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Les choses
reprennent
leur cours
ici
























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Rue Marie vierge

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Nos existences se sont singulièrement allégées depuis qu'on arrache les unes après les autres chacune des pages de l'histoire brochée de nos villes. On découvre au détour de nos pérégrinations des scénographies inouïes à l'image des vies minuscles de leurs locataires, des blessures béantes cousues main, forcloses jusque-là.
Des restes adhèrent encore comme des chairs molles au recto de vieilles boîtes vides, ce sont celles des fantômes avec lesquels on vivait. Il faut pourtant tourner la page, sans espérer quoi que ce soit de nos anciennes habitudes, ni feuille ni crayon, ni gomme. Plus de réparation mais des marges d'erreur prises en considération avant même de commencer, une succession d'éditions princeps.
A chaque fois il faudra donc tout reprendre sans pagination fixe, condamnés que nous sommes à ne plus pouvoir en sortir et à devoir lire en tous sens. Mon imaginaire oscille, au-delà des images, comme sur un tape-cul.

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Jean Prod’hom

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Il y a fêtes votives

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Il y a fêtes votives
les trains à crémaillère
l'assiduité
il y a les ciels bretons
les échanges bilatéraux
il y a Célestin Freinet
les vers à soie
les magasins Leclerc
les vide-greniers

Jean Prod’hom

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Terres d'écritures

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Déposer un peu de pigment noir sur le blanc mat et âpre de la porcelaine nue si mal armée, mettre du noir sur du blanc, c'est déjà écrire, n'est-ce pas ? Mais quoi ? Des lettres ou l'alphabet primitif qui les constituent, un mot ou une phrase, quelques-un des noms des anges que mentionne Umberto Eco dans son Vertige de la liste, initiale rouge coquelicot, ou ceux des démons, ceux des étoiles les plus brillantes, une poignée de titres organisant les chapitres des Notes de chevet de Sei Shonagon, ou les bienheureux qui échappent à l'appétit de l'Eisthenes du Quart livre ?

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C'est selon, peu importe, car la calligraphie met à l'épreuve la relation première du tracé avec son support, de la lézarde avec le blanc cassant de la page blanche : enfance de l'écriture dans son indécise éclosion d'avant la lettre. Car la vérité est en amont, lorsque l'écriture, avant de faire système, n'était que fêlure, à la fois ruine et anticipation de la ruine, condamnée à briser la belle unité du monde pour la recomposer ensuite. La rencontre de la calligraphie et de la terre cuite était inéluctable.
Ils campent bien avant la lettre, tout prêts de l'origine mais un peu après le bing bang. Le réel et l'écriture sont contemporains et nos constructions tremblent. Pas l'ombre d'un décor, mais la vérité d'un séisme qu'un vase ou une coupe au bord ourlé et âpre contient un instant avant de se briser.

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temini
Graphic porcelaine et céramique contemporaine
Du 7 juillet au 28 août 2011
Grignan

Christine Macé
et les calligraphes
Christine Dabadie-Fabreguettes
Denise Lach
Anne Gros-Balthazard
Kitty Sabatier

Jean Prod’hom

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Dimanche 17 juillet 2011

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Deux belles et longues heures sous un parasol aux allures de liseron blanc devant un thé sur la terrasse du Sévigné, une fin de matinée sous une pluie fine, rare dans cette petite ville qui peine à se réveiller; elle disposera après la sieste d'une seconde chance pour se lancer en plein jour, mais sans conviction. Deux coups de tonnerre et les cris d'un enfant à la table voisine – j'ai vu Michel Drucker en vrai – n'y changeront rien.
Voir en vrai ? Je ne les verrai pas, ni ne souhaite au fond les voir ceux que j'imagine désoeuvrés dans un salon plongé dans l'ombre, à deux pas de cette terrasse, le peintre et l'écrivain.
Ils se retrouvent comme chaque dimanche dans la maison du premier, à 11 heures pour un repas maigre et une après-midi qui se prolonge jusqu'au soir, car il ne peint pas plus que lui n'écrit, ou presque plus, ni l'envie ni la force. Leurs compagnes ne sont pas bien loin mais on ne les entend pas, elles n'ont jamais imaginé que les choses puissent s'arrêter, il faut arroser les fleurs et nourrir l'appétit d'oiseau de ceux qu'elles ont servis tout au long de leur vie.

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Ils sont seuls dans la fraîcheur d'un salon un peu sous terre qui est comme un centre du monde. Ils ont enfin la vie devant eux, devant eux les jours et les nuits cousus comme un seul jour. Dehors il pleut, ils ne sortent plus, surtout pas le dimanche, ou à contre-temps lorsque le village se ressaisit à l'aube ou au crépuscule des entre-saisons. Ils sont maintenant assis et occupent chacun l'un des côtés d'une longue table sur laquelle traînent les traces d'un repas frugal, les couverts, quelques fruits, deux verres de vin, une carafe d'eau. Ils parlent, sortent de leurs poches profondes des morceaux de souvenir qu'ils déposent sur la table à côté de la corbeille de pain, vieux arbres sans fruits qui ne demandent rien. De la suite il n'y en a que dans le silence, il s'ébroue et les rafraîchit, faufile bout à bout leurs propos qui tombent du ciel comme des samares et les font sourire.

