils ont vendu leur maison d'en-haut et ont emménagé à Liddes. Avant de trouver un appartement dans la plaine à Martigny. Elle a le visage triste des gens qui sont nés dans le regret, qui ont vécu dans une immense solitude, avec à fleur de peau une gentillesse que les autres n'ont pas.
Un rapace quitte le nid d'aigle situé sur une falaise du côté d'Azenin, il plane en piquant droit sur la Combe de l'A. C'est un aigle.
Bois un café à Bourg-Saint-Pierre, m'informe d'un bus, rien avant une heure. Je rejoins la route que descend du col et demande à un inconnu qui sort d'un bistrot de me ramener à Liddes. La cinquantaine, satisfait de ce qu'il est, de Bex où il vit. Mais il ne comprend pas pourquoi certains vont à pied, dans la neige, montent au sommet des montagnes pour finalement en redescendre. Renonce à lui répondre.
Sandra vient me chercher à Liddes, on boit un verre de vin blanc avant de remonter à Vichères. Tout le monde est là. La vie communautaire reprend.

Jean



Le ciel est tout entier dégagé



Le ciel est tout entier dégagé. Descends à Liddes chercher le pain commandé hier à l’épicerie d’en-haut, je bois un café à l'Hôtel de la Channe. Le patron aux allures d’Hells Angels et son employée qui vient des Antilles remettent de l'ordre dans le café laissé dans un sale état hier soir, on y sent la fumée froide. Le patron aimerait tendre un tissu à motifs sur l'un des murs de la grande salle, quelque chose de bien, quelque chose de beau, un tissu avec des têtes de cerfs, de chamois et de chevreuils. Ou quelque chose qui rappellerait le Brésil, la plage, le soleil, les femmes. Je reviendrai voir l'année prochaine, en attendant je regarde de l’autre côté la route qui monte à Bourg-Saint-Pierre, des enfants jouent dans la cour. Les petits Valaisans n'ont pas de vacances.
On part tous en fin de matinée pour les Bains de Saillon. Je goge deux heures devant le Grand Muveran, la Dent Favre et les Dents de Morcles. Avec au premier plan la passerelle qu'aurait emprunté Farinet, le généreux faux-monnayeur, pour aller se cacher dans les plis des gorges qui descendent du sommet de la montagne.
On partage pain et chocolat sur une place de jeux, sous le soleil, Il fait une douzaine de degrés. Je guette, toujours pas de fleurs, mais les rosiers sont partout taillés. Quelques vignerons s’affairent au pied des ceps de leur vigne. On monte sur la colline de Saillon d’où l'on aperçoit quelques restes des fortifications médiévales, et la plaine du Rhône qui n’est, lorsqu'on la traverse, qu’un chantier en désordre, à l’abandon, friches industrielles ou serres abandonnées, mais qui se révèle, vue d'en haut, vaste pays de cocagne couvert de vergers, abricotiers, poiriers, pommiers, pruniers,...
On fait une halte à Martigny. Sandra y achète des verres de protection, le soleil est vif et la neige fait le reste. Après le repas, vautrés sur des matelas, on regarde Vacances romaines, le film de William Wyler.
J'ai bien regardé aujourd'hui, pas de crocus, – on est pourtant à deux pas des Folaterres et de son climat d’après Valence –, ni primevères ni jonquilles.

Jean



Le soleil se glisse par la petite fenêtre



Le soleil se glisse par la petite fenêtre serrée à l’angle de la charpente. Un oeil et une oreille pour constater que les enfants ne nous ont pas attendus pour démarrer leurs grands travaux. Il fait 4 degrés en-dessus de zéro lorsque Sandra et les autres montent skier au pied de Bavon. Il est près de 11 heures 30 lorsque je me saisis de ma seconde paire de chaussures et de mes raquettes.
Départ devant le chalet, à 1400 mètres, arrivée à Plan Monnay à 2100 mètres, en contournant la croupe qui retombe sur Orsières, dans les sapins et les mélèzes. Mais il reste beaucoup de place encore pour les chevreuils et les chamois dont on voit les traces se croiser en tous sens. on marche dans une succession d’ouvertures. Les Alpes ont un petit air de Jura à cette altitude. Les branches des épicéas chargées de lourdes grappes de pives touchent du bout des doigts la neige abondante encore. Ailleurs des mélèzes soufflés par le vent s’appuient les uns contre les autres et tiennent en équilibre comme un mikado géant. On entend les mésanges, puis on les aperçoit avec du soleil sur les ailes.
Le chemin débouche face au Catogne. On devine le Rhône, son coude sous Morcles, le début du val de Bagnes, les Dents du Midi à l’ouest. Au nord-est l’extrêmité du domaine skiable de Verbier avec un voile de couleur douteuse. Je n'entends par moments que le frottement des raquettes sur la neige dure, c’est comme le bruit d’un papier de verre 80 sur du bois tendre. Je longe par l’est les rochers du Grand Paray d’où les yeux plongent sur le Val Ferret, Praz de Fort et Issert. On devine la Fouly au bout de la route rectiligne qui se perd dans les bois que traverse l’autre Dranse que surplombe de l’autre côté le Mont Dolent, les Planereuses, la Petite Pointe, la Grande, le Clocher. Derrière le dédale des petits cols, la cabane de Saleina, son glacier, sa fenêtre par laquelle on rejoint le Plateau de Trient où je n’irai plus. De l’autre côté le fond de la coquille du Grand Combin. Le vent du nord a brodé d’est en ouest, à même le ciel, une longue bande de laine blanche dont les mailles filent. Ma journée est faite.
Descends en une petite demi-heure sur le domaine skiable, y retrouve les filles au bas du téléski. M’installe sur un transat pendant que les uns et les autres, en petit nombre, montent et descendent.
Il me faudra moins d’une heure pour rejoindre Vichères, en partie sur le postérieur, dans une semoule printannière, lourde et froide.
Puis la vie collective reprend ses droits.