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Ils ont l'appétit des oiseaux mais ce sont des géants, modestes et sans crainte dans les long rouleaux du silence, ils détestent par-dessus tout les cris des enfants qui entament leur corps chétif. Ils se ressemblent, se ressemblent tellement qu'on aurait peine à dire qui a écrit et qui a peint, car ils sont d'après, nés de la dernière pluie. Ils vont se coucher les mains vides, un mot parfois, mais vite oublié, ou une idée qui reste sur le seuil.
Ils énumèrent ce qui fut, mais n'évoquent ni la peinture ni l'écriture, ils ne regrettent rien, noctambules du jour c'est ensemble qu'ils se sentent bien, confondus dans l'ombre du salon comme l'inconnu dans la foule. Le reste du temps ils le passent à surveiller ce qui demeure et empilent leurs affaires qui traînent sur les commodes, ils décantent leur vie.
Ils sont comme tous les autres, mais eux sont arrivés à leur fin, ils ont fait un pas de retrait et laissé toute la place au silence qui les a portés, eux et leur folle entreprise, ils sont devenus ce qu'ils ont écrit et ce à quoi ils ont renoncé. Ils le rédigent à leur insu derrière la porte, dans le clair-obscur, et je n'en saurai rien.

Jean Prod’hom

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Bédarès

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Un petit maître toscan du temps des Lorenzetti conçut une peinture de petit format oubliée dans la réserve d'un musée de la province siennoise que j'eus la chance de découvrir il y a une trentaine d'années. Or un détail de cette peinture m'est apparu distinctement l'autre matin au fond d'un bassin abandonné sur les bords d'un sentier longeant le Lez près de Bédarès. Ne m'est revenu en mémoire que ce détail – l'angle inférieur droit – qu'il m'a suffi de déborder pour retrouver le bateau couché sur le flanc, le vert et l'ocre et, de proche en proche, les restes du vent, l'odeur du goudron, la filasse, le bonheur de peindre, l'arrachement, les jointures et le rivage. Personne dans cette représentation, pas même un nom à l'angle du tableau, mais une main divine.

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Jean Prod’hom

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Nos désirs s'étendent au-delà de nous

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Être ici et en même temps ailleurs, c'est ce à quoi nous obligent nos vies habitées par le souci de l'avenir, cet état en a rendu plus d'un malheureux. Montaigne dit juste : Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes au-delà. Mais nous devons concéder pourtant que cet inconfort, auquel chacun de nous est tragiquement confronté et qui déroge au sacro-saint principe d'identité sans lequel notre raison ne serait pas, installe d'emblée la possibilité même du temps – l'inquiétude –, et la promesse indéfiniment reconduite d'une résolution, celle de l'irréconciliable – l'histoire. L'écriture, quelle qu'elle soit, n'est rien d'autre en définitive que le procès-verbal des avatars de cette contradiction, le compte-rendu des variations d'une promesse dont l'échéance est constamment différée, C'est pour cette raison qu'on entend sourdre de tout texte une plainte, comme le bruit de la mer du creux du coquillage.
Hormis dans un usage improbable de l'écriture qui, par un retournement dont je ne saisis encore ni la genèse ni la mesure, devient le lieu même où l'au-delà est rapatrié dans l'ici, et la plainte – l'ici rejeté dans l'au-delà – un chant ou le murmure de la mer, et ma vie une averse.

Jean Prod’hom

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D'une traite

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Frapper à la porte en espérant non pas qu'elle s'ouvre mais que fermée sur le silence qu'elle a préservé du désastre elle vous rappelle que le chemin est encore long et qu'il vous faudra toutes vos forces et du courage pour aller là où l'on ne croise personne et où il n'y a rien sinon d'autres portes fermées chaque jour plus rares qui commémorent ce peu qui fut dans nos maisons et hors d'elles et dont notre âme aura à se satisfaire lorsqu'il n'y aura plus rien.

Jean Prod’hom

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Dimanche 10 juillet 2011

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On quitte la grand-mère et Chazelles sous la pluie pour un double transfert, de la rive droite du Rhône à la rive gauche aux abords de Vienne, d'en-dessus Valence à en-dessous peu après Loriol. On abandonne le pisé pour les pierres sèches, les pommes de terre pour l'olive, une idée de l'existence pour une autre. Demeurent les stations d'essence, la grégarité, les péages, la grogne et l'euro, les aires de repos, l'ivresse et la vigne, et le lierre qui sont partout. Le soleil a fait le ménage sur la terre comme au ciel et commence à dessécher les ardeurs : on en fera bien moins que ce qu'on s'était promis et on profitera du temps restant pour revisiter un instant l'idée saugrenue et assassine d'en demander autant aux Grecs et aux Portugais, aux Italiens et aux Espagnols qu'aux Suédois.

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Les fleurs rouges du laurier battent la porte, la maison est fermée depuis l'Ascension, on en diffère jusqu'au soir l'ouverture complète pour garder dedans cette odeur de puits et le silence qui s'est installé sitôt les volets clos, obéissant en cela à la même loi que la poignée de sable jeté à la mer. Dehors les grappes de raisin pendent lourdes et primitives, les abeilles vrombissent dans la glycine, les cigales et les grillons assurent le contrepoint.

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L'ombre est cher, il y a foule au Lez. Mais Lili a repéré dans ses eaux basses et troubles un banc de gros, des gros très gros. Ses cris et l'expédition qu'imaginent alors Louise et Arthur inquiètent les équipages concurrents qui s'éclipsent. Il est temps pour moi d'occuper la place abandonnée par ces pêcheurs de fortune et de lézarder au pied de la pile du pont. Les enfants qui n'en demandaient pas tant m'abandonnent sur la rive de l'autre monde, j'y consens avec l'assurance que la modeste épuisette de chez Leclerc tiendra éloignés le silure et le brochet longtemps encore.
Une sieste, un peu de lecture les yeux mi-clos... mais un peu seulement car il y a du grabuge sur le rafiot. Lili, qui n'a pas bien saisi l'esprit des manoeuvres exigées par le patron de l'équipage et transmises par son second, a été déposée à terre. Il me faut la récupérer et rejoindre les deux autres sur le pont, au plus vite, avant que l'équipée ne prenne le large avec à son bord le scorbut, et rétablir la paix sans recourir à l'injuste courte paille.
C'est fait mais le mal aussi. Je prends donc les commandes de l'embarcation et ramène tout ce petit monde au port où les attend leur mère, elle n'aura pas à les consoler, ils ont déjà oublié leur pêche miraculeuse, ils rêvent à d'autres achats chez Leclerc.

Jean Prod’hom

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Il y a les murs de pisé

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Il y a les murs de pisé
le brie
la grâce qu'on frôle parfois
il y a les vessies natatoires
la fraîcheur piégée au plus fort de l'été
la leçon des gens qui ne nous portent aucune attention
l'abondance
la truite qui mord
les interminables vaisselles

Jean Prod’hom

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Deux fois l'an

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La vieille s'est levée avant tous les autres et les attend de pied ferme dans la fraîcheur d'une cuisine d'un autre temps. Elle a dès sept heures fait le gros dos pour endurer les mille maux qui l'assaillent et parasitent le marbre de son corps usé. Lorsque je la vois, elle a déjà fait le gros de la journée : sa toilette d'abord, le point sur l'actualité ensuite. Elle est montée en ville acheter une baguette, a terminé, au pas encore, la lecture du Dauphiné qu'elle partage avec son voisin. Lui reste l'imprévu auquel elle adresse derrière ses volets clos un salut ironique.
Ce matin la vieille attend. Elle attend, car aujourd'hui c'est jour de fête. Sa petite-fille – la fille de son fils – et ses trois petits-enfants dorment à l'étage. Il sont venus la veille, comme chaque année, la saluer de l'étranger. ils dorment bien là-haut, dans les monts du Lyonnais, c'est ce qu'elle se dit et s'en réjouit, car c'est un peu elle, chez elle. Elle est assise à l'extrémité d'une chaise, sur un petit qui vive, guette les bruits, prête à les accueillir et à leur sourire. Elle languit, mais sans précipitation, de les voir autour de la table. Lorsqu'ils déjeuneront, elles regardera les enfants, un peu dépitée qu'ils mangent si peu, elle s'en faisait une fête. Mais elle oubliera bien vite car l'humeur de ces vieux-là se refait derière eux comme la mer après le passage d'un bateau. Ils passeront la journée ensemble, puis une seconde nuit avant de se quitter le matin suivant jusqu'à l'automne. Tout est réglé, de la salade de haricots au jambon, à l'os pour l'occasion, le téléjournal avec le fromage blanc, les filles qu'on met au lit et l'aîné qui regarde Fort Boyard. Demain on ira à Courchau chez sa fille, la soeur du père de la mère des trois petits.
Je fais un saut en ville, quelques lignes de Montaigne sur une terrasse, tout le monde dort quand je reviens. Il y a eu un gros orage, la pluie n'a pas lâché la maisonnée, la terre est grasse. On repart avec quelques pommes de terre, courgettes et carottes du potager.
On se reverra à l'automne, au jour de la fête des morts, lorsque la vieille ira fleurir la tombe de son fils au bord du lac Léman. Elle dormira chez nous deux nuits. Et comme chaque fois qu'on se quitte, elle pleure à l'idée que c'est la dernière. Les choses iront ainsi jusqu'à ce qu'elles n'aillent plus. Dans la voiture, près de Feurs, les enfants l'ont oubliée, mais je sais pourtant qu'elle est entrée dans ces lieux qu'ils ignorent encore, depuis dix ans, par petites doses, deux fois l'an, là où on est chez les autres après notre mort, là où sont les êtres qui ne sont pas encore nés, jusqu'à ce que, disparue de chez les disparus, elle n'ait de place que diffuse, ténue, dans la mémoire infiniment complète du dernier homme.

Jean Prod’hom

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