Jean



Le bruit des petits



Le bruit des petits, tantôt ici tantôt là, colonise les dortoirs avant de nous parvenir étouffé d'en bas. Une tête apparaît de temps en temps entre deux des poutres de la lourde charpente pour s’assurer que nous sommes bien là. Sandra a reçu un message d’Arthur, peu de mots, ils s’amusent, ils sont 4 dans la chambre, ceux avec lesquels il souhaitait passer cette semaine.
Le bleu s’est établi au-dessus de nos têtes et ne va plus nous quitter de la journée. Il est 11 heures lorsque Sandra, les filles et tous les autres quittent la Tzavannes pour les pistes. Je mets à jour ces notes et vais de mon côté.
A l’aveugle en direction du Petit Vichères, dans un peu de neige, dure, sans les raquettes dont j’ai fait l’acquisition hier. A quoi bon, je fais le pari idiot que le chemin que j'avais emprunté cet automne est un chemin également très utilisé en hiver. Prends conscience rapidement que je me suis trompé. M’enfonce toujours plus, mais avec la certitude qu’en rejoignant le chemin qui vient de l'entrée de la Combe de l’A, tout va s’arranger. Et bien non, j’enfonce un peu plus encore, jusqu’au genou lorsque j’arrive au Roc de Cornet. M’inquiète mais prends conscience rapidement que Dieu a bien fait les choses, deux jambes pour avancer et un entrejambe pour ne pas disparaître au centre de la terre.
Le hameau de Chez Petit paraît bien lointain, je prends alors le parti de me glisser sur le postérieur jusqu’à la route. J’y parviens après une demi-heure de reptation pénible, mouillé jusqu’à l’os, soulagé de mettre le pied sur le bitume noire sans avoir perdu quoi que ce soit. Me promène dans le village de Dranse avant de remonter jusqu’à Liddes. La patronne de l’épicerie du bas a fermé son magasin, il y a peu de passage. Vais voir les morts qui sortent la tête de la neige, au-dessus du cimetière le clocher de pierre entre comme un pic à glace dans le ciel bleu.
En redescendant à Dranse, croise trois vieux qui se promènent, un peu las, ils finissent leur vie dans un des chalets silencieux qui serrent les coudes sur la rive gauche de la Dranse, dans l’ombre. Leurs enfants vivent à Genève ou Martigny, eux sans voiture, une demi-heure à pied pour aller faire des courses, mais sans rancune, sans arrière-pensée, sans plainte.
Je remonte dans l’ombre de la Tour de Bavon, avant de retrouver une coulée de soleil couchant dans le virage qui précède Vichères. Songe aux vignes au-dessous de Ravoire, on les retrouve là, dans l’allure des vieux mélèzes moussus et barbus, vert de pierre, gris lichen. Mais on aperçoit au-dessus des vieilles branches du bas les nouvelles pousses fines, jeunes, presque transparentes, innombrables bourgeons prêts à faire éclater leurs épines vert d'or.
Sitôt arrivé je jette mes chaussures de marche, vieilles et détrempées, irrécupérables. Je me promets de prendre désormais mes raquettes.
Après le repas, notre amie pédiatre parle des héritages familiaux, on discute, on dresse la carte des blessures. Avant de m'endormir, je me souviens d'un ouvrage de Serge Tisseron qui se déplace depuis plusieurs années d’un rayon à l’autre de la bibliothèque et qui me fait signe.

Jean



Ce matin



Ce matin, Sandra a accompagné Arthur à Ropraz et l'a remis aux mains de René et Jean-Daniel, ceux qui nous relaient chaque semaine pour faire grandir le mousse loin de nous. Ils emmènent ce matin les trialistes de Passepartout dans un petit bus pour un camp d’entraînement d’une semaine près de Marseille. Je ne l’aurai pas vu lorsqu'il part, affairé au fond du lit à éponger la fatigue accumulée la semaine passée à Berne.
Lorsque je descends, Sandra prépare la bolognese, pour ce soir à Vichères, et les sacs. Me sens coupable de ne pas en faire assez dans la maison. On déjeune debout.
Les poules sont agressives, leur enclos est étroit. Elles voudraient sortir, élargir leur espace vital. Il faudra qu’elles attendent la semaine prochaine. Je remplis leur mangeoire et l’abreuvoir, ramasse un oeuf, rince l’arrosoir au goulot généreux de la fontaine. Je charge dans la 807 les skis et les souliers, les bâtons, les sacs de couchage.
Lucette et Michel passent en coup de vent. Lucette a besoin d’une signature de Sandra pour des travaux touchant l’immeuble dans lequel elle et son mari ont fait la boulangère et le boulanger. On passe avant de partir à la déchetterie.
Ai décidé de ne pas skier cette année, en sont responsables mon dos et une envie réduite de m'adonner à cette activité qui me laisse toujours plus sur ma faim. Louise dort dans la voiture. On s’arrête à Martigny où je me procure des raquettes, c’est la fin de la saison, elles sont à moitié prix. Il est 14 heures, on s’arrête dans un tea-room pour croquer dans des canapés et les filles salivent devant des tartelettes aux framboises. Et bien n'hésitons pas.
Les vignes en-dessous de Ravoire ont la couleur de la pierre. On imagine difficilement que quelque chose puisse sortir de là, tant l'alignement des plans, la scansion des échalas et le gris des murets des parcelles semblent étrangers à toute idée de fertilité. La proposition d’aller jeter un coup d’oeil à l’exposition de Bieler ne trouve aucun preneur, c'est l’avant-dernier jour. On passe sur les hauts d’Orsières et, du dessus des toits de lauze d’où sort la tête du clocher de l'église, il me semble impossible de vivre. Je sais pourtant qu'il suffirait que je me glisse dans les ruelles pour penser exactement le contraire.
On achète quelques salades dans l’épicerie de Liddes avant de rejoindre Vichères de l’autre côté de la Dranse. Nous sommes parmi les premiers à la Tzavannes. Quelques mots avec le propriétaire qui nous avertit que le temps n’est pas propice pour remonter la Combe de l’A, les avalanches pourraient descendre de la Tour de Bavon, mais surtout de la Crêta de Vella. Le temps s’est couvert. Nous sommes bientôt tous réunis autour d'un plat de pâtes.

Jean



Dernière journée à Berne



Dernière journée à Berne. Les élèves sont aux mains de la liberté, ils la méritent. Je leur ai fait les recommandations d'usage et vais me promener dans la direction opposée. Prends le bus 12 à la Zytglogge jusqu’au terminus, mais le Centre Paul Klee n'ouvre ses portes qu'à 10 heures. Je me promène autour des collines d'acier et de verre, avec le soleil, puis traverse le cimetière. Il règne un sain désordre dans le quartier des enfants, plastiques tapageurs, peluches et babioles, pierres et bouts de bois. Immobiles, vieillis. On devine les plaintes des parents qui en appellent au bon sens, mettez un peu d'ordre dans vos affaires ! ils finissent par élever la voix, les enfants ne les entendent pas, bien loin déjà, dehors avec ceux qui ne sont plus là.
Traverse le parc de sculptures, fers et bronzes raides dans la verdure, elles sont presque de trop entre la saignée de l'autoroute et la barrière des Alpes qui ferment l'accès au sud.
Je bâille à trois reprises, de plaisir d'abord, sur un banc au centre de la salle Müller, avec des images devant, la tête dans les mains. M'endors. Quelques minutes peut-être. Vais faire un tour, passe à la boutique où je fais l'acquisition du Journal de Paul Klee que Klossowski a traduit. En lis quelques pages sur le banc abandonné il y a un instant, un peu de déception, liée peut-être à la fatigue qui m'oblige à fermer les yeux pour la seconde fois, avec des peintures tout autour que je devine et visite comme si elles n'étaient pas là. Je rêve ou me souviens de ce qui s'est peut-être passé avant qu'il y ait quelque chose, et la décision de le montrer, de le faire advenir pour s'assurer qu'il ne pouvait en aller autrement.
M'arrête au retour à la Bärenplatz. Berne, c'est Fribourg en un peu plus grand, l'Aar et la Sarine se copient. J'hésite puis renonce à descendre prospecter sur la grève intérieure de la courbe du bout de la ville, un endroit propice à la récolte des restes de la vaisselle du monde.
Le carnaval se prépare, les hommes sont parés, fardés, déguisés. Mais quelque chose cloche. Je m'en rends compte plus haut dans la ville : les gens ne sont pas ivres.
Dans la cathédrale on entre désormais par la boutique obligeant le visiteur à capitaliser les souvenirs des mystères avant de s'en approcher. Demain, il nous faudra payer pour prier.
Près du choeur, les départs des voûtes d’arête sont appuyés sur des culots ornés de sculptures colorées, où je retrouve les Bernois de carnaval, mais grimaçants, souriants, ivres. Une Déposition dans le bas-côté gauche de 1870, oeuvre d'un admirateur du Bernin, fait voir sur ses flancs la double blessure : celle du corps, celle du marbre.
On se retrouve devant l'Arena mais les modifications du réseau des transports publics imposées par le carnaval du week-end ne nous facilitent pas la tâche. On manque de rater le train, la chance en a voulu autrement, tant mieux. Les visages sont fatigués, je somnole entre Fribourg et Chexbres, m'étonne comme toujours lorsque la vue embrasse le lac. On se sépare dans le grand-hall. Je récupère la voiture de Sandra derrière le cimetière qu’a ramenée Michel, hier ou avant-hier, après les réparations.

Jean



Gaël



Gaël, dont je n'ai pas vu le travail hier soir, se réveille plus tôt ce matin. Il me soumet son intervention rédigée la veille, un peu gauche mais excellente. Nadia, notre accompagnatrice nous rejoint sur son vélo, emmitouflée, le nez rouge, grosse couverture nuageuse et froid. On part pour le centre-ville, le tram numéro 9 d'abord, le bus 11 ensuite jusqu'au quartier des ambassades, au sud-est de la boucle de l'Aar. Petit bonheur loin des abris, le jour, l'air libre.
Le quartier des représentations ne paie pas de mine, sans caractère, villas cossues et modestes immeubles résidentiels. Devant l'ambassade de Turquie une famille attend, patiente derrière un grillage édredon et sacs de voyage à la main. A côté des militaires armés, devant le portail central une voiture de police. La petite porte voisine s'ouvre à notre demande et le premier conseiller de l'ambassade nous accueille, nous introduit dans le hall, le dispositif de sécurité doit être en panne. Il improvise un discours, évoque à voix basse sa fonction et celle de ses collègues, sous le portrait de Mustafa Kemal Atatürk qui surveille les entrées et les sorties. Notre guide parle à voix basse, comme s'il n'avait pas remarqué que nous étions là, comme s'il se parlait à lui-même ou à la postérité, il remercie naturellement la Suisse et ses bons offices, nous rappelle que Lausanne a accueilli une conférence en 1923 au cours de laquelle les signataires abandonneront le traité de Sèvres qui avait décidé du sort de l'Empire ottoman à la fin de la Grande Guerre et reconnaîtront les frontières encore actuelles de la Turquie. Il vante les charmes de Montreux où, en 1936, la Turquie rétablit sa souveraineté sur le Bosphore et les Dardanelles, commente les accords de Zurich qui réévaluent, à la baisse, le rôle des Britanniques dans le dossier de Chypre. C'était en 1959.
Il nous conduit ensuite le long des couloirs de la section consulaire, on y passe en coup de vent. Les employés y arrivent au compte-gouttes, les mains vides, dans cette bâtisse un peu poussiéreuse que l'on quitte bientôt pour la résidence de l'ambassadeur, de l'autre côté d'une pelouse amaigrie par l'hiver.
Mobilier en chêne, grande table chargée de victuailles. Le conseiller, en bout de table, interroge les élèves sur la vison qu'ils ont de la Turquie, ils n'en ont pas véritablement une. C'est beaucoup trop le demander. En ai-je une ? Mais je devine l'entreprise du bonhomme, il a envie de nous dire que la Turquie n'est pas celle que l'on croit, souhaite redresser nos images d'Epinal. Je le lui accorde bien et le regrette, mais je n'y puis rien : le Turc est fort comme un turc, c'est ainsi, l'école n'a pas été inventée pour se défaire de nos fantômes mais pour les faire renaître. Alors je lui raconte, un peu par provocation, que les élèves helvétiques ne croisent que très peu l'histoire de la Turquie et de l'Empire ottoman. Il y a bien sûr Troie, mais Troie c'est l'Asie mineure, et l'Asie mineure c'est le miracle grec. Il y a les croisades, la prise de Constantinople en 1453, les Ottomans à la porte de Vienne en 1683. Bref une histoire qui ne leur fait pas la part belle. Le temps passe en parlotes tandis que les gosses goûtent sans perdre une miette aux plats que le cuisinier de l'ambassade a préparés.
Passe l'ambassadeur, un bref instant, pour nous faire voir qu'un conseiller d'ambassade peut être obséquieux. C'est au tour du fils en vacances en Suisse, il fait ce qu'il faut faire pour déguerpir au plus vite mais avec les manières. La femme enfin, en poste diplomatique à Ankara, qui profite de notre attention pour vanter les merveilles de la Turquie, le soleil et la plage. Venez ! venez l'été prochain ! vous êtes tous les bienvenus sur les plages de l'Anatolie.
Pour l'instant il nous faut filer sur la place fédérale ou Samuel Schmidt, les responsables du nouveau sponsor, La Mobilière, ceux de l'association Ecoles à Berne nous attendent pour des interviews et des photos. Une journaliste des radios romandes interrogent quelques élèves. 
Au moment où il nous faut entrer dans le Palais fédéral, H. et M. sont absentes, on les recupère grace à nos portables. Plusieurs parents sont arrivés, le directeur et S. sont également là. Beau débat, parfois convenu mais belle tenue de chacun, fierté des parents.
Sur le mur contre lequel est adossé le bureau du Conseil, la fresque de Charles Giron : le lac des Quatre-Cantons, les pâturages, l'allégorie de la paix confondue dans les nuages qui surplombent Schwytz, le chemin jusqu'à Brunnen, emprunté lors de ma balade juqu'à Sils Maria. Cachée derrière les Mythen l'abbaye d'Einsiedeln et le chant des Bénédictins qui m'avait tant boulversé.
Je suis assis devant le pupitre 188 du Conseil national, fermé à clef, j'entends pourtant les mandibules d'un animal qui ronge le bois. M'inquiète. On m'apprend qu'il s'agit du bruit d'un appareil électronique oublié par le Conseiller national dont j'occupe la place.
Retour avec le tram 9. Repas de cantine, discours de clôture. Épuisé. Enfin au lit.

Jean



Il y a des voix qui sonnent juste



Il y a des voix qui sonnent juste, celle par exemple du conseiller national Christian van Singer rencontré ce matin dans la salle de commission numéro 3 du Palais fédéral, un militant vert honnête, indépendant, phrases courtes, propos sans ambiguïté apparente, sans exagération ni pathos. Avec ce petit air désespéré qui donne un peu de lest aux discours si souvent creux des politiciens, sourcils à la voûte surbaissée, un homme d'un certain âge qui n'a au fond plus rien à perdre, qui ne tient pas à gagner des majorités. De ces gens qu'on imagine ailleurs que dans l'arène politique, sans grande efficacité - ou souterraine - dont la rencontre ne produit pas d'autre effet que le rappel qu'ils existent.
Malgré le froid, cinq degrés au-dessous de zéro, on vit à l'intérieur de soi un temps de primevères, c'est à cause du ciel et de l'étrangeté des lieux, perceptible tout autant derrière le vitrage du café de l'Arena que sur l'esplanade du Palais fédéral. Mais aucune fleur ne se fait voir, on les attend, ce sont des mouchoirs en papier froissés qui traînent dans les jardinets qui s'étendent au pied du mur de soutènement de l'esplanade. Je cherche encore, pas de jonquilles, elles auraient déjà dû apparaître si les choses suivaient le cours de nos désirs.
H. a oublié le cadeau qu'elle a acheté pour Christian van Singer, je retourne au bâtiment de la Zivilschutzanlage pour le récupérer. Je surprends ce lieu qui ne s'attendait pas à mon retour, je ne devrais pas être là, profite sans modération du plaisir qui m'est donné de voir ce que je n'aurais pas dû voir, voir les choses telles qu'elles sont quand je n'y suis pas, c'est-à-dire un peu comme la première fois, ou à revers. On peut, je crois, être dedans et dehors, à certaines conditions que je commence à apprivoiser.
Dans le tram 9 qui me ramène au Palais, une vieille dame me sourit, elle cherche à lire ce qui est écrit sur mon badge. Je lui souris mais hésite pourtant à lui faire voir distinctement ce qui l'intrigue, inquiet de ne pouvoir lui répondre si elle m'adresse la parole. Elle a la peau sur le visage, fine et presque bleue, un ours doré à la feuille épinglé sur le col de son manteau de laine, vert militaire. On voit les os de son crâne, ses mâchoires animales, les orbites de ses yeux. J'aperçois l'objet vers lequelle elle tend. La mort qui rôde n'empêche pas qu'on se sourie.
J'entre dans le Palais avec mon appareil de photos, interdit dans le saint des saints politiques, pour faire quelques photos de la salle de commissions, des élèves avec Christian van Singer.
On se donne rendez-vous à la Zivilschutzanlage, je m'écarte alors du chemin qu'empruntent les élèves en me laissant dériver à l'arrière, fais une photo du Kornplatz aperçu ce matin, dans le soleil et sous les arcades, juste après le pont qu'emprunte le tram numéro 9 pour franchir l'Aar.
Toute l'après-midi et le soir à aider les élèves à rédiger les interventions de demain, j'en sors défait. Puise toutefois encore, dans le peu qui me reste, ce qui me manque pour écrire ces notes.

Jean



Nuit courte



Nuit courte dans une boîte, soixante centimètres de béton sur les six faces, sous L'Arena de Berne. Me réveille à plusieurs reprises sans savoir très bien si je m'éloigne du soir ou m'approche du matin. N'entends pas la musique promise, me lève dans la précipitation, douche et réfectoire.
Tram 9 jusqu'au Graben, les élèves remettent les signatures assurant du sérieux de leur initiative à un jeune informaticien de la chancellerie fédérale, par une porte dérobée de l'aile ouest du palais, comme tout ce qui vient du peuple.
Bus 12 jusqu'à la fosse aux ours qui n'hivernent pas sur la rive droite de l'Aar. La nourriture abondante ne les y oblige pas. L'un d'eux fouille pourtant les allées.
Une animation permet aux élèves de découvrir quelques aspects de la révolution radicale de 1848. Nous visitons l'Erlacherhof, érigé au milieu du XVIIIème siècle, recevons des explications dans la salle où siège aujourd'hui le Conseil municipal de la ville de Berne, sous le regard d'Hieronymus von Erlach, le maître d’ouvrage de l’hôtel. Des poêles à carreaux de faïence bleue, ornée, ont remplacé les cheminées d'angle. Imprenable vue sur le Alpes et la basse ville. Le ciel est bleu. L'hôtel abrita en 1848, pour quelques années, l’Administration fédérale et le gouvernement.
On nous emmène ensuite devant le bâtiment où a été rédigée la première constitution suisse, on traverse le Nydeggerbrücke où l'on percevait les taxes cantonales avant l'invention de la Suisse fédérale, on aperçoit la buvette de l'hôtel Bellevue où se font aujourd'hui encore les dernières tractations entre les partis : négociations, consensus, concordance. C'est Marjolaine Minot, une artiste issue de l'école Dimitri qui fournit le contrepoint aux explications de notre guide.
La tour de la cathédrale de Berne n'est pas la plus belle, mais au-dessus du portail ouest un beau jugement dernier. Une collation nous est offerte au pied de la Banque nationale, des fers forgés animent le tympan au-dessus de la porte d'entrée, se croisent et se recroisent pour former un nid de vipères, avec au centre les initiales BNS, recouvertes de feuilles d'or.
M., la présidente de notre groupe parlementaire assure en tout début d'après-midi la bonne marche de la séance stratégique de notre fraction, on prépare à cette occasion la séance cruciale des commissions. Il y a du sérieux, de l'inquiétude aussi, chez tous je crois, la crainte que leurs adversaires d'une semaine ne réagissent pas.
Je vole un quart d'heure, un quart d'heure au soleil, un café sur la terrasse du restaurant de l'Arena, sentiment d'être vivant, vivant parmi les vivants, vivants lointains, lointains vivants, un quart d'heure seulement pendant lequel il me semble ne manquer de rien, comme si tout avait commencé il y a une minute seulement. Des enfants se poursuivent dans l'enceinte de la patinoire, des hommes d'affaires sortent des salons de l'Arena.
La séance de commission débute à 14 heures 30. La présentation de l'initiative des élèves du Mont-sur-Lausanne semble manquer son but, mais c'est peut-être pour cette raison qu'elle engage une discussion nourrie et oblige chacun à penser. Mais les parlementaires des partis dont nous faisons la connaissance font voir des idées d'un autre temps, rétrogrades, conservatrices, prêts à rester dans leurs prisons et à jeter la clef. On leur propose celle des champs, ils n'en veulent pas, n'entendent rien, s'assoupissent, qu'on en finisse.
Fin des travaux des commissions, fatigue, cantine sans cantinière, bientôt demain, il faut commencer pourtant la rédaction de ce que les orateurs diront en plénière dans la salle du Conseil national jeudi après-midi. Ils se mettent au travail les braves. J'aperçois quelques élèves qui méditent, las, ils découvrent cette semaine quelque chose dont ils n'avaient aucune idée. Au Riau tout se passe bien, je peux aller me reposer sous terre.

Jean



Dans le bus



Dans le bus qui me conduit du Mont - où j'ai laissé la Yaris - à la gare, un homme revenu de tout, des vagues immobiles sur son front plissé, un visage fait de plaques se chevauchant ici, se repoussant là, me renvoie à la tristesse des zoos, la solitude des pachydermes. Il descend du bus avec une grosse serviette noire, lourde de papiers qui le tiennent en équilibre, ils font corps tous les deux, c'est un homme honnête bâti par le travail.
Quelques degrés sous zéro, le ciel indécis. Je croise quelques anciens élèves dans le bus, ils vont au gymnase, ça va au pas, les gestes mesurés, l'enthousiasme en berne.
Des clients fument adossés à la grande baie vitrée du Buffet de la gare, c'est la loi. Assis dedans j'apprends dans le 20 Minutes que le Traquet moteux fait plus de 30'000 mille kilomètres chaque année. Ne sais pas bien pourquoi, mais cette nouvelle me réconcilie avec la ville. Les fumeurs rentrent refroidis, avoir cessé de fumer est peut-être la seule chose que j'aie faite en connaissance de cause et que je conduirai peut-être jusqu'au bout, un acte libre.
A l'angle formé par l'avenue Ruchonnet et l'avenue William-Fraisse, le soleil éclaire soudain la proue d'un vaisseau immense qui fend l'extrémité de la Place de la Gare. On est tous là, les élèves silencieux mais les formalités m'auront volé le voyage en train.
Coup de solel sur la Guisanplatz à Berne, les travaux de notre session parlementaire peuvent commencer. Mais je sens que la fatigue me gagne déjà. Pas le temps de prendre un peu de temps dans la vieille ville. On passe l'après-midi dans une caserne pour l'élection de la présidente et de la vice-présidente du Conseil, la fraction du Mont rate de peu la présidence, mais emporte de haute lutte la vice-présidence.
Sandra m'a laissé un message, la 807 est en panne, je l'appelle, elle a pu récupérer la Yaris au Mont. Pour le reste tout va bien. Des travaux ce soir encore avec les présidents des fractions et les présidents des commissions. L'impression pourtant de n'avoir rien pu entrependre librement me pèse avant de me coucher, sous terre, dans l'un des innombrables dormitoirs du réduit national.

Jean


Me demande sitôt réveillé



Me demande sitôt réveillé comment je ferai la semaine prochaine à Berne pour tenir ma petite entreprise. Décide de différer jusqu'au soir cette inquiétude pour ne pas assombrir une journée qui ne le demande pas.
Par le velux, un convoi de nuages venant de l'ouest, des lambeaux plutôt, mêlés à de la cendre, étagés, sans qu'on sache vraiment s'il fuient ou vont de l'avant, eux ne se posent pas la question, commandés par l'unique désir d'être la où ils sont avec les autres, c'est en cela qu'ils sont mystérieux. On aperçoit parfois au milieu de cette agitation, derrière le rideau qui s'entrouvre, des morceaux de ciel bleu. Je remue les doigts, puis les bras, mon dos fort pris à parti hier entre Charmey et Vounetz répond à contretemps.
Quelques degrés se sont ajoutés à ceux d'hier dans la maison. On hésite à répéter aux filles, une dernière fois, de mettre une jaquette et des chaussettes au saut du lit. Quelques mouches se réveillent. Je me rendors avec le pressentiment que je ne verrai rien de cette matinée. Les filles nous appellent pour le déjeuner qu'elles ont préparé.
Les enfants travaillent une partie de l'après-midi pour l'école, Sandra avec les filles en-bas, Arthur seul dans sa chambre. Je crois bien qu'ils ne savent pas toujours ce qu'ils font et pourquoi ils le font. On aimerait bien parfois que ceux qui sont à l'origine de ces travaux réfléchissent avec eux.
Grande boucle dans la neige, par le sentier d'en-haut et le refuge de Corcelles. Dans le verger du Chauderonnet, un vieux pommier a versé. Je croise au retour Ch. qui me raconte : c'est la bise et la neige, le vieil arbre n'a pas supporté. Mais les vaches sont un peu responsables aussi, elles viennent pâturer à la belle saison et y frottent leurs flancs, ce sont des pommiers que le grand-père a plantés, ou l'arrière-grand-père. Le plus faible, recouvert de mousse et de lichen, a laissé ses racines dans la terre. Ils vont en planter un nouveau, mais il devront interdire aux vaches de pâturer. Ch. m'apprend qu'il va commencer une école en Valais dans laquelle on apprend les métiers de la terre.
Le temps s'est refermé sur le monde, temps d'huître encore, et pour confirmer cette image, le soleil apparaît pâle comme une perle derrière les nuages.
Je ramasse 4 oeufs au poulailler. A l'ouest, tout à l'ouest, les restes d'un immense incendie, braises lentement noircies par des fumées âcres. Il est temps de préparer ma semaine à Berne.

Jean



Arthur est réveillé



Arthur est réveillé lorsque je me lève à 6 heures et demie, le ciel est dégagé, on part à 8. Petite halte à la COOP de Charmey où le mousse ajoute à son casse-croûte un paquet de bonbons qui n'était pas prévu. Lui retiens la somme sur le salaire que lui vaudra le ravitaillement en bois du mois prochain. Son forfait ne me fait pourtant pas hésiter, je le confie aux amis du club de trial. Il fait grand soleil.
Sors de Charmey par le chemin de la Petite Fin, passe sous le parc à biches, les clôtures ont été déposées. D'en haut on voit le gâchis de la police des constructions. Aucun propriétaire ne s'en cache, chacun en fait à sa tête, veut s'émanciper des idées que la pratique du lego lui a imposées, il y a choisi une construction aux normes minergie, aux formes originales, à l'orientation originale, si originale que toutes ces bâtisses se ressemblent ou ne ressemblent à rien, un chantier où tout semble en sursis. Tout indique que rien ne durera, resteront des ruines trop jeunes pour être crédibles.
La neige fond, fait la place à l'odeur de la terre, quelque chose de la pourriture sur les bas-côtés, la sève aussi, le souvenir du trèfle alpin, l'odeur de résine surchauffée, quelque chose qui rôtit. Plus loin un bassin à l'eau généreuse où je fais le plein, des pains de glace tout autour.
Entame alors 400 mètres de montée dans la neige de printemps, sans rien à me mettre sous les pieds, j'enfonce, brasse la neige, il en est tombé là bien plus qu'au Riau. Me faut-il accélérer l'allure et transpirer, m'alléger ainsi en espérant que le manteau neigeux tiendra ? Des sportifs correctement chaussés, raquettes ou peaux de phoque me dépassent allégrement. Songe à acquérir dès demain une paire de raquettes.
Il me faudra deux bonnes heures avant de parvenir à Vounetz, sur les boulevards offerts à ceux qui n'ont pas d'ailes. Sandra et les filles ont rejoint les skieurs. Je leur envoie un message depuis le téléphone que j'emporte pour la première fois. Ça marche, on se retrouve tous pour le repas de midi, il est une heure.
Décide de redescendre par le même chemin, R. et son frère m'accompagnent. Le premier a des raquettes, je l'observe, ma décision est prise.
A Montminard, entre Vounetz et Charmey, on retrouve la fontaine, le soleil a fait fondre les pains de glace. Victor attend sur un billot d'épicéa la Saint-Joseph. On discute, il a travaillé une grosse partie de sa vie à la scierie, il n'aime pas l'hiver, c'est pour cela qu'il est là, il attend le 19 mars. Il aime les longues marches, partir de nuit, thermos et viande séchée. Je lui demande si je peux faire une photo, oui mais ça coûte de faire le mannequin. Je lui propose un verre à Charmey, ah ! moi les bistrots, faire le mannequin, à 73 ans, tant qu'on peut en rire, le soleil ne coûte rien.
J'ai transporté dans mon petit sac à dos ton Carnet de notes 2001-2010, un petit kilo. Je pensais en lire quelques pages chez Dudu ou à la Vounetz. Pas eu le temps, juste le temps d'avancer, marcher, et ça m'a fait du bien.
Arthur va skier encore un peu, c'est la maman de L. qui le ramènera. La COOP de Charmey où on devait se retrouver pour faire quelques courses est fermée, Sandra et les filles rentrent pour leur compte. A Broc on prépare le carnaval. Je les rejoins au Riau peu après.
Ceci encore : deux mésanges charbonnières. L'une à l'aller, l'autre au retour, toutes les deux le soleil sur le ventre, leur chant dans le ciel.

Jean





Sandra me demande



Sandra me demande au réveil ce qu'il en était de la situation des Provinces-Unies, de l'Angleterre, de l'Espagne et de la France entre 1650 et 1750, c'est qu'elle lit un livre sur Newton. Je bégaie les Jacques et les Charles, Cromwell, les querelles religieuses, le catholicisme d'un des Jacques, mais lequel ? le second vraisemblablement, Marie et Guillaume d'Orange...
Qu'ai-je donc fait à l'école ? Regrette un instant de ne pas avoir assez étudié, assez souvent quitté le monde des vivants pour l'hiver du papier. S'enfermer dans un réduit, est-ce donc la seule manière de faire un peu de lumière avant que l'obscurité ne recouvre tout ?
Tandis que Sandra quitte la maison avec Arthur qu'elle va déposer au bus avant de filer au Mont, Louise égrène les notes du Printemps qui s'ajoutent à celles de la valse de Daniel Fortea. C'est bon. Il fait moins de 5 degrés sous zéro lorsque je la conduis au bus, je remonte, vérifie le vocabulaire que Lili vient d'écrire avec une application réjouissante. Elle enfile alors sa combinaison, brasse la neige jusqu'à ce qu'il soit temps de retrouver M. et descendre à l'école.
L'histoire me tiendra toute la journée. Je visionne en effet la seconde partie de La Prise de pouvoir par Louis XIV, une merveille réalisée par Roberto Rossellini en 1966. Je crois même que les élèves de la classe 9 n'y sont pas insensibles.
Je passe à la salle des maîtres où une espèce d'incompréhension règne, toujours la même ritournelle. Nous souhaitons faire le bien des récalcitrants, on leur donne des lecons de morale. Ou on les punit. Alors qu'en toute bonne logique il faudrait alléger leur tâche, les libérer de tout ce qui pourrait faire obstacle à une manière différente d'entrevoir les choses. Pour qu'ils disposent, légers, d'un peu plus de lumière. De cela nous ne voulons pas, Alors on rabâche. Ces discussions ne servent à rien, pas assez de hauteur, de détachement. M'en vais avec la certitude qu'il convient de désencombrer la chemin de celui qui a renoncé, d'en retirer les objets contre lesquels il va buter et dont il va se servir pour édifier une barricade toujours plus haute.
S'il y avait de l'huître dans le paysage d'hier, il y a de la cassata aujourd'hui, du froid mêlé à de la douceur, air vanillé et soleil confit, il y a eu du ménage dans le ciel, les flaques recueillent le solde et l'herbe fait son trou. Rien à manger à midi, un morceau de pain et un verre d'eau.
Drôle d'épisode pour terminer la semaine, un élève d'une quinzaine d'années est penché sur un livre emprunté à la bibliothèque, un bel ouvrage illustré, papier glacé. C'est vendredi après-midi, l'adolescent est fatigué, il interrompt sa lecture et rabat le coin supérieur de la page de droite, le lisse soigneusement et ferme son livre. Je le regarde stupéfait. Il m'explique le plus sérieusement du monde que c'est une technique pour retrouver plus facilement la page. Ne trouve pas de réponse. Me voyant bouche bée, il m'explique que ça ne le dérangerait pas qu'on fasse comme lui, mais il comprend aussi que cela puisse déranger. Je le conduis à la bibliothèque pour qu'il en discute avec l'une de nos deux professionnelles.
En fin d'après-midi, on va faire le petit tour sous le soleil, Louise, Sandra et moi. Lili reste seule à la maison. 
J'apprend ce soir que François Bon s'est fait remettre à l'ordre à cause de sa traduction du Vieil homme et la mer. Gallimard aurait encore des droits sur ce texte et ses traductions. On voit bien les motifs commerciaux, on voit mal les raisons littéraires de cette grande maison. Retenir les choses dans son giron ? Interdire qu'on aille de l'avant sans elle ?

Jean


Un air glacé



Un air glacé m'accueille au bas des escaliers, la porte d'entrée est en effet restée entrouverte toute la nuit. La mauvaise humeur me gagne, incapable de la raisonner : le dernier qui est allé se coucher n'a pas pris la peine de tirer le loquet de la vieille porte qui s'ouvre au moindre coup de vent, je le sais, tout le monde le sait. Qui est donc monté se coucher en dernier ? Pas moi. A quoi bon tous ces efforts pour tenir le froid hors de la maison,... J'ai bien conscience que je file le mauvais coton mais la connaissance de cette vilaine habitude ne suffit pas à m'attendrir, le feu tousse, je m'agite, inquiet que le bus parte sans les garçons, précipitation, je m'en veux. Mes premiers pas dans la journée sont bien aigres.
Petite rédemption au retour. Louise joue en boucle une valse de Daniel Fortea. M'assieds près d'elle, submergé par la douceur de cet air simple, les égards que Louise lui porte, le soin qu'elle y met. Lili s'exerce aux majuscules. L'avenir est à nouveau possible. Tout est beau d'un coup, la route blanche jusqu'au château, noire de pluie au Torel. Je passe à la Goille régler la livraison des deux stères que F. nous a livrées il y a quelques semaines. La valse et le grand air assurent ma guérison.
Prépare avec les élèves le travail de la semaine prochaine, les persuade qu'il y a une vie en mon absence, qu'ils ont toutes les qualités pour ne pas chasser les questions qui tardent à trouver une réponse. La panne de courant au milieu de la matinée réjouit un bref instant les collaborateurs du collège, tout le monde stoppe ses activités, tous, comme si ces petites catastrophes redonnaient un peu de jeu à ce qui n'en a plus guère. Et ce qu'on a perdu de vue revient, on salue cette sensation de vacances qui nous rapproche, à la dérobée, de quelque chose qui fait partie de notre secret. On regarde avec le sourire ceux qui sourient. On rêve que cette panne dure, sème son joli poison plus loin.
Par la fenêtre on aperçoit le Jura desserrer l'étau mou des nuages, le soleil en profite pour s'engouffrer dans la Vallée de Joux, puis c'est au tour des fumées du quartier de briller bleues au-dessus des cheminées. Quelques minutes dans la classe vide, le temps passe, personne, ce n'est pas désagréable de ne pas être là, avec la trotteuse qui court dans le vide et hausse les battements de son coeur. Me lance dans l'air tiède de cette fin d'après-midi, satisfait d'en avoir fini, pressé de retrouver le Riau. On a gagné plus de vingt degrés en deux jours, la pluie a déglacé les alentours, le froid retrouve un nom, la neige colle, le noir se mélange au gris, on se réveille soudain dans le coeur d'une huître.

Jean



Ici la colonne de mercure



Ici la colonne de mercure remonte vers le zéro, mais la fine couche de neige tombée la veille s'est maintenue, la pluie va se mêler à l'affaire et répandre la grisaille dans les mailles du suaire. Pas trop envie d'aller travailler, c'est ma gorge qui le dit, elle se resserre et tient mon appétit à distance. Le Conseiller d'Etat Pierre-Yves Maillard n'en manque pas. Invité au milieu du déjeuner, il démontre en peu de mots et avec le ton qui convient que l'engagement politique, lorsqu'on a les épaules larges et une modestie bien trempée, n'est pas mort.
Je dépose Arthur et D. au bus et file au Mont pour apporter ma contribution à l'état inquiétant des affaires du monde, goûter peut-être à ces moments de grâce qui voient l'intelligence se lever avec le sourire. Ils ont appris, ceux-là, tant qu'à faire et qu'ils sont là, à se prêter au jeu qu'on a cru bon leur proposer, découvrir en y séjournant ce que d'autres ont été, un peu d'autrefois, un peu d'ailleurs.
Remonte au Riau, ramasse Arthur que je dépose à 13 heures dans un café de Moudon pendant que je passe sur le fauteuil de l'hygiéniste dentaire. Elle est depuis peu la mère d'un petit Alexandre né il y a 4 mois. Tout va bien, la routine déjà, un 40%, les parents pas loin lorsqu'on en a besoin. Il faudra que je repasse dans 15 jours. Arthur a fait ses devoirs devant un chocolat chaud.
On poursuit jusqu'à Lucens pour qu'il remette en ordre son vélo sous l'oeil avisé de D. A moi d'attendre. En profite pour aller jeter un coup d'oeil aux berges de la Broye qu'on avait dit gelée. La révision du vélo ne suffira pas, on est condamné à en acheter un nouveau, D. nous propose un vélo japonais, dont l'importateur est implanté à Zurich. Cette proposition ravit Arthur, elle me rendra aussi la tâche plus facile, incapable que je suis de toute réparation.
Le mousse est venu me rechercher au café du Poids, occupé à lire quelques pages de ton Carnet devant un thé. Difficile. Neuf dames dans la soixantaine assises autour d'une table ronde font tourner les potins de la semaine. S'arrêtent longuement sur le fait que la plupart de leurs petits enfants ne veulent pas faire leur confirmation. Elles font comparaître ensuite chacune des personnes rencontrées dans la région, palabrent avant de décider ce qu'il faudra en dire. Il est 18 heures lorsqu'on rentre. Deux allers et retours encore jusqu'à Ropraz, pour l'entraînement, sur une route à nouveau enneigée, blanc béton.
Eprouve des difficultés avec ma tablette. Elles me rendent de sale humeur et aveugle. Malheureusement je suis obstiné, je n'aurai embrassé avant la nuit ni Sandra ni les enfants. M'en veux.

Jean



On a gagné une dizaine de degrés



On a gagné une dizaine de degrés ce matin mais il n'y paraît pas. Edelweiss boit à la fontaine, il fait encore nuit. Lorsque j'accompagne Lili à la patte d'oie, les corneilles se font entendre avec un bel entrain, pour la première fois cette année et une demi-douzaine de moineaux s'ébroue près de l'étang. La couverture nuageuse s'est déchirée à l'est sur la chaîne des Vanils qu'on peine à deviner derrière la bande de stratus. C'est que nous, ici au Riau, on est comme entre ciel et terre. Au retour je vois cette brèche s'élargir et faire sauter le verrou au-dessus de la Mussilly. La neige a pris des teintes bleues, le fût des hêtres aussi.
Tente de régler les problèmes de la chaudière. Monsieur K, l'installateur, soupçonne que les tiges en caoutchouc qui plongent dans les citernes sont poreuses, l'air et la saleté remuée lors du remplissage des cuves remonteraient jusqu'au brûleur. Le fournisseur de mazout ne sait pas trop quoi me dire, je prends conscience que son travail consiste à vendre, rien de plus. Monsieur K passera l'un de ces prochains jours pour voir ce qu'il peut faire. Je prépare une tarte aux pommes pour midi.
Il fait trop froid encore pour s'installer dans la véranda, malgré le soleil qui a dégivré les vitres, Cacao le lapin n'en profite pas non plus, il se terre dans les copeaux. Fleur a pris les devants, va et vient entre les repousses dégarnies du gros tilleul qui se dressent dans le ciel. Enfoncé dans le canapé, sous des couvertures, je poursuis une bonne heure la lecture de ton Carnet – 2007, les heures sombres.
Ce midi, Louise pique-nique à la piscine, Lili mange comme un moineau, tout entière à la Saint-Valentin, Arthur me parle de Charlemagne sur lequel son interrogation d'histoire a porté. Il faut faire vite, on vit ici dans l'urgence, à mi-chemin de l'horaire continu et de la pause dodue dont on disposait il y a quelques décennies entre midi et deux. Une situation qui affecte les affaires des habitants des maisons foraines trop éloignées des centres, on nous a oubliés. Il faut que tu saches que les horaires de nos trois petits sont tous différents si bien que nous faisons chaque jour 12 allers et retours jusqu'au village. En nous organisant avec les parents des enfants du coin, on a divisé cette folie par trois.
Personne ne peut lever les yeux continuellement vers le ciel, il n'y a pas d'autres explications à mon étonnement lorsque je m'aperçois en début d'après-midi que le ciel a blanchi à l'ouest et qu'une fine gaze s'est déposée sur les pavés de la cour. C'est pourtant ce à quoi il faudrait s'astreindre pour comprendre à la fin pourquoi il y a plusieurs jours dans le même jour.
Me décide à faire le petit tour, je m'avise bien vite que la tête ne suit pas le corps, elle traîne en arrière. Je tente sans succès de la remettre à sa place. Vais ainsi jusqu'à la Moille au Blanc en essayant de ruser avec le bruit qui l'agite. C'est seulement lorsque je m'appuierai au dossier du banc détrempé, à côté de la fontaine recouverte de glace, qu'elle me rejoint en se calant tout naturellement sur mes épaules, comme un chien dans sa niche. Il ne faudra rien leur demander jusqu'au retour, ni à l'un ni à l'autre.
Sandra remonte du Mont lorsque je pars récupérer Louise qui crochète un bracelet de coton en m'attendant, assise au fond de l'abri, le bus orange dépose Lili un peu plus tard, un trajet encore pour remonter le mousse et nous voilà tous les cinq autour du poêle comme des grenouilles autour de la mare. Pas longtemps. La nuit tombe et, pendant qu'Arthur s'entraîne à Ropraz, je lis au café de la Croix-d'Or quelques pages de ton Carnet, au pas de course. Aux couples qui font leur entrée, le patron offre une flûte de champagne, c'est la Saint-Valentin.

Jean



Moins de 15 degrés sous zéro



Moins de 15 degrés sous zéro avant le lever du jour, mais la bise ne siffle plus, les tuiles ont cessé de trembler, la charpente se repose désormais. Je fais du feu dans le poêle en écoutant les nouvelles, ici les politiques ne lâcheront plus la langue de bois jusqu'à mars. Il fait encore nuit lorsque je pars au Mont, dans le ciel la lune décroît, elle regarde ailleurs, se détourne de nos affaires – son autre vie – s'impose à d'autres, comme le soleil d'été à l'aurore, lorsque la montagne ne parvient pas à le contenir derrière l'horizon.
Les préparatifs pour Berne vont bon train et quelques élèves de la classe 11 font voir un enthousiasme solide, ils ont compris, ceux-là, que ce qui donne de l'assise à ce qu'ils disent, c'est aussi ce qui les élève. Ainsi H. qui disait sa crainte abyssale de parler en public ne lâche plus désormais la parole lorsqu'on la lui donne, s'en saisit même, convaincue que son propos fera avancer les choses. Et les choses avancent. Pour le reste, bien des aspects de cette semaine que nous allons passer à Berne m'inquiètent un peu. Seront-ils à la hauteur ? Et moi assez détaché pour ne pas les encombrer de ma présence ?
De la classe 9 on n'aperçoit qu'à peine les crêtes du Jura dont d'épaisses poussières ont fait disparaître les contreforts. Le gris du ciel s'est glissé derrière, un timide pinceau d'aquarelle a passé un peu de bleu pour indiquer l'horizon, trait timide mais large qui ondule, plein d'eau et de rondeurs. Rien ne bouge. Certains élèves attendent, ils font ce qui leur est demandé puisqu'il le faut bien, à moins qu'ils parviennent à l'éviter, ils ne se risquent pas à sortir la tête loin de leurs épaules, ils veillent, intègres.
Lance les élèves de la 6 sur l'écriture en creux de cinq événements, – correspondant chacun à l'un des jours qu'ils ont passés à Crans-Montana –, qu'ils auront à taire, ou à représenter comme une empreinte fait voir ce qui n'est plus. Ils disposeront à cet effet d'une subordonnée, d'un groupe prépositionnel et d'un groupe nominal. Pas plus pas moins étant admis qu'ils pourront désobéir.
Le soleil est entré dans la Yaris lorsque je quitte le collège et je le remonte jusqu'au Riau. Ça fait une éternité qu'on ne l'avait pas vu. Les enfant ont le sourire, Arthur part avec Sandra sur Moudon pour s'informer de la voie qu'il pourrait emprunter dès la fin de l'été prochain. Il me semble que les choses sont déjà bien avancées et qu'il se dirige dans la direction qui fut celle de sa mère. Je n'en suis pas mécontent.
Lili me confie, tandis que je l'accompagne à Mézières pour sa leçon de flûte, qu'elle se réjouit de jeudi, à cause de la poterie et de M. qu'elle se réjouit de revoir ; de mercredi et des poneys aussi quand bien même elle n'est pas sûre que le sol du manège soit assez tendre. Pour le reste elle dessine des coeurs, épelle les noms de ses prétendants, demain c'est la Saint-Valentin. Je trouve un peu de temps pour lire quelques pages de ton Carnet, au Central devant un thé. La demi-heure passe sans que je puisse la ralentir.
On se rend à Oron récupérer Louise. On passe d'abord à la boulangerie et on grignote deux pièces sèches percées d'un coeur sur les escaliers du bâtiment dans lequel Louise prend ses cours de guitare et de solfège, on y croise G. et sa fille qui attendent comme nous, Louise sort enfin, enchantée. Elle croque sa pièce sèche. Sitôt rentrée elle joue en boucle une valse de Daniel Fortea qu'elle travaille depuis la semaine passée. Je passe la soirée à la bibliothèque, me couche à plus de minuit. Je crois bien que toutes nos vies se ressemblent, qu'on ne le sait pas toujours, ou seulement tard dans la nuit.

Jean